Les coronavirus (du latin signifiant « virus à couronne ») ont causé de nombreuses épidémies (affectant l’être humain) depuis leur découverte en 1946. Toutefois, ce n’est qu’en 2019 qu’ils ont réellement inquiété la communauté internationale en raison de l’ampleur de la flambée mondiale de l’épidémie obligeant une large partie de la population mondiale à se confiner et s’isoler socialement pendant plusieurs semaines. Cette épidémie est comparée dans les médias au premier conflit mondial du XXIe siècle. Ce micro-organisme a bouleversé la planète entière. Il a d’abord été temporairement baptisé « 2019-nCoV » puis définitivement SARS-CoV-2 ou COVID-19 (19 pour l’année d’apparition).
Le virus est initialement apparu le 17 novembre 2019 dans la ville de Wuhan, en Chine centrale mais ce n’est que le 11 mars 2020, que le directeur général de l’OMS après constat de sa rapide propagation et du brutal afflux des cas graves dans les centres hospitaliers, déclare en conférence de presse l’état de pandémie. En même temps, selon l’OMS, l’épidémie est accompagnée d’une « infodémie », c’est-à-dire un flux énorme et incessant d’informations, vraies et fausses, difficiles à gérer pour les individus. Cette infodémie est un problème car elle peut générer une incompréhension du virus ainsi que de l’anxiété et empêcher l’adoption de pratiques efficaces de lutte contre la pandémie (OMS 2020 : 145). De ce fait, malgré un taux de létalité du virus de 1 à 2 %, des mesures sans précédent sont adoptées avec un confinement progressif de près de la moitié de la population mondiale, associé à des recommandations de distanciation physique et sociale afin de limiter la pandémie.
Comme partout ailleurs dans le monde, le Sénégal fait face à une situation inédite. La détection du premier cas de coronavirus sur le territoire sénégalais a eu lieu le 2 mars 2020 soit quatre mois après son apparition en Chine. Afin de lutter contre la pandémie, le Président de la République entre autres mesures décide la fermeture des écoles, l’interdiction des manifestations publiques, l’annulation des vols régionaux et internationaux et, enfin, décrète le 23 mars 2020, l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire . Des études ont montré que la maladie [toute maladie] affecte aussi bien l’organisme que l’état mental ou psychologique du malade. Des travaux réalisés en Chine révèlent également que la pandémie et les mesures sanitaires pour la contenir, comme la mise en quarantaine (ou confinement) exercent une pression sur la santé mentale.
Situation de catastrophe épidémique et réactions de stress
Etant un évènement de survenue brutale et soudaine ayant causé de nombreuses victimes et des pertes économiques importantes, la pandémie à coronavirus peut être considérée à juste titre comme une situation de catastrophe. Partout à travers le monde, elle a mis en échec les moyens de secours étatiques et provoqué une grande désorganisation sociale.
Pourtant, il a été démontré très rapidement que l’infection à coronavirus n’était pas aussi meurtrière qu’il n’y parait. En effet, malgré une létalité peu élevée, les stratégies de prévention et de lutte contre cette affection à SARS-CoV-2 ont occasionné une crise sanitaire et sociale sans précédent. Comme le souligne le médecin Jean-Hervé Bradol (2014) de l’organisation non gouvernementale Médecins sans frontières (MSF), « Parfois, des événements peu meurtriers induisent des mobilisations sociales et politiques importantes qui entraînent une réponse institutionnelle en urgence démesurée ». De manière générale, les situations de catastrophe entraînent dans l’organisme humain, des réactions psychologiques et psychopathologiques différentes selon le moment (Selye, 1950). Dès les débuts de la pandémie, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, dans un message vidéo, le 13 mars 2020, présentant le nouveau rapport des Nations unies sur le coronavirus et ses conséquences, a prévenu la population des risques pour la santé mentale : « Le virus de la Covid-19 n’attaque pas seulement notre santé physique, elle augmente également les souffrances psychologiques» (ONU- info). Ce rapport se fonde sur des études montrant « des « niveaux plus élevés que la normale » de symptômes de dépression et d’anxiété dans le monde entier. Ces souffrances psychologiques parfois profondes peuvent être notées chez des sujets en état de désarroi, dont certains sont déjà fragilisés par des conditions socio économiques difficiles ou encore des affections médicales et/ou psychiatriques préexistantes. L’épidémie à SARS-CoV-2 s’est inscrite dans un référentiel particulièrement effrayant : celui du risque de propagation d’une maladie mortelle dans un contexte de globalisation. Tous les êtres humains de la planète sont confrontés à un état d’alerte permanent, entraînant un sentiment d’insécurité et un climat d’incertitude vis-à-vis de l’avenir. Huremović (2019) souligne à cet effet, l’importance d’intervenir précocement pour remédier à ces divers défis psychologiques.
