Le Tata et les tirailleurs sénégalais, histoires croisées
Les tirailleurs sénégalais, entre mobilisations et extermination
En déclarant la guerre à l’Allemagne en septembre 1939, la France mobilise ses troupes, notamment ses troupes coloniales. Les régiments de tirailleurs sénégalais existent depuis plus de 80 ans et sont bien intégrés dans l’armée française. Depuis La Force Noire du colonel Mangin en 1910, l’usage des combattants africains est régulière : l’Afrique noire constitue un « réservoir » démographique et les qualités des Africains pour le combat présentent « une incomparable puissance de choc » (in Deroo, Champeaux, 2006, p.31). Plus de 180 000 tirailleurs sénégalais sont mobilisés lors de la Grande Guerre et leur participation aux combats est souvent connue . La participation des tirailleurs à la Seconde guerre mondiale est en revanche marginale dans les mémoires. Pourtant, plus de 200 000 Africains sont mobilisés et près de 40 000 d’entre eux sont envoyés en métropole (Fargettas, 2012). La rencontre pour la seconde fois entre des soldats allemands et des tirailleurs se termine dans un bain de sang… noir.
Après la Grande Guerre, la France vainqueur occupe la Rhénanie suite au traité de Versailles et envoie pour ce faire des tirailleurs sénégalais et malgaches. L’utilisation de « Noirs » par la France contre les peuples « civilisés » d’Europe est une humiliation pour l’Allemagne, dont certains milieux nationalistes se servent pour lancer une campagne de dénigrement des soldats noirs, appelée Die Schwarze Schande, la « Honte Noire ». Une violente propagande se déchaîne présentant les « nègres » comme les violeurs de milliers de femmes allemandes, d’auteurs des pires atrocités, les accusant de propager la syphilis, en somme, de pervertir la « race allemande » (Deroo, Champeaux, 2006). Ce mythe de la honte noire s’inscrit durablement dans les mémoires allemandes, mythe qui, couplé à l’idéologie raciste du national-socialisme , sera le support de la « guerre raciale » et d’« anéantissement »
(Vernichtungskrieg) menée en 1940 par les troupes allemandes (Scheck, 2007 ; Fargettas, 2012).
À propos de la campagne de France (mai-juin 1940), beaucoup d’historien·nes considèrent que les Allemands ont eu un comportement korrekt à l’égard des populations civiles et des prisonniers de guerre (Scheck, 2007). C’est oublier les traitements discriminatoires brutaux, les exécutions sommaires d’au moins 3 000 tirailleurs sénégalais et les actes de barbaries à l’encontre des Noirs au fur et à mesure de la percée du Blitzkrieg. A partir de juin 1940 s’ouvre une « période de folie sanguinaire » selon une méthode répétée : les troupes françaises sont capturées, Noirs et Blancs sont séparés, puis les Africains sont passés par les armes (Fargettas, 2012, p.143). Ces actes rentrent dans la catégorie des massacres. Comme le rappelle Julien Fargettas, le « massacre renvoie directement au vocabulaire cynégétique » (op.cit., p.152) et désigne « l’action de tuer avec sauvagerie et en masse (des êtres qui ne peuvent pas se défendre). […] Dans le cas des tueries de mai et juin 1940, les massacres interviennent à l’issue des combats et en sont une véritable prolongation » (idem). La nature de ces exactions conserve « des caractéristiques de leur origine liée à la chasse, et à l a fierté d’avoir capturé et éliminé une proie. Cette fierté se mesure à la peur qu’a suscitée le gibier pris, autant qu’à l’hostilité qu’il avait pu engendrer » (idem). Des massacres ont lieu dans la Nièvre, dans l’Oise, dans la Somme, en Franche-Comté, dans la Sarthe… Le paroxysme de ces tueries a lieu dans le département du Rhône, les 19 et 20 juin 1940.
