Sénescence cellulaire radio-induite

Effets des rayonnements ionisants sur les systèmes biologiques

   Comme évoqué précédemment, les rayonnements ionisants, particulaires ou électromagnétiques, provoquent l’ionisation des atomes composant la matière. Dans le tissu, le passage des rayonnements ionisants induit des altérations cellulaires générées par effets directs ou indirects. On parle d’action directe lorsque l’énergie d’ionisation est absorbée au niveau des « sites vitaux » de la cellule (acides nucléiques, protéines, lipides). Les radiations peuvent également induire la formation d’espèces réactives de l’oxygène (ROS, Reactive Oxygen Species). Ces radicaux libres sont issus de la décomposition de la molécule d’eau par les rayonnements, appelée radiolyse de l’eau (LaVerne, 2000). Les espèces chimiques ainsi formées peuvent causer d’importants dégâts moléculaires et cellulaires, on parle alors d’effets indirects. On estime que la proportion de ces deux actions est de l’ordre de 30% pour les effets directs et 70% pour les effets indirects (Nikjoo et al., 2002). Les effets moléculaires exposent les cellules à un stress important pouvant aboutir à leur mort. Ce stress cellulaire va également avoir des conséquences au niveau tissulaire en impactant l’organisation et la fonctionnalité de l’organe.

Conséquences tissulaires

  Les dommages cellulaires évoqués précédemment peuvent avoir de graves répercussions sur le tissu ou l’organe atteint. La sévérité des dommages radio-induits dépend de la radiosensibilité, de la capacité de réparation mais également du taux de prolifération du tissu touché. En effet, les tissus à fort renouvellement cellulaire (épithéliums, moelle osseuse ou les cellules cancéreuses) sont plus sensibles aux rayonnements ionisants et présenteront, donc, des effets tissulaires plus rapidement. C’est sur ce principe que repose l’utilisation des rayonnements ionisants dans le traitement des cancers. L’irradiation d’une cellule peut conduire à sa mort, principalement par mort mitotique ou apoptose. Ce constat a permis l’avènement, dans les années 1980, d’un concept exclusivement basé sur la mort radio-induite, celui de la « cellule cible ». L’hypothèse de la cellule cible stipule que la sévérité des effets tissulaires est principalement due à la déplétion d’un compartiment cible, par mort radio-induite, et ayant pour conséquence une déficience fonctionnelle de l’organe. Cette hypothèse est envisageable pour les effets précoces, elle a permis d’élucider les réponses aiguës à l’irradiation. Cependant, la mort cellulaire n’explique pas, à elle seule, les effets tardifs observés. En effet, de nombreux travaux ont montré que la communication intercellulaire joue un rôle important dans la réponse à l’irradiation. Il a été décrit que la mort d’une cellule peut survenir sans que celle-ci soit présente dans le champs d’irradiation, ce phénomène est appelé effet bystander (Prise et al., 2005). Cette réponse à distance est certainement médiée par des messagers solubles, les cytokines. De nombreuses cascades de cytokines pro-inflammatoires sont activées rapidement après irradiation (Bentzen, 2006; Kim, Jenrow and Brown, 2014). Les cytokines forment un groupe fonctionnel de molécules solubles jouant un rôle fondamental dans la signalisation cellulaire. On distingue différentes familles de cytokines : les interférons, les interleukines (IL), les chimiokines, la famille des Tumor Necrosis Factor (TNF), la famille des Colony Stimulating Factor (CSF) et la famille des Transforming Growth Factor (TGF). Parmi la pléthore de facteurs solubles produits dans les premiers temps qui suivent l’irradiation, l’IL-1, l’IL-6, le TNFα et le TGFβ sont les plus représentés (Kim, Jenrow and Brown, 2014). Ce contexte est favorable à l’établissement d’une inflammation chronique pouvant évoluer vers une dysfonction tissulaire tardive, telle que la fibrose radio-induite (Bentzen, 2006).L’apparition des lésions radio-induites tardives est donc orchestrée par un continuum d’évènements complexes, initié par la mort cellulaire massive et l’activation des différents compartiments tissulaires. L’ensemble des mécanismes évoqués ci-dessus seront décrit de manière plus détaillée dans la partie Les effets secondaires de la radiothérapie. Les rayonnements ionisants modifient donc le micro environnement tissulaire qu’il soit exposé ou non. Ces effets sont évidemment dépendants de la dose reçue. On appelle effets déterministes, les effets observés systématiquement au-delà d’une dose seuil et dont la gravité augmente avec la dose reçue. Ils apparaissent, en général, de manière précoce et sont la cause directe de la mort cellulaire (hypothèse de la cellule cible). Par exemple, la radiodermite aiguë survient dès 12 Gy chez les patients à phototype clair. Les effets appelés stochastiques, ou probabilistes, apparaissent dans des délais beaucoup plus longs et ne se manifestent pas systématiquement. Leur probabilité d’apparition augmente lorsque la dose augmente. Le volume et la localisation du tissu irradié sont également à prendre en compte. On distingue les irradiations corps entier (Total Body Irradiation, TBI), des irradiations localisées. Chez l’Homme, la dose létale 50/60, dose à laquelle on observe le décès de 50% des individus en 60 jours, pour une irradiation corps entier, est comprise entre 3,5 et 4 Gy (López and Martín, 2011). En cas d’exposition d’un volume important, voire d’une TBI, les victimes développent un syndrome aigu d’irradiation (SAI).

