Le manuel de langue fait toujours partie des ressources pรฉdagogiques les plus importantes au sein dโune classe. Malgrรฉ les multiples utilisations que lโon peut accorder aux manuels, ils sont depuis longtemps considรฉrรฉs comme le cadre ร suivre pour le bon dรฉroulement dโun cours. Ils servent รฉgalement de rรฉfรฉrence majeure avec des dรฉmarches encadrรฉes pour les points linguistiques ร aborder et ร travailler en classe (Soria-Borg dans Le Gal, 2010).
En dรฉpit dโune position contemporaine รฉpistรฉmologique dans la didactique de franรงais comme langue รฉtrangรจre (FLE) qui reconnait lโimportance dโune approche รฉclectique dans lโenseignement (Puren, 1997), des conditions matรฉrielles peuvent empรชcher son application. Lโinsuffisance de temps pour prรฉparer le cours en amont, la charge de travail et/ou le manque dโaccรจs aux ressources sont des problรจmes auxquels font face les enseignantยทeยทs et les apprenantยทes ainsi que le manque de formation.
Le manuel nโest certainement pas la seule source pour la dรฉcouverte de la langue culture cible, mais il peut en devenir la principale. Dans certains cas extrรชmes, il est le seul outil pour lโenseignantยทe et les apprenantยทeยทs. Pour citer mon exemple de locuteur non natif du franรงais, le manuel a jouรฉ un rรดle central dans mon dรฉveloppement linguistique et dans la construction de ma vision du monde francophone. En effet, les conditions matรฉrielles et รฉconomiques de mon universitรฉ (et de mon pays), et les objectifs pรฉdagogiques quโelle sโest fixรฉ ont imposรฉ lโutilisation dโun seul manuel pendant une pรฉriode importante de ma scolaritรฉ.
รtudes de genre : naissance dโun champ dโรฉtudes
Le terme ยซ genre ยป apparaรฎt dโabord dans le domaine dโethnomรฉthodologie dans les annรฉes 1950 pour dรฉsigner tout ce qui relรจve de la culture, en opposition complรจte au ยซ sexe ยป qui concerne les organes gรฉnitaux (Arnold, 2012). Au cours des annรฉes 1970, les vagues de militantisme fรฉministe ont vu le jour notamment au sein du Mouvement de libรฉration des femmes et en mรชme temps, le ยซ genre ยป est repris pour critiquer la relation sociale asymรฉtrique qui sโopรจre entre les femmes et les hommes (Arnold, 2012; Bereni et al., 2012). Pendant cette mรชme pรฉriode, Fassin (2008) explique que des anthropologues amรฉricainยทeยทs reprennent le concept de nature et culture de Lรฉvi-Strauss pour souligner les rapports de pouvoir liรฉ au genre pour ensuite donner naissance ร lโanthropologie fรฉministe.
En dรฉpit des colloques et revues publiรฉes en France telles que ยซ Recherches sur les femmes et recherches fรฉministes ยป soutenue par le CNRS, les รฉtudes fรฉministes ne voyaient pas encore leur institutionnalisation, voire leur reconnaissance, dans le milieu universitaire (Fassin, 2008). Cela ne laisse cependant pas entendre que les discussions sur le genre รฉtaient (et sont) inexistantes. Au contraire, le dรฉveloppement des recherches axรฉes sur le genre, pas encore considรฉrรฉe comme une discipline ร part entiรจre, se faisait au sein de multiples domaines avant de sโรฉtendre ร des interdisciplines (Bereni et al., 2012; Fassin, 2008). La reconnaissance du domaine en France de nos jours a รฉtรฉ permise par la politisation et la ยซ nationalisation ยป du genre pendant les annรฉes 1990 oรน a รฉtรฉ instaurรฉ le Pacte civil de solidaritรฉ ou PACS, ouvert ร deux partenaires de nโimporte quel sexe. Cet รฉvรจnement majeur a permis lโexploration et lโinterrogation des thรฉmatiques sexuelles avec moins de rรฉticence par lโรtat (Fassin, 2008). Certains secteurs de la sociรฉtรฉ franรงaise conservaient tout de mรชme une rรฉsistance ร ces sujets comme le montraient les tensions autour du Mariage pour tous.
