Cycle du mercure, fonctionnement naturel et perturbations anthropiques
GENERALITES
Historique
Le mercure est un métal de couleur argent brillant connu depuis l’Antiquité et dont la particularité est de se présenter sous forme liquide à température ambiante. Son symbole Hg provient du latin, lui-même emprunté au grec, hydrargyrum qui signifie « argent liquide » (Υδορ, l’eau et Αργυρος, l’argent). Le mot mercure provient du dieu romain « Mercure », messager des dieux, dieu du commerce et du voyage. De tout temps, les propriétés physico-chimiques spectaculaires de cet élément ont amené les hommes à l’utiliser pour de nombreuses applications. Il a été l’un des symboles de l’alchimie qui cherchait le secret de la fabrication de la pierre philosophale, prétendu capable de transformer les métaux en or entre autres par la libération du mercure. Enfin, sa capacité à s’amalgamer avec les métaux nobles en a fait un outil largement utilisé dans l’orpaillage. Les dangers pour la santé liés au mercure sont connus depuis longtemps. Au début du XIXème siècle, il était de notoriété que les chapeliers avaient un comportement étrange. Ils se servaient régulièrement de solutions de sels de mercure pour adoucir les poils d’animaux nécessaires à la production de feutre. Ils s’exposaient ainsi sur le long terme à ce polluant toxique, et contractaient l’hydrargyrie, expression des symptômes neurologiques d’un empoisonnement chronique au mercure. Le personnage du Chapelier Fou dans «Alice aux pays des Merveilles» de Lewis Caroll est à l’image de ces chapeliers aux comportements excentriques contemporains de l’auteur. Plus récemment, des cas d’intoxications collectives ont fait prendre conscience du danger mortel lié au mercure. En 1956, on découvre la « maladie de Minamata » au Japon où, pendant dix ans, une usine produisant de l’acétaldéhyde avait rejeté dans la mer de Shiranui un effluent non traité contenant du chlorure de méthylmercure. L’ensemble de l’écosystème aquatique dès lors contaminé, on assista à une intoxication massive des résidents consommant poissons et fruits de mer. Trente neuf ans plus tard, cet empoisonnement au méthylmercure était diagnostiqué chez 2252 patients, et plus de 1000 personnes en sont décédées. Une autre catastrophe sanitaire tristement célèbre a eu lieu en Irak en 1971 et 1972, lorsque l’utilisation de semences traitées par un pesticide à base de mercure a entraîné plus de 6000 cas d’empoisonnement. Bien que l’utilisation du mercure ait diminué ces dernières années, la consommation de certains poissons et mammifères marins continue à être régulée au Canada (e.g. Wood et Trip, 2001) ou au Japon (Endo et al., 2003) à cause de leurs concentrations trop élevées en méthylmercure. Le mercure est aujourd’hui reconnu par le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) comme un élément particulièrement dangereux pour l’environnement et l’homme à l’échelle mondiale. Par le « Programme Mercure », le PNUE cherche à sensibiliser les Etats à la problématique de la pollution au mercure.
Propriétés physiques et chimiques
Le mercure (Hg) est un élément de transition de numéro atomique 80 et de masse molaire 200,59 g.mol-1 appartenant au groupe IIB de la classification périodique de Mendeleïev. Sous sa forme pure, c’est un métal luisant, blanc argenté, liquide à pression et température ambiantes. Sa température d’ébullition sous une atmosphère est de 630 K et il présente une forte tension de vapeur saturante de 14 mg.m-3. Ses propriétés physiques sont spectaculaires et uniques : une forte tension superficielle (le mercure ne mouille pas le verre), une faible résistance électrique ou encore un coefficient de dilatation élevé. Enfin, le mercure a la capacité de s’amalgamer avec les métaux nobles comme l’or ou l’argent. Il existe sous la forme de sept isotopes stables et de quatre instables.
