Sémantique modale des noms d’humains

Les caractéristiques sémantiques des NH

             Sémantiquement maintenant, les N se caractérisent par des traits sémantiques qui leur sont consubstantiels, encodés « génétiquement » dans leurs sémantismes indépendamment de leurs emplois discursifs et des rôles thématiques qu’ils peuvent jouer dès lors qu’ils sont intégrés dans des schémas prédicatifs donnés. Ces traits, internes aux N, fonctionnent en couples dichotomiques et s’appuient sur des critères ontologiques, ceux des référents auxquels ils renvoient. Les traits auxquels la littérature linguistique a le plus recours pour classer les N en général sont les traits : [concret vs abstrait], [dénombrable vs indénombrable], [animé/humain vs inanimé/non humain], [naturel vs fabriqué3]. Ces traits sémantiques, s’ils paraissent aller de soi pour discriminer certaines sous-catégories du N, posent néanmoins des problèmes de définition : qu’est-ce qu’un N abstrait ? Est-ce un N dont le référent échappe à l’emprise des sens ou est-ce un N non matériel? De plus l’attribution d’un de ces traits à un N n’est pas toujours évidente. En effet, quel sens parmi l’éventail polysémique d’une occurrence doit-on prendre en considération pour lui attribuer un trait sémantique ? Dans le domaine des NH, un N comme bourreau doit-il être considéré comme concret ou abstrait, suivant qu’il désigne un métier ou qu’il fonctionne comme un terme d’insulte ? Quel que soit le flou qui entoure l’attribution de ces traits, ils restent fonctionnels dans les analyses linguistiques et incontournables comme critères discriminatoires dans les différentes typologies des N ou du moins les incluent avec d’autres critères syntaxiques et fonctionnels (Cf. R. Huyghe (2015) pour une vue générale de ces typologies, N. Flaux et Van De Velde (2000) pour une typologie du N et G. Gross (2014), pour une typologie des NH). D’ailleurs la délimitation de notre objet d’étude découle directement de l’application d’un de ces critères ontologiques, en l’occurrence, le trait [+humain]. Mais à l’instar des autres sous-catégories du N, les NH eux non plus n’échappent pas à cette imprécision relevée plus haut. Si comme leur nom l’indique, ils sont intuitivement reconnus comme [+animé/+humain], on est en droit de se demander avec C. Schnedecker et R. Martin cité par C. Schnedecker (2018 : 42) à quel point les autres traits sont applicables. En effet, si au premier abord, les NH paraissent dénombrables (un abbé/deux abbés/plusieurs abbés), concrets (plusieurs caractéristiques physiques, notamment vestimentaires, peuvent distinguer un abbé, un soldat, un enfant, un gueux de leurs semblables humains) et naturels (dans le sens où ils ne sont pas fabriqués), il n’en reste pas moins que des NH comme médecin et universitaire restent hors de portée de la discrimination sensorielle. Est-il encore légitime de les désigner comme concrets ? Il est permis d’en douter. Dans tous les cas, ce trait, dans le domaine des NH « n’a rien d’évident ». Si l’agentivité de ces NH paraît établie, N. Flaux et V. Mostrov (2016) ont réussi à démontrer que deux NH comme imbécile et salaud ne sont pas, quant au trait [agentif], logés à la même enseigne. D’autre part, depuis les travaux de G. Kleiber sur la dénomination, nous admettons qu’un lexème (N commun) a le pouvoir de renvoyer à un segment de la réalité, un référent extralinguistique qu’il appréhende comme une classe, une catégorie d’objet selon une convention préalablement établie et partagée par tous les locuteurs de la langue. Selon les termes de J.-C. Milner (1978 :294-296), c’est suivant une « référence virtuelle » qui leur est propre que « les noms ordinaires sont classifiants », « ils opèrent une subsomption d’un objet sous un concept ». Ils diffèrent en cela du N propre qui désigne un objet singulier suivant une convention, ad hoc, instituée par une instance qui peut être aussi réduite qu’un individu donné (i.e. un père qui baptise son enfant). Ces NH classifiants sont indexés à des catégories référentielles reconnues comme telles. Mais les NH « qualifiants » (appréciatifs et axiologiques) n’ont pas fait l’objet d’un pré-codage, également partagé par les différents interlocuteurs puisque leurs propriétés sémantiques internes n’ont pas été prédéfinies, du moins, varient-elles largement d’une personne à une autre, d’une communauté linguistique à une autre et sont tributaires de subjectivités individuelles et collectives. Suivant quels critères, pouvons-nous dénommer un individu quelconque comme un salaud, un imbécile, un vaurien ? Si cabaretier est le nom d’une personne qui tient un cabaret, un boulanger, le nom d’une personne qui fabrique du pain/tient une boulangerie, la catégorie référentielle de salaud n’est ni préconstruite ni préalablement codée. Même si une communauté d’interlocuteurs s’accorde sur un type de comportement déviant pour dénommer un salaud, un imbécile (une base dénominative partagée) se pose aussi la question de la fréquence, de la régularité à partir desquelles justifier cette dénomination. A partir de quel moment et suivant quelle fréquence sommesnous en droit de référer à une personne par ce type de dénominations ? Ce qui prouve que l’attribution de ces dénominations à des individus qui vérifieraient les critères d’attribution relève de la subjectivité, du jugement de valeur et sont de ce fait négociables dans le discours. Ce n’est pas le cas des classifiants, qui dès lors que les critères d’attribution sont remplis, sont univoques. J.-C. Milner (1978 :296) résumant les différences entre classifiants et non-classifiants affirme : [I]l n’existe pas de classe « idiot », « salaud », etc. dont les membres seraient reconnaissables à des caractères objectifs communs ; la seule propriété commune qu’on puisse leur attribuer, c’est qu’on profère à leur égard dans une énonciation singulière l’insulte considérée. Alors que pour un nom ordinaire X, l’attribution « tu es un X » dépend entièrement de la subsistance autonome et de la bonne définition de la classe des X…

La subjectivité entre modalité et modalisation

                   La modalité ne recouvre pas le même champ conceptuel, lorsqu’elle est appréhendée par les différentes disciplines. Si en logique et en sémantique formelle, elle réfère à la vérité des propositions (i.e. leurs conditions de vérité), la modalité en linguistique se propose de rendre compte des processus d’ancrage du sujet parlant dans son discours. Cette « subjectivité » peut être appréhendée à travers les rapports qu’entretient un énonciateur avec le contenu propositionnel de son énoncé, mais aussi ses rapports avec un interlocuteur. La modalité recouvre, dans cette perspective, les situations où un sujet se positionne par rapport à un dit pour le valider suivant plusieurs processus. Il peut le présenter comme probable, possible, nécessaire, etc. Ainsi dans :
(3) Il est certain que Jacques ne viendra pas à l’auberge
(4) Il est peu probable que Jacques vienne à l’auberge
(5) Il est nécessaire que Jacques vienne à l’auberge
(6) Jacques doit venir à l’auberge,
la même proposition (Jacques venir) est validée par le locuteur comme certaine, probable, nécessaire, obligatoire, respectivement dans (3), (4), (5) et (6). Ces modalités constituent ce qu’il est convenu d’appeler les modalités de l’énoncé. Elles couvrent l’aléthique, l’épistémique, le déontique, etc. Ce même locuteur peut encore présenter son dit comme souhaitable, regrettable, etc. De ce fait, les énoncés :
(7) Il est regrettable que Jacques soit venu à l’auberge
(8) Il est souhaitable que Jacques vienne à l’auberge,
présentent la venue de Jacques suivant les désirs d’un sujet. La validation de la proposition ne se fait plus suivant la vérité ou la fausseté de la proposition, mais suivant l’état psychologique d’un sujet. La modalité peut encore recouvrir les rapports intersubjectifs entre énonciateur et co-énonciateur et constitue ce qu’il est convenu d’appeler la modalité de l’énonciation. On l’appelle aussi modalité de phrase et concerne l’assertion, l’interrogation et l’injonction comme dans (9), (10) et (11) :
(9) Jacques vient à l’auberge.
(10) Jacques, vient-il à l’auberge ?
(11) Jacques ! Viens à l’auberge.

De la modalité logique à la modalité linguistique

                 Les modalités, selon l’approche philosophique d’Aristote, relèvent du nécessaire (le toujours vrai) et du possible27 (tantôt vrai). Ces modalités ont été ensuite étendues, et ce depuis Aristote, au contingent (tantôt faux) et de l’impossible (le toujours faux) pour former avec les premières les modalités de l’aléthique28. Ce dispositif à quatre valeurs peut être réduit à un triangle puisque le contingent et le possible se recouvrent largement. Si cette conception de la modalité paraît très réductionniste, c’est qu’elle répond aux besoins du philosophe de construire un système qui puisse déterminer les conditions de vérité et de fausseté des propositions dans le cadre du discours théorétique. Une modalité, donc, opère sur un contenu propositionnel p en le modifiant. Cette conception générale de la modalité comme modification d’un contenu propositionnel, nous la retrouverons dans presque toutes les différentes théories de la modalité : elle se présente comme « assertion » puis « réaction » chez Ch. Bally, comme « point de vue » énonciatif chez Le Querler ou encore « validation/invalidation » chez L. Gosselin et R. Vion. En fait, cette « modification » porte sur un prédicat en lui assignant une valeur, la nécessité, le possible, le certain, le probable, etc. Prenons un exemple. (16) est une proposition p à « l’état modal zéro29 », (16a) la même proposition modifiée par le marqueur « nécessairement » marquant la nécessité et une proposition (16b) à laquelle on adjoint un opérateur « il est possible que » pour marquer la possibilité aléthique dans :
(16) Jacques est un menteur.
(16a) Jacques est nécessairement un menteur.
(16b) Il est possible que Jacques soit un menteur.
Soit en langage formel : (16) = p ; (16a) = □ p ; (16b) = ◊ p. Soit aussi que (16a) et (16b) modifient un même contenu propositionnel p en (16) : « Jacques être un menteur ». En fait, la modalité, outre les valeurs particulières qu’elle peut construire dans des énoncés (i.e. les différences conceptuelles modales entre (16a) nécessaire et (16b) possible), mue ces derniers en un dit « problématique », susceptible de contradiction, de réfutation ou encore d’approbation. Ils se présentent dans les échanges langagiers comme « validés » d’une certaine manière. Ce système modal premier sera par la suite développé, nuancé en adjoignant à ces mêmes quatre modalités fondées sur le vrai/faux, d’autres concepts (la personne, le temps, etc.) pour produire d’autres combinaisons de quaternes modaux, dont notamment les modalités épistémiques (le certain, l’exclu, le plausible et le contestable). Car on s’est aperçu, et ce depuis les travaux d’Aristote, que la modalité ne dépend pas que de la vérité objective des propositions valables dans les énoncés apodictiques, mais aussi de la vérité subjective, celle d’un sujet ou d’une collectivité. Le nécessaire du point de vue d’un sujet – « subjectif » donc– produit le certain, en l’occurrence un nécessaire subjectif. Et c’est ainsi qu’on est passé de l’impossible à l’exclu, du possible au plausible et du contingent au contestable. L. Gosselin (2010 : 43- 44) résume ainsi ces extensions successives et ultérieures de la modalité à partir du nécessaire et de l’impossible pour embrasser des catégories modales aussi diverses que le déontique, le boulique, l’appréciatif et l’axiologique : « A côté des modalités du « vrai objectif » (modalités « aléthiques »), apparaissent ainsi, dès l’aristotélisme (en particulier dans la Rhétorique et les Topiques) les prémices de ce qui deviendra des systèmes de modalités portant sur le « vrai subjectif » (modalités « épistémiques » et «doxastiques») et sur les appréciations d’ordre affectif et/ou esthétique (modalités «appréciatives»), ou d’ordre moral (modalités « axiologiques »). Enfin, la prise en compte des «raisonnements pratiques » (i.e. des raisonnements qui visent à déterminer ou justifier une action et non à établir ou justifier une vérité), conduit Aristote à identifier des modes de validation des propositions qui ne relèvent plus de la vérité (qu’elle soit objective ou subjective), c’est-à-dire d’une forme de correspondance au monde, mais de l’obligation ou du désir. On trouve là l’origine des modalités « déontiques » et « bouliques ».

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 – PREAMBULE THEORIQUE
CHAPITRE 1 – MODALITE ET THEORIES
1- Cadres théoriques de la modalité
2- La subjectivité entre modalité et modalisation
3- De la modalité logique à la modalité linguistique
4- La modalité en linguistique
CHAPITRE 2 – LA MODALITE INTRINSEQUE AUX LEXEMES
1- Les paramètres modaux de la modalité intrinsèquement associée aux lexèmes
2- L’instance de validation (I)
3- La direction d’ajustement (D)
4- La catégorie modale
5- La force de validation (F)
CHAPITRE 3 – TESTS ET CLASSIFICATEUR DES NH
1- Présentation des tests pour le niveau LexLing
2- Présentation du classificateur
PARTIE 2 – APPLICATION : TYPOLOGIE, AU NIVEAU LEXICAL, DES MODALITES INTRINSEQUES ASSOCIEES AUX NH DANS JLF
CHAPITRE 4 – CORPUS, ANALYSE MODALE ET RESULTATS
1- Présentation du corpus
2- Présentation des résultats de l’analyse LexLing des NH de JLF
3- Un classificateur remanié
4- Bilan de l’analyse (LexLing) des NH de JLF
CHAPITRE 5 – ASPECT SEMANTICO-SYNTAXIQUE DES NH ET VALIDATION DE LEURS REPRESENTATIONS 
1- Rapports entre différents sens et processus de validation des NH mixtes
2- Les modalités aléthiques et appréciatives externes subsumées par les NHRel mixtes de la classe IV’ (type ami/confident/rival) et des NH mixtes non-relationnels de la même classe (type étranger/inconnu)
3- Les prédicats nominaux non-classifiants et mixtes : entre aspects sémantiques et constructions modales
PARTIE 3 – STRUCTURE MODALE, MODALISATION ET ETUDE DE CAS EN CONTEXTE
CHAPITRE 6 – POTENTIEL MODAL DES NH ET RAPPORTS ENTRE MODALITES DE NIVEAUX DIFFERENTS : LEXICAL, SUBLEXICAL ET STEREOTYPIQUE
1- Une structure modale tripartite
2- La saillance sémantique de la modalité suivant les co(n)textes discursifs intégrants et les niveaux d’analyse postulés (lexical, sublexical et stéréotypique)
3- Bilan des rapports entre modalités de niveaux différents
CHAPITRE 7 – ÉTUDES DE CAS DE NH EN CONTEXTE : MODALITES LEXICALE, SUBLEXICALE ET STEREOTYPIQUE
1- La modalité de niveau sublexical : cas de la modalité déontique associée aux sous-prédicats des NH aléthiques
2- La modalité stéréotypique dans l’analyse du discours littéraire
3- Un « quiproquo modal» : des modalités lexicale, sublexicale et stéréotypique primaire appréciatives/axiologiques, discursivement suspendues
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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