Structure d’une zone de subduction
Les études d’imagerie sismique montrent que les zones de subduction sont scindées en plusieurs unités. Les zones de subduction en accrétion, à l’image de Nankai au Japon, présentent un prisme d’accrétion séparé de la plaque plongeante océanique par un décollement basal [e.g. Moore et al., 1990]. Le prisme lui-même prend naissance à la fosse et est constitué de failles subsidiaires, en séquence, se branchant au décollement principal et delimitant une suite d’écailles imbriquées . L’exemple du prisme de Nankai montre de plus la présence d’un chevauchement majeur, hors-séquence, se branchant sur le décollement en profondeur [e.g. Park et al., 2002]. Ainsi, les chevauchements des zones de subduction constituent des zones majeures de concentration de la déformation [Moore et al., 1990; Moore et al., 2009]. Cependant, la convergence des plaques n’est pas uniquement accommodée le long de ces structures majeures comme le montrent les modèles qui considèrent la compaction induite par l’enfouissement des sédiments, qui conduit à une déformation très distribuée [Le Pichon et al., 1990; Bekins and Dreiss, 1992]. Des études d’anisotropie de la susceptibilité magnétique réalisées, notamment, sur le paléo-prisme de Boso (Japon) montrent que ce dernier est affecté par une zone de cisaillement de plusieurs dizaines voire centaines de mètres soulignant l’importance de la déformation distribuée dans les prismes d’accrétion [Yamamoto, 2006]. De même, des études de « décompaction » de carottes sédimentaires issues de campagnes de forage montrent l’importance de la compaction dans la déformation de ces sédiments [Hunze and Wonik, 2007]. Ainsi, la convergence des plaques dans les zones de subduction est accommodée par différents modes de déformation (localisé et distribué). Ces déformations peuvent être associées à des événements sismiques ou non comme en témoignent la présence de séismes et de glissements lents dans les zones de subduction [e.g. Ito and Obara, 2006; Sugioka et al., 2012; Kitajima and Saffer, 2012; Kodaira et al., 2004]. Dans la section qui suit nous décrirons la distribution des séismes dans les zones de subduction et les hypothèses sur leur formation.
Sismicité dans les zones de subduction
Distribution des séismes
Dans les zones de subduction, les séismes se localisent principalement le long de l’interface des plaques et sont régis par le cycle sismique. Ce dernier est ponctué par des phases d’accumulation d’énergie élastique (période intersismique) et des phases où l’énergie accumulée est brusquement relâchée (phase cosismique) ; juste après le séisme s’en suit une phase post-sismique qui peut être associée à la formation de répliques [Scholz, 2002]. Le caractère sismique d’un matériau est défini comme sa capacité à libérer de l’énergie élastique/sismique (i.e. enregistrable par les sismomètres) lors de sa rupture et de sa propagation et lors du glissement le long d’une faille préexistante [Byrne et al., 1988].
À la fin des années 1980, Byrne et al. [1988] publient un article dans lequel ils regroupent les enregistrements des foyers des séismes lors de phases intersismiques de trois zones de subduction (arc des Aléoutiennes, Fosse du Japon, arc des Petites Antilles). Ces enregistrements sont réalisés pour de très courtes périodes de temps à l’échelle des temps géologiques : 10 ans pour l’arc des Aléoutiennes, 4 ans pour l’arc des Petites Antilles et 2 ans pour la Fosse du Japon. Néanmoins, le regroupement des données pour chaque marge montre une lacune de sismicité le long de l’interface des plaques en partant de l’axe de la fosse jusqu’à environ 10 km de profondeur. Ceci a donc conduit les auteurs à proposer que la partie la plus superficielle des zones de subduction présentait un caractère asismique.
Ces observations, aussi peu nombreuses soit-elles, ont conduit d’autres auteurs à généraliser et subdiviser les zones de subduction en trois parties en fonction de leur caractère sismique ou asismique [Shimamoto et al., 1993; Tichelaar and Ruff, 1993; Hyndman and Wang, 1993] :
(1) La zone superficielle (< 10 km), asismique
(2) La zone sismogénique (entre 10 et 50 km), sismique comme son nom l’indique
(3) La zone profonde (> 50 km), asismique .
Dans cette classification, la zone sismogénique est définie comme l’unique zone où les séismes peuvent nucléer mais aussi comme la zone où la propagation de la rupture cosismique s’accompagne d’une libération d’énergie sismique/élastique, c’est à dire enregistrable par les sismomètres. La zone sismogénique est séparée de la partie superficielle, définie comme asismique, par le « front sismique » . Cette limite virtuelle est définie comme la profondeur au-dessus de laquelle les roches ne sont pas assez rigides pour accumuler de l’énergie élastique. Ainsi, même si la rupture cosismique peut se propager passivement dans la partie superficielle des zones de subduction, comme le souligne Byrne et al. [1988], la propagation de cette rupture est vite amoindrie et ne s’accompagne pas de libération d’énergie sismique.