Toxicité du mercure
La toxicité du mercure dépend de sa forme chimique : mercure élémentaire, composés inorganiques ou encore composés organiques. Les sources d’exposition varient fortement suivant la spéciation du mercure et le National Research Concil des Etats-Unis recommande une valeur maximale de 10 µg.g-1 de mercure total dans les cheveux (NRC, 2000). Le méthylmercure, espèce organique, est la forme la plus toxique : c’est un neurotoxique affectant particulièrement le cerveau en développement et donc extrêmement dangereux pour les enfants et les femmes enceintes. En effet, l’exposition prénatale au mercure organique peut entraîner un retard psychomoteur de l’enfant même si elle n’a aucune conséquence pour la mère. Les enfants exposés présentent alors un manque de coordination et des retards de croissance, des troubles de l’ouïe et de la parole, une infirmité motrice cérébrale et des troubles du comportement. Le méthylmercure peut également être responsable de maladies immunologiques, cardiovasculaires ou encore rénales. La principale source d’exposition est l’alimentation, principalement les poissons et les produits de la mer (WHO/IPCS, 1990; UNEP, 2002). Effectivement, le méthylmercure a la capacité de se bioaccumuler jusqu’à un million de fois dans les écosystèmes aquatiques où les chaînes trophiques sont longues.
Le mercure est aussi toxique sous ses formes gazeuses élémentaire ou inorganiques, la principale source d’exposition étant alors l’inhalation de vapeurs. 80% des vapeurs de mercure élémentaire inhalées sont absorbées par les tissus des poumons. Ce sont les amalgames dentaires qui constituent la source la plus importante pour le grand public, mais certaines expositions dans le milieu du travail peuvent être beaucoup plus conséquentes. Parmi les symptômes d’intoxication à l’inhalation de mercure élémentaire ou inorganique on trouve des troubles du comportement, des frémissements, des instabilités émotionnelles, des insomnies, des pertes de mémoire, des maux de tête, etc. (WHO/IPCS, 1990; UNEP, 2002).
CYCLE DU MERCURE DANS L’ENVIRONNEMENT
Le mercure se retrouve dans l’ensemble des compartiments environnementaux. Sa mobilité entre réservoirs naturels est forte, et son cycle biogéochimique par conséquent complexe. Nous proposons ici un aperçu de ce cycle en présentant ces différents réservoirs et leurs interactions.
Le réservoir atmosphérique
Le mercure est très largement majoritaire dans l’atmosphère à l’état d’oxydation zéro sous la forme monoatomique gazeuse Hg°(g). Nous désignerons cette forme, également nommée GEM (Gaseous Elemental Mercury), par l’écriture Hg° dans l’ensemble de ce manuscrit. Le mercure élémentaire gazeux représente plus de 95% du mercure atmosphérique total avec des concentrations généralement comprises entre 1 et 4 ng.m-3 (e.g. Lindqvist et Rodhe, 1985; Lindberg et Stratton, 1998) et un niveau de fond moyen de 1,7 ng.m-3 pour l’hémisphère nord et de 1,3 ng.m-3 pour l’hémisphère sud (Slemr et al., 2003). Il est peu sujet non seulement au dépôt humide car peu soluble dans l’eau et donc inefficacement lessivé par les précipitations (Lee et al., 1998), mais aussi aux phénomènes d’adsorption sur les particules (Seigneur et al., 1998). Son temps de résidence estimé à quelques mois (e.g. Selin et al., 2007) permet son transport sur de longues distances.
Les dérivés mercureux (Hg1+, rarement stables) et mercuriques (Hg2+) sont minoritaires dans l’atmosphère, où ils peuvent former des complexes inorganiques. On définit par RGM (Reactive Gaseous Mercury) les complexes divalents inorganiques du mercure présents en phase gazeuse, et par PM (Particulate Mercury) la fraction de ce mercure divalent sous forme particulaire, associé à des aérosols. L’appellation TGM (Total Gaseous Mercury) désigne l’ensemble des espèces gazeuses mercurielles, élémentaire et divalentes. Les complexes inorganiques divalents Hg(II) (HgCl2 , Hg(OH)2 , HgO, etc.) se retrouvent également dissous dans les eaux atmosphériques. Le RGM représente ~3% du mercure gazeux dans l’atmosphère (Lindberg et Stratton, 1998) et le PM est présent dans les mêmes proportions (Slemr et al., 1985). Cependant, en régions industrialisées, les teneurs en RGM et PM sont plus importantes en raison des émissions anthropiques (e.g. Xiao et al., 1991). Le RGM se dépose par voie humide, car les nombreuses espèces qui le composent sont particulièrement solubles (HgCl2 par exemple) et peuvent présenter des concentrations de l’ordre de la dizaine de ng.l-1 dans les précipitations, nuages et brouillards (Lin et Pehkonen, 1999b). Le taux de lessivage du RGM, défini par le rapport des concentrations dans la phase aqueuse et dans la phase gazeuse, est ainsi un million de fois supérieur au taux de lessivage de Hg° (Schroeder et al., 1991). Le dépôt sec du RGM est également rapide, estimé à 0,5 cm.s-1 (Ryaboshapko et al., 1998), 2 cm.s-1 (Lindberg et Stratton, 1998) voire 7,6 cm.s-1 (Poissant et al., 2004). Ces caractéristiques ne permettent pas au RGM de parcourir de longues distances par transport atmosphérique. Il se dépose donc plus localement entre 10 et 1000 km de sa source d’émission. Le PM peut, comme le RGM, être déposé par des processus humides ou secs, et son temps de résidence dans l’atmosphère est fonction du diamètre et de la masse de la particule considérée. Il est ainsi susceptible de parcourir des distances de quelques centaines de kilomètres à partir de son lieu d’émission. Son taux de lessivage est semblable à celui du RGM, et sa vitesse de dépôt sec varie entre 0,1 et 2 cm.s-1 suivant la taille de la particule, les conditions atmosphériques ou encore la rugosité des surfaces (Lindqvist et Rodhe, 1985; Lamborg et al., 1995; Poissant et al., 2004). Outre les composés inorganiques, on trouve dans l’atmosphère des composés organiques tels que CH3Hg+ , CH3 HgCl, CH3 HgOH ou encore Hg(CH3 ) 2 . Ces composés sont peu abondants et leur quantification dans l’atmosphère est rarement réalisée.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : Cycle du mercure, fonctionnement naturel et perturbations anthropiques
I.1. GENERALITES
I.1.1. Historique
I.1.2. Propriétés physiques et chimiques
I.1.3. Toxicité du mercure
I.2. CYCLE DU MERCURE DANS L’ENVIRONNEMENT
I.2.1. Le réservoir atmosphérique
I.2.2. Le réservoir océanique
I.2.3. Sols, sédiments et milieux aqueux
I.2.4. La biomasse
I.3. LES SOURCES DU MERCURE
I.3.1. Sources naturelles du mercure
I.3.2. Sources anthropiques du mercure
I.3.2.1. Historique de la production anthropique en mercure
I.3.2.2. Les émissions en mercure en 2000
I.3.2.3. Evolution des émissions anthropiques de 1980 à 2000
I.3.3. Transport et dépôt du mercure à une échelle globale
I.4. CYCLE DU MERCURE EN MILIEUX POLAIRES
I.4.1. Contamination des écosystèmes arctiques au mercure
I.4.2. Les AMDEs
I.4.3. Interactions entre atmosphère et manteau neigeux
I.5. REACTIVITE DU MERCURE DANS LES MANTEAUX NEIGEUX
I.5.1. Importance des caractéristiques physiques du manteau neigeux
I.5.2. Le manteau neigeux, source de Hg°
I.5.3. Le manteau neigeux, puits de Hg°
I.5.4. Compétition entre production et destruction de Hg° dans l’air interstitiel
I.6. ETUDE PALEO-ENVIRONNEMENTALE DU CYCLE DU MERCURE
I.6.1. Etat de nos connaissances
I.6.1.1. Données instrumentales atmosphériques
