LA REPRÉSENTATION DE L’ANIMAL SUR SCÈNE
UTILISATION DE L’ANIMAL COMME ÉLÉMENT DE DÉCOR
L’animal vivant est souvent utilisé uniquement comme prétexte sur la scène pour captiver les spectateurs. Nombreux sont les exemples dans l’histoire du théâtre. Ainsi en 1718, pour attirer la foule à la foire Saint Germain, les prouesses d’un âne volant dans Le château des Lutins, pièce en un acte, furent vantées comme l’indiquent les frères Parfaict d’après BOUVIER CAVORET (2002): « Le public fut d’abord attiré par la promesse qu’on lui fit qu’il y verrait un âne voler. Ce prétendu vol consistait à faire glisser ce pauvre animal sur une corde tendue du haut en bas, et d’un bout à l’autre de la salle. Le Public était donc attiré par cette bagatelle, qui semblait devoir dégoûter surtout les honnêtes gens, ne laissa pas de continuer avec empressement : non seulement tant que l‟âne parut, (car il n’a volé qu’environ 15 jours) mais encore pendant tout le cours de la Foire […]. »
A cette époque rien ne différenciait l’animal d’un simple objet dans le Code Civil, il n’existait pas encore de loi visant à la protection des animaux et le bien-être animal était une notion inconnue à l’époque. Aujourd’hui les choses ont fortement évolué, et ce genre de théâtre a disparu. Cependant l‟animal est encore parfois présent sur scène uniquement pour attirer le public, tout en n‟ayant, dans le déroulement de la pièce, pas beaucoup plus d’importance qu’un élément de décor. Par exemple, le cheval présent dans Calamity Jane, pièce de Jean-Noël Fenwick, mise en scène par Alain Sachs en 2012 au Théâtre de Paris, sert uniquement à amener les comédiens sur scène et à figurer le changement de lieu, de temps, d‟action. Ainsi les chevaux sont amenés sur scène pour le panache qu‟ils dégagent, le chien et le chat parce qu‟ils attendrissent le public etc.
LA PRÉSENCE DE L’ANIMAL PAR SOUCI DE RÉALISME
Le Théâtre Libre d‟André Antoine illustre parfaitement cette notion. Celui-ci après avoir échoué au concours d‟entrée pour le Conservatoire national supérieur d‟art dramatique de Paris, devient comédien dans une troupe amateur, puis fonde dans l’ancienne Comédie parisienne, le Théâtre-Libre en 1887 , un mouvement théâtral novateur visant à ouvrir la scène à de jeunes auteurs, à un style de mise en scène et de jeu d’acteurs en rupture avec le théâtre de boulevard. Selon BARON (2007) sur son modèle, des théâtres libres se créèrent à Londres, à Munich et à Berlin. Antoine prône un théâtre populaire et social, appliquant les principes du naturalisme à l’art dramatique et à la mise en scène. Dans ses mises en scène, les comédiens doivent vivre leurs personnages. Il insiste sur l’importance de la gestuelle et libère le jeu d’acteur des conventions et du cabotinage.
Il veut donner au spectateur l’impression d’assister à une « tranche de vie » en s’appuyant sur des costumes et des décors modernes et réalistes jusque dans les moindres détails. C’est ainsi que l’utilisation de vrais morceaux de viande pour Les Bouchers, pièce de Fernand Icres, en 1888 fait scandale ainsi que le raconte ANTOINE (1921) : « Dans mon désir d’une mise en scène caractéristique, j’avais accroché dans Les Bouchers, de véritables quartiers de viande qui ont fait sensation ». Létal du boucher orné d’authentiques morceaux de viande entra dans la légende du Théâtre-Libre, alors que paradoxalement la pièce écrite en vers allait à l’encontre du réalisme. Reprenant la théorie du quatrième mur instaurée par Diderot, il donne une grande importance au rôle du metteur en scène, qui passe du statut de technicien à celui de créateur. Il adopte les principes du naturalisme en donnant de l’importance au décor naturel, comme « éléments d‟un réel déterminant les comportements de ses protagonistes ».
