En conduite automobile, il est important de s’intéresser à la complexité des situations ainsi qu’au processus d’apprentissage qui se développe au fur et à mesure de la pratique. En effet, cela permet de mieux comprendre comment les conducteurs appréhendent les situations plus ou moins complexes en fonction de leur expérience. Ainsi, une première partie sera consacrée à la définition de la complexité des situations de conduite, ainsi qu’à la difficulté des tâches de conduite inhérente à cette complexité. Une seconde partie abordera tout d’abord les données épidémiologiques concernant les jeunes conducteurs en fonction de leur expérience, puis les différents niveaux d’expérience considérés en France, et enfin les processus expliquant les accidents des conducteurs novices.
Situations de conduite
Une situation de conduite est définie comme les interactions du système homme véhiculeenvironnement à partir de la perspective du conducteur. Il s’agit d’une section délimitée qui se termine lors d’un changement environnemental (e.g., début de pluie), ou d’une fin d’interaction pour le conducteur (e.g., fin de passage d’une intersection ; Fastenmeier & Gstalter, 2007). Aux situations sont associées des tâches de conduite qui caractérisent l’activité du conducteur. La complexité des situations peut ainsi déterminer la difficulté des tâches.
Complexité des situations
Le conducteur évolue dans un environnement composé de différents éléments tels que le décor (arbres, infrastructures, feux tricolores, etc.), le trafic de véhicules (densité élevée ou faible) et la forme de la route (droite, avec virages, intersections, côtes, pentes, etc.). Plusieurs classifications de ces éléments caractérisant la complexité des situations ont été élaborées à partir du point de vue des conducteurs. Dans un premier temps, Benda (1977 ; in Fastenmeier & Gstalter, 2007) a énuméré trois millions de situations différentes subjectivement catégorisées en fonction de leur complexité. Les études actuelles se basent plutôt sur la classification moins exhaustive proposée plus récemment par Fastenmeier (1995). La taxonomie de la complexité des situations a ainsi été établie en fonction du Questionnaire d’Analyse de la Position (PAQ) de Frieling et Hoyos (1978 ; in Fastenmeier & Gstalter, 2007). Les résultats révèlent un recensement de 134 situations de conduite plus ou moins complexes en fonction du type de route (urbaine, rurale, autoroute), du tracé de la route (tracé horizontal avec vs. sans virages, tracé vertical avec vs. sans pente, type d’intersection avec vs. sans signalisation), et enfin du flux du trafic (rétrécissement de voie de circulation, embouteillage). Ainsi, une situation de conduite est fortement complexe s’il s’agit d’une route urbaine ou péri-urbaine, avec des virages ou des intersections, et une forte densité du trafic.
Difficultés des tâches de conduite inhérentes aux situations
La tâche primaire de conduite consiste à assurer la sécurité à l’intérieur de l’environnement routier (Parkes, 1991 ; in De Waard, 1996). La conduite automobile est donc une activité dynamique avec, pour chaque situation (i.e. section de route), des unités séquentielles de « tâches de conduite » associées, comme le fait de devoir arrêter son véhicule devant un panneau « Stop ». Michon (1985) modélise la conduite automobile avec une hiérarchie des tâches sur trois niveaux. Le premier niveau stratégique constitue la planification des trajets, les décisions à prendre, comme le choix de la route à suivre. Le second niveau tactique correspond au choix des manœuvres à effectuer face à différentes situations (e.g., trafic dense). Et le troisième niveau opérationnel est l’exécution des manœuvres avec une adaptation aux situations demandant le contrôle du véhicule, comme la maîtrise de la trajectoire. En fonction du niveau dans lequel se situent les tâches, le traitement de l’information peut s’effectuer de manière contrôlée ou automatique. Aux niveaux stratégique et tactique, les processus cognitifs de haut niveau s’effectuent avec un traitement contrôlé lent, sériel, conscient et flexible. À l’inverse, le niveau opérationnel fait intervenir les processus cognitifs de bas niveau, avec un traitement automatique rapide, non conscient et rigide (Schneider & Shiffrin, 1977). En situation