I.6.1.2. Le mercure dans les archives environnementales
I.6.1.3. Perturbation du cycle naturel du mercure par l’Homme
I.6.2. Névé et glace aux pôles, des archives atmosphériques uniques
I.6.2.1. Description du névé polaire
I.6.2.2. Présentation du site de Summit
I.6.2.3. Problématique de la fonction de transfert de Hg°
Chapitre II : Outils et méthodes pour l’étude de la fonction de transfert du mercure élémentaire gazeux
II.1. CARACTERISATION DU RESERVOIR ATMOSPHERIQUE
II.1.1. Mesure de Hg° par l’analyseur Tekran 2537A
II.1.2. Calibration du 2537A pour une utilisation en altitude
II.2. CARACTERISATION DU MANTEAU NEIGEUX DE SURFACE
II.2.1. Mesure de Hg° dans l’air interstitiel de la neige
II.2.1.1. Présentation des sondes GAMAS
II.2.1.2. Potentialités et limites de la méthode
II.2.2. Mesure des espèces mercurielles dans un manteau neigeux
II.2.2.1. Collecte des échantillons de neige
II.2.2.2. Analyse par spectrométrie de masse
II.3. CARACTERISATION DU NEVE PROFOND
II.3.1. Mesure de Hg° dans l’air du névé
II.3.1.1. Dispositif de pompage
II.3.1.2. Couplage à un analyseur Tekran 2537A
II.3.2. Modélisation de la diffusion des gaz dans le névé
II.3.2.1. Hypothèses sur la structure du névé
II.3.2.2. Transport des gaz dans le névé
II.3.2.3. Equations de conservation
II.3.2.4. Paramétrisation du modèle
II.3.3. Reconstruction d’un signal atmosphérique
II.3.3.1. Détermination de la fonction de transfert
II.3.3.2. Evaluation du scenario le plus probable
II.3.3.3. Détermination de l’enveloppe des reconstructions atmosphériques acceptées
II.3.3.4. Validité des scénarios atmosphériques dans le temps
Chapitre III : Le mercure dans le manteau neigeux à Summit, et la faisabilité de l’étude de la fonction de transfert
III.1. PROBLEMATIQUE
III.2. DESCRIPTION DE L’ETUDE ET PRINCIPAUX RESULTATS
III.3. ARTICLE
Chapitre IV : Reconstruction des concentrations atmosphériques passées en mercure élémentaire gazeux
IV.1. PARAMETRISATION DU MODELE DE DIFFUSION
IV.1.1. Paramètres météorologiques et propriétés physiques du névé à Summit
IV.1.2. Reconstruction du profil de tortuosité
IV.1.3. Validation de la paramétrisation
IV.2. CONCENTRATIONS EN HG° DANS L’AIR DU NEVE
IV.2.1. Les sources d’incertitudes sur le terrain et leurs estimations
IV.2.2. Profil expérimental de Hg°
IV.3. RECONSTRUCTION DES CONCENTRATIONS ATMOSPHERIQUES EN HG°
IV.3.1. Fonction de transfert de Hg° à Summit
IV.3.2. Description des scénarios testés
IV.3.3. Reconstruction atmosphérique par approche de Monte Carlo
Chapitre V : Implications pour la compréhension du cycle global du mercure
V.1. EVIDENCE DE L’IMPACT ANTHROPIQUE SUR LE CONTENU DU RESERVOIR ATMOSPHERIQUE
V.1.1. Un maximum d’émission anthropique dans les années 1970
V.1.1.1. Une production industrielle de mercure maximale en 1970
V.1.1.2. Enregistrement des dépôts en espèces mercurielles divalentes dans les archives naturelles
V.1.2. Décroissance et stabilisation des concentrations atmosphériques en Hg° depuis ans
V.1.2.1. Estimations des émissions anthropiques
V.1.2.2. Mesures directes de Hg° dans l’atmosphère
V.1.3. Représentativité spatiale du signal reconstruit
V.1.3.1. Caractéristiques de l’atmosphère de Summit
V.1.3.2. Gradient de concentration au sein de l’hémisphère nord
V.1.4. Conclusions
V.2. REPONSE DE L’ATMOSPHERE AUX PRESSIONS ANTHROPIQUES
V.2.1. Evolution des sources naturelles au XXème siècle
V.2.2. Hypothèses sur la nature et le rôle des puits naturels
V.2.2.1. Quels puits naturels pour Hg° atmosphérique ?
V.2.2.2. Un cycle atmosphérique rapide régulé par le puits chimique
V.3. QUELLES IMPLICATIONS POUR LE CYCLE DU MERCURE ?
V.3.1. Conséquences globales d’un puits chimique atmosphérique efficace
V.3.2. Implications à des échelles locales : exemple de l’Arctique
V.3.3. Implications futures
Conclusion
Références bibliographiques
ANNEXE A
ANNEXE B
ANNEXE C
ANNEXE D
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