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Ses effets sur l’apprentissage de la lecture chez les jeunes enfants
« L‟apprentissage de la lecture passe par le décodage et l‟identification des mots et par l‟acquisition progressive des connaissances et compétences nécessaires à la compréhension des textes» (Ministère de l‟Education Nationale, 2008, p.17).
La procédure de décodage va être travaillée tout au long du cycle 2, pour permettre aux enfants de pouvoir lire l‟ensemble des mots réguliers (Sprenger-Charolles & Casalis, 1996). Elle se définit par la traduction de la série de lettres en une série de sons correspondants. Toute la difficulté de l‟enfant dans l‟apprentissage de cette procédure vient de la différenciation qui doit être faite entre les différentes unités de l‟oral : les caractères alphabétiques ne font pas référence à des unités syllabiques mais à des unités phonémiques. La langue française comprend trente-six phonèmes différents qui peuvent être assemblés les uns avec les autres afin de former des mots, le phonème constitue la plus petite unité sonore du langage oral (par exemple, le son [o]). Pour apprendre à lire, il est fondamental que l‟enfant développe cette conscience phonémique, lui permettant d‟identifier et de manipuler à loisir les phonèmes (Liberman, 1973). De nombreuses recherches menées à la fin du XXe siècle ont mis en avant la corrélation entre le niveau de conscience phonémique de l‟élève atteint en grande section et leur niveau ultérieur en lecture, et ce dans de nombreux pays européens (Bertelson, Morais, Alegria & Content ; 1985 ; Casalis & Louis-Alexandre, 2000 ; Ecalle, 2000 pour le français). De plus, d‟autres études ont cherché à évaluer « si la conscience phonémique des jeunes enfants [pouvait] être entraînée et si cet entraînement [permettait] de les préparer efficacement à la lecture. » (Bara, 2004, p.291).
Ces études se sont déroulées autour d‟entraînements constitués de séances centrées sur le travail d‟un ou de plusieurs son(s) spécifique(s). L‟évaluation a lieu à deux reprises : une première fois avant les entraînements (pré-tests) et une seconde fois après (post-tests) sur deux groupes d‟élèves, l‟un ayant suivi les entraînements et le second non (groupe-contrôle). Ainsi, le niveau de conscience phonologique et le niveau de lecture des élèves sont évalués, puis comparés par groupe pour mesurer les différences entre le groupe-test et le groupe-contrôle. Pour évaluer ces deux niveaux chez l‟enfant, plusieurs tâches sont utilisées : Dans la majorité des études, des performances significativement supérieures chez les enfants ayant suivi les entraînements par rapport à celles des enfants du groupe-contrôle ont pu être observées, en conscience phonologique comme en niveau de lecture (Bus & Van Ijzendoorn, 1999 ; Ehri, et al., 2001 ; Troia, 1999). Ces entraînements améliorent les performances en décodage, en orthographe et en lecture. Des analyses (Bus & Van Ijzendoorn, 1999 ; Ehri, et al., 2001) ont montré que certains facteurs ont un effet sur l‟efficacité de ces entraînements, parmi lesquels la présence d‟un support visuel de la lettre.
Dans le cadre scolaire, trois connaissances à propos des lettres doivent être assimilées : le nom des lettres, leur valeur sonore et leur forme ; ces trois connaissances jouent un rôle important sur l‟apprentissage de la lecture. Les études de Bowers & Newby-Clark en 2002 et de Foulin en 2005 ont montré l‟importance de la connaissance du nom des lettres et de la capacité à les dénommer rapidement dans l‟apprentissage de la lecture. Justice, Pence, Bowles et Wiggins (2006) ajoutent même que quatre facteurs sont importants dans le développement de la connaissance du nom des lettres : les lettres du prénom, l‟ordre des lettres dans l‟alphabet, la présence de la valeur phonémique dans le nom des lettres et l‟ordre d‟acquisition de la prononciation des consonnes dans le développement phonologique. En ce qui concerne la valeur sonore de la lettre, l‟apprentissage est plus aisé pour les voyelles que pour les consonnes, puis plus aisé pour les consonnes dont la valeur phonémique est en position initiale (« P » est appris plus tôt que « F ») et l‟apprentissage le plus difficile est celui des lettres à multiples valeurs phonémiques (« S », « C ») (Gaux, 2004). Enfin, en 2006, Bara, Gentaz et Colé montrent l‟existence d‟un lien entre le tracé des lettres et l‟apprentissage de la lecture, la production de textes et l‟orthographe ; ils mettent en avant l‟importance de l‟acquisition d‟une représentation visuelle de la lettre (y compris son orientation). Ces observations renforcent et expliquent en partie pourquoi la présence d‟un support visuel de la lettre peut influer sur l‟efficacité des entraînements phonologiques.
Ce support visuel représente le lien direct entre les symboles graphiques représentant les sons (les lettres) et les sons, ce lien aide les jeunes enfants à apprendre plus facilement les associations lettres-sons (Treiman, Tincoff & Richmond-Welty, 1996) et les aide dans le processus de segmentation phonétique. La recherche menée par Goigoux (2000) met en évidence l‟importance du travail des associations grapho-phonologiques dans l‟apprentissage de la lecture, des enfants suivant une méthode insistant sur les règles de conversion graphèmes-phonèmes révèlent de meilleures performances et sont plus rapides en identification de mots écrits que des enfants ayant seulement accès à la représentation orthographique du mot. Des études menées par Byrne et Fielding-Barnsley (1989, 1990, 1991) ont renforcé cette vision tout en ajoutant que c‟est en associant la conscience phonémique et la conscience des associations lettres-sons que les entraînements à l‟apprentissage de la lecture sont les plus efficaces. Mais même si ces entraînements se révèlent efficaces, certains enfants se retrouvent toujours bloqués face à la logique de ces deux compétences, ce qui a engendré des études sur l‟aide que pourrait apporter les méthodes multisensorielles à l‟apprentissage de la lecture.
En 2003, l‟étude menée par Gentaz, Bara et Colé sur l‟efficacité d‟un entraînement multisensoriel a révélé que l‟ajout de la modalité haptique dans l‟apprentissage de la lecture provoque une amélioration des performances des enfants en décodage de pseudo-mots, en identification de phonèmes et en reconnaissance de lettres. Les entraînements consistaient en l‟étude de phonèmes particuliers, choisis en fonction de leur fréquence d‟apparition relative dans la langue française (Rondal, 1997). Les performances des élèves en compréhension et en utilisation du système alphabétique français ont été évaluées deux semaines avant et après les entraînements, à partir d‟un test de lecture de pseudo-mots et d‟un test de connaissance des lettres de l‟alphabet. Dans le premier test, l‟enfant doit être capable d‟associer les sons aux pseudo-mots prononcés par l‟expérimentateur. Dans le second, trois tâches composent le test : une d‟identification de rime, une seconde d‟identification de phonème situé au début du mot, une dernière d‟identification de phonème situé à la fin du mot, à partir d‟images présentées à l‟enfant représentant des mots familiers. Les sons à identifier dans chaque test correspondent aux phonèmes choisis au début de l‟étude et travaillés pendant les entraînements.
Deux groupes sont ensuite créés : un groupe (groupe-test) qui va suivre l‟entraînement visuo-haptique et qui va utiliser pendant les entraînements des lettres cursives en relief. Le second groupe (groupe-contrôle) aura pour support des lettres, de taille identique à celles en relief, collées sur une feuille apportant un support visuel à l‟enfant. Pour les deux entraînements, les séances donnent accès à trois supports : une comptine, deux jeux de carte et deux posters. Les résultats des deux groupes suite aux post-tests ont pu être comparés, révélant une amélioration nettement plus flagrante des performances des élèves du groupe-contrôle par rapport à l‟amélioration des performances des élèves du groupe-test. Cette différence viendrait du lien qu‟entretient la modalité haptique avec les traitements visuel et auditif : si le traitement visuel, quasi-simultané, est le plus adapté à la reconnaissance des lettres, il diffère beaucoup du traitement auditif qui présente une séquentialité importante et est la plus adapté aux sons et phonèmes. La modalité haptique a la caractéristique d‟avoir des ressemblances avec ces deux traitements par un fonctionnement très séquentiel et un caractère très spatial.
Jusqu‟à six – sept ans, le jeune enfant dispose d‟une grande sensibilité motrice (Montessori, 1958), après cet âge la vision va l‟emporter largement sur le toucher, il est donc important de profiter de cet âge où l‟exploration chez l‟enfant se fait en grande partie par le toucher. L‟usage de l‟exploration haptique permet au jeune enfant de faciliter la mise en place du lien entre les lettres et les sons tout en le rendant actif dans son apprentissage, ce qui ne peut que le rendre plus intéressant. Bara, Colé et Gentaz ont apporté en 2010 l‟outil Entraînement multisensoriel – lecture et écriture paru aux Editions La Cigale, cet outil permet de faire le lien avec les enfants entre les lettres et les phonèmes, par l‟intermédiaire d‟un support sonore, d‟un support visuel et d‟un support haptique, maximisant ainsi l‟efficacité de la méthode chez les jeunes enfants.
Son utilisation dans la reconnaissance de figures géométriques en grande section de maternelle
En 2008, Pinet et Gentaz publient un article sur l‟utilisation d‟entraînements multisensoriels en guise de préparation à la reconnaissance de figures géométriques planes, et ce chez des enfants de cinq ans.
Cette recherche vise à évaluer la reconnaissance de quatre figures géométriques planes que sont le cercle, le carré, le rectangle et le triangle en grande section de maternelle. En effet, il est écrit dans les programmes du ministère français de l‟Education Nationale qu‟à la fin des apprentissages fondamentaux, les élèves doivent être capables de décrire ces figures planes usuelles et de les reconnaître parmi d‟autres. Pour cela, ils doivent dépasser la reconnaissance basée sur un exemple de figure et réussir à catégoriser les figures selon leurs propriétés. Pour baser cette recherche, est mise en avant l‟étude de Clements et al. (1999) révélant une amélioration de la reconnaissance de ces quatre figures avec l‟âge chez des enfants de quatre, cinq et six ans malgré un manque de contrôle sur le choix de la taille et de l‟orientation des figures entre les différents tests. Pinet et Gentaz effectuent leur propre recherche sur la reconnaissance de ces quatre figures géométriques planes sur quarante enfants de cinq ans en 2007. En plus de confirmer globalement les résultats obtenus par Clements et al. (1999), ils mettent en évidence le fait que les élèves de cet âge reconnaissent mieux certains exemplaires spécifiques de carrés, rectangles et triangles (comme le triangle équilatéral aligné sur l‟horizontale ou le carré aligné sur l‟horizontale).
Les auteurs font référence à plusieurs études dont une menée en 1978 par Prigge qui montre l‟efficacité de la manipulation dans l‟apprentissage de la géométrie en amenant un test d‟apprentissage des concepts géométriques en trois programmes : un test sans manipulation, un test avec manipulation en deux dimensions et un test avec manipulation en trois dimensions. Après des performances mesurées avant les activités et à la fin des dix jours d‟activités, les résultats montrent que les enfants ont de meilleurs résultats avec la manipulation de solides géométriques (trois dimensions). A partir de ces différentes études, les auteurs établissent l‟hypothèse que les modalités haptiques pourraient aider les jeunes enfants dans la reconnaissance des propriétés géométriques des figures.
Pour leur étude, les auteurs ont choisi deux classes de grande-section de maternelle pour un total de trente-quatre enfants d‟âge moyen cinq ans et demi. Les critères d‟appariement sont l‟âge, l‟effectif, le niveau de performance non-verbal, le niveau de vocabulaire, et les performances observées suite aux quatre pré-tests menés. Dans ces critères, le seul variant significativement d‟un groupe à l‟autre est le nombre moyen de fausses reconnaissances, c’est-à-dire le nombre de figures distractrices cochées au lieu de figures cibles, ce critère fait partie des performances observées lors du pré-test.
Les figures planes présentes dans les tests (cercle, carré, rectangle, triangle) ont été choisies par rapport au contenu des programmes officiels de 2002, bien que la reconnaissance de ces figures est toujours d‟actualité dans les derniers programmes. Quatre tests sur feuille sont donc utilisés, dans un ordre tiré au sort, à deux reprises : une première fois quinze jours avant les entraînements (pré-test) et une seconde fois quinze jours après (post-test). Ces tests sont composés de vingt figures, dont la taille, l‟orientation, les rapports entre les côtés et la distance inter-figures ont été contrôlés, avec six figures cibles numérotées pour pouvoir comparer leur pourcentage de reconnaissance et quatorze figures distractrices. Les enseignants des deux classes sont chargés de faire passer les tests après avoir suivi une formation à cette passation.
Pour l‟organisation des séances d‟entraînement, deux groupes de même effectif sont formés, l‟un est affecté à un entraînement de type visuel et l‟autre à un entraînement de type visuo-haptique. A raison d‟une séance d‟entraînement de vingt-cinq minutes par semaine, la dernière séance étant une révision portant sur les quatre figures. Les séances ont un déroulement identique, la seule différence entre les deux méthodes étant la nature des supports : dans l‟entraînement visuel, les figures sont imprimées sur papier couleur alors que dans l‟entraînement visuo-haptique, les figures sont en relief (découpées dans de la mousse).
Les figures proposées dans les deux méthodes sont strictement identiques.
A l‟issue des post-tests, 2 types de résultats sont obtenus : le nombre de figures cibles reconnues et le nombre de figures distractrices cochées. L‟analyse des résultats concernant les figures cibles révèlent que « seul l‟entraînement visuo-haptique permet aux enfants de mieux reconnaître les figure cibles à l‟issue des séances d‟entraînement » (Pinet & Gentaz, 2007, p.36). De même, les enfants commettent moins d‟erreurs lors de la reconnaissance des carrés et des triangles après avoir suivi l‟entraînement visuo-haptique. Les résultats obtenus diffèrent en fonction des figures traitées : le triangle est la figure pour laquelle l‟entraînement se révèle le plus efficace, l‟efficacité de l‟entraînement n‟est pas avérée pour le rectangle. Les auteurs expliquent cette différence par la quantité de propriétés nécessaires à l‟identification de la figure et par le niveau initial de compétences.
Les auteurs proposent deux explications pour justifier de l‟effet bénéfique de cet entraînement dans la reconnaissance de figures géométriques : dans un premier temps le fait de percevoir la figure tactilement implique une analyse plus poussée et plus séquentielle qu‟avec la modalité visuelle chez des enfants de 5-6 ans (Berger et Hatwell, 1993, 1995, 1996). Dans un second temps la modalité haptique permet une meilleure mémorisation et reconnaissance de la forme des figures. Les auteurs concluent qu‟un apprentissage haptique est nécessaire et bénéfique aux jeunes enfants dans leur apprentissage des propriétés géométriques essentielles à la reconnaissance des figures élémentaires.
Les difficultés rencontrées lors de l’écriture des chiffres
Les enfants sont confrontés dès le plus jeune âge aux chiffres et aux nombres dans la vie quotidienne à travers des jeux, des événements (les anniversaires, la date, …), des situations de distribution et de partage, … « Dès le début, les nombres sont utilisés dans des situations où ils ont un sens » (Ministère de l‟Education Nationale, 2008, p.15). Dans les programmes officiels, la première chose concernant les nombres que les enfants doivent acquérir est la suite des nombres, ou autrement dit la chaîne numérique. Ils découvrent ensuite les fonctions du nombre, c’est-à-dire le cardinal, la quantité représentée par le chiffre et l‟ordinal, la position du nombre dans une liste ordonnée d‟objets. Ce n‟est qu‟après qu‟est introduite l‟écriture des chiffres : il est attendu des enfants qu‟ils établissent une première correspondance entre le nombre prononcé à l‟oral en langue naturelle et son écriture en code arabe chiffré. Il est également souligné que « l‟apprentissage du tracé des chiffres se fait avec la même rigueur que celui des lettres » (Ministère de l‟Education Nationale, 2008, p.15). Il faut donc accorder autant d‟importance au tracé des chiffres qu‟au tracé des lettres. En tenant compte des effets bénéfiques qu‟a la modalité haptique sur l‟apprentissage des lettres (Bara, 2004), il semblerait logique de s‟intéresser à l‟efficacité de cette même modalité vis-à-vis des chiffres.
L’écriture en miroir
Dès la moyenne section, il est attendu de l‟élève qu‟il sache écrire son prénom en majuscules d‟imprimerie tout en respectant l‟horizontalité et l‟orientation de gauche à droite. Dans cette continuité, en grande section, on attend de l‟élève qu‟il soit capable d‟écrire de mémoire son prénom en écriture cursive, ainsi que la majorité des lettes de l‟alphabet. Binet (1911) place la latéralisation de l‟enfant à l‟âge de sept ans, Bee et Boyd (2008) placent la différenciation de la droite et de la gauche à huit ans. L‟enfant n‟a pas achevé sa latéralisation et a du mal à s‟orienter par rapport à la gauche et à la droite qu‟il doit savoir écrire en respectant l‟orientation habituelle, ce qui va conduire bon nombre d‟élèves à effectuer des écritures en miroir. Ces écritures peuvent être complètes, c’est-à-dire que l‟orientation des lettres ou chiffres et leur ordre dans la série est inversé, ou partielles : soit l‟orientation est inversée, soit l‟ordre. Dans le cas de lettres ou chiffres isolés, il n‟y a donc pas d‟écritures partielles en miroir.
Cette écriture en miroir peut en partie s‟expliquer par la théorie du « recyclage neuronal » de Dehaene (2007) : l‟écriture spontanée en miroir s‟expliquerait par la symétrisation automatique des objets vus par le système visuel. Si cette symétrisation s‟avère très utile par exemple dans la reconnaissance des visages, elle s‟avère gênante dans l‟apprentissage de la lecture et de l‟écriture des lettres et chiffres asymétriques. Cette période correspondant à l‟âge de cinq-six ans (Cornell, 1985 ; Dehaene, 2007), période confortée par les observations de Fischer (2011) qui, en accord avec Della Sala et Cubelli (2007), met en avant l‟âge d‟acquisition de la lecture plutôt que l‟âge chronologique.
Les théories neurologiques contemporaines expliquent pourquoi les enfants sont capables d‟écrire aussi aisément vers la droite ou vers la gauche : en effet, Della Sala et Cubelli (2007) avancent que le système cognitif de l‟enfant est à la naissance capable de se conformer à des écritures s‟orientant vers la gauche comme vers la droite. Si ces théories expliquent bien ce phénomène, elles n‟expliquent pas la spécificité de cette écriture, autrement dit pourquoi les différents caractères (chiffres ou lettres) sont affectés différemment par cette écriture. Les observations effectuées par Fischer (2011) indiquent qu‟en ne tenant compte que de caractères asymétriques, certains chiffres (1,2,3,7,9) sont beaucoup plus écrits en miroir que d‟autres, de même pour certaines lettres (J, Z), il insiste sur les différences qu‟on peut retrouver dans cette écriture avec l‟exemple de la lettre N qui a 3% d‟écritures en miroir et le chiffre 3 qui atteint 62%. L‟auteur met alors en avant certaines propriétés des lettres qui pourraient expliquer ces différences : « les lettres majuscules […] sont presque toutes (si l‟on se limite aux quinze lettres asymétriques1) formées d‟un trait vertical et d‟une partie distinctive vers la droite. » (Fischer, 2011, p.101). Si cette règle peut s‟appliquer à l‟écriture des chiffres, elle n‟explique pas les écritures erronées de tous les caractères.
L‟hypothèse du début du XXe siècle sur l‟écriture en miroir était l‟association de cette écriture aux gauchers (Gordon, 1921 ; Blom, 1928 ; Schiller, 1932 ; Hildreth, 1950). Les observations récentes (Della Sala & Cubelli, 2007 ; Cubelli & Della Sala, 2009 ; Fischer, 2011), cependant, ne révèlent pas d‟écriture en miroir spontanée beaucoup plus fréquente chez les enfants gauchers par rapport aux enfants droitiers, ce à l‟âge de cinq-six ans. Si la quasi-totalité des enfants testés par Fischer en 2011 en écrit au moins un caractère en miroir lors des tests (95%), certains n‟en ont produit aucune. L‟auteur avance deux explications dans ce cas : soit l‟enfant a dépassé ce stade de l‟écriture, soit il ne l‟a pas encore atteint.
Si la majorité des enfants de cinq à six ans produisent des écritures en miroir, peu de moyens ont été mis en place, notamment au niveau de l‟écriture des chiffres, pour réduire ces difficultés et aider les enfants à « oublier » cette écriture en miroir, dépasser cette phase.
Les dyscalculies
Si la dyscalculie et la dyslexie ont été découvertes quasiment au même moment par Hinshelwood au début du XXe siècle, les troubles du calcul sont la cible de beaucoup moins de recherches et de publications que les difficultés rencontrées face à l‟apprentissage de la lecture. La définition de la dyscalculie la plus souvent retenue est celle de Kosc (1974), qui renforce les constats émis par Hinshelwood (1917) lors de ses découvertes, insistant sur différents critères : les enfants atteints disposent d‟une intelligence normale, l‟exclusion par rapport à certains critères (comme une vue ou une ouïe défaillante) et l‟origine structurale et constitutionnelle résultant d‟une dysfonction des zones cérébrales impliquées dans le développement du calcul.
Plusieurs classifications ont été proposées, bien après leur découverte, pour rendre compte des différents types de dyscalculies, en particulier celle de Kosc en 1974 dont la définition de la dyscalculie est la plus souvent retenue, celle de Badian en 1983 et celle de Temple en 1992. Chacune d‟entre elles distingue précisément deux types de difficultés : celles liées à la réalisation d‟opérations arithmétiques et celles liées à la maîtrise des systèmes numériques (Van Hout, Meljac & Fischer, 2005). Le deuxième type de dyscalculie est lié à des troubles rencontrés au niveau de l‟écriture même des chiffres et du transcodage, processus consistant à passer de la langue naturelle (nombre écrits en langue naturelle ou dictés à voix haute) à l‟écriture en chiffres arabes (ou l‟inverse) (Van Hout, Meljac & Fischer, 2005). Cependant, très peu de dyscalculies sont dans ce cas, la grande majorité des dyscalculies se développent après cette période, lors de l‟écriture de grands nombres (au moins trois chiffres, l‟enfant rencontre des difficultés avec l‟ordre des chiffres dans le nombre) ou au positionnement des nombres lors des calculs.
Même si le deuxième type de dyscalculie est lié directement à l‟écriture des chiffres, il sera difficile de savoir si une meilleure mémorisation mentale de la structure physique des chiffres empêchera ou du moins réduira ces difficultés étant donné qu‟elles sont souvent diagnostiquées beaucoup plus tard : au mieux entre huit et neuf ans alors que le point culminant de l‟apprentissage de l‟écriture des chiffres se situe entre cinq et six ans.
Pourquoi et comment associer l’entraînement multisensoriel à l’apprentissage de l’écriture des chiffres ?
Pourquoi les associer ?
Dans les programmes officiels, il est dit que : « L‟entrée dans l‟écriture s‟appuie sur les compétences développées par les activités graphiques (enchaînements de lignes simples, courbes, continues, …) mais requiert aussi des compétences particulières de perception des caractéristiques des lettres. ». Il est également souligné que « l‟apprentissage du tracé des chiffres se fait avec la même rigueur que celui des lettres ». (Ministère de l‟Education Nationale, 2008, p.14)
Le geste d‟écriture est beaucoup travaillé en maternelle : dès l‟apprentissage des lettres en écriture capitale, le sens du tracé prend toute son importance. C‟est une caractéristique fondamentale de l‟écriture, elle concerne tout autant les lettres que les chiffres et leur tracé s‟apprend de la même façon.
Dans l‟apprentissage de la lecture, on remarque que les résultats sont meilleurs avec la présence d‟un support visuel de la lettre. L‟importance de cette mémoire de la lettre se retrouve aussi avec l‟écriture des chiffres : il y‟a moins d‟erreurs lorsqu‟un aide-mémoire est à la disposition de l‟élève. Effectivement, l‟écriture des chiffres, tout comme celle des lettres, résulte de plusieurs procédés graphiques : par exemple, un « 3 » est la répétition d‟une « grosse bosse » deux fois de suite. Ces mouvements, faisant partie de la motricité fine, sont travaillés tout au long de la maternelle (lignes simples, lignes courbées, boucles, …). C‟est le sens dans lequel on effectue ce mouvement qui va conduire ou non à une écriture en miroir, sens qui est inscrit dans la mémoire. Le passage par la modalité haptique, en plus de la modalité visuelle, va permettre à l‟enfant d‟insister sur les propriétés du tracé du chiffre, tout comme il va le faire pour le tracé des lettres. Suivre le tracé d‟un chiffre en relief (ou en creux) lui permettra d‟en graver le sens dans sa mémoire, ce qui pourrait réduire le nombre d‟écritures en miroir produites par l‟élève : « Nous donnerons les petits cartons sur lesquels sont collés des chiffres en papier émeri, en même temps que l‟alphabet : les enfants les touchent pour apprendre à les écrire et pour apprendre leur nom, comme pour apprendre les lettres. » (Montessori, 1958, pp.203-204)
La mémoire est la cause essentielle des écritures en miroir, celles-ci ne dépendent pas de la perception (Corballis & Beale, 1976 ; Dehaene, 2007) : lors d‟une dictée, de nombreuses écritures en miroir peuvent être observées alors que lors d‟un exercice de copie, ces écritures sont quasiment inexistantes (Fischer, 2011). Si un aide-mémoire (affichage, bande numérique individuelle) peut aider l‟enfant dans ces exercices, permettre à l‟enfant de se graver en mémoire la forme du chiffre devrait se révéler efficace. Le côté plus analytique et séquentiel de la méthodologie visuo-haptique permettrait au jeune enfant d‟explorer plus en profondeur et d‟inscrire partie par partie les chiffres dans sa mémoire, la mémorisation du tracé d‟une lettre se faisant sous la forme d‟un programme moteur (Bara, Gentaz et Colé, 2006).
Lors de l‟apprentissage de la lecture, l‟enfant apprend dans un premier temps à identifier et manipuler les différents sons composant notre langue. Il va ensuite développer le mouvement oculaire de gauche à droite nécessaire à l‟analyse visuelle dans notre langue. Enfin, il va pouvoir découvrir les relations entre l‟oral et l‟écrit : la relation qu‟entretient le phonème avec le graphème, ce qu‟on appelle le principe alphabétique. Il est mis en place dès la grande-section puisque il est attendu des élèves dans les programmes de 2008 qu‟ils soient capables de connaître le son oral de quelques lettres écrites et de reconnaître la plupart des lettres en vue de l‟apprentissage de l‟alphabet, de la lecture et de l‟écriture au CP. Ce lien entretenu par le phonème et le graphème, entre le son et la trace écrite, se retrouve dans l‟écriture des chiffres : l‟élève apprend à faire le lien entre le nom des chiffres dans la langue usuelle et leur code chiffré arabe correspondant. Dans l‟apprentissage de la chaîne numérique, le lien entre le passage d‟un code à l‟autre n‟est pas directement visible, comme dans l‟apprentissage de l‟alphabet : sur la chaîne numérique, le chiffre est présent visuellement sous le code arabe et le lien est fait en donnant son nom qui n‟existe qu‟en langue usuelle. L‟accent est donc mis dans les deux cas sur les modalités visuelle et auditive. Cependant, si l‟ajout de la modalité haptique a un effet bénéfique sur la compréhension du principe alphabétique (Gentaz, Bara, Colé, 2003), il y‟a de fortes chances que l‟ajout de cette modalité durant la mise en place du lien entre le chiffre écrit en code arabe et son nom en langue usuelle ait également un effet bénéfique sur cet apprentissage.
Toutes ces ressemblances entre l‟apprentissage de l‟écriture des lettres et celui de l‟écriture des chiffres amène à penser que si l‟entraînement multisensoriel s‟est révélé efficace pour réduire les difficultés rencontrées par les enfants lors de l‟apprentissage de l‟écriture des lettres, ne pourrait-il pas favoriser l‟apprentissage de l‟écriture des chiffres en les aidant à surmonter les difficultés rencontrées ?
Méthodologie
En prenant en compte l‟hypothèse que les caractéristiques de la modalité haptique pourraient aider les enfants à faire moins d‟erreurs dans l‟écriture des chiffres, l‟introduction de la modalité haptique dans l‟apprentissage de l‟écriture des chiffres permettrait aux enfants de rencontrer moins de difficultés au cours de cet apprentissage. Pour tester cette hypothèse, deux entraînements sont proposés : un entraînement dit visuel-auditif (VA), sollicitant uniquement les modalités visuelle et auditive, et un entraînement dit visuel-auditif-haptique (VAH), sollicitant également la modalité sensorielle. Les deux entraînements auront le même contenu, seuls les supports représentant les chiffres changeront : dans l‟entraînement VAH, les chiffres seront en relief, découpés dans de la mousse (ou creusés dans de la terre ou de la mousse) alors que dans l‟entraînement VA, les chiffres seront imprimés et collés sur une feuille blanche ; dans les deux entraînements, les supports seront de la même taille. Si l‟hypothèse se vérifie, une diminution du nombre d‟écritures en miroir plus importante devrait être observée après l‟entraînement VAH qu‟après l‟entraînement VA.
Les difficultés concernant l‟écriture des chiffres faisant leur apparition quand l‟enfant a entre cinq et six ans, l‟étude sera réalisée auprès de deux classes de grande section de maternelle, soit une soixantaine d‟élèves français, âgés de cinq à six ans. Ces enfants seront partagés en deux groupes pour chaque classe, un groupe suivant l‟entraînement visuel à l‟écriture des chiffres qui sera le groupe contrôle et un groupe suivant l‟entraînement visuo-haptique (VH) qui sera le groupe test.
Participants
Quarante-deux enfants français âgés en moyenne de cinq ans et quatre mois (écart-type : onze mois) ont participé à l‟ensemble de l‟étude. Scolarisés dans deux classes de grande-section de la périphérie d‟Ancenis, les enfants ont été appariés aux groupes d‟entraînement en fonction des critères suivants : âge, effectif et performances observées au pré-test. Quarante-quatre enfants ont participé à l‟étude au départ mais deux d‟entre eux étaient en réelle difficulté pour écrire ce qui était demandé lors du pré-test, ils ont donc du être exclus des analyses. Dans chacune des deux classes, deux groupes ont été formés. Ainsi, le groupe visuel fut composé de vingt-et-un élèves, d‟âge moyen cinq ans et cinq mois et le groupe visuo-haptique de vingt-et-un élèves également, d‟âge moyen cinq ans et quatre mois.
Matériel et procédure
Les pré-tests permettront de relever la fréquence d‟écritures en miroir produites par l‟élève. Ils se tiendront environ quinze jours avant le début des entraînements et consisteront en deux phases d‟écriture sur une feuille-test : dans un premier temps les enfants devront écrire leur prénom en haut de la feuille et dans un second temps les chiffres et les lettres qui leur seront dictés. La feuille comporte une série de lignes pour que les enfants puissent écrire les chiffres et les lettres qu‟ils entendent à la suite. La dictée est composée de dix-sept caractères dont neuf chiffres et huit lettres que voici : 7 – A – 5 – E – 6 – R – 3 – B – 2 – N – 1–Z–9–P–8–D–4
Les post-tests se tiendront environ quinze jours après la fin des entraînements et permettront de relever à nouveau ces niveaux de performances, dans le but de chercher de possibles relations entre les différents critères et les niveaux de performances, et comparer entre les deux groupes les différences de performances aux post-tests par rapport à celles obtenues aux pré-tests. Les post-tests comprendront eux aussi l‟écriture du prénom ainsi que la dictée de chiffres et de lettres.
Procédure expérimentale
J‟ai fait passer ces tests moi-même, par petits groupes de quatre enfants maximum. Les entraînements qui ont été proposés sont composés de quatre séances : trois séances d‟entraînement et une séance de révision, que j‟ai menées sur les deux classes sur le mois de Novembre de l‟année scolaire. Les trois séances d‟entraînement suivent le même déroulement, chaque séance dure environ trente minutes pour l‟entraînement VAH et vingt minutes pour l‟entraînement VA. Dans un intérêt socio-constructiviste, les enfants sont regroupés par cinq ou six autour d‟une table afin de favoriser la communication entre eux. Le matériel est prévu de sorte que chaque enfant puisse participer à chaque exercice.
La première séance d‟entraînement, portant sur les chiffres 1, 2 et 3, s‟est déroulée en trois étapes. Chaque élève a à sa disposition une bande numérique, pour que l‟élève puisse resituer le chiffre travaillé dans la suite orale des nombre. Dans le premier temps de la séance, un travail sur la forme du chiffre a été effectué pour repérer et situer les différents éléments qui composent le chiffre (à l‟aide de repères visuels pour le groupe VA et de chiffres en reliefs et en creux pour le groupe VAH) : le chiffre 1 est composé d‟un petit trait penché et d‟un grand trait vertical, le 2 d‟un petit pont, d‟un trait penché et d‟un trait horizontal ; le 3 d‟une « bosse » en haut et d‟une seconde « bosse » en bas. En même temps que l‟enseignant décrit le chiffre en montrant sur un exemple, les enfants suivent en même temps le repérage sur leur chiffre. Le deuxième temps de la séance est spécifique aux groupes VAH : les enfants vont manipuler les différents éléments du chiffre repérés dans la première partie, à l‟aide de divers matériaux, le principe étant de reproduire les chiffres travaillés en faisant des bâtonnets de différente longueur avec la pâte à modeler, ou en utilisant des « arcs » en fil électrique et des jeux de construction. Cet exercice est reproduit à plusieurs reprises en suivant deux variables : la présence d‟un modèle (reproduction sur le modèle, à côté du modèle ou sans le modèle), et la taille du chiffre créé (plus la reproduction est petite, plus le geste doit être précis). Dans le dernier temps de la séance, le tracé des chiffres est travaillé : devant les élèves avec verbalisation du geste, du sens, des levers de la main (explicitation de l‟ensemble des étapes) plusieurs fois pour chaque chiffre. Par exemple, pour le chiffre 1 : « Je trace un trait penché qui monte, je m‟arrête, je trace un trait vertical qui descend. ». L‟élève devait alors s‟entraîner à reproduire ces gestes, sur une feuille avec un crayon en essayant de suivre les lignes pour le groupe VA, dans de la farine avec les doigts pour le groupe VAH avant de passer au crayon. Les deux séances qui ont suivi se sont déroulées de la même façon, pour travailler l‟ensemble des chiffres de 1 à 9.
La séance de révision s‟est quant à elle déroulée en deux étapes : l‟objectif de la première étape est la réactivation des connaissances acquises lors des trois séances d‟entraînement, en manipulant de nouveau les chiffres avec les cartes. Pour le groupe VAH, un jeu supplémentaire a été ajouté, consistant à reconnaître, les yeux bandés, le chiffre représenté sur la carte donnée en explorant la carte au toucher. Dans ce cas l‟élève est poussé à se représenter mentalement le chiffre et le travail effectué sur la reconnaissance des différents éléments composant les chiffres lui sont alors utiles. Lors de la seconde partie de la séance, les élèves se sont ré-entraînés à écrire les chiffres, dans l‟ordre et le désordre, avec ou sans modèle.
Le long de ces multiples séances, les principales difficultés auxquelles ont été confrontés les élèves étaient celles du vocabulaire et de la latéralisation : en effet, tous les élèves ne sont pas au même niveau d‟acquisition des termes « gauche », « droite », « verticale » et « horizontale » ainsi que de leur signification.
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Table des matières
Introduction
1. L‟entraînement multisensoriel
1. 1. Définition
1. 2. Ses effets sur l‟apprentissage de la lecture chez les jeunes enfants
1. 3. Son utilisation dans la reconnaissance de figures géométriques en grande section de maternelle
2. Les difficultés rencontrées lors de l‟écriture des chiffres
2. 1. L‟écriture en miroir
2. 2. Les dyscalculies
3. Pourquoi et comment associer l‟entraînement multisensoriel à l‟apprentissage de l‟écriture des chiffres ?
3. 1. Pourquoi les associer ?
3. 2. Méthodologie
3.2.1. Participants
3.2.2. Matériel et procédure
3.2.3. Procédure expérimentale
3.2.4. Résultats
3. 3. Discussion
3.3.1. Synthèse
3.3.2. Limites et perspectives
Bibliographie :
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