monotone (e.g., sur autoroute), les conducteurs doivent maintenir leur trajectoire (tâche de troisième niveau traitée automatique). A contrario, en situation complexe comme en milieu urbain, des stratégies ainsi que des tactiques sont requises (tâches de premier et second niveau traitées de manière contrôlée). La pluralité des situations et tâches de conduite avec un niveau de complexité plus ou moins élevé fait donc intervenir des processus de traitement différents. Keskinen (1996 ; in Engströme, Gregersen, Hernetkoski, Keskinen, & Nyberg, 2003) hiérarchise les tâches de conduites en quatre niveaux. Le niveau le plus élevé dans la hiérarchie constitue les projets de vie et les aptitudes à la vie, et se réfère aux motivations et Objectifs de l’individu au sens large. Ce niveau comprend les compétences individuelles de maîtrise de différentes situations de la vie. Le deuxième niveau concerne les objectifs et le contexte de la conduite. A ce niveau, les conducteur décident pourquoi, où, avec qui, avec quoi et à quel moment ils conduisent. Ils établissent ainsi le choix des itinéraires et de la présence de passagers. Le troisième niveau est la maîtrise des situations de circulation et se réfère à l’adaptation du comportement des conducteurs relativement au comportement des autres conducteurs et à la circulation. Cela nécessite de percevoir et de prévoir le comportement des autres usagers, ainsi que de rendre son propre comportement prévisible pour les autres. La connaissance et le respect des règles de circulation (e.g. respect des limitations de vitesse) constituent une part importante de ces compétences. Enfin, le quatrième niveau le plus bas de la hiérarchie est le maniement du véhicule et se réfère aux compétences élémentaires (e.g., freinage, changement de vitesse, maîtrise du véhicule, etc.). Les tâches se complexifient avec l’augmentation du nombre d’éléments à traiter cognitivement (Jensen, 1998 ; Stankov, 2000 ; Stankov & Raykov, 1995 ; in Arend, Colom, Botella, Contreras, Rubio, & Santacreu, 2003). Par exemple, des situations de conduite composées de routes sinueuses impliquent des tâches complexes. En effet, conduire dans un virage peut se décomposer en trois sous-tâches (Cavallo, Brun-Dei, Laya, & Neboit, 1988) :
1/ entrer dans le virage en décidant du moment approprié pour tourner le volant et anticiper l’amplitude et la vitesse de sa variation, 2/ poursuivre le virage en maintenant le volant dans la trajectoire tout en effectuant des ajustements directionnels en fonction des exigences de la situation, 3/ sortir du virage en décidant du moment pour redresser le volant et aligner le véhicule avec la trajectoire souhaitée. La complexité de ces sous-tâches allonge le temps de traitement de l’information (Jensen, 1992, 1998 ; in Arend et al., 2003), ce qui rend leur réalisation difficile dans les temps impartis. Le taux de changement d’incurvation de la route sert ainsi de critère objectif pour la difficulté de la tâche (Richter, Wagner, Heger, & Weise, 1998 ; Backs, Lenneman, Wetzel, & Green, 2003 ; in Ba & Zhang, 2011). Cette difficulté peut être estimée à partir des exigences de la tâche qui sont placées en mémoire de travail (Fréard, Jamet, Le Bohec, Poulain, & Botherel, 2007), et plus particulièrement à partir de l’interaction entre les demandes de la situation et la capacité de l’individu à adopter le comportement exigé par ces demandes (Kantowitz, 1987 ; in De Waard, 1996 ; Lewis-Evans & Rothengatter, 2009). Plus la situation est complexe et plus les demandes de la tâche sont importantes, entraînant une hausse de la difficulté (Di Stasi, Renner, Staehr, Helmert, Velichkovsky, Cañas, Catena, & Pannasch, 2010). Fuller (2005) propose ainsi une théorie générale du comportement du conducteur basée sur le modèle d’interface tâche-capacité.
