Cette thèse a été réalisée dans le cadre des activités de recherches sur les productions animales de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA). L’ISRA mène des études dans les domaines de la santé animale, la nutrition et l’alimentation du bétail et de la volaille, l’analyse et l’amélioration des systèmes d’élevage. En matière de production laitière, la recherche zootechnique avait concentré, au début des années 60, ses efforts dans l’amélioration de la productivité des races locales par le métissage. La période de sécheresse des années 70, avec les pertes importantes subies par le bétail dans la zone sahélienne du pays, a conduit à la suspension du programme de croisement. Mais, face à l’accroissement rapide de la population urbaine et à la non satisfaction de la demande qui l’accompagne, la production laitière périurbaine a été l’objet d’un intérêt particulier de la part de la recherche zootechnique et de ses partenaires au développement.
Un important programme de recherche-développement a donc été mis en œuvre pour étudier les conditions d’adaptation et de production de bovins laitiers exotiques, d’abord en station à Sangalkam puis chez les producteurs dans la zone périurbaine de Dakar et Thiès. Une équipe pluridisciplinaire du Laboratoire national de l’élevage et de recherches vétérinaires (LNERV) et de la Direction de l’élevage était chargée d’accompagner les élevages nouvellement créés à partir de 1984. Elle avait pour tâche d’améliorer les techniques appliquées, d’identifier les contraintes et d’y apporter des solutions et de mettre en place un réseau de collecte de données qui pouvaient être des outils importants de gestion et de planification. Un important dispositif de suivi et de recueil des informations techniques et économiques a donc été mis en place. Cette thèse valorise une partie de ces résultats obtenus dans ces élevages laitiers intensifs.
Un constat : une disponibilité en lait faible malgré une demande croissante
L’Afrique subsaharienne (ASS) a le taux de croissance de la population humaine le plus élevé du monde(3 p100). La population, estimée à 500 millions en 1990, sera de 1,3 milliards en l’an 2025. L’accroissement de la population urbaine est encore plus important. Représentant 16 p100 de la population totale en 1960 et 39 p100 en 1990, elle sera de 60 p100 en l’an 2025. Cette croissance rapide s’accompagne d’une demande accrue en produits alimentaires, notamment en produits laitiers et c’est à l’importation qu’a été dévolu, le rôle de satisfaire les besoins des consommateurs urbains. Cet approvisionnement des villes constitue aujourd’hui un problème aigu, car le coût des importations est difficilement supportable pour des économies fragilisées, alors que l’aide alimentaire décroît.
Cette situation est générale en Afrique Occidentale et centrale (AOC), alors qu’en Afrique Orientale et Australe, on observe un meilleur équilibre entre l’offre et la demande locales . De meilleures conditions techniques et géo-climatiques expliquent en partie cette réussite, mais il faut aussi noter l’affirmation d’une volonté politique constante en faveur d’un développement de la production laitière nationale dans des pays comme le Kenya, exportateur de lait et produits laitiers durant les décennies 80 et 90 (Metzger et al., 1995 ; Kiriro, 2001).
Pourtant, l’AOC a connu un nombre considérable de projets de développement de la production laitière. Ces projets ont été mis en place grâce à l’appui des organismes de la coopération bilatérale ou multilatérale. Plusieurs possibilités ont été envisagées pour différents systèmes de production. Dans les zones à forte vocation pastorale, l’accent a le plus souvent été mis sur la collecte du lait des éleveurs traditionnels par des unités de transformation. Des cas ont été rencontrés à Bobo Dioulasso au Burkina, dans le Ferlo au Sénégal, à Korogo en Côte d’Ivoire, autour de Bamako et de Niono au Mali, à Accra au Ghana et autour de Kaduna au Nigéria (Duteurtre, 2000 ; Metzger et al., 1995 ; Otchéré et Okantah, 2002 ; Yahuza, 2002). Une autre possibilité envisagée est le développement de ceintures laitières périurbaines. Elle peut s’appuyer sur une intensification importante (exemple du projet Coplait à Dakar avec forte utilisation d’intrants, importation de races exotiques;) et/ou sur un processus d’amélioration progressif des élevages périurbains plus ou moins traditionnels (exemple de l’élevage périurbain de Bamako et du projet Ecoferme de Bouaké).
Toutefois, la mise en œuvre de ces projets rencontre de nombreuses difficultés techniques et leur viabilité, exprimée en terme de rentabilité des capitaux investis, est généralement très faible. Les projets d’initiative publique ne survivent que sous perfusion financière des autorités de tutelle (Metzger et al., 1995 ; Otchéré et Okantah, 2002 ; Yahuza, 2002).
