Les principes qui gouvernent l’application didactique de la réflexion précédente sont les suivants :
1. L’analyse méta-poétique s’inscrit dans une activité de lecture (Giasson, 2005) : lecture physique (première appropriation de l’objet littéraire par la lecture à haute voix en collectif ou silencieusement en individuel), lecture qui s’attache aux macroprocessus (compréhension du sens global du texte, de sa structure, de sa tonalité, de dominantes sémantiques), puis aux microprossessus (repérage, identification des éléments qui se rapportent spécifiquement au domaine sémantique et lexical de la poésie), enfin processus d’élaboration d’un discours métapoétique (définition de deux niveaux de signification, réflexion sur le niveau réflexif et assignation d’un sens spécifique à ce niveau).
2. L’analyse métapoétique s’inscrit nécessairement dans une activité plus large d’approche de la littérature ou d’une œuvre en particulier. Nous entrevoyons trois cas principaux :
a. Dans une lecture d’un texte poétique étendu (L’Enéide de Virgile, par exemple, ou La prose du transsibérien de Cendrars), elle constitue soit une forme de pause réflexive, similaire à la fonction de l’ekphrasis antique, soit, si elle concerne le début d’un texte, une réflexion programmatique (invocation aux muses, prologue, adresse au lecteur), soit, en fin de texte, une évaluation de la portée de l’œuvre, de sa fortune (l’Ode III, 30 d’Horace).
b. Elle vient établir ou renforcer des considérations génériques ou poétiques (style, genre, inspiration). L’analyse du caractère métapoétique d’un poème sert à bâtir une connaissance transversale (courants, genre littéraires, caractéristique d’un style, d’une forme, conceptions de la création), dans une démarche inductive qui part du matériau littéraire.
c. Dans le cadre de l’analyse de texte, l’analyse réflexive constitue, lorsqu’elle est pertinente, un axe de lecture / axe d’analyse en soi, qui couronne le travail du commentaire de texte.
3. Il est recommandé de s’attacher à une lecture métapoétique de poèmes brefs ou d’extraits bien circonscrits (1 page, 1 page et demie). Le fragment métapoétique devrait idéalement se scruter comme un tableau, l’œil étant capable à tout moment de saisir l’ensemble et la partie, et leurs relations respectives.
4. Une démarche inductive est préconisée : extraire du texte, par le repérage d’unités signifiantes, l’existence d’un discours métapoétique. Les définitions permettent de formaliser et de synthétiser les données de l’observation. Le concept n’existe qu’en tant qu’il généralise un ensemble de données. L’inverse reviendrait à produire des réflexes mécaniques, l’élève voulant à tout prix trouver du métapoétique. Notre démarche veut avant tout que la découverte d’une dimension métapoétique reflète une capacité du lecteur à analyser la dimension ambivalente de ce type de textes.
5. Nous suggérons de bâtir un répertoire d’images métapoétiques, à la manière de ce que fait Perrine Galand-Hallyn dans son ouvrage et qui constitue un formidable panorama de la réflexivité littéraire par le biais d’images (1994, p. 631-643). Un tel répertoire offre, nous semble-t-il, la possibilité de construire une mémoire concrète des décryptages réflexifs opérés, tout en créant une espèce de dispositif d’alerte permettant de repérer un dispositif réflexif à partir d’une image qui y participe.
PREMIERE SEQUENCE : VIRGILE, GEORGIQUES IV, v. 317-529
Nous proposerons deux approches d’un passage métapoétique, l’un tiré de la littérature latine, l’autre de la poésie française moderne. Le premier extrait peint l’épisode de la consultation de Protée dans le quatrième livre des Géorgiques de Virgile. Le dieu marin est devenu, dans la tradition littéraire occidentale, un motif métapoétique classique, qu’on songe, parmi tant d’autres, à l’œuvre de Ronsard ou au courant baroque (Rousset, 1953, p. 22 et suivantes, 77 et suivantes).
Une telle séquence conviendrait à une classe de 2e ou 3e année de maturité et pourrait se dérouler sur une durée de quatre périodes, en raison du caractère complexe, à la fois sur le plan de l’écriture (richesse lexicale, difficulté du langage poétique) que sur celui de l’interprétation, du texte choisi. D’ailleurs, un tel choix se justifie par l’importance de ce texte dans la tradition littéraire latine et occidentale (le passage s’intègre dans la version la plus illustre du mythe d’Orphée et Eurydice), par la fortune du motif protéen et par sa capacité à illustrer une démarche métapoétique.
L’objectif principal est de permettre à l’élève de comprendre la dimension métapoétique de l’extrait, par l’intermédiaire d’un guidage didactique. Les objectifs secondaires consistent dans le renforcement des capacités de lecture littéraire, la construction d’une culture littéraire, la pratique de la traduction et son dépassement par l’inscription de cette pratique propre aux langues anciennes dans une démarche interprétative, qui souvent fait défaut dans cette discipline. Les facultés qui sont sollicitées, sont, si l’on se réfère à la typologie d’Anderson et Krathwohl (2001, p. 67-68), parmi les plus élevées : analyser (différencier, organiser, attribuer) et créer (générer, produire : une hypothèse interprétative, un sens).
Les prérequis à la conduite de cette activité sont une connaissance générale de la vie et de l’œuvre de Virgile, en particulier des Géorgiques, de leur genre (poésie didactique) et de leur visée (inscription dans le projet politico-culturel d’Auguste), des compétences élevées en traduction de la langue latine (l’essentiel de la grammaire est acquise, ainsi que le vocabulaire de base) et une initiation aux caractéristiques de la langue poétique (figures, distorsions grammaticales, licences poétiques). Le déroulement de la séquence est rythmé par six temps majeurs :
Perception / lecture
Les élèves ont lu, en devoirs, et en traduction française, l’intégralité de l’épisode d’Aristée (Géorgiques IV, v. 317-529). Une photocopie leur est donnée, comportant l’ensemble de l’épisode en version bilingue . En classe, une discussion libre sera l’occasion de faire le point sur la dimension mimétique / narrative, sans recourir au texte. Les élèves sont invités à résumer l’histoire et, guidés par l’enseignant, à indiquer ce qui en constitue le cœur. L’enseignant peut éventuellement en préciser l’essence, en reprenant les propositions de la classe : une scène de merveilleux divin, l’atmosphère de violence, mais surtout l’idée qu’il s’agit de la quête d’une parole, d’un savoir, mais que celle-ci se dérobe. Une ébauche d’interprétation n’est pas exclue, et est évidemment bienvenue dès cette étape. On peut imaginer que certains veuillent souligner l’idée que la vérité sur soi, sur son destin, se cache dans un récit (pour Aristée, l’épyllion d’Orphée et Eurydice).
Traduction
Par groupe de deux, les élèves traduisent deux extraits qui décrivent Protée : les vers 387–400 et les vers 405-414. L’idée est, certes, d’avoir une appréhension directe du texte latin par la traduction, mais également de mettre l’accent sur la traduction de certains mots-clefs (vates, species, forma), qui nous seront utiles plus tard. Une mise en commun de la traduction clôt cette phase.
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Table des matières
– Introduction
– Intérêt pédagogique
– Mise au point terminologique
– Définition et importance du concept dans l’histoire littéraire
– Séquences didactiques : principes généraux
– Première séquence : Virgile, Géorgiques IV, v. 317-529
– Deuxième séquence : Paul Valéry, « La fileuse »
– Conclusion
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