LA VOLIÈRE DROMESKO
Après avoir participé à la création du Cirque Aligre avec son frère Branlo de 1977 à 1982, et du théâtre équestre Zingaro au fort d‟Aubervilliers avec Bartabas de 1983 à 1988, Igor Dromesko se lance dans une nouvelle aventure et crée en 1990 avec sa femme Lily « La Volière Dromesko ». Igor et Lily s‟installent temporairement dans le jardin des parents d‟Igor. Igor raconte à THIBAUDAT (2010) que Lily, selon la phrase échangée entre Prévert et Chagall, achète un oiseau chaque fois qu‟elle va acheter du pain. Ils finissent ainsi par acquérir plus de deux cents oiseaux « Qu‟est-ce qu‟on allait en faire ? Il leur fallait une volière. La vodka aidant, j‟ai dessiné une volière. Avec un bulbe comme au Kremlin ». C‟est ainsi que démarre cette nouvelle aventure, non plus articulée autour des chevaux mais autour des oiseaux. Dromesko vient du grec drome qui signifie à la fois le mouvement (course) et le lieu (champ), et du mot tzigane dromesko signifiant itinérant. Ils créent ainsi sous la direction de Matthias Langhoff, leur premier spectacle itinérant.
Un « spectacle profondément sensitif, sensuel, à la limite du charnel, près de l‟intuition et loin de l‟écriture. » Ce spectacle fut joué à travers l‟Europe entre 1990 et 1994. Pendant cette période deux versions seront successivement donnée « Dernier chant avant l‟envol » entre 1990 et 1991, puis « Vertiges » à partir de 1992. Il ne transcrit pas directement la métaphore des titres du spectacle (il laisse aux critiques le soin de parler des chimères de l‟homme qui rêve de voler), il ne fait pas non plus la promotion de l‟originalité du lieu, il parle à « Monsieur le Public », il l‟invite à entrer chez eux. En fait de Volière, il s‟agit d‟une grande coupole transparente recouverte d‟un chapiteau. La Volière n‟est pas seulement un lieu de représentation, mais aussi le décor du spectacle dans lequel les animaux évoluent aux sons des musiques tziganes. Ce ne sont ainsi pas moins de 240 oiseaux, chevaux, et autres animaux qui viennent émerveiller petits et grands. Le tout orchestré par une quinzaine d‟artistes venus d‟horizons divers.
Le spectateur s‟évade dans un monde onirique, près des étoiles. Le désir d‟Igor est de créer une relation triangulaire entre lui et le public, le public et le public, le public est lui ainsi qu‟il l‟indique à THIBAUDAT (2010) : « Monsieur le Public est là, un peu perdu. Il n‟a pas besoin de référence quelconque pour comprendre quoi que ce soit, puisqu‟il n‟y a rien à comprendre. Tout va bien, il n‟y a qu‟à prendre avec les yeux, les oreilles, les narines. Toutes les références qu‟il avait apportées avec lui par précaution ou par habitude, il peut les glisser entre son coude et le petit guéridon sur lequel il s‟appuie. De l‟autre main, il porte à ses lèvres un petit verre. Il boit et ce geste de tous les jours le rassure dans cet univers qui lui est étranger, mais qui devient sien. Il susurre à l‟oreille de son voisin je ne sais quel commentaire. Echange d‟impressions. Ainsi se crée le triangle Dromesko Ŕ M. Public Ŕ M. Public. Il me semble que cela suffit. »
LES ANIMAUX DE COMPAGNI
Beaucoup de pièces modernes, ayant pour but de nous divertir, utilisent ces animaux pour de nombreuses raisons. Ils permettent de toucher à quelque chose d‟essentiel dans le monde de l‟enfance et de la perception d‟autrui, à travers une projection affective. Ainsi ce sont des animaux qui rassurent, qui nous renvoient à notre enfance, que l‟on connait bien. Dialogue de bêtes, l‟une des oeuvres fondamentales de COLETTE (1925) et le premier texte qu‟elle publia sous son nom, illustre parfaitement cette conception du divertissement à travers la présence des animaux. Les dialogues mettent en exergue le comportement bien différent du chien et du chat. Alors que Kiki la Doucette ne supporte pas la moindre des obligeances, Toby le chien , lui se plie en quatre pour assouvir les moindres exigences de sa maîtresse tant aimée. Cette comédie fut adaptée et mise en scène par Anne Kreis en 2005, les représentations eurent lieu au Théâtre des Bouffes Parisiens en mars 2005 avec Jean-Paul Muel dans le rôle du chat et Jean-Jacques Moreau dans celui du chien. Selon BOUVIER CAVORET (2002) Colette, elle-même, avait précédemment adapté ses « dialogues de bêtes » pour une unique représentation au salon des Dessinateurs humoristes en 1913. Elle y incarnait le rôle de la Petite Chienne en visite tandis que Gemier jouait Toby chien et Suzanne Desprès Kiki la Doucette.