L’Ouest Lyonnais, théâtre de la tragédie des 19 et 20 juin 1940
Le lundi 17 juin 1940, le maréchal Pétain nouvellement nommé à la tête du Gouvernement Français demande l’armistice. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1940, Édouard Herriot, maire de Lyon et président de l’Assemblée Nationale, s’empresse de faire déclarer Lyon « Ville Ouverte » afin de préserver la Capitale des Gaules des bombardements. Ce n’est qu’au début de l’après-midi du 18 juin que la décision sera officielle : la population l’apprend seulement le 19 au matin, les troupes du 25e RTS et du 405e RADCA placées au nord pour la défense de la ville n’en sauront rien. Les troupes allemandes arrivent depuis Dijon par les routes nationales sans avoir rencontré de résistance. Par la Nationale 6, le régiment Grossdeutschland combattra aux villages de Chasselay-Montluzin ; par la Nationale 7 arrive la division S.S. Totenkopf. Le 25eRTS et le 405e RADCA n’ont que 1 800 hommes à opposer aux quelques 20 000 Allemands pour accomplir la mission qui leur est donnée : retarder l’avancée ennemie.
Le 19 juin, à Chasselay, 350 soldats tirailleurs et artilleurs sont en place lorsque les éléments motorisés allemands arrivent dans le village, drapeau blanc en premier. L’adjudant Requier de la 3 e Compagnie du 25 e RTS tire, abat le porte-drapeau et les hostilités débutent VI . Les combats sont violents, de nombreux soldats allemands sont tués, des chars et des auto mitrailleuses sont neutralisés . Après plusieurs heures de combats, le couvent de Montluzin où des tirailleurs s’étaient positionnés tombe, les soldats allemands envahissent l’édifice religieux et se livrent à une véritable « chasse » aux tirailleurs : « Au couvent de Montluzin, ulcérés par leurs pertes, les soldats allemands du régiment Grossdeutschland font peu de cas de la présence des religieuses, fouillent l’ensemble du domaine et poursuivent les tirailleurs survivants jusque chez l’habitant. » (Fargettas, 2012, p.153). Des tirailleurs sont exécutés d’une balle dans la nuque ou abattus à la mitrailleuse dans la cour du couvent, et même quatre artilleurs blancs du 405 e RADCA sont exécutés dans la furie. D’autres exécutions de tirailleurs ont lieu suite aux affrontements dans les villages alentours (Figure 2). Autre massacre, 27 tirailleurs sénégalais faits prisonniers à Champagne -au-Mont-d’Or sont acheminés vers le quartier de Vaise (Lyon, 9e arrondissement) et fusillés dans la montée de Balmont. Leurs corps sont recouverts d’essence et incendiés par les S.S. Dans l’après-midi, les troupes allemandes rentrent dans Lyon : « ce 19 juin à 16h30, afin de réaliser une entrée triomphale à Lyon, les Allemands défilèrent dans les grandes artères, […], en exposant sur des chars d’assaut leurs ennemis, nos tirailleurs Sénégalais, tant redoutés, mais captifs, tels un trophée de guerre à la romaine ». Malgré la prise de Lyon, les combats continuent le lendemain. À Chasselay, le capitaine Gouzy qui dirige le bataillon de tirailleurs rassemble les hommes restant pour un « dernier baroud d’honneur » : 9 Européens et 51 tirailleurs . Après plusieurs heures d’âpres combats qui font de nouvelles victimes côté allemand, le capitaine ordonne la reddition, faute de munitions et pour éviter la destruction du village. Faits prisonniers, les tirailleurs sénégalais et les blancs sont séparés en deux colonnes, « les tirailleurs levants les bras en l’air, les blancs d’encadrement à 10 pas derrière, les bras baissés », et sont conduits hors du village.