D’après ce modèle, différents niveaux de difficulté de la tâche sont dus à l’interaction dynamique entre les déterminants des exigences de la tâche et les capacités du conducteur à réaliser la tâche. La théorie stipule que le conducteur adapte son comportement en choisissant sa vitesse de conduite afin de maintenir un niveau de difficulté de la tâche adapté à ses capacités et ainsi nécessaire pour maintenir de bonnes performances. Des exigences de la tâche estimées élevées par le conducteur l’inciteront donc à réduire sa vitesse afin d’en abaisser la difficulté par rapport à ses capacités.
Expérience de conduite
Le manque d’expérience de conduite déterminée par le nombre de kilomètres parcourus est un facteur accidentogène important, notamment chez les jeunes conducteurs. Les études épidémiologiques nous renseignent particulièrement sur l’impact de deux types d’apprentissages. Le système français a également établi une différence d’apprentissage de la conduite à partir de modalités spécifiques qui seront décrites ici. La question est donc de comprendre les processus de conduite acquis au fur et à mesure de l’expérience, qui ne sont pas totalement acquis chez les jeunes conducteurs novices et qui expliquent ainsi une partie de leurs accidents.
Accidentologie : données épidémiologiques chez les jeunes conducteurs
La probabilité des jeunes d’être impliqués dans un accident diminue à mesure que s’allonge la durée de possession du permis de conduire (Williams, 2003), avec un risque d’accident plus élevé dans les premiers mois et premiers kilomètres après l’obtention du permis (McKnight, 2006 ; Preusser, 2006). Lors des 8 premiers mois, le nombre d’accidents impliquant des conducteurs novices diminue d’environ 50% (Sagberg, 2000, cité par OCDE, 2006). Dans la mesure où il s’agit d’une courte période, cette évolution ne serait pas liée à l’âge mais plutôt à l’acquisition d’expérience. En effet, le risque d’accident est deux à quatre fois plus élevé chez les conducteurs novices que chez les expérimentés (Triggs, 2004). Dans plusieurs pays, deux modes d’apprentissage sont en vigueur, i.e. un apprentissage traditionnel vs. un apprentissage progressif, graduel dans le temps. Des différences entre les pays sont notées concernant les modalités du permis progressif. A partir de ces deux profils de novices, il apparaît que l’expérience supplémentaire acquise avec un apprentissage progressif de la conduite permet d’améliorer les connaissances et le comportement, ce qui est suffisant pour réduire le nombre d’accidents par rapport aux conducteurs ayant suivi l’apprentissage traditionnel (McKnight, 2003). La probabilité d’être impliqué dans les premiers mois d’obtention du permis est donc plus importante pour les conducteurs ayant eu un apprentissage traditionnel que pour ceux ayant eu un apprentissage progressif (Sagberg & Bjørnskau, 2006). Ces données sont observables dans différents pays. Aux Etats-Unis et à l’étranger, tous les résultats montrent des effets positifs de l’apprentissage progressif de conduite avec une moindre fréquence de collisions et de violations par rapport aux autres novices ayant suivi un apprentissage traditionnel (Mayhew & Simpson, 1996). En Nouvelle Zélande (Begg & Stephenson, 2003) et en Ontario au Canada (Simpson, 2003), l’apprentissage progressif réduit le nombre d’accidents parmi les conducteurs novices, et ce quel que soit l’âge. En Suède, on observe une baisse de 40% d’accidents chez les jeunes de 16 ans ayant suivi un apprentissage progressif (Gregersen, Berg, Engstrom, Nolen, Anders, & Per-Arne, 2000). Une telle diminution est également observable en Norvège (Sagberg, 2002). Une étude contradictoire n’a révélé aucun effet du type d’apprentissage sur le nombre d’accidents (Page, 1995). Avant les années 1990, aucun effet positif de l’apprentissage progressif n’était démontré. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que les études ont révélé une efficience de l’apprentissage progressif avec des bénéfices sécuritaires par rapport à l’apprentissage traditionnel (Simpson, 2003). En France, un système similaire à celui de l’apprentissage progressif de la conduite a été mis en place, avec ainsi différents profils d’expériences à distinguer.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : Situations et expérience de conduite