Application médicale des rayonnements ionisants : la radiothérapie

   La découverte des rayonnements ionisants a rapidement débouché sur des applications médicales. En effet, les médecins qui avaient accès à ces découvertes ont très vite observés que les rayons X et γ produisaient des effets sur les tissus vivants et, en particulier, avaient la propriété de faire régresser ou stériliser les tumeurs malignes.
a. Histoire, principe et usages :Au début du XXème siècle, les premiers appareils de radiothérapie délivraient déjà des rayonnements X. Cependant, ceux-ci étaient produits à partir de différences de potentiel pouvant atteindre 200 kV, ils ne possédaient donc pas l’énergie ni la pénétration nécessaires à l’irradiation de tumeurs situées à plus de 5 cm de profondeur. À la fin de la seconde guerre mondiale, les sources de Cobalt 60 (60Co) virent le jour. Ces sources produisent des rayonnements γ, de forte énergie, plus pénétrants. En revanche, les appareils de télécobalthérapie ont pour inconvénient la décroissance radioactive naturelle du 60Co, il faut donc changer la source tous les quatre ans. Les accélérateurs linéaires de particules ont peu à peu remplacé les « bombes au Cobalt ». Ces appareils, utilisés aujourd’hui, produisent des électrons. Ces derniers sont projetés vers une cible métallique en tungstène ou en or, des rayons X de forte énergie sont alors générés par rayonnement de freinage. Les accélérateurs linéaires produisent des faisceaux beaucoup plus énergétiques, leur voltage se situe entre 4 et 25 MV. En France, en 2015, plus de 384 000 nouveaux cas de cancers ont été diagnostiqués. Chez la femme, le cancer du sein est le plus fréquent, avec plus de 54 000 nouveaux cas par an, devant le cancer colorectal (> 19 500 nouveaux cas) et le cancer du poumon (> 14 800 nouveaux cas). Chez l’homme, le cancer de la prostate prédomine avec environ 54 000 nouveaux cas par an devant le cancer du poumon et du colon-rectum, 30 000 et 23 500 nouveaux cas, respectivement (Institut National du Cancer, 2015). À ce jour, on estime que plus de la moitié des patients traités pour un cancer recevront une radiothérapie (Delaney et al., 2005; Institut National du Cancer, 2015). La radiothérapie est une méthode de traitement des tumeurs utilisant des rayonnements ionisants dont l’objectif est de délivrer une dose maximale tout en préservant l’intégrité des tissus sains présents dans le champ. Utilisée seule ou en association avec la chimiothérapie et la chirurgie, elle constitue l’une des principales armes thérapeutiques efficaces contre les cancers. La radiothérapie peut être utilisée selon trois finalités : curative, palliative ou symptomatique. Dans le cas d’une radiothérapie curative, l’objectif va être le contrôle ou, idéalement, la stérilisation totale de la tumeur. Elle peut être utilisée seule ou associée à la chirurgie et la chimiothérapie en prenant en compte, la localisation, la taille de la tumeur et son degré d’avancement. Lorsque le cancer est à un stade trop avancé, voire métastatique, la radiothérapie palliative est employée afin de soulager la douleur des patients. Enfin, la radiothérapie symptomatique vise à abroger un ou plusieurs symptômes gênants via l’utilisation des propriétés antalgiques, hémostatiques et décompressantes des rayons. On distingue trois techniques de radiothérapie. La radiothérapie externe, dans laquelle la source de rayonnements est située en dehors de l’organisme. C’est la technique la plus utilisée. La radiothérapie interne utilise des sources radioactives placées à l’intérieur de l’organisme, pour le traitement des cancers gynécologiques par exemple. Enfin, la radiothérapie métabolique consiste à injecter des radioéléments qui se fixeront sur les cellules tumorales, par exemple, le traitement des cancers thyroïdiens par l’iode radioactif. À des fins curatives, la radiothérapie cherche donc à détruire les cellules cancéreuses. Bien qu’elle ne soit pas un traitement spécifique, elle s’appuie sur le fait qu’il existe une différence de radiosensibilité entre des cellules saines et tumorales. La probabilité de  contrôler la tumeur par irradiation est proportionnelle à la dose délivrée (Barnett et al., 2009). La dose de contrôle tumoral est la dose nécessaire pour obtenir, dans 90% des cas, la stérilisation locale et définitive de la tumeur. Cette dose peut varier entre 30 à plus de 70 Gy, suivant le type histologique de la tumeur, son volume et son aspect. Dans un protocole de radiothérapie classique, la dose totale sera délivrée de manière fractionnée de 2 Gy par jour, à raison de cinq séances par semaine, on parle de protocole normofractionné.
b. Evaluation du risque et prédiction de traitement :La dose absorbée, exprimée en Gy, s’avère être une information insuffisante pour prédire les effets biologiques lors d’une exposition aux rayonnements ionisants (mort cellulaire, mutation, régression d’une masse tumorale, etc…). Des études in vitro ont alors été entreprises afin de modéliser les effets des rayonnements sur la survie cellulaire (Puck and Marcus, 1956). À dose absorbée égale, les effets biologiques varient en fonction de nombreux paramètres, dont la nature du rayonnement (α, β, γ, X, protons, neutrons…).
• Notion d’efficacité biologique et fractionnement de la dose L’Efficacité Biologique Relative ou EBR permet de comparer les effets biologiques de deux rayonnements ou deux modalités d’irradiation. Il est défini par le rapport de la dose d’un rayonnement de référence (Dref) et de la dose du rayonnement étudié (Dtest) produisant le même effet biologique. Il s’agit donc d’un concept iso-effet. Un EBR supérieur à 1 signifie que, pour un effet donné, la dose du rayonnement d’étude sera inférieure à la dose du rayonnement de référence (Figure 4a).

