Il est de plus en plus évident que le climat est le sujet d’une évolution à long terme engendrée pour une grande partie par les activités humaines [1]. L’utilisation d’une quantité massive de combustible fossiles déséquilibre le cycle naturel du carbone et entraîne l’accumulation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Par ailleurs, les ressources terrestres en combustibles fossiles n’ont rien d’éternel, et sont appelées à disparaître dans un futur plus ou moins proche. Il est en conséquence d’une importance vitale de chercher d’autres sources d’énergie. Pour simplifier, deux sources d’énergie sont disponibles en quantités suffisantes à la surface de la Terre : les combustibles nucléaires de fusion, et le rayonnement solaire . La nature a fait son choix depuis longtemps pour aboutir au système très évolué de la photosynthèse, qui permet à la quasi-totalité des écosystèmes d’utiliser le Soleil comme source d’énergie primaire.
L’utilisation de cellules photovoltaïques permet une conversion d’une partie de l’énergie lumineuse incidente en électricité. La technologie reposant sur des semi-conducteurs est maintenant bien maîtrisée, et la généralisation de leur utilisation est plus liée semble-t-il à des raisons d’ordre économique et politique. En revanche, le problème du stockage de l’énergie photoproduite reste entier. Il est en effet notoire que l’électricité est une ressource délicate à stocker, et le caractère fondamentalement variable de l’énergie solaire complique d’autant cette tâche. Au delà du simple stockage local à court terme, qui peut être assuré par des batteries d’accumulateurs avec des rendements raisonnables, il est particulièrement important d’être en mesure de stocker l’énergie incidente sous une forme stable et facile à transporter, pour une utilisation dans des véhicules par exemple ou pour se prémunir des variations saisonnières de la demande d’énergie. Il est pour cela nécessaire de fabriquer un combustible à partir de cette énergie. L’hydrogène est sans aucun doute le combustible le plus facile à produire chimiquement : c’est la molécule la plus simple qui soit et on sait fabriquer de l’hydrogène à partir d’électricité depuis longtemps. Par ailleurs, des technologies de piles à combustibles se développent pour transformer l’énergie chimique stockée dans l’hydrogène en électricité avec des rendements beaucoup plus élevés que les moteurs à explosion actuels. Des études montrent qu’il est plausible de passer lentement à une économie basée sur l’hydrogène [2]; de nombreux projets sont d’ailleurs à l’étude dans certains points du globes trop éloignés des ressources pétrolières [3]. Cependant, dans l’état actuel de nos connaissances, la production d’hydrogène à partir d’électricité est relativement peu efficace (environ 50% de pertes) et nécessite du platine comme catalyseur. Il est donc nécessaire de mettre au point de nouvelles technologies de production.
La photosynthèse
La photosynthèse est le processus par lequel les organismes vivants autotrophes (plantes, algues, cyanobactéries) absorbent l’énergie solaire pour synthétiser des molécules indispensables à leur survie (et à la notre, accessoirement). Les premières étapes de la conversion d’énergie lumineuse suivent des étapes très similaires à celles rencontrées dans les capteurs photovoltaïques : un photon incident induit crée un état excité qui est transformé par des structures appropriées en énergie électrochimique grâce à un processus de séparation de charge. Ces charges sont ensuite collectées et utilisées.
Généralités
L’absorption proprement dite d’énergie lumineuse est réalisée dans les organismes vivants par des structures membranaires composées de protéines et de pigments appelées centres réactionnels. Les centres réactionnels sont dotés de systèmes étendus d’antennes permettant de collecter les photons dans une grande région pour retransmettre l’excitation au cœur du centre. Ils sont impliqués dans des chaînes complexes de transferts d’électrons, linéaires ou cycliques.
Séparations de charges photoinduites
Le rôle de la photosynthèse est de convertir de l’énergie lumineuse en une autre forme plus facilement stockable et utilisable : de l’énergie chimique. La méthode par excellence pour parvenir à ce but est l’exploitation de séparations de charges photoinduites : un photon incident dans un dispositif approprié permet de séparer une charge positive et une charge négative initialement réunies. Ceci permet de convertir un quantum d’énergie lumineuse en une énergie électrochimique. Les organismes photosynthétiques utilisent essentiellement deux complexes aux fonctionnements similaires pour effectuer cette séparation de charge : les centres réactionnels de type I (à centres Fer-Soufre [Fe,S]) et II (à phéophytines et quinones). Chacun de ces complexes comporte un donneur primaire qui reçoit l’excitation lumineuse captée et relayée par un système d’antennes. Lors de l’absorption d’un photon, le donneur primaire passe dans un état excité de haute énergie (et donc de bas potentiel). Ce donneur réduit ensuite un accepteur primaire d’énergie plus basse, qui à son tour en réduit un autre et ainsi de suite : l’électron suit une série de transferts internes au cours desquels il perd une part non négligeable de son énergie. Cette déperdition est indispensable pour assurer la directionalité du transfert d’électrons et ainsi minimiser les risques de recombinaisons.
Photosynthèse oxygénique
La photosynthèse oxygénique est celle qui conduit à la réduction de dioxyde de carbone en sucres et à l’oxydation de l’eau en oxygène, soit un bilan global
nH2O + nCO2 → CnH2nOn + nO2 (2.2)
On peut la décomposer schématiquement en deux parties : l’une se déroule de part et d’autre de la membrane des thylakoides et conduit à l’oxydation de l’eau du côté luménal et à la réduction du NADP+ en NADPH du côté stromal. L’autre partie est ce qu’on appelle le cycle de Calvin, et catalyse la fixation de dioxyde de carbone en sucres en consommant de l’ATP et du NADPH. Nous nous intéresserons ici uniquement à la partie membranaire . Elle s’oriente autour de deux complexes membranaires photoactifs, les photosystème I et II, reliés par des petits transporteurs d’électrons en interaction via un complexe membranaire non photoactif : le cytochrome b6 f . Ce dernier permet de coupler le transfert d’électrons à un transfert de protons transmembranaire. Par ailleurs, un autre complexe membranaire, l’ATP-synthase, se charge de convertir le gradient de proton produit par les réactions lumineuses en ATP.
Commençons par le photosystème II. Après avoir absorbé un photon, il crée un état de séparation de charge, donnant lieu d’une part à la réduction de plastoquinone (PQ) du côté stromal du complexe et à l’accumulation d’un fort pouvoir oxydant sur un agrégat de manganèse du côté luménal. Le départ de quatre électrons de l’agrégat permet l’oxydation de molécules d’eau en oxygène. Le mécanisme exact de cette réaction n’est pas encore parfaitement établi, quoi que les structures à haute résolution récentes ont permis des avancées dans sa compréhension. Une fois que la plastoquinone a été réduite en hydroquinone (PQH2) en acceptant deux électrons et deux protons, elle est relâchée dans la membrane et diffuse jusqu’à rencontrer un complexe de cytochrome b6 f. Ce dernier permet le transfert d’électrons de la plastoquinone au cytochrome c6 tout en réalisant un transfert d’électrons transmembranaire.
Le cytochrome c6 ainsi réduit diffuse ensuite dans le milieu luménal jusqu’au photosystème I. Le mécanisme de séparation de charge de ce dernier permet de fournir un électron à bas potentiel à la ferrédoxine, un transporteur soluble d’électrons stromal. La ferrédoxine interagit avec un certain nombre d’enzymes dont la ferrédoxine:NADP+ oxydoréductase (FNR), qui permet la production de NADPH, la source d’électrons de la fixation du dioxyde de carbone dans le cycle de Calvin, et, dans certains organismes, avec des hydrogénases. La figure 2.3 résume l’évolution des potentiels au long de la chaîne. La membrane joue un rôle fondamental pour deux raisons :
– Elle évite la rencontre d’espèces à haut potentiel du côté luménal avec des espèces à bas potentiel du côté stromal, ce qui entraînerait des court-circuit fâcheux, peut-être destructifs et en tous cas inefficaces .
– Elle permet la création d’un gradient de protons entre ses deux côtés ; l’ATP-synthase catalyse la conversion de l’énergie potentielle associée à ce gradient en ATP, l’unité d’énergie cellulaire.
Quelques mots sur les transferts cycliques d’électrons
La photosynthèse oxygénique consiste à extraire des électrons à haut potentiel de l’eau pour les donner à un potentiel beaucoup plus bas au dioxyde de carbone. Si ce type d’utilisation de la lumière est adopté par une grande partie des organismes photosynthétiques, dont les plantes supérieures, il en existe d’autres en revanche, basées sur des concepts de transferts cycliques. Ces systèmes sont fondés sur des quinones, qui sont réduites d’un côté d’une membrane pour être réoxydée de l’autre côté, permettant le transfert de protons d’un côté à l’autre de la membrane. Tout se passe comme si, le cytochrome c6 allait réduire le P680 du photosystème II en lieu et place de l’eau. Le gradient de proton est ensuite converti en ATP par l’ATP-synthase. Ces organismes doivent bien entendu s’appuyer sur d’autres sources d’électrons que l’eau pour vivre, puisqu’ils ne sont pas en mesure de l’oxyder.
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Table des matières
I Introduction
1 Où va-t-on ?
2 La photosynthèse
2.1 Généralités
2.1.1 Séparations de charges photoinduites
2.1.2 Photosynthèse oxygénique
2.1.3 Quelques mots sur les transferts cycliques d’électrons
2.2 Le photosystème I et ses partenaires
2.2.1 Le photosystème I
2.2.2 Cytochrome c6
2.2.3 Ferrédoxine et flavodoxine
2.2.4 Ferrédoxine:NADP+ oxydoréductase
2.2.5 Hydrogénases
2.3 Que va-t-on en faire ?
3 Les techniques électrochimiques
3.1 Interactions molécule/électrode
3.2 Les échelons de potentiel
3.3 La voltamétrie cyclique
3.3.1 Le cas réversible
3.3.2 Autres cas
3.4 Quelques aspects pratiques
3.4.1 Courants non-faradiques et double couche
3.4.2 Montage électrochimique
II Des transferts d’électrons
4 Du potentiostat au cytochrome c6
4.1 Électrodes
4.1.1 Fabrication des électrodes à feuille collée
4.1.2 Caractérisation des électrodes
4.1.3 Autres électrodes utilisées
4.2 Électrochimie du c6
4.2.1 Configuration expérimentale
4.2.2 Électrochimie directe sur l’or nu
4.2.3 Modification des électrodes
4.2.4 Électrochimie directe du c6 sur de l’or modifié
5 Du c6 au glutamate
5.1 Du c6 à l’oxygène en passant par le méthylviologène
5.1.1 Mesures expérimentales
5.1.2 Interprétation
5.2 Construction de la chaîne
5.2.1 Utilisation de la ferrédoxine couplée à l’oxygène comme accepteur terminal
5.2.2 Utilisation de partenaires de la ferrédoxine
5.2.3 Premières expériences avec la FNR
5.2.4 Recyclage du NADP+
5.3 Mesures des réactions parasites
5.3.1 Le court-circuit Ferrédoxine-c6
5.3.2 Réactions entre le c6 et la FNR
5.3.3 Réactions directes avec l’électrode
5.3.4 Complexation ferrédoxine oxydée–FNR
5.4 Étude de la chaîne complète
5.4.1 Considérations sur l’influence de l’intensité d’éclairement
5.4.2 Réaction c6 – PSI
5.4.3 Réaction PSI – Ferrédoxine
5.4.4 Discussion
5.5 Conclusion
6 D’autres transferts
6.1 Hydrogénases
6.1.1 Préliminaires à la construction d’une chaîne
6.1.2 Différents essais de chaîne complète
6.2 Greffages
6.2.1 Techniques de greffage
6.2.2 Greffage du photosystème II
6.2.3 Greffage du cytochrome c6
6.2.4 Conclusion
6.3 Transferts virtuels
7 Pour en finir
III À toutes fins utiles
IV Conclusion