Caractéristiques des séismes
Les séismes qui nucléent au sein de la zone sismogénique sont caractérisés par une libération brutale d’énergie élastique (en 1 ou 2 seconde(s)) [Sugioka et al., 2012], et par des vitesse de glissement très importante (de l’ordre du m/s). Les séismes de subduction ont la particularité de présenter de très fortes magnitudes (méga-séismes), à l’image des séismes de Valdivia au Chili en 1960 (magnitude 9.5) (USGS), de Sumatra en 2004 (magnitude 9.1-9.3) [Lay et al., 2005], ou encore de Tohoku-Oki au Japon en 2011 (magnitude 9.0) [Ide and Aochi, 2013]. Les dégâts humains et matériels engendrés lors de tels événements sont dramatiques et c’est pourquoi il est important d’en comprendre les mécanismes.
Hypothèse sur le front sismique
Une des hypothèses pour expliquer la transition asismique-sismique qui opèrerait à 10 km de profondeur, selon la classification présentée en section 2.1, est basée sur l’évolution de l’état de consolidation des sédiments au cours de l’enfouissement [Byrne et al., 1988]. En particulier, les sédiments non ou semi consolidés qui constituent la partie superficielle des zones de subduction seraient incapables de se déformer de manière élastique et donc incapables d’accumuler de l’énergie sismique. En revanche, la compaction mécanique et les processus diagénétiques qui induisent une lithification des sédiments favoriseraient l’emmagasinement d’énergie élastique au cours de la déformation et expliqueraient la transition de comportement rhéologique du front sismique [Byrne et al., 1988].
Par la suite, d’autres auteurs font le parallèle entre la minéralogie des matériaux constitutifs des prismes d’accrétion et leur comportement rhéologique [Hyndman et al., 1997; Oleskevich et al., 1999; Moore and Saffer, 2001]. En effet, les sédiments entrant en subduction présentent bien souvent une forte composante argileuse et plus précisément smectitique [Vrolijk, 1990]. Or, lors de la diagenèse, l’une des premières réactions diagénétiques qui opèrent dans des sédiments riches en smectite est la transition smectite ➜ illite. Cette transition s’initie dès que la température excède les 60°C et est quasiment complète pour des températures de l’ordre de 150°C [Hower et al., 1976; Jennings and Thompson, 1986; Chamley, 1989] . Or, dans les zones de subduction, caractérisées par un faible gradient géothermique, 150°C doit être proche de la température qui règne à 10 km de profondeur (i.e. borne supérieure de la zone sismogénique). Ainsi, comme il existe une coïncidence entre la borne supérieure de la zone sismogénique et la transition de phase smectite – illite, cette dernière reste une des hypothèses principales pour expliquer la rupture sismique et sa propagation à partir de 10 km de profondeur.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I – INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE
1. Structure d’une zone de subduction
2. Sismicité dans les zones de subduction
2.1. Distribution des séismes
2.1.1. Caractéristiques des séismes
2.1.2. Hypothèse sur le front sismique
2.2. La zone superficielle des zones de subduction est-elle asismique ?
2.2.1. Les séismes basses fréquences
2.2.2. Jusqu’où se propage la rupture cosismique ?
3. Modèles expérimentaux de séismes
4. Loi de frottement
4.1. Notions de frottement
4.2. Modèle rate-and-state
4.2.1. Protocoles expérimentaux
4.2.2. Formulation RSF
4.2.3. Stabilité du régime de glissement
4.2.4. Résultats d’expériences de friction
5. Résumé, énoncé de la problématique et stratégie de cette étude
CHAPITRE II – ETAT DE L’ART SUR LES PROCESSUS DIAGENETIQUES EN CONTEXTE DE SUBDUCTION
1. Rappel sur la structure des argiles
2. Hydratation de la smectite
2.1. Processus d’hydratation
2.2. Effet du cation interfoliaire
2.3. Effet de la température/pression
2.3.1. Effet de la température
2.3.2. Effet de la pression
2.3.3. Effet combiné température et pression
2.4. Effet de la contrainte
3. Illitisation
3.1. Généralités
3.2. Cinétique de la réaction
3.2.1. Effet de la température
3.2.2. Effet de la concentration en potassium
3.2.3. Effet du rapport eau/roche
3.3. Résumé sur les conditions optimales d’illitisation
4. Autres réactions diagénétiques
4.1. La cimentation par le quartz
4.2. La transition opale quartz
4.3. Cimentation par les carbonates et les argiles
5. Résumé et implications pour les expériences
CHAPITRE III – METHODES EXPERIMENTALES ET TECHNIQUES ANALYTIQUES
1. Méthodes expérimentales
1.1 Autoclaves verticaux à chauffage externe
1.1.1. Généralités
1.1.2. Montage colonne-échantillon
1.2. Presse Paterson
1.2.1. Généralités
1.2.2. Montage colonne-échantillon
1.2.3. Géométries de la colonne
1.2.4. Correction de l’influence de la chemise
1.3. Œdomètre haute pression
2. Techniques analytiques
2.1. Diffraction des rayons X (DRX)
2.1.1. Généralités
2.1.2. Configurations d’analyse
2.1.3. Semi-quantification
2.2. Microtomographie X
2.3. Mesures des vitesses des ondes P
CHAPITRE IV – MATERIAUX DE DEPART ET PROTOCOLES EXPERIMENTAUX
1. Matériaux de départ
1.1. Choix des matériaux de départ
1.2. Caractérisation des échantillons naturels (GJ02)
1.2.1. Minéralogie
1.2.2. Porosité
1.2.3. Etat de consolidation des échantillons de départ
2. Préparation des échantillons de départ – Echange du cation interfoliaire
CONCLUSION