Sociolinguistique urbaine

Sociolinguistique urbaine

Liminaire 

Par un souci de clarification, notre but dans ce premier chapitre est d’interroger des concepts d’une sociolinguistique à la fois générale et urbaine, quoique d’aucuns qualifieraient la relation qui unit les deux approches du rapport langues/société(s) de « poreuses ». Ne nous égarons pas car, là n’est pas notre objectif, par contre nous essayerons de convoquer tout au long de ce chapitre des théories, des notions3, des auteurs qui nous paraissent incontournables qui seront convoqués d’une façon ou d’une autre lors des deux chapitres suivants. Il va sans dire, que la ville constitue pour nous le focus, autant théoriquement parlant que pratiquement, car représentant par la même occasion notre corpus et notre champ d’investigation. Précisons quand même que le principe est de « faire de la sociolinguistique urbaine et non pas de la sociolinguistique en ville (…) En reprenant à la sociolinguistique générale son approche (…) A l’instar de la sociolinguistique générale, la sociolinguistique urbaine procède très souvent par enquête (…) etc. »4, dans cette optique alors, il nous a semblé préférable de partager ce premier chapitre en deux grandes phases qui démarrent indépendamment mais se recoupent au final, du moins pour nous. Il nous sera souvent amené d’emprunter des notions relevant de champs voisins, notions qui sont en fait le B.A. BA, d’une sociolinguistique qui se veut et se proclame urbaine.

 Et l’on (se) représente

Emile Durkheim fut le premier à évoquer la notion de représentation qu’il nommait représentations collectives. Au 19ème siècle, à travers l’étude des religions et des mythes. Pour ce sociologue, les premiers systèmes de représentations conçus par l’homme sur le monde et luimême sont d’origine religieuse. Au 20ème siècle, le concept de représentation connaît un regain d’intérêt, qui le propulse au devant de la scène des sciences humaines, faisant de lui une notion interdisciplinaire. Viendra en France, le psychosociologue Moscovici14 qui élaborera véritablement le concept de représentation sociale, en précisant : « Comment une nouvelle théorie scientifique ou politique est diffusée dans une culture donnée, comment elle est transformée au cours de ce processus et comment elle change à son tour la vision que les gens ont d’eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent » Et surtout en définissant la notion comme une modalité des connaissances particulières ayant pour fonction l’élaboration de comportements et de la communication entre individus,

Moscovici Pense également que les représentations circulent, se croisent et se cristallisent sans cesse à travers une parole, un geste, une rencontre dans notre univers quotidien. Il définit ainsi le concept de représentation sociale comme un « univers d’opinion ». Le flou terminologique qui s’est abattu sur cette notion, nous pousse non pas à lever le voile sur sa véritable appellation, mais juste de nous positionner face à elles, i.e. ce que nous nommons représentation linguistique correspond chez A.M. Houdebine15 à l’imaginaire linguistique. Il est intéressant de constater comment Houdebine, lui donne un sens un peu fourre-tout16 dans : « Cette notion venant subsumer ce qu’il est convenu de désigner par conscience ou idéologie ou opinion ou encore sentiments, linguistiques ; tous termes qui font problème d’être des notions peu ou mal définies ». A ce propos Canut17 précise : « Un de ces objets, celui qui m’intéresse ici, est le discours sur les langues, le langage ou les pratiques langagières. Si la dimension d’imaginaire, de fantasme et essentielle dans ce type de parole vivante, le terme de discours épi linguistique me semble plus à même de circonscrire cet objet »

Selon Canut, la notion de discours épilinguistique (désormais DS) a eu au début un usage restrictif, étant seulement réservé au domaine lexico-sémantique, puis peu à peu le champ épilinguistique a nécessité une approche interdisciplinaire incluant l’analyse de discours mais aussi dans une plus large optique la sociologie du langage. Bernard Py18 définit la représentation sociale (conventionnellement RS) comme une microthéorie prête à l’emploi, économique car très simple d’emploi, ne requérant aucun travail autre que leur mise en oeuvre énonciative, ces microthéories ont pour fonction de nous fournir des interprétations utiles à une activité en cours19. De toute cette littérature foisonnante et riche traitant de ce thème, nous retenons que le terme de représentation est fortement polysémique, puisqu’il se trouve au carrefour de nombreuses disciplines, à savoir : anthropologie, histoire, psychologie sociale et la linguistique, il en découle une multitude de définitions et d’objets épistémologiques ; la notion de représentation nous amène à traiter deux autres notions importantes :

Le préjugé et le stéréotype 

Calvet raconte que Tullio De Mauro cite ce proverbe du 17ème siècle : « l’Allemand hurle, l’Anglais pleure, le Français chante, l’Italien joue la comédie et l’Espagnol parle »20, et d’ajouter : « nous sommes manifestement ici à la limite où les stéréotypes linguistiques et nationalistes se confondent », ce proverbe nous démontre que l’histoire est pleine de ce genre de formules toutes faites qui expriment des préjugés sur toute chose ; à ce propos, un préjugé est un jugement (positif ou négatif) qui précède l’expérience, un prêt-à-penser consacré, dogmatique, qui acquiert une sorte d’évidence tenant lieu de toute délibération. On peut dire que le préjugé est une attitude, une prise de position pour ou contre, une personne ou une chose ou encore une idée, sur cette notion Castellan pense que : « Un préjugé est un jugement positif ou négatif vis-à-vis d’une personne ou, d’un objet ou d’un concept, toujours en dehors de toute expérience personnelle, il est donc favorable ou défavorable » Quant au stéréotype, il avait au 18ème siècle, un sens relatif à la typographie désignant une impression obtenue avec une plaque d’imprimerie et pouvant être reproduite en grand nombre.