Un « Haut Lieu » de la mémoire des tirailleurs
La géographie culturelle et les sciences sociales des années 1990 se sont attachées à théoriser la symbolique des espaces et avec elle, le concept de « haut lieu » (Micoud, 1991 ; Debarbieux, 1993, Bédard, 2002). Selon Bernard Debarbieux, un « haut lieu » est d’abord un lieu traduisant la manifestation territoriale d’un système de valeurs (1993, 2003). Il est symbole par les caractéristiques du lieu et aussi par l’événement qui lui est associé. Production sociale marqué par des appropriations et des pratiques collectives de l’espace (rassemblements, commémorations, imaginaires), il constitue un élément de structuration du territoire dans lequel il est implanté. Le haut-lieu « condense » les rapports qu’une société entretient avec ses valeurs, à la fois expression et « cadre d’expériences individuelles et collectives qui ravivent leur référence au groupement social » (1995, p.100). Le haut-lieu traduit ses valeurs en leur donnant une puissance par leur spatialisation : « parce qu’il est symbole, il a le pouvoir de matérialiser l’immatériel, d’être le signe visible d’une réalisation invisible, de « compenser l’irrémédiable absence des choses essentielles ». […] Cela est tout particulièrement vrai quand il s’agit d’un passé révolu dont on veut entretenir le souvenir. En étant associé à un emplacement, l’événement du passé, historique ou légendaire, acquiert une crédibilité certaine et une certaine sacralité surtout si une forme, un paysage ou mieux, une trace, suggère l’événement. La légitimité « naturelle » du lieu s’exprime tout particulière ment dans le culte des morts. » (1995, p.108, je souligne).
En s’inspirant des travaux d’Emmanuelle Petit sur le cimetière du Biollay à Chamonix (2009), je propose d’établir une « micro-géographie » du Tata en insistant sur le rôle de certaines formes matérielles : « Les enjeux qui se jouent dans le cimetière se jouent à une micro-échelle. Ils sont avant tout de l’ordre du symbolique. » (p.2). En tant qu’inscription spatiale de la présence des tirailleurs dans le territoire français, le Tata augure « une mise en place » des morts qui reflète « l’enracinement culturel de la société des vivants » (Baudry, 2006). « Avoir sa place » désigne la reconnaissance par le biais de l’emplacement géographique d’une position dans le champ social (Petit, 2009). Parmi les quatre modalités de légitimation de la place par le biais du cimetière identifiées par Petit, nous retenons les légitimations « héroïque » et « événementielle ». La légitimation événementielle s’obtient par le fait d’être mort là, à Chasselay ; celle héroï que se comprend par le double jeu d’identification entre l’évènement local, c’est-à-dire la bataille de Chasselay de juin 1940, et le global, l’engagement des tirailleurs dans les conflits mondiaux et les liens entre la France et l’Afrique. Le Tata constitue ainsi un référent identitaire pour les différents groupes qui l’investissent. Se définir comme descendant de ces tirailleurs est un moyen de légitimation de sa propre place sur le territoire.
Micro-géographie d’un ailleurs
Le territoire de Chasselay
Le Tata est sis à la jonction entre la commune de Chasselay et celle de Les Chères. La route départementale du Tata, longeant le cimetière, relie le centre-bourg à Les Chères par le nord ouest. La commune de Chasselay est définie dans les cadres réglementaires locaux comme « commune en « couronne verte »» dans la DTA de Lyon et comme « village de proximité situé dans l’aire d’influence des pôles structurants » dans le SCoT du Beaujolais . Le Tata est ainsi inscrit dans un territoire périurbain avec une forte co mposante agricole et naturelle, précisément dans la Plaine des Chères, espace de cultures diverses. Jusqu’au milieu du XXe siècle, Chasselay est une commune rurale comprenant entre 1 000 et 1 300 habitants. Depuis l’après-guerre, en particulier à partir de 1968, Chasselay a connu une forte croissance démographique corrélée à la périurbanisation et à la croissance de Lyon.
Les migrations pendulaires sont fortes avec près d’un actif sur trois travaillant sur la métropole. La commune connaît un haut taux d’emploi (70%), les CSP+ sont la catégorie socio-professionnelle majoritaire et les ménages sont de taille moyenne (2,5 personnes).
L’habitat résidentiel est essentiellement composé de maisons individuelles, avec une surreprésentation des propriétaires. On note depuis une vingtaine d’années un vieillissement de la population. La population est essentiellement blanche. De nombreuses familles y vivent depuis plusieurs générations et malgré la croissance démographique qui a vu l’installation de nouveaux arrivants, très peu possèdent des origines étrangères. Au niveau politique, Chasselay a longtemps été marquée à droite jusqu’en 2017 . La tendance politique actuelle semble être portée vers un libéralisme proche du centre-droit, avec une sensibilité écologique . Les enfants s’y répartissent entre deux écoles, l’une privé catholique et l’autre publique.
Être pèlerin
Dans son enquête ethnographique sur la mémoire des pieds-noirs, Michèle Baussant analyse le pèlerinage que les Oranais rapatriés d’Algérie ont instauré à Nîmes à la suite de leur exil (2002). Chaque année à l’Ascension, plus de 100 000 personnes se pressent sur les hauteurs de Nîmes au sanctuaire de Notre-Dame-de-Santa-Cruz, au pied d’une Vierge ramenée d’Algérie en 1965. Le pèlerinage de la Vierge d’Oran à Nîmes articule un ensemble d’espaces, où se reconfigure, le temps des rituels, un rapport au passé assurant ainsi une forme de continuité avec l’Algérie perdue. La présence d’objets de France et d’Algérie, l’ensemble architectural, la continuité entre les lieux et les pratiques cultuelles permettent à l’ensemble des pèlerins de se retrouver pour reformer la société pied-noir et par-là se réaffirmer en tant que membre de cette communauté déracinée. L’acte de dévotion envers la Vierge est un prétexte, « le pèlerinage représente lui un moyen de se souvenir par le biais d’une pratique déterritorialisée et non historicisée » (2013, p.244). Se dessine alors sur les terres du Gard « une nouvelle géographie de l’Oranie coloniale » (op.cit., p.245).
Le Tata peut être appréhendé dans cette catégorie d’objet spatial. Si les premières commémorations pouvaient s’apparenter à un culte patriotique, les pratiques aujourd’hui sont beaucoup plus différenciées et renvoient davantage à des logiques ind ividuelles ou communautaires qu’à un pèlerinage national. Les pèlerins du Tata sont membres de la diaspora africaine. À la différence du pèlerinage de Notre-Dame-de-Santa-Cruz, le Tata ne sert pas à refaire société, mais à se conforter dans son identité, en particulier ce que c’est q ue d’être noir, africain, au sein d’une société post-coloniale.
Sémiotique du cimetière africain. Les régimes mémoriels du Tata Comme l’a montré Dominique Chevalier dans son enquête sur les musées-mémoriaux de la Shoah, saisir la mémoire en géographe implique une attention particulière à trois types de régimes spécifiques : régimes d’historicités, régimes de mémorialités et régimes de spatialités (2017). L’historicité renvoie au rapport qu’une société entretient avec une temporalité privilégiée (Hartog, 2003), dans notre cas, l’époque coloniale. Les régimes de mémorialité, dans une optique pragmatique, désignent quant à eux « la pluralité des cadres praxéologiques par où s’instancie de la mémoire, par où en somme cette entité vague acquiert sa déterminité, dans le cours d’une certaine sorte d’activité pratique et au travers des épre uves spécifiques qu’elle engage » (Peroni et Belkis, 2015, p.3). Enfin, les régimes de spatialités référent aux « catégories d’espaces composites, appréhendés selon des approches scalaires différenciées, conjuguant des articulations multiples à la fois sel on les lieux et selon les époques. » (Chevalier, 2017, p.18). Ainsi, en suivant l’articulation de ces trois régimes, l’appropriation du Tata varie en fonction des contextes historiques et géopolitiques, reconfigurant in fine les régimes mémoriels (Michel, 2015) faisant tour à tour du lieu un outil politique, une mémoire gênante et, dernièrement, un objet de revendications identitaires.
Le Tata sous Vichy et la IVe République : se rapprocher des colonies
Dès l’inauguration du 8 novembre 1942, la mémoire des tirailleurs est instrumentalisée.
Par la présence des autorités de Vichy, l’occasion est certes de rendre hommage aux tirailleurs, mais aussi de mener une propagande en direction de l’Empire afin d’assurer le soutien des colonies. Les discours prononcés sont radiodiffusés en direct, puis le lendemain également, dans toute la métropole et l’Empire XXXI . Le but étant, par la glorification du sacrifice de ces soldats noirs, de rétablir l’autorité de l’État Français dans les colonies en cette période trouble en mobilisant la mémoire de ces tirailleurs érigés en exemple pour retrouver une grandeur perdue.
Le Tata dans la société post-coloniale : l’oubli national et la redécouverte locale
Avec les Indépendances africaines, le corps d’armée des tirailleurs sénégalais est progressivement supprimé de 1960 à 1962. La mémoire des tirailleurs devient alors gênante des deux côtés de la Méditerranée. Parce qu’activement engagés dans le processus de colonisation, dans les guerres de décolonisation (Indochine, Madagascar, Algérie), et que nombre de juntes militaires post-indépendance est constitué d’anciens tirailleurs, l’image du tirailleur pâtit d’une ambiguïté dans les nouvelles sociétés africaines indépendantes (Fargettas, 2012, p.310-311). En France, la nouvelle humiliation de la perte de l’Empire colonial conduit à refouler ces hommes de la mémoire collective car n’étant plus en phase avec l’air du temps.
Intrinsèquement lié à la mémoire des tirailleurs, le Tata connaît le même désintérêt suite à la décolonisation. Jean Marchiani, après vingt-cinq années à assurer la tâche de « Conservateur du Tata », lègue l’édifice au Ministère de la Défense en 1966 XXXV . Bien que reconnu d’utilité publique et nécropole nationale à compter de cette date, le Tata ne connaît plus aucune manifestation d’ordre national. Seule la cérémonie instaurée à l’occasion de la commémoration des combats des 19 et 20 juin 1940 perdure. Organisée par les Anciens Combattants des Troupes de Marine (ACTM), cette cérémonie reste la seule manifestation officielle autour du Tata et de son histoire jusque dans les années 1980 (Arce et Gutierrez, 2007).
Laissé de côté par les institutions officielles, le Tata va être découvert par les personnes issues de l’immigration africaine de la région lyonnaise dans les années 1980. Cette appropriation s’appuie sur un petit groupe formé autour de Louis-Thomas Achille, qui se rend au Tata tous les 11 novembre depuis 1947 :
Ce Tata, […], n’était pas un lieu de mémoire du tout puisque de 1947, en gros à l’arrivée d’Achille ici à Lyon, et de ses amis africains de Grenoble qui venaient se recueillir, c’était quatre ou cinq au Tata et c’était tout. Il y avait personne d’autre au 11 novembre. (Maurice, homme, blanc, 80 ans, ami de Louis-Thomas Achille, membre de l’APAL. Entretien, 08/04/2019).
Ce martiniquais, professeur agrégé d’anglais en khâgne au lycée du Parc à Lyon de 1946 à 1974, effectue ainsi chaque année son propre pèlerinage au Tata jusqu’à sa mort en 1994 Intellectuel noir, ami et ancien camarade d’Aimé Césaire et de Léopold Sédar Senghor, membre actif du mouvement politico-littéraire de la négritude, professeur à l’université.
S’approprier le Tata, faire vivre les tirailleurs
Le réseau mémoriel des tirailleurs
Typologie des entrepreneurs du Tata
Pour l’ensemble des acteurs, investir et faire connaître le Tata relève du « devoir de mémoire ». Cette notion, aujourd’hui allant de soi, n’a rien d’évident et devant l’apparent consensus créée par ce mot de ralliement, il convier de dévoiler l a finalité propre à chacun derrière la mobilisation de la mémoire des tirailleurs (Lalieu, 2001 ; Gensburger et Lavabre, 2005 ; Ledoux, 2009). Faire vivre les tirailleurs relève d’une action publique mémorielle qui se partage entre acteurs associatifs et acteurs politico-administratifs (Michel, 2015 ; Gensburger et Lefranc, 2017). Les acteurs mobilisés autour du Tata cherchent par leurs interventions à produire et imposer des souvenirs communs concernant l’histoire des combats de Chasselay et/ou l’histoire des tirailleurs. Ce type d’acteurs mobilisant la mémoire à des fins de reconnaissance du passé sont qualifiés d’« entrepreneurs de mémoire » (Pollak, 1993 ; Michel, 2010, 2015 ; Gensburger et Lefranc, 2017 ; Naef, 2018). En plus de créer un ensemble de souvenirs communs, les entrepreneurs du Tata mettent aussi en relations d’autres lieux de mémoires de la région lyonnaise : la stèle de Montluzin, lieu des combats du 19 juin 1940 ; la montée de Balmont où furent exécutés vingt-sept tirailleurs le 19 juin 1940 ; la nécropole nationale de la Doua dédiée aux combattants des Première et Seconde guerres mondiale s ; la prison de Montluc, « haut-lieu de la mémoire nationale ». Se dessine par la mise en relation de ces différents lieux ce que je propose de nommer un réseau mémoriel, espace relationnel où la connexité entre les lieux est définie par les pratiques mémorielles des groupes sociaux.
Chaque groupe possède ses entrepreneurs de mémoire qui défendent une forme particulière de la mémoire des tirailleurs en fonction des lieux, appréhendée selon les intérêts et les valeurs du groupe. Ces formes particulières de mémoire s’articulent au sein du réseau mémoriel qui permet de circonscrire spatialement la mémoire des tirailleurs dans son ensemble.
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Table des matières
Introduction
Prologue – Le Tata et les tirailleurs sénégalais, histoires croisées
Les tirailleurs sénégalais, entre mobilisations et extermination
L’Ouest Lyonnais, théâtre de la tragédie des 19 et 20 juin 1940
Commémorer dans la tourmente : le projet de Jean Marchiani
Chapitre 1 – Un « Haut Lieu » de la mémoire des tirailleurs
Micro-géographie d’un ailleurs
Le territoire de Chasselay
Le Tata, cimetière géosymbolique
Le « pèlerinage » comme pratique mémorielle de l’espace
Le Tata, un « centre de pèlerinages »
Être pèlerin
Chapitre 2 – Sémiotique du cimetière africain. Les régimes mémoriels du Tata
Le Tata sous Vichy et la IVe République : se rapprocher des colonies
Le Tata dans la société post-coloniale : l’oubli national et la redécouverte locale
Polémiques politiques et sursauts médiatiques
Chapitre 3 – S’approprier le Tata, faire vivre les tirailleurs
Le réseau mémoriel des tirailleurs. Typologie des entrepreneurs du Tata
Le Tata dans la vie du village
L’ONACVG, la gestion de la mémoire officielle
Les Anciens Combattants, honorer « le respect de la mission » et témoigner du « crime raciste »
Les associations africaines et l’ancrage identitaire
La mémoire des « Autres » du Tata
Le souvenir de Jean Marchiani, fondateur du Tata
Louis-Thomas Achille et le Tata comme manifestation territoriale de la négritude
Les Chasselois·es de 1940, figures locales de la tragédie
Découvrir le Tata. La réception du terrain par l’apprenti-chercheur
« Pourquoi le Tata ? »
Braconnage, surinterprétation et triangulation des sources
S’insérer dans le réseau mémoriel
Conclusion
Bibliographie
Table des matières
Table des illustrations
Liste des acronymes
Notes de fin – Archives
Annexes
Table des annexes
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