1. Situations de conduite
1.1. Complexité des situations
1.2. Difficultés des tâches de conduite inhérentes aux situations
2. Expérience de conduite
2.1. Accidentologie : données épidémiologiques chez les jeunes conducteurs
2.2. Profils d’expérience de jeunes conducteurs en France
2.3. Processus expliquant les accidents des conducteurs novices
CHAPITRE 2 : Liens entre les facteurs accidentogènes
1. Surcharge : impact de la situation de conduite et de l’expérience
1.1. Impact de la complexité des situations de conduite
1.2. Impact de l’expérience de conduite
2. Etat interne modulant la surcharge
2.1. Etat interne : liens entre tension et vigilance
2.2. Anxiété
2.2.1. Impact de la complexité des situations de conduite
2.2.2. Impact de l’expérience de conduite
2.3. Vigilance
2.3.1. Impact de la complexité des situations de conduite
2.3.2. Impact de l’expérience de conduite
CHAPITRE 3 : Mesures subjectives et objectives
1. Charge de travail
1.1. Charge de travail subjective
1.1.1 Questionnaires : outils de mesure
1.1.2 Effets de la complexité de la situation sur la charge de travail subjective et les performances
1.1.3 Effets de l’expérience sur la charge de travail subjective et les performances
1.2. Charge de travail objective
1.2.1 Indicateurs physiologiques : outils de mesure
1.2.2 Effets de la complexité de la situation sur les indicateurs physiologiques de charge de travail
1.3. Comparaisons entre mesures subjectives et physiologiques
1.3.1 Effets de la complexité de la situation sur les mesures subjectives et physiologiques de la charge de travail et les performances
1.3.2 Effets de l’expérience sur les mesures subjectives et physiologiques de la charge de travail et les performances
2. Anxiété
2.1. Anxiété subjective
2.1.1 Questionnaires : outils de mesure
2.1.2 Effets de la complexité de la situation sur l’anxiété subjective et les performances
2.1.3 Effets de l’expérience sur l’anxiété subjective et les performances
2.2. Anxiété objective
2.2.1 Indicateurs physiologiques : outils de mesure
2.1.2 Effets de la complexité de la situation sur la tension objective et les performances
2.1.3 Effets de l’expérience sur l’anxiété objective et les performances
2.3. Comparaisons entre mesures subjectives et physiologiques
2.3.1 Effets de la complexité de la situation sur les mesures subjectives et physiologiques de l’anxiété et les performances
2.3.2 Effets de l’expérience sur les mesures subjectives et physiologiques de l’anxiété et les performances
3. Vigilance
3.1. Vigilance subjective
3.1.1 Questionnaires : outils de mesure
3.1.2 Effets de la complexité de la situation sur la vigilance subjective et les performances
3.1.3 Effets de l’expérience sur la vigilance subjective et les performances
3.2. Vigilance objective
3.2.1 Indicateurs physiologiques : outils de mesure
3.1.2 Effets de la complexité de la situation sur la vigilance objective et les performances
3.1.3 Effets de l’expérience sur la vigilance objective et les performances
3.3. Comparaisons entre mesures subjectives et physiologiques
3.3.1 Effets de la complexité de la situation sur les mesures subjectives et physiologiques de la vigilance et les performances
3.3.2 Effets de l’expérience sur les mesures subjectives et physiologique de la vigilance et les performances
CONCLUSION