Lien entre la pandémie et les troubles mentaux
le caractère neurotrope du SARS-CoV-2
Après le SARS-CoV et le MERS-CoV, le virus SARS-CoV-2 (ou SARS-2 en anglais), agent pathogène de la maladie du coronavirus 2019, est le troisième béta coronavirus à provoquer des problèmes de santé mentale dans le monde. Depuis plus de 20 ans, des scientifiques du Département des sciences biomédicales à Indianapolis se sont intéressés à l’évolution de ces souches pathogènes des béta coronavirus. D’après ces chercheurs, ces virus ont provoqué chez l’homme, des infections particulièrement graves des voies respiratoires, surtout chez ceux dont le système immunitaire était faible (Meghan May, 2020). Ils sont par exemple, entre 2002 et 2004, à l’origine de l’épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère ou le SRAS (Peiris et al. 2003).
Concernant le SARS-CoV-2, un chercheur en histologie et embryologie à l’université de Jilin (Chine), Yan-Chao Li, et ses collaborateurs ont découvert qu’en plus du rôle pathogène qu’il pourrait jouer dans l’insuffisance respiratoire des patients atteints du Covid-19, ce virus a aussi un potentiel neuro-invasif : « La plupart des CoVs partagent une structure virale similaire ainsi que le même processus d’infection», explique Yan-Chao Li. « Par conséquent, les mécanismes de l’infection précédemment trouvés pour les autres CoVs pourraient également être applicables au SARS-CoV-2. De plus en plus, des preuves montrent que le neurotropisme [l’affinité d’une substance chimique ou d’un microbe pour le système nerveux] est une caractéristique commune aux CoVs. De ce fait, il est urgent d’indiquer clairement si le SARS-CoV-2 peut accéder au système nerveux central et induire des lésions neuronales qui mènent à la détresse respiratoire aiguë ». Le chemin emprunté par les coronavirus n’est pas connu avec précision mais il semblerait que les virus utilisent des voies synaptiques pour passer du centre cardiorespiratoire à la moelle épinière. Les mécanorécepteurs et les chimiorécepteurs des terminaisons nerveuses périphériques qui se trouvent dans les voies respiratoires inférieures seraient la porte d’entrée par laquelle le virus gagne le système nerveux central (Yan-Chao Li et al,2020). Les symptômes neurologiques du Covid-19 ne touchent qu’une minorité de personnes : 8 % souffrent de maux de tête et 1 % de nausées et de vomissements. En revanche, une étude menée sur 240 patients atteints du Covid-19 décrit des manifestations neurologiques comme des pertes de conscience et des troubles cérébraux-vasculaires aigus dans 88 % des cas sévères étudiés (Yan-Chao Li et al,2020). En Angleterre, des chercheurs de l’université d’Oxford (Taquet, 2020) ont suivi les données de plus de 69 millions d’Américains, dont plus de 62 000 cas de Covid-19. Il en ressort que dans les 90 jours qui suivent l’infection, un malade (qu’il ait des antécédents psychiatriques ou non) sur cinq développe des troubles psychiatriques (l’anxiété, la dépression, l’insomnie, et même des troubles de stress post-traumatique). Ces chercheurs ont poussé leur recherche en faisant une comparaison sur les risques de survenue de problèmes de santé mentale après une infection à SARS-CoV2 (Covid-19), une grippe, des calculs rénaux et une fracture. Il en ressort que le risque de problème de santé mentale est multiplié par deux après une infection à la Covid comparé aux autres maladies. Les études sont en cours pour déterminer si ce risque accru est dû à la maladie elle-même, au traitement ou même à des symptômes neurologiques inattendus.