Au sens figuré, aujourd’hui, il désigne une expression que l’on répète sans l’avoir soumise à un examen critique (et nous insistons sur le verbe répéter) ; ainsi donc, les stéréotypes schématisent nos représentations, constituant une sorte d’habitude de jugement non conformée par des preuves faisant fi des analyses, et en ceci, il se recoupe avec le préjugé, se rejoignant aussi sur le fait que tous deux sont les manifestations d’une mentalité collective partageant le caractère d’évaluation d’autrui, mais nous pouvons dire qu’il y a une relation entre le stéréotype et le préjugé, dans la mesure où les stéréotypes peuvent exprimer les préjugé et les justifier. Il arrive aussi que les stéréotypes provoquent les préjugés, entrent dans la constitution d’une attitude d’exclusion ou d’acceptation de l’autre. Les préjugés sont généralement fondés sur des stéréotypes mais tout stéréotype n’est pas nécessairement un préjugé. Les stéréotypes ont une fonction identitaire parce qu’ils concourent à La définition de soi qui est fondée sur la construction d’une différence i.e. que attribuer à autrui un modèle de conduite différent, voire contraire à celui qu’on partage, permet de se définir en référence à lui : être, c’est être autre. Bulot corrobore en disant: « Est ce que créer une identité c’est ségréger ? Sans doute, dans la mesure où dire ce que l’on est, c’est aussi poser la limite de ce que l’on n’est pas. »22

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 Urbaine ou générale, la sociolinguistique Liminaire
1.Autour d’une sociolinguistique dite « générale
1.1 De quelques concepts incontournables
1.1.1 Les pratiques langagières
1.1.1.1 Bilinguisme
1.1.1.2 L’alternance codique
1.1.2 Insécurité, hypercorrection et représentation
1.1.2.1 Insécurité quand tu nous tiens
1.1.2.2 Hypercorrection oblige
1.1.2.3 Et l’on (se) représente
1.1.3 Le préjugé et le stéréotype
1.1.4 Identité sociolinguistique
1.1.5 Qu’est ce que la communauté linguistique
1.1.6 Attitude et norme
1.1.6.1 Quelle attitude adopter ?
1.1.6.2 La norme à l’épreuve de tout
2.Qu’est ce que la sociolinguistique urbaine ?
2.1 Objet d’étude et définitions : autour de la
2.2. Brassage des langues et réalité des villes
2.2.1 La ville : Babel et la confusion des langues
2.2.2 La ville : lieu de conflits
2.3. Champ de recherche
2.4 L’ « urbain » comme étiquette
2.5 Urbain VS Citadin. Quelle différence
2.6 Espace et langage : dire l’espace
2.7 Dans la ville et de la ville
2.7.1 Discours dans la ville : la ville dans ses usages et représentations
2.7.2 Discours de la ville : environnement graphique
Synthèse
Chapitre 2 Méthodologie et description des corpus Liminaire
1.L’enquête et les enquêtés : 1er type de corpus
1.1 Corpus et échantillonnage
1.2 Trame de l’entretien et protocole d’enquête
1.2.1 Pourquoi l’entretien
1.2.2 Comment s’articule l’entretien
1.2.2.1 Guide d’entretien
1.2.2.2 Stratégie d’intervention
1.2.2.3 Quel outil pour quelle méthode ?
2.L’environnement graphique : 2ème type de corpus
2.1 L’enseigne commerciale à travers l’histoire
2.2 Recueil et description du corpus
2.3 Au carrefour de deux disciplines
2.3.1 Dis-moi quelle est ton enseigne je te dirai qui tu es
2.3.2 L’enseigne signe
Synthèse
Chapitre Bejaia : entre brassage et conflit Liminaire
1.Entretiens, discours et représentations
1.1 Bejaia : ses langues, ses espaces
1.2 A la recherche de la ville perdue
1.3 Vox populi : question (s) d’identité (s
1.3.1 Estime de soi et ségrégation de l’autre : les citadins
1.3.2 Stigmatisation de soi et désir d’être l’autre : les urbains
1.3.3 La langue française : lieu d’entente
2.L’analyse des enseignes
2.1 La ville entre le traditionnel et le moderne
2.1.1 De la fragmentation
2.1.1 A la multimodalité
2.2 Langues (s) en vue
2.3 L’Ici et l’Ailleurs
2.4 Enseigne identifie-toi
2.4.1 Raison exogène
2.4.2 Raisons endogènes
2.4.2.1 L’écrit entre texte et dessin
2.4.2.2 L’emploi des noms : les mots dits de l’enseigne
Synthèse
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes
Corpus : discours des locuteurs
Entretien : convention et questionnaire et transcription
1.1 Convention
1.2 Questionnaire Transcription
2.Corpus : les enseignes commerciales
2.1 Les enseignes de la haute ville
2.2 Les enseignes de la nouvelle ville

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