Peines de coeur d’une chatte anglaise est une pièce de Geneviève Serreau directement inspirée d‟une nouvelle d’Honoré de Balzac et du bestiaire anthropomorphe de l‟illustrateur J.-J. Grandville dans « Scènes de la vie privée et publique des animaux ». Le seul énoncé du titre, Scènes de la vie privée et publique, indique la référence à Balzac et montre la transposition de la Comédie humaine en une « comédie animale » Cette pièce, mise en scène par Alfredo Arias et jouée pour la première fois au Festival de Shiraz en 1977, fait un triomphe et tourne pendant 2 ans en Europe et aux Etats Ŕ Unis. KAHANE et PINASA (2006) indique qu‟Alfredo Arias mettra en scène également la suite, Peines de coeur d’une chatte française, écrite par Hetzel, l‟éditeur de Peines de coeur d‟une chatte anglaise, sous le pseudonyme de P-J Stahl. [BALZAC, BAUDE ET LA BEDOLLIERE Ŕ 2011] Le projet de Peines de coeur d’une chatte anglaise voit le jour grâce à une carte de voeux que la décoratrice et costumière Claudie Gastine envoie à Lila de Nobili, figure légendaire du monde théâtral de la seconde moitié du XX siècle.
Lila propose aux grands magasins des galeries Lafayette une scénographie de leurs vitrines de Noël, sur le thème des Scènes de la Vie privée et publique des animaux de Grandville. Claudie Gastine réalise cet enchantement, puis les costumes de la production qu‟Alfredo Arias et le groupe TSE montent ensuite. Les masques féeriques et les costumes transforment les comédiens en répliques exactes des animaux dessinés par Grandville. Pas un pouce de peau humaine n‟est visible. L’anthropomorphisme est inversé : les caractères du personnage s‟adaptent à ceux attribués aux animaux : le chat de gouttière libre et sensuel, le renard rusé, la huppe idiote etc. Lorsque Alfredo Arias se confie dans un entretien avec Hervé Pons (ARIAS et PONS (2008)] il témoigne que l‟un des buts de cette oeuvre est de divertir le public en le renvoyant à son enfance en usant de la projection affective à travers la présence animale..
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : SIGNIFICATION DE LA PRÉSENCE DE L’ANIMAL DANS LES OEUVRES THÉÂTRALES
L‟ANIMAL POUR L‟ANIMAL
LA PRÉSENCE DE L‟ANIMAL PAR SOUCI DE RÉALISME
FAIRE RÊVER LE SPECTATEUR À TRAVERS LA BEAUTÉ ANIMALE
LE CIRQUE ALIGRE
LE THÉÂTRE EQUESTRE ZINGARO
a – LE CABARET ÉQUESTRE
b – L‟OPÉRA ÉQUESTRE
3 – LA VOLIÈRE DROMESKO
L‟ANIMAL, SOURCE DE DIVERTISSEMENT
LES SINGES
L‟ÂNE
LES ANIMAUX DE COMPAGNIE
II L‟HOMME ANIMALISÉ
LA MÉTAPHORE ANIMALE ÉTUDIÉE À TRAVERS LE BESTIAIRE DE SHAKESPEARE
LA MÉTAMORPHOSE ANIMALE À TRAVERS L‟EXEMPLE DE LA PIÈCE RHINOCÉROS DE IONESCO
