Quels écoulements diphasiques ?
Le terme « écoulements diphasiques » que nous considérerons dans ce travail se réfère aux écoulements dans lesquels au moins deux phases (liquide/liquide ou liquide/gaz) sont en présence, séparées par une interface. De nombreux problèmes qui nous entourent peuvent être associés à des écoulements diphasiques à phases séparées. A très grande échelle, on peut citer les problèmes environnementaux (érosion des plages par le déferlement des vagues, catastrophe naturelle suite à l’échouage d’un pétrolier, infiltration de polluants dans les sols, dispersion de traitements phytosanitaires ou problèmes d’arrosage en agronomie, …), la météorologie (échanges océan-atmosphère, pluie, nuages) ou l’océanographie (hydraulique fluviale ou maritime, impact des vagues sur des structures portuaires ou des bateaux,…), tandis qu’à plus petite échelle, les domaines ou problèmes que l’on peut relier aux écoulements diphasiques concernent les secteurs de l’automobile et des transports terrestres, aéronautiques et spatiaux (injection de carburant dans les moteurs ou chambres de combustion, cavitation sur les coques ou hélices de bateaux, injection de propergol dans les boosters de la fusée Ariane, hydroplanage,…), l’énergie (hydroliennes, crise d’ébullition dans les conduites de refroidissement de centrales nucléaires, givrage dans les échangeurs de pompes à chaleur, …), les matériaux (nettoyage ou composition des aciers dans les procédés de coulée continue et de lingotière, mise en forme de polymères ou de métaux/alliages liquides par injection ou extrusion, conception de matériaux composites carbone silicium par imprégnation et montée capillaire, projection plasma pour la fabrication de dépôts métalliques ou céramiques, peintures, vernis, solvants, …), la cosmétique et la pharmacie (fabrication de crèmes, d’émulsions, de poudres par injection supercritique, …), l’agroalimentaire (injection de pâtes à gâteaux, fabrication de yaourts, de jus, …). Comme nous pouvons donc le comprendre, ces écoulements sont au cœur de notre quotidien.
Quel modèle physique initial pour les écoulements ?
On s’intéresse à la simulation d’écoulements incompressibles constitués de phases liquide et/ou gazeuse, ces deux états correspondant à la définition générale d’un fluide. Ainsi, un fluide est un milieu matériel déformable, composé d’un ensemble d’atomes ou de molécules identiques avec plus ou moins de cohérence entre les liaisons de celles-ci. Selon l’échelle considérée, le modèle que l’on applique pour reproduire le comportement d’un fluide n’est pas le même. A l’échelle microscopique, les molécules interagissent entre elles via les forces de Van der Walls ou électrostatiques et il existe de fortes fluctuations des phénomènes associés à ces particules élémentaires d’une zone à l’autre de l’espace. Chaque particule constitue donc un système indépendant à part entière. A l’échelle macroscopique, on considère plutôt des volumes locaux contenant un grand nombre de molécules, évoluant lentement ou continuement dans l’espace où l’ensemble des propriétés sont moyennées sur ce grand nombre de particules. Le fluide est donc observé de plus loin et les mouvements individuels des molécules sont ignorés au profit du mouvement d’ensemble du fluide.
On introduit ainsi, pour décrire un fluide, la notion de « particule fluide », comme étant un « élément de fluide » suffisamment petit devant les dimensions de l’écoulement à grande échelle pour que l’on puisse considérer ses propriétés comme homogènes et suffisamment grand pour contenir un très grand nombre d’atomes ou de molécules. Le fluide est alors considéré comme un milieu continu lorsque que le modèle de la particule fluide est applicable. Dans ce mémoire, nous considérerons toujours cette hypothèse comme vérifiée, c’est à dire que le libre parcours moyen des atomes ou des molécules est petit par rapport à l’échelle caractéristique du volume élémentaire de référence appelé élément fluide. Ces régimes correspondent à de petits nombres de Knudsen, généralement pris inférieurs à 10−3.
Quels modèles pour les écoulements diphasiques ?