Sexe et genre : quelles convergences et divergences ?
Dโaprรจs le Trรฉsor de la Langue Franรงaise informatisรฉ (TLFi), le sexe est la ยซconformation spรฉcifique permettant de distinguer lโhomme et la femme par des signes physiques extรฉrieurs ยป (ATILF – CNRS & Universitรฉ de Lorraine, 2012b) alors que le genre est dรฉfini comme un ยซ ensemble dโรชtres ou dโobjets ayant la mรชme origine ou liรฉs par la similitude dโun ou de plusieurs caractรจres ยป (ATILF – CNRS & Universitรฉ de Lorraine, 2012a).
Ces dรฉfinitions du sexe et du genre sont le reflet des reprรฉsentations dans la doxa. Elles relรจvent dโune gรฉnรฉralisation et dโune simplification des rรฉalitรฉs sexuelles que lโon peut observer chez les รชtres humains mais dissimulent les dynamiques de pouvoir qui existent entre les sexes. Pour arriver ร une dรฉfinition du genre plus dรฉtaillรฉe, il faut reprendre les quatre รฉtapes fondamentales รฉlaborรฉes par Bereni et al. (2012, p. 7) :
ยซ โฆ le genre est une construction sociale ; le genre est un processus relationnelย ; le genre est un rapport de pouvoirย ; le genre est imbriquรฉ dans dโautres rapports de pouvoir . ยป .
Nous nous interrogerons sur la dรฉfinition du genre et du sexe en tant que concepts clรฉs pour le domaine des รฉtudes de genre. Ils seront par la suite employรฉs comme des outils mรฉthodologiques de cette รฉtude.
Le genre est une construction sociale
ยซ On ne naรฎt pas femme : on le devient. ยป (Simone de Beauvoir, 1949, p. 13).
La doxa physiologique prรดne une vision binaire du sexe, ร savoir lโexistence du mรขle et de la femelle. Or, cette vision dichotomique ne reprรฉsente pas la rรฉalitรฉ que lโon trouve chez les รชtres vivants. Il existe plusieurs possibilitรฉs et tout apparaรฎt dans un รฉventail, ร lโinstar de la physiologie des intersexuรฉยทeยทs et des hermaphrodites (Griffiths, 2018). En effet, Fausto-Sterling (1993) propose un modรจle de cinq sexes pour expliquer les cas des hermaphrodites. Ce modรจle repose sur les catรฉgories 1) ยซ mรขle ยป et 2) ยซ femelle ยป, mais aussi sur les possibilitรฉs apparues chez les intersexes. Nous pourrons considรฉrer les 3) ยซ herms ยป nรฉยทeยทs avec un testicule et un ovaire, les 4) ยซ merms ยป nรฉยทeยทs avec des testicules et des organes dits fรฉminins hormis les ovaires et 5) les ยซ ferms ยป qui sont nรฉยทeยทs avec des ovaires et des organes dits masculins hormis les testicules.
Les รฉtudes sur le genre tentent donc dโappliquer une dรฉmarche dรฉconstructiviste sur la vision binaire du sexe. Les concepts de la ยซ fรฉminitรฉ ยป et de la ยซmasculinitรฉยป relรจvent complรจtement des sociรฉtรฉs et cultures qui imposent leurs dรฉfinitions aux membres de leurs groupes (Bereni et al., 2012). Le genre est donc une construction sociale.
Cette sexuation socioculturelle est รฉvidente si nous reprenons lโexemple des intersexuรฉยทeยทs ร leur naissance. Une opรฉration de changement de sexe, voire dโattribution, est tout de suite entamรฉe ร la naissance des bรฉbรฉs puisque les instances gouvernementales imposent la dรฉfinition dโun sexe. Pour ce faire, lโorgane gรฉnital du bรฉbรฉ est mesurรฉ pour dรฉterminer si cela correspond plutรดt ร la longueur dโun pรฉnis ou dโun clitoris. Cette imposition et cette intervention chirurgicale tirent donc leurs dรฉfinitions dโun processus culturel et non biologique (Fausto-Sterling, 2000).
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Table des matiรจres
Introduction
Partie I – Un cadre thรฉorique pluridisciplinaire
Chapitre 1 โ Genre et sociรฉtรฉs
1.1 Dรฉfinition des concepts
1.1.2 Sexe et genre : quelles convergences et divergences ?
1.1.2.1 Le genre est une construction sociale
1.1.2.2 Le genre est un processus relationnel
1.1.2.3 Le genre est un rapport de pouvoir
1.1.2.4 Le genre est imbriquรฉ dans dโautres rapports de pouvoir
1.1.3 La construction dโune identitรฉ sexuรฉe
1.1.3.1 La socialisation et lโorganisation sociale
1.1.3.2 Les mรฉdias et les productions culturelles
1.2 La politique sociale et รฉducative du genre (lois et pratiques)
1.2.1 Gender mainstreaming et politique internationale
1.2.2 Lโรฉgalitรฉ de genre en France
1.2.3 Les tendances sociales liรฉes au genre
Synthรจse du chapitre 1
Chapitre 2 โ รtudes de genre et didactique des langues-cultures
2.1 Une approche scientifique ou idรฉologique ?
2.1.1 Lโinvestissement : un modรจle dโinterrogation didactique
2.1.1.1 Idรฉologie
2.1.1.2 Capital
2.1.1.3 Identitรฉ
Conclusion
2.1.2 Le genre dans la linguistique
2.1.3 Le genre dans la DDLC
Conclusion
Synthรจse du chapitre 2
Chapitre 3 โ Le manuel de langue
3.1 La place du manuel dans la DDLC : apports et limites
3.1.1 Quโest-ce un manuel ?
3.1.2 Les usages
3.2 La conception dโun manuel
3.2.1 Les savoirs
3.2.2 Les enjeux
3.2.3 Un curriculum cachรฉ
Synthรจse du chapitre 3
Partie II – Cadre mรฉthodologique, analyses et discussions
Chapitre 4 โ Mรฉthodologie
4.1 Problรฉmatique de la recherche
4.1.1 Construction du corpus des manuels
4.1.2 Du champ textuel au champ visuel
4.2 Une dรฉmarche double : quantitative et qualitative
4.2.1 Combinaison successive : du quantitatif au qualitatif
4.2.2 Rรฉcolte des donnรฉes
4.2.2.1 Principes de bases et typologies de support
4.2.2.2 Typologies des personnages
4.2.2.3 Interactions et environnements humains
4.3 Limites de la recherche
4.3.1 Les exceptions
4.3.2 Les enregistrements audio
4.3.3 Les vidรฉos
4.3.4 Les collectifs et les individuยทeยทs
4.3.5 Lโambiguรฏtรฉ, lโimplicite et lโexplicite
Synthรจse du chapitre 4
Chapitre 5 โ Rรฉsultats et discussion
5.1 Personnages fรฉminins et masculins
5.1.1 Dรฉcompte gรฉnรฉral des personnages
5.1.2 Personnages seuls
5.1.3 Collectifs ยซ objets ยป dans les textes รฉcrits et les enregistrements audio
5.1.4 Collectifs ยซ acteurs ยป dans les images et les enregistrements audio
5.2 Situations dโapparition
5.2.1 Dรฉnominations
5.2.2 รge et types de personnages
5.2.3 Sphรจres publique et privรฉe
5.2.4 Reprรฉsentations visuelles
5.3 Pistes dโamรฉlioration et de recherches complรฉmentaires
5.3.1 Corpus รฉlargi
5.3.2 Traitement des images et des vidรฉos
5.3.3 Analyse linguistique aidรฉe par le traitement automatique des langues
5.3.4 Entretiens et enquรชtes sur le terrain
Synthรจse du chapitre 5
Conclusion
Bibliographie