Les effets secondaires des radiothérapies

   Comme nous venons de le voir, la radiothérapie s’impose aujourd’hui comme un outil indispensable dans le traitement des cancers. Néanmoins, l’efficacité de cette technique est souvent accompagnée d’effets secondaires. À l’échelle de l’organisme, les rayonnements ionisants provoquent des effets indésirables précoces et/ou tardifs. La nature des effets secondaires dépend du type de radiothérapie, de la dose reçue et de la localisation de la zone irradiée. Les effets secondaires précoces généralement observés sont fatigue, anémie, érythème cutané, alopécie, perte d’appétit, nausées et vomissements. Dans les temps plus tardifs, on estime que 5 à 10% des patients développeront des séquelles plusieurs années après leur traitement. Les patients peuvent développer fibrose radio-induite, atrophie, pathologies vasculaires, infertilité, dérégulation hormonale et cancers secondaires (Barnett et al., 2009). Parmi ces effets tardifs, la fibrose radio-induite est sans doute la plus connue et la plus étudiée. Cette pathologie se traduit par une accumulation de protéines de la matrice extracellulaire et de collagènes dans le tissu. Elle intègre une composante inflammatoire chronique et affecte tous les types de tissus. La fibrose radio-induite est un processus dynamique et évolutif se caractérisant par une activation cellulaire chronique et un remodelage constant. À l’échelle tissulaire, nous avons évoqué la production importante de cytokines proinflammatoires en réponse à l’irradiation. Ces facteurs pro-inflammatoires activent des voies de signalisation impliquées dans la production d’espèces réactives de l’oxygène, principalement par dérégulation des fonctions mitochondriales (Schaue, Kachikwu and McBride, 2012). Cette augmentation des ROS, secondaire à la radiolyse de l’eau et plus durable, tend à rompre l’équilibre redox du tissu. Ces ROS permettent également de maintenir la production de cytokines pro-inflammatoires, notamment par activation des voies NF-κB (Nuclear Factor-Kappa B) et MAP kinases (Mitogen-activated protein) (Schaue, Kachikwu and McBride, 2012).

Perméabilité vasculaire   

  L’endothélium s’associe à la lame basale pour former un filtre moléculaire permettant les échanges entre le sang et le tissu. Cette perméabilité vasculaire est régulée par les jonctions intercellulaires. Parmi elles, on retrouve les jonctions serrées, formées d’occludines et de claudines, les jonctions communicantes, formées de connexines et les jonctions adhérentes, formées de VE cadherin (Vascular Endothelial Cadherin) (Michel and Curry, 1999). L’organisation de ces jonctions varie selon le type de vaisseau et d’organe. Par exemple, les jonctions serrées sont quasiment inexistantes de l’endothélium sauf au niveau des vaisseaux irrigant le cerveau, où celles-ci forment la barrière hémato-encéphalique. La perméabilité de l’endothélium est déterminante dans le maintien de l’homéostasie tissulaire. Des modifications de cette dernière peuvent entraîner l’extravasation des protéines sériques dans les tissus, conduire à un œdème périvasculaire et tissulaire et affecter la fonction de l’organe.

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Table des matières

Remerciements
Publications & Communications
Table des abréviations
Table des illustrations et tableaux
Avant-propos
État de l’art
Chapitre I : La radiothérapie
I. Les rayonnements ionisants
Généralités
Effets des rayonnements ionisants sur les systèmes biologiques
• Impacts physico-chimiques et moléculaires
• Atteintes cellulaires
• Conséquences tissulaires
II. Application médicale des rayonnements ionisants : la radiothérapie
a. Histoire, principe et usages
b. Evaluation du risque et prédiction de traitement
• Notion d’efficacité biologique et fractionnement de la dose
• Notions de volumes cibles et organes à risques
Les différentes techniques de radiothérapie externe
• La radiothérapie conformationnelle en trois dimensions
• La radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité
• La radiothérapie en conditions stéréotaxiques
• L’hadronthérapie
Les effets secondaires des radiothérapies
Chapitre II : Le compartiment vasculaire et ses réponses aux rayonnements ionisants
I. Le réseau vasculaire : structure et organisation
II. Les rôles et fonctions de l’endothélium vasculaire
Perméabilité vasculaire
Hémostase vasculaire
Tonus vasculaire
Angiogenèse
Réponse immunitaire et inflammatoire
III. La réponse de l’endothélium aux rayonnements ionisants
L’apoptose endothéliale
Acquisition d’un phénotype pro-inflammatoire
• Activation de l’endothélium
• Sécrétion de cytokines
L’acquisition d’un phénotype pro-coagulant et pro-fibrosant
• Activation du système de coagulation
• Phénotype anti-fibrinolytique
L’impact sur le processus d’angiogenèse
La transition endothélium-mésenchyme
Chapitre III : La sénescence cellulaire
I. Caractéristiques de la cellule sénescente
Morphologie
Arrêt irréversible des divisions
Atteinte nucléaire, modifications de la chromatine et dommages à l’ADN
Sénescence ou apoptose ?
Phénotype sécrétoire
Stress oxydant : rôles des Reactive Oxygen Species et dysfonction mitochondriale
Activité β-galactosidase associée à la sénescence
II. Les différents types de sénescence cellulaire
La sénescence réplicative
• Découverte
• Télomères et télomérase
• Signal d’entrée en sénescence
• Activation du DNA Damage Response, de p53 et arrêt du cycle
• Remodelage chromatinien et maintien du phénotype sénescent
La sénescence induite par oncogène
• Stress réplicatif et dommages à l’ADN
• Conséquences de l’activation de Ras
La sénescence prématurée induite par le stress
• Dérivés Réactifs de l’Oxygène
• Dommages à l’ADN
• Atteintes du cycle cellulaire
• Le Senescence-Associated Secretory Phenotype
• Cas de la sénescence endothéliale radio-induite
III. Aspects physiologiques et physiopathologiques de la sénescence
Rôle dans le développement
Frein à la tumorigenèse
Réparation tissulaire
Sénescence, vieillissement et pathologies liées à l’âge
IV. La cellule sénescente, une cible thérapeutique ?
Ciblage des spécificités de la cellule sénescente
Potentialiser l’élimination par le système immunitaire
Inhibition du phénotype sécrétoire
Chapitre IV : La fibrose radio-induite : cas des poumons
I. Anatomie pulmonaire
II. Pathologies pulmonaires
La bronchopneumopathie chronique obstructive
La fibrose pulmonaire idiopathique
Les cancers pulmonaires
III. Radiopathologie pulmonaire
La pneumopathie aiguë radio-induite
La fibrose pulmonaire radio-induite
• Le TGFβ
• La protéine PAI-1
• PAI-1 et sénescence
IV. Modélisation de la fibrose pulmonaire radio-induite : utilisation du SARRP
Présentation du SARRP.
Modèle de fibrose pulmonaire radio-induite par le SARRP
Problématique et objectifs
Résultats
Discussion & Perspectives
I. La Stereotactic Body Radiation Therapy pulmonaire en clinique
II. Développement des lésions pulmonaires radio-induites après irradiation en conditions stéréotaxiques
III. Détection des cellules sénescentes in vivo
IV. Hétérogénéité des cellules sénescentes
V. Caractérisation de la dynamique transcriptionnelle de la sénescence endothéliale radio-induite
VI. Le phénotype sécrétoire des cellules sénescentes : une cible thérapeutique ?
VII. Implication de la protéine PAI-1 dans l’acquisition du phénotype sénescent après irradiation ?
Conclusion générale
Bibliographie

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