L’aspect diphasique des écoulements n’est pas a priori pris en compte dans les équations du système présentées auparavant, qui régissent intrinsèquement, c’est à dire sans termes sources ou physiques additionnels, les écoulements monophasiques. Nous nous restreignons dans ce travail à l’étude des fluides qui sont supposés non miscibles. Nous ne considérerons pas tous les systèmes diphasiques qui concernent les mélanges de gaz, de plasma, …
A partir d’un changement d’échelle entre la vision moléculaire (de l’ordre de l’Ångström) et celle du système diphasique étudié (entre le micromètre et le mètre) si nous nous appuyons sur les travaux de physiciens de la matière molle comme Gibbs, nous pouvons considérer la zone de séparation entre deux fluides non-miscibles comme une surface d’épaisseur négligeable (l’épaisseur réelle est de l’ordre de l’Ångström alors que le système et le volume élémentaire représentatif associé sont de l’ordre de la centaine de nanomètres à celle du centimètre). Cette surface est l’interface entre deux fluides à travers laquelle les propriétés physiques des fluides changent brutalement. Cette variation des propriétés physiques peut se traduire sous la forme de conditions de saut à travers l’interface qui doivent être satisfaites, en plus des équations de Navier-Stokes loin de l’interface. Ces relations de saut intègrent des contributions de forces nouvelles et spécifiques liées à l’interface, que nous appelons tensions superficielles. Elles peuvent être complétées lorsque le problème est anisotherme par des effets Marangoni ou de transfert de masse par changement de phase.
Quelles méthodes numériques pour le suivi d’interface ?
En plus de la prise en compte de la physique des écoulements par la résolution des équations de Navier-Stokes, les écoulements diphasiques nécessitent une approche spécifique pour décrire la physique à l’échelle de l’interface entre deux fluides. En effet, au cours du temps, les fluides sont en mouvement et la position relative des deux fluides change, entraînant des modifications topologiques pour l’interface. Plusieurs méthodes ont été développées afin de localiser précisément
l’interface et décrire son mouvement et les changements topologiques induites sur celle-ci par l’écoulement. Ces techniques de suivi peuvent être classifiées en trois grandes familles :
les méthodes lagrangiennes ou méthodes dites de suivi d’interface; les méthodes eulériennes ou méthodes dites de capture d’interface; les méthodes combinant les deux approches.
Le choix d’une méthode ou d’une autre dépend principalement du problème physique que l’on va traiter car la qualité de la simulation des écoulements diphasiques est tributaire de la capacité de la méthode choisie à décrire le comportement de l’interface le plus précisément possible.
Les méthodes lagrangiennes suivent explicitement l’évolution de l’interface par une localisation basée sur l’imposition et l’advection d’un maillage déformable qui s’adapte au mouvement de cette dernière. Le suivi lagrangien est réalisé grâce à la résolution d’un champ de vitesse local et les conditions de saut à l’interface sont traités directement au niveau de l’interface avec une grande précision. Le problème des méthodes lagrangiennes réside dans le fait que leur utilisation sur des configurations complexes peut générer un important coût de calcul. De plus la gestion de problèmes comme la rupture ou la coalescence de l’interface nécessite la prise en compte d’approches supplémentaires dont la mise en œuvre peut être complexe en 3D. De manière générale, même si les méthodes lagrangiennes offrent plus de précision que les méthodes eulériennes, leur difficulté de mise en œuvre limite leur application, généralement réduite à la modélisation d’écoulements à surface libre ou autour d’inclusions isolées.
