Sensibilité du coeur à l’ischémie-reperfusion et stratégie de cardioprotection par l’exercice

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les pathologies cardiovasculaires constituent la première cause de mortalité et de morbidité dans les pays industrialisés et demeurent en France la seconde cause de décès, devancée par le cancer. La plus meurtrière de ces pathologies est l’infarctus du myocarde. En France, 120 000 infarctus du myocarde sont recensés chaque année, dont 40 000 sont mortels. Ainsi, bien que le nombre de décès lié à ce type d’accident ischémique aigu ait été divisé par 3 en 15 ans (Puymirat et al., 2012), il n’en demeure pas moins une priorité de santé publique. L’infarctus du myocarde se définit comme le manque d’apports en oxygène (O2) et nutriments aux cellules du cœur, aboutissant à une destruction du tissu cardiaque. Il résulte d’une obstruction partielle ou totale d’une partie du réseau artériel coronaire, alors responsable de l’ischémie du muscle cardiaque. Dès lors, la seule intervention possible est la reperfusion des tissus ischémiés. Bien que la reperfusion ait fait l’objet de nombreuses avancées thérapeutiques pharmacologiques et chirurgicales, celle-ci est à l’origine de nombreux dommages tissulaires qui lui sont propres, regroupés sous le terme de « lésions de reperfusion » (Garlick et al., 1987; Fliss & Gattinger, 1996 ; Murphy & Steenbergen, 2008).

La sévérité des lésions de reperfusion résulte d’une interaction complexe entre facteurs génétiques et environnementaux. En effet, certains facteurs environnementaux, tels que notamment la pollution et l’exercice, peuvent être à l’origine d’un remodelage phénotypique myocardique ayant pour conséquence une modulation de la sensibilité de l’organe à l’ischémie-reperfusion (IR). Ainsi, il a récemment été montré que la pollution atmosphérique au monoxyde de carbone (CO), un polluant fréquemment rencontré en environnement urbain (Samoli et al., 2007), était à l’origine d’un remodelage phénotypique du cœur caractérisé par une altération du statut redox (André et al., 2011 ; Reboul et al., 2012) et de l’homéostasie calcique cardiomyocytaire (Bye et al., 2008 ; André et al., 2010). Ces modifications phénotypiques sont à l’origine, dans un tel modèle d’exposition citadine au CO, d’une plus grande vulnérabilité du myocarde au stress d’IR (Meyer et al., 2010).

Par ailleurs, la pratique régulière d’exercice physique (entraînement) est aujourd’hui très largement considérée comme une stratégie thérapeutique permettant de préserver l’intégrité du muscle cardiaque lors d’un phénomène d’IR (Powers et al., 2008). En effet, les effets bénéfiques d’une pratique régulière non épuisante d’exercice physique sur la santé cardiovasculaire ont été largement décrits (Warburton et al., 2006 ; Ignarro et al., 2007), et désormais une telle pratique fait partie des recommandations de l’OMS. Dans le cadre de l’infarctus du myocarde, de nombreuses études ont ainsi rapporté une diminution de la sensibilité du myocarde au syndrome d’IR avec la pratique préventive d’exercices en endurance (Ascencão et al., 2007 ; Powers et al., 2008). Malgré tout le potentiel thérapeutique d’une telle stratégie, à ce jour, les mécanismes biologiques associés à la cardioprotection par l’exercice n’ont été que peu investigués. Il semble néanmoins se dégager un consensus sur le rôle essentiel de l’amélioration du statut enzymatique antioxydant myocardique (Powers et al., 1998, Hamilton et al., 2003 ; French et al., 2008), et du maintien de l’homéostasie calcique cellulaire au cours de l’IR (French et al., 2006 & 2008 ; Wisloff et al., 2002) dans ce type de cardioprotection.

L’ISCHEMIE-REPERFUSION MYOCARDIQUE

Généralités sur l’ischémie-reperfusion myocardique 

L’ischémie myocardique se définit comme le déséquilibre entre les besoins en O2 et en nutriments du tissu myocardique et leurs apports par la circulation coronaire. Dans le cadre de l’infarctus du myocarde, l’ischémie résulte d’une obstruction partielle ou totale d’une partie du réseau artériel coronaire, liée au rétrécissement par sténose du calibre de ces vaisseaux ou à leur occlusion par un thrombus ou une plaque d’athérome. L’occurrence et la gravité des altérations cellulaires du tissu ischémié sont directement dépendantes de l’étendue de la zone ischémiée ainsi que de l’importance et de la durée de la réduction du flux sanguin, déterminant ainsi la sévérité de l’infarctus. La seule intervention efficace permettant de réduire la sévérité de l’infarctus est la reperfusion coronaire de la zone ischémiée.

Depuis plus de deux décennies, cette unique méthode thérapeutique fait ainsi l’objet de recherches en matière de développement de techniques permettant l’optimisation de la reperfusion myocardique post-ischémie (Ivanes et al., 2010 ; Braunwald, 2011 ; pour revues). Les méthodes aujourd’hui employées sont la dissolution chimique des thromboses occlusives, l’administration de médicaments vasodilatateurs, l’angioplastie, la cathétérisation, et la chirurgie (pontage artériel). Néanmoins, bien qu’elle soit indispensable à la survie du myocarde, la reperfusion et la ré-oxygénation qui l’accompagne sont responsables de nombreux dommages tissulaires qui lui sont propres, regroupés sous le terme de « lésions de reperfusion » (ou « reperfusion injuries »). La reperfusion myocardique post-ischémie a ainsi été qualifiée « d’épée à double tranchant » (Jennings & Reimer, 1983), faisant d’elle une cible clef dans le développement de stratégies de cardioprotection.

Rôle du NO et de la eNOS dans l’ischémie-reperfusion myocardique

Généralités sur le NO et les NOS

Le NO est un composé chimique constitué d’un atome d’oxygène et d’un atome d’azote, rencontré sous forme gazeuse en condition normale de pression et de température. Ce gaz lipophile, de charge neutre, possède une très grande capacité de diffusion à travers les tissus et en milieu biologique sa demi-vie est inférieure à 1 seconde (Pacher et al., 2007). Etant lui-même un composé radicalaire, le NO présente une très grande réactivité avec les espèces radicalaires, notamment l’oxygène et l’O2 .-, ainsi qu’avec les métaux et les groupements thiols, ce qui lui confère un rôle fonctionnel cellulaire essentiel. Il a été identifié pour la première fois dans le système cardiovasculaire en 1980 par Furchgott & Zawadzki (Furchgott & Zawadzki, 1980) qui démontrèrent in vitro la présence d’un facteur libéré par l’endothélium vasculaire responsable d’une vasorelaxation, alors nommé «EndotheliumDerived Relaxing Factor ». C’est en 1987 que ce puissant vasorelaxant fut identifié sous le terme de NO (Ignarro et al., 1987 ; Palmer et al., 1987). Depuis, le NO a fait l’objet d’une multitude de travaux et est aujourd’hui reconnu comme un régulateur clef de l’homéostasie cardiovasculaire, tant en conditions physiologiques que pathologiques (Hare, 2003 ; Massion et al., 2003 ; Pacher et al., 2007 ; Seddon, 2007 ; Otani, 2009). Dans cette revue de littérature nous porterons une attention plus particulière au rôle du NO sur la régulation de la fonction myocardique.

Le NO est essentiellement synthétisé par des NO-synthétases, les NOS (Nitric Oxide Synthases). Les NOS sont présentes dans l’organisme sous 3 isoformes majeures : la NOS neuronale (nNOS ou NOS1, codée par le gène NOS1, protéine de 150 kDA), la NOS inductible (iNOS ou NOS2, codée par le gène NOS2, protéine de 130 kDA) et la NOS endothéliale (eNOS ou NOS3, codée par le gène NOS3, protéine de 133 kDa). Une 4ème isoforme mitochondriale (mtNOS) est également rapportée dans la littérature mais reste à ce jour encore peu étudiée (Zaobornyj & Ghafourifar, 2012). Ces 3 principales isoformes diffèrent par : i) leurs localisations, tant au niveau organique que cellulaire, bien qu’elles soient toutes exprimées dans le système cardiovasculaire, ii) leur caractère constitutif ou inductible, et iii) la régulation post-transcriptionnelle de leurs activités. En effet, les isoformes neuronale et endothéliale (1 et 3), nommées en fonction de leur chronologie de découverte et du tissu dans lequel elles ont été identifiées, sont exprimées de manière constitutive et leur activité est Ca2+/calmoduline (CaM) dépendante. La nNOS est exprimée dans le tissu nerveux, mais également aux niveaux du muscle lisse vasculaire et des cardiomyocytes. La eNOS est exprimée aux niveaux des cellules endothéliales vasculaires et endocardiques, ainsi qu’au niveau neuronal, des plaquettes sanguines, de certaines cellules épithéliales, et dans les cardiomyocytes. Au niveau cellulaire, la nNOS est co-localisée avec le RS tandis que la eNOS est confinée au sein des cavéoles. Cette différence de situation cellulaire est rapportée comme responsable des spécificités fonctionnelles du NO selon l’isoforme dont il provient (Barouch et al., 2002). Ces isoformes constitutives sont hautement régulées, tant au niveau transcriptionnel que post-transcriptionnel (Searles, 2006 ; Mount et al., 2007 ; Balligand et al., 2009 ; Fleming, 2010). La iNOS est une isoforme inductible exprimée en condition pathologique, en réponse à un stress inflammatoire ou oxydatif. Son activité est indépendante du Ca2+, et contrairement aux isoformes constitutives son activité est essentiellement déterminée par son niveau d’expression (Umar & van der Laarse, 2010 ; pour revue). Alors que les NOS constitutives induisent une synthèse de NO à des concentrations cellulaires de l’ordre du nanomolaire, la iNOS génère une production de NO 10 à 100 fois supérieure, avec des concentrations cellulaires pouvant atteindre le micromolaire.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
REVUE DE LITTERATURE
I. L’ISCHÉMIE-REPERFUSION MYOCARDIQUE
1. Généralités sur l’ischémie-reperfusion myocardique
1.1. L’ischémie
1.1.1. Conséquences métaboliques des altérations ioniques cellulaires associées à l’ischémie
1.2. La reperfusion
1.2.1. Stress oxydant et troubles de l’homéostasie calcique au cours de la reperfusion
1.2.2. Altérations mitochondriales au cours de la reperfusion
1.2.3. Les arythmies de reperfusion
1.2.4. Les altérations fonctionnelles de reperfusion ou « myocardial stunning »
1.2.5. Les dommages vasculaires de reperfusion ou phénomène de « no reflow »
1.2.6. La mort cellulaire au cours de l’ischémie-reperfusion
a. La nécrose
b. L’apoptose
c. L’autophagie
1.3. Sources de stress oxydant dans le cœur
1.3.1. Facteurs pro-oxydants : les radicaux libres dérivés de l’oxygène
1.3.2. Sources de radicaux libres au cours de l’ischémie-reperfusion
a. La chaine respiratoire mitochondriale
b. La NADPH oxydase
c. La voie de la xanthine oxydase (XO)
d. Les nitrique oxyde synthétases (NOS)
1.3.3. Les facteurs antioxydants
a. La superoxyde dismutase (SOD)
b. La gluthation peroxydase (GPx)
c. La catalase (CAT)
2. Le rôle du NO et de la eNOS dans l’ischémie-reperfusion myocardique
2.1. Généralités sur le NO et les NOS
2.2. Synthèse du NO par la eNOS et régulation de la eNOS
2.2.1. Synthèse du NO par la eNOS
2.2.2. Découplage de la eNOS
2.2.3. Régulation de l’activité de la eNOS
a. Régulation transcriptionnelle
b. Régulation post-transcriptionnelle
2.3. NO et fonctions cardiovasculaires
2.3.1. NO et fonction vasculaire
2.3.2. NO et fonction cardiaque
a. Voie GMPc-dépendante
b. S-nitrosylation
c. NO et mitochondrie
2.4. NO et ischémie-reperfusion myocardique
2.4.1. Effets bénéfiques du NO au cours de l’ischémie-reperfusion myocardique
a. Effets cardioprotecteurs du NO sur la fonction mitochondriale
b. S-nitrosylation et cardioprotection
2.4.2. Effets délétères du NO au cours de l’ischémie-reperfusion myocardique
2.4.3. eNOS et ischémie-reperfusion myocardique
a. Découplage de la eNOS, ONOO- et ischémie-reperfusion myocardique
b. BH4 et ischémie-reperfusion myocardique
II. EXERCICE ET CARDIOPROTECTION
1. Effets de l’exercice sur le cœur
1.1. Effets de l’exercice sur la contractilité myocardique et l’homéostasie calcique
1.2. Effets de l’exercice sur la eNOS
1.3. Effets de l’exercice sur le statut antioxydant myocardique
2. Effets cardioprotecteurs de l’exercice
2.1. Effets cardioprotecteurs de l’exercice : rôle de la perfusion myocardique
2.2. Effets cardioprotecteurs de l’exercice : rôle du statut enzymatique antioxydant myocardique
2.3. Effets cardioprotecteurs de l’exercice : rôle de l’homéostasie calcique
2.4. Effets cardioprotecteurs de l’exercice : rôle de la eNOS myocardique
2.5. Autres facteurs
2.5.1. Les canaux potassiques dépendants de l’ATP (KATP channels)
2.5.2. La mitochondrie
Objectifs du travail de thèse
CONCLUSION

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