L‟ANIMAL HUMANISÉ
LES FABLES ET ROMANS ADAPTÉS AU THÉÂTRE
III LE BESTIAIRE D‟ARISTOPHANE
CHANTECLER D‟EDMOND ROSTAND
DEUXIÈME PARTIE : LA REPRÉSENTATION DE L’ANIMAL SUR SCÈNE
I SUGGÉRER LA PRÉSENCE DE L‟ANIMAL
PAR LES MOTS
PAR LE MIME
CRÉER L‟ILLUSION DE LA PRÉSENCE ANIMALE
II PAR L‟UTILISATION DE BRUITAGE
PAR L‟UTILISATION D‟ORNEMENTS
L‟AIDE DE MARIONNETTES
ÉLABORATION DES MARIONNETTES
INTERROGATIONS SUR L‟UTILISATION DES MARIONNETTES À TRAVERS L‟ÉUDE DU METTEUR EN SCÈNE LEE BREUER
PAR L‟UTILISATION D‟ANIMAUX MÉCANIQUES
L‟HOMME INTERPRÉTANT L‟ANIMAL
III ACCESSOIRES ET COSTUMES
LA MAISON HALLÉ : CÉLÈBRE FOURNISSEUR DES THÉÂTRES PARISIENS AU XVIII SIÈCLE
REPRÉSENTATION LIMITÉE À QUELQUES ATTRIBUTS
LE MASQUE
ÉVOLUTION DU MASQUE AU COURS DES SIÈCLES
ÉTUDE DE LA MISE EN SCÈNE DE PEINES DE COEUR D’UNE CHATTE ANGLAISE PAR ALFREDO ARIAS
ÉTUDE DE LA MISE EN SCÈNE DE PEINES DE COEUR D’UNE CHATTE FRANCAISE PAR ALFREDO ARIAS
SYMBOLISME DU MASQUE DANS LES PIÈCES MISES EN SCÈNE PAR J. ŔL BARRAULT
COSTUME DE PELUCHE
LES COSTUMES DE CHANTECLER
LES COSTUMES DE PEINES DE COEURS D’UNE CHATTE ANGLAISE
LE CAS PARTICULIER DES ÉQUIDÉS
INTÉRÊTS ET LIMITES DE L‟UTILISATION DE CET ARTIFICE
TENTATIVE D‟AMÉLIORATION DU COSTUME PAR JEAN FABRE
LA MÉTAMORPHOSE S‟OPÈRE SUR SCÈNE
PAR LE JEU DES ACTEURS
TROISIÈME PARTIE : L’ANIMAL SUR SCÈNE
I L‟INTERMÉDIAIRE DE L‟UTILISATION D‟ANIMAUX MORTS
POUR FIGURER DES ANIMAUX VIVANTS
POUR REPRÉSENTER DES ANIMAUX MORTS
II UTILISATION D‟ANIMAUX VIVANTS
HISTORIQUE
OISEAUX ET ANIMAUX DE BASSE-COUR
ÉQUIDÉS
L‟ÂNE
LE CHEVAL
LES COCHONS
LES CHIENS ET CHATS
LES LIMITES DE LA PRÉSENCE D‟UN ANIMAL SUR SCÈNE
L‟ANIMAL « RÉEL » DANS LE THÉÂTRE « LIEU DE CONVENTION »
L‟ANIMAL : UN ÊTRE IMPRÉVISIBLE
L‟ANIMAL : UN ÊTRE NON ÉDUQUÉ
LA DIFFICILE COHABITATION ENTRE L‟ANIMAL ET L‟ACTEUR
LES RAISONS DU CHOIX DE LA PRÉSENCE D‟UN ANIMAL SUR SCÈNE
POUR ATTIRER LE PUBLIC
PAR SOUCI DE RÉALISME
COMMENT TIRER PARTIE DE LA PART D‟IMPRÉVISIBILITÉ LIÉE À LA PRÉSENCE DE L‟ANIMAL ?
CRÉATION D‟UN LIEN PARTICULIER ENTRE AUTEUR ET ANIMAUX
III APPRENDRE AUX ANIMAUX À DEVENIR DES ACTEURS
LE TRAVAIL DEMANDÉ À L‟ANIMAL
LES CRITÈRES POUR CHOISIR L‟ANIMAL FUTUR ACTEUR
LES CONTRAINTES IMPOSÉES PAR LE THÉÂTRE
UN SPECTACLE EN DIRECT
LIÉES AU LIEU DU SPECTACLE
LIÉES À LA FRÉQUENCE DES REPRÉSENTATIONS
LE DRESSAGE
UN TRAVAIL QUI RÉCLAME DE LA PATIENCE
UN TRAVAIL OÙ LE MAÎTRE MOT EST LE PLAISIR
SAVOIR S‟ADAPTER AU RYTHME DE VIE DE L‟ANIMAL
CRÉER UNE COMPLICITÉ ENTRE L‟HOMME ET L‟ANIMAL
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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