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Table des matières
Introduction générale
1 Etat de l’art sur la simulation d’écoulements diphasiques
1.1 Quels écoulements diphasiques ?
1.2 Quel modèle physique initial pour les écoulements ?
1.2.1 Équations de conservation de la masse et du mouvement
1.2.2 Hypothèses sur les fluides et les écoulements
1.3 Quels modèles pour les écoulements diphasiques ?
1.3.1 Modèle à 2-fluides discontinu pour les interfaces résolues
1.3.2 Modèle à 1-fluide continu pour les interfaces résolues
1.3.3 Modèle à 2-fluides dispersé
1.3.4 Modèle mixte Euler/Lagrange dispersé
1.4 Quelles méthodes numériques pour le suivi d’interface ?
1.4.1 Méthode VOF(volume of fluid)
1.4.2 Méthode Level-Set
1.4.3 Méthode couplée VOF/Level-Set (CLSVOF)
1.4.4 Méthode de Front-tracking
1.5 Bilan et objectifs
2 La méthode Front-Tracking
2.1 Structure générale de la surface front-tracking 2D
2.2 Transport de la surface front-tracking
2.2.1 Discrétisation temporelle
2.2.2 Interpolation des vitesses des marqueurs lagrangiens
2.2.3 Validation : marqueur dans un écoulement rotationnel
2.3 Restructuration de la surface front-tracking (reseeding)
2.3.1 Procédure d’ajout d’éléments
2.3.2 Procédure de suppression d’éléments
2.4 Cas test : Déformation d’une interface circulaire par un tourbillon (Serpentin)
2.5 Conservation du volume
2.5.1 Méthode homothétique (HR) – FTR-PERM-HR
2.5.2 Méthode de correction basée sur la vitesse (VBC) – FTRPERM-VBC
2.5.3 Commentaires sur les méthodes de conservation du volume
2.6 Calcul des propriétés géométriques de l’interface
2.6.1 Méthode de Frenet
2.6.2 Méthode du cercle circonscrit
2.6.3 Validation : courbe statique
2.6.4 Validation : déformation d’un disque par un écoulement potentiel impactant une plaque plane 2.7 Rupture et coalescence de l’interface
2.7.1 Procédure générale
2.7.2 Procédure de Coalescence
2.7.3 Procédure de rupture
2.8 Fraction volumique et indicatrice de phase : fonction couleur C
2.8.1 Méthode de ray-casting : calcul de la fonction couleur binaire
2.8.2 Calcul de la fraction volumique exacte C
2.9 Comparaison avec des méthodes de suivi d’interfaces de la littérature
2.10 Conclusions
3 Reconstruction de la vitesse de l’interface pour des écoulements diphasiques
3.1 Algorithme de reconstruction
3.1.1 Relations de saut
3.1.2 Fonction d’approximation linéaire pour les composantes de vitesse
3.1.3 Approximation de la pression sur les marqueurs
3.1.4 Reconstruction de la vitesse du marqueur m de l’interface
3.2 Validation : écoulement axisymétrique autour d’une sphère fluide, solution de Hadamard-Rybczynski
3.3 Conclusions
4 Résolution des équations de Navier-Stokes incompressibles diphasiques avec le modèle à 1-fluide et la méthode FTR-JUMP pour le suivi d’interface
4.1 Résolution numérique des équations de Navier-Stokes
4.1.1 Modèle d’écoulement diphasique utilisé pour la résolution des équations de Navier-Stokes
4.1.2 Intégration temporelle
4.1.3 Maillage et volume de contrôle
4.1.4 Traitement des conditions aux limites
4.1.5 Approximation spatiale des termes de l’équation de quantité de mouvement
4.1.6 Résolution du système linéaire
4.2 Expression du terme capillaire de l’équation de quantité de mouvement
4.2.1 Présentation des méthodes
4.2.2 Courants parasites
4.2.3 Discrétisation du terme capillaire
4.3 Tests de validation d’écoulements diphasiques
4.3.1 Goutte statique (test de Laplace)
4.3.2 Bulle ascendante
4.4 Conclusions
5 Mise en œuvre d’un modèle à 2 fluide sur une grille eulérienne fixe avec la méthode de suivi d’interface FTR-JUMP
5.1 Résolution numérique des équations de Navier-Stokes par une approche de type 2-fluide
5.1.1 Présentation du modèle
5.1.2 Discrétisation sur un volume de contrôle composite
5.1.3 Intégration temporelle
5.1.4 Approximation spatiale des autres termes de l’équation de quantité de mouvement
5.2 Test de validation
5.2.1 Écoulement de Couette diphasique instationnaire
5.2.2 Écoulement de Poiseuille diphasique stationnaire
5.2.3 Goutte statique (test de Laplace)
5.3 Conclusions
Conclusions générales et perspectives
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