Les principales critiques sont : soutien apporté principalement à des producteurs laitiers aisés et abandon des petits producteurs traditionnels, développement d’une production laitière utilisant des techniques coûteuses (large part faite à l’utilisation d’intrants, utilisation de reproducteurs de races exotiques importées…), uniformité et manque de souplesse des actions conduisant à une mauvaise adaptation des techniques aux différents groupes cibles, obtention d’un produit coûteux et donc parfois trop cher pour les consommateurs qui préfèrent continuer à utiliser du lait reconstitué. La conséquence de tout cela est la faiblesse des productions nationales de lait et ce, malgré des effectifs importants en bovins dans certains pays .
Un diagnostic de situation : pour quelle perspective ?
Notre travail consiste à répondre à des questions venant de ce que Legay (1986) appelle « la demande sociale ». Cette demande est double et peut provenir, d’une part, de l’éleveur laitier ou des développeurs et, d’autre part, des politiques. L’éleveur a besoin de réponses aux nombreuses questions techniques et économiques qu’il se pose et qui sont relatives à la faisabilité zootechnique et la rentabilité économique de l’élevage intensif. Les politiques, dans leur stratégie d’appui au secteur laitier, ont besoin d’indicateurs (performances, atouts et contraintes de la production laitière) pouvant éclairer leur prise de décision et orienter leurs actions. Il semble donc important de dresser un bilan de la situation actuelle de la production laitière périurbaine, afin d’apprécier l’impact réel des actions entreprises, de définir les conditions, les limites ainsi que les possibilités de développement de cette production laitière. Cette étude devra permettre de répondre à de nombreuses questions: Comment l’élevage laitier a-t-il évolué dans les Niayes ? Quelles sont ses caractéristiques (groupes sociaux, conditions de production) ? Quelles sont ses performances zootechniques et économiques ? Quelle est sa rentabilité et donc sa capacité à se reproduire ?
Cette notion de reproductibilité doit être comprise dans le sens de durabilité. La situation dans laquelle se trouve un système est la résultante de son histoire, au cours de laquelle se sont exercées des forces parfois contradictoires, intérieures et extérieures au système. Ces forces changent et obligent le système à se réguler, à s’adapter, à évoluer ou à disparaître. La reproductibilité d’un système est sa faculté à persister, à rester en vie et à s’adapter dans des conditions d’existence fluctuantes (Jordan, 1992). Cette définition n’implique pas une reproduction à l’identique, mais le renouvellement des conditions propres à garantir la pérennité du système. Comprendre la situation actuelle et faire des propositions d’actions constituent donc la finalité de cette étude. Cette thèse est une contribution à la réflexion menée depuis plusieurs années sur la filière laitière au Sénégal et particulièrement dans les Niayes.
PRESENTATION DE LA ZONE DES NIAYES
Un environnement naturel contrasté
La région des Niayes est située le long du littoral nord-ouest de l’Océan atlantique entre les 14° et 16° parallèles de latitude Nord dans les régions administratives de Dakar, Thiès, Louga et de Saint-Louis .
Des températures basses mais une pluviométrie faible
Si le Sénégal dans sa majeure partie, bénéficie d’un climat tropical sec subsaharien, celui de la zone des Niayes est de type subcanarien caractérisé par l’alizé boréal maritime. Ce vent souffle du secteur Nord (NNW-NNE) après s’être rafraîchi sur le courant froid des Canaries. Lorsqu’il est dominant, soit de décembre à mai, les températures sont relativement fraîches et de faibles amplitudes (19-22°C en moyenne), l’humidité est constante, et ce, au moment où les régions intérieures sont soumises au vent chaud et sec de l’harmattan (30 40°C). Pendant la saison des pluies, de juillet en octobre, celles-ci sont habituellement fortes, courtes et espacées. Il en résulte une véritable explosion de la végétation qui devient luxuriante ; la deuxième conséquence est la création, avec l’humidité ambiante, d’un véritable volant thermique qui fait que, d’une part, les températures diurnes diffèrent peu des températures nocturnes et, d’autre part, que les températures maximales ne dépassent pas 32°C. Cependant, on assiste à une modification profonde des conditions climatiques, qui se traduit entre autres, par une baisse régulière de la pluviométrie à cause de la succession de périodes de sécheresse. La pluviométrie moyenne enregistrée à la station de Sangalkam (35 km de Dakar) entre 1984 et 2000 est de 368,6 mm avec une forte variabilité inter-annuelle (34 %), alors que la moyenne 1941-1970 était de 541 mm avec une variabilité de 14 %. Cette raréfaction des pluies a provoqué une baisse des nappes phréatiques, la disparition de beaucoup d’arbres tels que le dattier nain et le palmier à huile, la raréfaction des espèces végétales pâturables et l’assèchement des mares et marigots. Les contraintes climatiques majeures en vue de la mise en place d’un élevage laitier intensif sont de deux ordres :
– sécheresse : problème d’alimentation (fourrages non irrigués, sous-produits agricoles) et d’abreuvement
– chaleur : nécessité de construction d’abris appropriés.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE :PRESENTATION DU CADRE DE L’ETUDE
CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE
1.1. UN CONSTAT : UNE DISPONIBILITE EN LAIT FAIBLE MALGRE UNE DEMANDE CROISSANTE
1.2. UN DIAGNOSTIC DE SITUATION : POUR QUELLE PERSPECTIVE ?
CHAPITRE 2 : PRESENTATION DE LA ZONE DES NIAYES
2.1. UN ENVIRONNEMENT NATUREL CONTRASTE
2.2. UN PEUPLEMENT HUMAIN A EXPANSION RAPIDE
2.3. UNE PERI-URBANISATION DE L’ESPACE RURAL
2.4. CONCLUSION SUR LES NIAYES
CHAPITRE 3 : ANALYSE DE LA FILIERE LAIT PERIURBAINE
3.1. LE SECTEUR PRODUCTIF
3.2. L’AMONT DE LA PRODUCTION ET L’ENVIRONNEMENT DES ELEVAGES LAITIERS
3.3. L’AVAL DE LA FILIERE : PLACE DU LAIT LOCAL DANS LA FILIERE LAITIERE A DAKAR
3.4. CONCLUSION SUR L’ETUDE DE LA FILIERE LAIT
DEUXIEME PARTIE : ETUDES ZOOTECHNIQUE ET ECONOMIQUE DES ELEVAGES LAITIERS DANS LES NIAYES
CHAPITRE 1 : METHODOLOGIE DE L’ETUDE ZOOTECHNIQUE
1.1. INTRODUCTION
1.2. DEMARCHE ET METHODES DE COLLECTE DES DONNEES TECHNIQUES
1.3. METHODOLOGIE DE TRAITEMENT DES DONNEES TECHNIQUES
1.4. METHODOLOGIE DE L’ANALYSE ECONOMIQUE DES ELEVAGES LAITIERS
CHAPITRE 2 : CONDITIONS DE PRODUCTION, PRATIQUES D’ELEVAGE ET TYPOLOGIE
2.1. CONDITIONS DE PRODUCTION ET PRATIQUES D’ELEVAGE
2.2. RESULTATS SUR LA TYPOLOGIE DES ELEVAGES
2.10. CONCLUSION
CHAPITRE 3 : PERFORMANCES DE PRODUCTION LAITIERE ET DE REPRODUCTION DANS LES ELEVAGES LAITIERS DES NIAYES
3.1. PERFORMANCES DE PRODUCTION LAITIERE
3.2. PERFORMANCES DE REPRODUCTION
3.3. ANALYSE CONJOINTE DES PERFORMANCES DE PRODUCTION LAITIERE ET DE REPRODUCTION
CHAPITRE 4 : ANALYSE DE LA MORTALITE DES VEAUX DANS LES ELEVAGES LAITIERS DES NIAYES
4.1. RESULTATS
4.2. DISCUSSION
4.3. CONCLUSION
CHAPITRE 5 : ETUDE ECONOMIQUE DES ELEVAGES LAITIERS DANS LES NIAYES
5.1. ANALYSE ECONOMIQUE DANS LES PETITS ELEVAGES LAITIERS
5.2. ANALYSE ECONOMIQUE DE LA GRANDE FERME LAITIERE
5.3. CONCLUSION
CHAPITRE 6 : DISCUSSION GENERALE SUR L’ETUDE TECHNIQUE ET ECONOMIQUE
6.1. DIAGNOSTIC ZOOTECHNIQUE ET ECONOMIQUE DES ELEVAGES
6.2. ORIENTATION DES EVENTUELLES RECHERCHES ULTERIEURES
CONCLUSION GENERALE
1. ATOUTS ET CONTRAINTES AU DEVELOPPEMENT DE L’ELEVAGE LAITIER DANS LES NIAYES
2. CONDITIONS NECESSAIRES AU DEVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION LAITIERE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES