Services hospitaliers de pédopsychiatrie
Nous sommes en droit de penser que la fugue depuis les services hospitaliers de pédopsychiatrie est une problématique conséquente. Les études internationales réalisées « retrouvent comme facteurs de risque principaux [de la fugue en milieu pédopsychiatrique] les antécédents de fugue et de placements, la dépendance aux toxiques, l’adoption et les dysfonctionnements familiaux » (Bernard et al., 2012, p. 442). Sur le plan psychopathologique, « ce sont les troubles schizophréniques et les états limites qui sont cités en priorité » (loc. cit.). Intéressons-nous à l’étude que Bernard et al. (2012) ont menée dans le secteur de pédopsychiatrie de l’hôpital de Reims : ils se sont penchés sur les 17 fugueurs recensés au cours des années 2009 et 2010. Cette recherche montre que l’âge moyen des fugueurs est de 14.5 ans, que les garçons fuguent deux fois plus que les filles, que « les adolescents fugueurs sont hospitalisés plus longtemps que les non fugueurs, que la fugue se produit au cours de la première semaine dans 44 % des cas » et que les 68.8 % des fugues se déroulent en solitaire (ibid., p. 441). Pour 74.4 % des fugueurs, le motif évoqué est l’envie de retrouver leur famille, les autres raisons étant le refus de l’hospitalisation ainsi que « le jeu ou l’effet de groupe » (ibid., p. 443). Si la plupart des fugueurs désirent rentrer chez eux, seules « 14.3 % des fugues avaient pour destination le domicile parental » (loc. cit.). Sur ce point, Bernard et ses collaborateurs notent que « dans les faits, il [est] difficile [aux jeunes en fugue] de se rendre jusqu’à chez eux alors que les parents les croient à l’hôpital, leurs ‟fuites” se transform[e]nt alors en une ‟errance” un peu impulsive » (ibid., p. 444). Dans la plupart des situations, les adolescents sont rentrés dans les quelques heures suivant le départ (ibid., p. 443) avec une interpellation policière (38.5 %), par un retour spontané (30.8 %) ou par un raccompagnement des parents (30.7 %). Les chercheurs concluent que les fugues analysées « se déroulent en général sans mettre en danger l’adolescent et sans interrompre la continuité des soins » (ibid., p. 441). Ils ajoutent qu’elles « pourraient même être envisagées de façon positive et apparaissent comme un facteur de rencontre, en mobilisant les soignants, la société et le plus souvent la famille autour de l’adolescent » (ibid., p. 441). Cependant, ils reconnaissent que « dans la pratique quotidienne, les fugues fragilisent l’institution, entraînant des questionnements institutionnels et interrogeant la fonction de soignant » (ibid., p. 442).
Selon Laurent Holzer – directeur de l’unité d’hospitalisation psychiatrique pour adolescents à l’hôpital universitaire de Lausanne – (cité par Menichini, 2014) les fugues de jeunes psychologiquement fragiles peuvent être qualifiées de courantes: sans être quotidiennes, elles sont hebdomadaires. Dans ce service qui accueille 130 mineurs par année, 44 fugues ont été recensées en 2010 et 29 en 2014 (Menichini, 2014). La moitié de ces adolescents comporte un risque suicidaire, mais cette structure n’est pas totalement fermée. Comme le souligne son directeur, « ce n’est pas une prison, les mesures de sécurité doivent être proportionnelles » ; il ajoute que l’« on ne peut pas imaginer un espace de soins sans liberté » (cité par Menichini, 2014). Pour lui, les fugues s’expliquent notamment par le fait que certains patients ont « besoin d’imaginer un ailleurs possible, de se projeter comme étant capables d’échapper à la pression des soins, de l’hospitalier, des adultes qui voudraient diriger leur vie » (loc. cit.).
En Valais, l’unique service accueillant des adolescents pour des problèmes psychiatriques et psychologiques est intégré à l’hôpital de Sierre ; il s’agit de l’Unité Hospitalière de Psychologie et de Psychiatrie des Enfants et des Adolescents (UHPPEA). M. Patrick Coquoz – infirmier à l’UHPPEA – nous a expliqué7 que cette unité dispose de dix places, et que les jeunes proviennent majoritairement du Valais francophone, car les HautValaisans sont pris en charge dans le canton de Berne. En fonction des places disponibles et des besoins, il se peut que la structure accueille des adolescents d’autres cantons, ou que certains Valaisans se fassent hospitaliser ailleurs. A l’UHPPEA travaillent deux éducateurs, dix soignants infirmiers, un chef de clinique, un médecin assistant, un psychologue ainsi que deux enseignants spécialisés. Les placements ont lieu dans un contexte de crise et sont d’une durée relativement restreinte ; certains jeunes restent une semaine et d’autres durant plusieurs mois, ce qui correspond à une moyenne de 28 jours. En général, l’on propose au jeune d’intégrer l’UHPPEA suite à une hospitalisation dans un service d’urgences pédiatriques. Selon les disponibilités, des placements peuvent également être planifiés par d’autres acteurs : par le CDTEA (Centre pour le Développement et la Thérapie de l’Enfant), par le CCPP (Centre de Compétences en Psychiatrie et Psychothérapie), par des pédopsychiatres et psychologues indépendants, ou encore lorsque l’APEA signale la situation du jeune à l’OPE. Enfin, des placements pénaux et des mesures de PAFA (placement à des fins d’assistance) prononcés par les autorités compétentes sont également susceptibles d’entraîner une hospitalisation dans ce service. En dehors de ces dernières éventualités, le séjour du jeune est basé sur le volontariat : la structure n’est donc pas fermée. Pour cette raison, le personnel n’est pas en mesure de garantir que les jeunes ne fuguent pas. Selon M. Coquoz, ceux qui le veulent trouveront toujours une manière de se soustraire à la surveillance des soignants. Ce sont chaque année plus ou moins 40 fugues qui se produisent, mais ce chiffre varie considérablement en fonction de la dynamique de groupe ; en effet, un phénomène de contagion est observable. De plus, certains patients sont adeptes de la fugue à répétition : citons l’exemple d’une jeune qui s’enfuyait deux fois par semaine, soit 19 fois au total. Pour les jeunes souffrant du trouble de la personnalité borderline, la fugue peut constituer un acting out au même titre que la scarification. Cette action a généralement pour objectif d’attirer l’attention de leur entourage, et cela fonctionne dans la plupart des cas. Par ailleurs, les adolescents atteints de psychoses entendent parfois des voix leur ordonnant de fuguer, et leur passage à l’acte est alors une manière de se libérer des angoisses que cela provoque. Dans ces situations, un ajustement de la médication peut s’avérer nécessaire. En ce qui concerne les mises en danger, les jeunes patients sont souvent à risque suicidaire : si des passages à l’acte suite à une fugue sont rares, les tentatives le sont beaucoup moins. Nombre de jeunes ont été retrouvés par la police alors qu’ils étaient sur un pont ou près de rails de chemin de fer. En outre, ces fugueurs adoptent fréquemment des comportements qui les mettent en danger sans qu’ils n’en soient conscients, dans des moments où ils ne sont pas en possession de toutes leurs facultés. Finalement, ces épisodes durent en général moins de six heures ; il est donc rare que le jeune passe la nuit dehors, à moins qu’il n’ait trouvé refuge chez une personne de sa connaissance. Il est le plus souvent retrouvé par ses parents, car ces derniers font appel à leur réseau. Les différents éléments abordés dans ce chapitre devront être gardés en mémoire lorsque nous analyserons les données de la PCVS concernant les fugues d’hôpitaux pédopsychiatriques.
Centres pour enfants requérants d’asile non accompagnés
Au vu de la définition de la fugue que nous avons précédemment élaborée , nous devons inclure dans notre étude les requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) séjournant dans une structure d’accueil. En effet, il se peut que ces « enfants séparés » (SSI, 2016, p. 4) quittent leur lieu de vie sans l’accord des adultes responsables d’eux et que leur disparition fasse l’objet d’une signalisation. Ce sont pour ces raisons que nous faisons figurer un chapitre traitant spécifiquement de ce sujet.
Tout d’abord, en termes de définition, l’Ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure (OA1) précise que la notion de mineur se rapporte à quiconque n’a pas 18 an révolus (Conseil fédéral suisse, 1999, art. 1a, let. d), conformément à l’article 14 CCS (Confédération suisse, 2016a). Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM, 2008, chap. 1.3.1), en accord avec le Comité des droits de l’enfant (RCR, 2005, § 7), considère comme mineur non accompagné (MNA) « le mineur qui a été séparé de ses deux parents et qui n’est pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilité par la loi ou la coutume ». L’appellation requérant d’asile est ajoutée lorsque le mineur non accompagné a déposé une demande d’asile. S’agissant des disparitions, le Conseil fédéral suisse (2006, art. 2, let. d) énonce qu’« une personne relevant du domaine de l’asile est considérée comme disparue lorsqu’elle ne s’est pas annoncée auprès du canton d’attribution ou lorsque elle (sic) n’est pas atteignable à son domicile durant la procédure d’asile ». Cette injonction de se tenir à disposition des autorités concerne indistinctement les adultes et les enfants.
En ce qui concerne le profil des enfants migrants non accompagnés, la typologie élaborée par la sociologue française Angélina Etiemble (2002) sert de référence à de nombreuses études. Elle distingue plusieurs catégories de RMNA : les exilés, jeunes provenant d’« une région ravagée par la guerre et les conflits ethniques [qui quittent] leur pays de peur des répressions » (ibid., p. 61) ; les jeunes mandatés ont été « incités et aidés à partir par leurs parents ou des proches afin d’échapper à la misère » (ibid., p. 62) ; les exploités sont victimes d’exploitation économique, de traite humaine par des réseaux de criminalité, de prostitution, de pédophilie (ibid., p. 63) ; les fugueurs ont quitté le domicile familial en raison d’une situation de conflit ou de maltraitance et dont la fugue les a portés « au-delà des frontières de leur pays » (loc. cit.) ; et enfin les errants, qui « étaient déjà en situation d’errance dans leur pays d’origine, […] [qui] vivaient de la mendicité, de petits emplois de fortune, de délinquance, éventuellement de la prostitution » (ibid., p. 64) et qui décident de tenter leur chance dans un pays riche.
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Table des matières
1. Choix de la thématique
1.1 Les préludes
1.2 Liens avec le travail social
2. Question de départ
3. Objectifs et méthodologie
3.1 Objectifs opérationnels
3.2 Méthodologie
3.2.1 Une recherche à caractère exploratoire
3.2.2 Elaboration d’un processus de recherche
3.2.3 Enjeux éthiques
4. Cadre théorique
4.1 Le concept de fugueur : et si l’on se mettait d’accord sur une définition ?
4.2 Depuis où ?
4.2.1 Services hospitaliers de pédopsychiatrie
4.2.2 Centres pour enfants requérants d’asile non accompagnés
4.3 Profils des fugueurs
4.3.1 Volontaire … ou presque
4.3.2 Âge
4.3.3 Genre
4.3.4 Facteurs de risques et comorbidités
4.4 Causes et fonctions
4.5 Caractéristiques des épisodes de fugue
4.5.1 Durée
4.5.2 Récidive
4.5.3 Seul ou à plusieurs
4.5.4 Vers où ?
4.5.5 Expériences pendant la fugue
4.5.6 Dénouement
4.6 Entre fait social et problème social
4.7 Contexte légal et procédural
4.7.1 Disparitions et signalements
4.7.2 Procédures de police
4.7.3 Office de protection de l’enfance
4.7.4 Milieux familiaux
4.7.5 Milieux institutionnels
4.7.5.1 L’exemple de Cité Printemps
4.7.5.2 L’exemple de La Fontanelle
4.7.5.3 L’exemple des Rives du Rhône
4.7.6 Milieu hospitalier : l’exemple de l’UHPPEA
4.7.7 Enfants réfugiés non accompagnés
4.7.7.1 À la lumière du droit
4.7.7.2 Procédures valaisannes
4.7.7.3 Enjeux de ces disparitions
5. Analyse des données récoltées
5.1 Accès aux données de la PCVS
5.2 Caractéristiques générales de l’ensemble des fugues
5.2.1 Lieux
5.2.2 Genres
5.2.3 Âges
5.2.4 Durées
5.2.5 Nationalités
5.2.6 Mois des signalements
5.3 Analyse par lieux
5.3.1 Foyers
5.3.2 Domiciles
5.3.3 Hôpitaux
5.3.4 Centres d’enfants séparés requérants d’asile
5.3.5 Lieux divers
5.4 Parcours des fugueurs
5.4.1 Récidives
5.4.2 Transversalité des lieux
6. Partie conclusive
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