Vulnérabilité des personnes souffrant de troubles psychiatriques
L’infodémie de Covid-19
La pandémie à coronavirus SARS-CoV2 (Covid-19) est arrivée en pleine expansion des techniques de télécommunication. A cause de ces dernières, sa propagation a évolué en parallèle avec un phénomène de désinformation de portée mondiale. D’après une déclaration conjointe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union internationale des Télécommunications (UIT) et d’autres institutions internationales, « c’est la première pandémie de l’histoire dans laquelle la technologie et les réseaux sociaux sont utilisés à grande échelle pour permettre aux individus d’être en sécurité, informés, productifs et connectés ». Ce phénomène est nommé infodémie. (Déclaration conjointe, résolution WHA73.1 .23 sept. 2020) .
Ce terme est un mot-valise fusionnant « information » et « épidémie » qui se réfère généralement à une propagation rapide et large d’un mélange d’informations à la fois exactes et inexactes sur un sujet, qui peut être une maladie. (Wikipédia) Pour mieux approfondir la définition, trois auteurs, Edson Tandoc, Zheng Wei Lim et Richard Ling, ont publié une analyse de 34 articles scientifiques ayant utilisé les termes « fake news » entre 2003 et 2017(Sauvé M.R ,2018). Ils ont conclu que l’infodémie est davantage liée au phénomène de «mes-information» (le fait d’être mal informé, voire trop informé ou informé trop rapidement) qu’à celui de l’existence et de la diffusion de «fake news» (de fausses informations produites et diffusées intentionnellement) ou qu’au phénomène de «désinformation» (des informations produites et diffusées intentionnellement dans le but de déstabiliser la société de réception et de générer des profits à son émetteur, généralement un pays étranger) (Tandoc,2018). Le directeur de l’OMS a précisé qu’en plus d’être une entrave à la lutte contre le virus, l’infodémie est également un facteur de stress supplémentaire en particulier chez des individus vulnérables sur le plan psychologique. Il alerte sur trois principales dimensions désastreuses du phénomène de l’infodémie (OMS, 23 sept 2020) :
● d’abord, les médias sociaux amplifient de façon dramatique la psychose qui accompagne la propagation du virus ;
● puis, ils véhiculent une désinformation permanente qui nourrit la stigmatisation, le ressentiment et la division ;
● enfin, il s’avère que, pour l’instant, les contre-mesures prises ne montrent qu’une efficacité limitée pour réduire ces graves dérives.
Comme exemple de dérives graves, l’Association de psychologie américaine (APA) rapporte des cas de suicides parfois liés à la peur d’être atteint d’une forme grave de Covid-19, ou à celle d’être porteur du virus et contagieux dans un contexte de rejet social. (OMS, 23 sept 2020) .
Chômage et baisse des revenus
« La perte ou le non accès à l’emploi est source de détresse psychologique et handicape l’individu dans de nombreux aspects de sa vie » (Ginette Herman, 2007). Les affirmations du professeur Herman quant au lien direct entre chômage et santé psychologique sont d’actualité dans ce contexte de pandémie. En effet, la pandémie de COVID-19 a totalement perturbé le monde du travail. Des millions de travailleurs ont perdu leur emploi mettant en danger le bien-être de milliers de familles à travers le monde car d’un point de vue systémique, l’impact du chômage dépasse largement la personne privée d’emploi ; il touche le couple, les enfants et l’avenir même de la cellule familiale. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que la baisse concernant les revenus du travail serait de 10,7 %, soit 3 500 milliards de dollars (2 990 milliards d’euros), pendant les trois premiers trimestres de 2020, par comparaison avec la même période en 2019 (Observatoire de l’OIT : le COVID-19 et le monde du travail. Sixième édition) Au Sénégal, d’après une étude scientifique publiée par People and Data (P&D) le 7 mai 2020, se basant sur un panel national réparti sur les 14 régions du pays, la pandémie à Covid-19 est à l’origine d’une baisse des revenus de 81% des actifs qui étaient en activité. Lorsqu’on examine les résultats détaillés, on constate que les femmes sont en proportion plus affectées par la baisse que les hommes : 83% des femmes actives sont dans cette situation contre 79% pour les hommes.
|
Table des matières
INTRODUCTION
I – REVUE DE LA LITTERATURE
I.1 Situation de catastrophe épidémique et réactions de stress
I.2 Lien entre la pandémie et les troubles mentaux
I.2.1 le caractère neurotrope du SARS-CoV-2
I.2.2 Vulnérabilité des personnes souffrant de troubles psychiatriques
I.2.2.1 L’infodémie de Covid-19
I.2.2.2 Chômage et baisse des revenus
I.2.2.3 L’impact psychologique des mesures de contingentement
II – OBJECTIFS
II.1 Objectif principal
II.2 Objectifs secondaires
III – METHODOLOGIE
III.1 Type de l’étude :
III.2 Population de l’étude
III.2.1 Critères d’inclusion
III.2.2 Critères d’exclusion
III.2.3 Critères de non inclusion
III.3 Déroulement de l’étude
III.4 Outils d’évaluation
III. 5 Analyse statistique
IV – RESULTATS
IV.1 Taille de la population :
IV.2 Caractéristiques sociodémographiques
IV. 2.1. Sexe
IV .2.2. Age
IV .2.3. Statut matrimonial
IV. 2.4. Nombre d’enfants à la charge
IV .2.5. Origine ethnique
IV. 2.6. Lieu de résidence
IV .2.7. Niveau scolaire
IV.2.8. Profession
IV .2.9 Religion
IV .3 Circonstances de la consultation
IV.3.1 Référence des patients
IV.3.2 Motif(s) de consultation
IV. 3.3 Mode de survenue de la maladie
IV. 4. Antécédents et habitudes
IV.4.1. Antécédents familiaux psychiatriques
IV.4.2. Antécédents personnels psychiatriques
IV. 4.3 Antécédents judiciaires
IV. 4.4 Consommation de tabac, d’alcool et d’autres drogues
IV.5. Évènements traumatisants
IV.6. Diagnostic
IV.6.1 Troubles anxieux
IV.6.2 Troubles de l’humeur
IV.6.3 Troubles psychotiques
IV.6.4 Troubles induits par une substance
IV. 7. Prise en charge
IV. 7.1. Prise en charge des cas de troubles anxieux
IV.7.1.1 Prise en charge pharmacologique
IV. 7.1.1.1 Prescription d antidépresseur
IV. 7.1.1.2 Prescription des anxiolytiques
IV.7.1.1.3 Prescription des neuroleptiques
IV. 7.1.2 Prise en charge psychothérapique
IV. 7.2. Prise en charge des cas de troubles de l’humeur
IV. 7.2.1 Prise en charge pharmacologique
IV.7.2.1.1 Prescription des antidépresseurs
IV.7.2.1.2 Prescription des thymorégulateurs
IV.7.2.1.3 Prescription des anxiolytiques et sédatifs
IV.7.2.1.4 Prescription des neuroleptiques
IV.7.2.2 Prise en charge psychothérapique
IV. 7.2.3 Autres médicaments prescrits
IV.7.3 Prise en charge des troubles psychotiques
IV.7.3.1 Prise en charge pharmacologique
IV.7.3.2 Prise en charge psychothérapique
IV.7.4 Prise en charge des troubles induits par une substance
IV.7.4.1 Prise en charge pharmacologique
IV.7.4.2 Prise en charge psychothérapique
IV. 8. Explorations complémentaires
IV. 9. Orientation thérapeutique
IV. 10. Mesures sociales et légales
IV. 11. Évolution
V. Analyse des résultats
V.1 Les limites de l’étude
V.1.1 Le type de l’enquête
V.1.2 Le sujet de l’étude
V .1.3 Lieu de l’étude
V.1.4 La population étudiée
V.2 Les biais
V.2.1 Le choix de la période d’étude
V.2.2 Le choix des consultations externes psychiatriques de Fann
V.2.3 Le choix des instruments de mesure
V.3 L’analyse des résultats
V.3.1 Impact de la pandémie sur le nombre de consultants
V.3.2 Facteurs de stress socio- démographique lies aux troubles psychiatriques induits par la pandémie
V.3.2.1 Sexe
V.3.2.2 Age
V.3.2.3 État-civil, fratrie et enfants
V.3.2.4 Origine ethnique
V.3.2.5 Lieu de résidence
V.3.2.6 Niveau scolaire et profession
V.3.2.7 Religion
V.3.3 Facteurs de stress clinique associés aux troubles psychiatriques
V.3.3.1 Motifs de consultation
V.3.3.2 Antécédents psychiatriques familiaux et personnels
V.3.3.3 Antécédents judiciaires
V.3.3.4 Consommation de tabac, d’alcool et d’autres drogues
V.3.4 Auto-évaluation cognitive de l’évènement traumatisant
V.3.5 Principaux troubles psychiatriques post-traumatiquesrencontrés
V.3.5.1 Manifestations anxieuses
V.3.5.2 Les troubles de l’humeur
V.3.5.3 Manifestations psychotiques et troubles induits par une substance
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES