Selon quelle(s) modalité(s) s’opère la distinction dans les projets d’éco-quartiers ?

Eco-quartiers :  Quels rôles ? Quelles ambitions ? Quels constats ?

    Affiches d’un nouvel « urbanisme durable », les projets d’éco-quartiers se multiplient comme le montre l’appel à projets EcoQuartier 2011 lancé par le MEDDTL (Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement) pour lequel 500 projets d’éco-quartiers ont été présentés, contre 150 pour l’appel à projets EcoQuartier 2009. Les différentes expériences tirées de la création de ces quartiers constituent une « banque de données », qui explique les procédures de montage, de financement, de suivi des projets, destinée à aider les collectivités souhaitant entreprendre ce type d’opération. La diffusion de ces informations explique, entre autre, l’augmentation du nombre de candidature. Ce qui était à l’origine considéré comme une expérience innovante en aménagement, semble être devenu aujourd’hui une opération commune. Mais quelles ambitions, quels principes se cachent réellement derrière le terme d’ « éco-quartier » ? « Il n’y a pas vraiment de définition, et on peut dire que c’est tant mieux car donner une définition risque de fermer des portes à certaines initiatives. Néanmoins, il y a consensus sur ce qui caractérise un projet d’écoquartiers : réduire l’impact de la ville sur l’environnement domaine par domaine : eau, déchets, énergies, transports etc. […] Les éco-quartiers sont des expérimentations qui visent à apporter des solutions aux disfonctionnements du modèle urbain ». En effet, il n’y a pas de définition universelle de cette notion, mais de nombreuses ont été données qui tendent vers la même signification, dont celle du dictionnaire de Merlin Choay décrivantl’évolution du concept depuis son apparition jusqu’à aujourd’hui, et celle de Benoit Boutaud qui définit la notion selon différents points de vue (historique, scientifique, usuel et institutionnel):Définition de l’éco-quartier dans le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Merlin, Choay (2010) : Les préoccupations relatives à l’environnement, et en particulier au changement climatique, ont conduit à rechercher les formes urbaines et architecturales les plus susceptibles d’y apporter une réponse. La notion de ville compacte a émergé, dans un premier temps pour économiser l’espace et revitaliser les centres des grandes villes (Londres, Amsterdam, etc.), puis pour réduire les dépenses d’énergies et les émissions de gaz à effet de serre (GES). Plus récemment est apparu le concept des éco-quartiers (ou quartiers durables). Un éco-quartier est un quartier urbain qui s’inscrit dans une perceptive de développement durable. L’objectif est de réduire son impact sur l’environnement, tout en favorisant le développement économique ainsi que la qualité de vie, la mixité et l’intégration sociales. Il doit donc répondre à la fois aux trois objectifs du développement durable, telles que définis en 1987 par le rapport Brundtland (Our commun future) : social, économique et environnemental. De façon plus précise, les éco-quartiers cherchent à adopter des solutions innovantes et efficaces en matière de :
– bilan énergétique, notamment en recourant aux énergies renouvelables et en réduisant la consommation d’énergie à travers la conception de l’urbanisme et des constructions et l’adoption de comportements vertueux ;
– construction écologique (éco-conception, éco-matériaux, bâtiments neutres en énergie, voire à énergie positive) ;
– gestion des eaux (systèmes alternatifs de gestion des eaux pluviales et recyclage des eaux usées) ;
– traitement des déchets (collecte, tri sélectif, recyclage compostage) ;
– prise en compte des risques naturels et technologiques et prévention des nuisances ;
– préservation des paysages et de la biodiversité ;
– réduction des distances, développement des transports collectifs, facilitation des « modes doux » (marche, bicyclette) ;
– offre de logements permettant une grande mixité sociale ;
– réalisation d’équipements favorisant la vie sociale et collective ;
– participation de tous les acteurs, et d’abord des habitants, aux décisions concernant la vie du quartier ;
– offre de commerces, d’emplois, d’infrastructures accessibles à tous et à proximité. […] La notion d’éco-quartier peut être élargie à l’échelle de la ville (Fribourg peut être considérée comme pionnière), voire d’une région urbaine : telle est l’ambition annoncée pour l’Ile-de-France en 2004 (Pierre Merlin, L’éco-région d’Ile-de-France, une utopie réaliste, Paris, 2007).
Définition de l’éco-quartier par Benoit Boutaud dans l’article « Quartier durable ou écoquartier ? » (2009) : (Histoire) Une forme d’expérimentation urbanistique initiée dès la fin du XXe siècle essentiellement dans les pays du nord et du centre de l’Europe qui  débute avec le phénomène des éco-villages créés dans plusieurs régions du monde dans les années 1960 et 1970. L’ambition de ces ensembles était de concrétiser, par des opérations exemplaires bénéficiant de ressources financières exceptionnelles, certains principes environnementaux puis sociaux et économiques regroupés dans les années 1990-2000 dans la notion de développement durable. Laboratoires expérimentaux des principes de l’urbanisme du XXIe siècle, ils constituent des vitrines indispensables visant à rendre concrètes les approches théoriques d’une ville qui s’insère plus harmonieusement dans son environnement naturel tout en amorçant une diffusion de ces principes à grande échelle. Le temps des pionniers passé, tout éco-quartier développé depuis les années 2000 doit présenter des caractéristiques sociales, environnementales et économiques optimales. On distingue trois générations d’éco-quartiers :
1. Les proto-quartiers : disséminés, confidentiels et à fort caractère militant.
2. Les quartiers prototypes : réalisés dans les années 1980 et au début des années 1990, peu nombreux, circonscrits aux pays du nord de l’Europe et aux pays germaniques, à caractère exceptionnel et devenus très célèbres (Fribourg, Malmö, Helsinki, Stockholm…).
3. Les quartiers types : de la fin des années 1990 à aujourd’hui, très nombreux, ne dérogeant plus aux dispositifs classiques pour leur réalisation, encore principalement localisés dans une large frange nord de l’Europe mais commençant à être présents dans les espaces plus au sud. (Scientifique) Un espace bâti nouveau ou reconverti d’une ville, dans ou à proximité d’un centre urbain dense, de l’échelle d’un quartier, ayant pour vocation d’appliquer, de préserver et de développer sur le temps long l’ensemble des principes environnementaux, sociaux et économiques de développement durable qui ont gouverné à sa conception. (Usuel) Dans le langage courant, un quartier d’une ville désigné comme tel par ses initiateurs et répondant à un certain nombre de principes environnementaux, sociaux ou économiques. Éco-quartier est parfois utilisé comme synonyme de quartier durable bien que leurs sens divergent. (Institutionnel) Un terme labellisé (« ÉcoQuartier ») en 2008 par le MEEDDM dans le cadre d’un concours sur la ville durable afin notamment de dynamiser le développement des pratiques d’urbanisme durable en France. Les définitions précédentes emploient le terme d’éco-quartier, pourtant d’autres emploient celui de quartier durable. L’utilisation de ces termes, bien que désignant tous deux une façon nouvelle de traiter l’espace urbain, fait aujourd’hui débat. Selon Taoufik Souami, le quartier durable intègrerait dans son aménagement tous les piliers du développement durable (environnemental, économique, social et la gouvernance), alors que l’éco-quartier aurait une visée essentiellement environnementale, notamment en ce qui concerne les aspects énergétiques de son développement. Afin d’éviter toute confusion et « un débat sémantique stérile sur (leur) distinction » (Da Cunha, 2011, p.194), nous emploierons le terme d’« éco-quartier »  tout au long de ce projet de recherche, en lui associant la définition du MEDDTL : « L’EcoQuartier est une opération d’aménagement durable exemplaire. Mesure phare du plan Ville durable du ministère, il contribue à améliorer notre qualité de vie, tout en l’adaptant aux enjeux de demain : préserver nos ressources et nos paysages, tout en préparant les conditions de la création d’une offre de logements adaptée aux besoins. […] Ils doivent répondre aux attentes du plus grand nombre pour éviter l’« effet vitrine » avec seulement des constructions très avant-gardistes pouvant conduire à des rejets ultérieurs du projet. Enfin, l’EcoQuartier doit être issu de compromis entre tous les acteurs concernés, dont le cas échéant, les futurs habitants, les riverains, les acteurs économiques ». Le choix de cette définition institutionnelle a été motivé par le fait que les deux terrains d’étude choisis pour cette recherche ont participé à l’appel à projets EcoQuartier 2009 du MDDTL. Dans cette logique nous prenons en référence cette définition. Au vue de ces définitions, quelques questions apparaissent, auxquelles nous n’apporterons pas nécessairement de réponses par la suite, mais qui pointent certaines notions encore « floues » sur le sujet : le quartier constitue-t-il véritablement la bonne échelle d’intervention pour rendre la ville plus durable ? « Les éco-quartiers constituentils véritablement des laboratoires permettant d’expérimenter des solutions urbanistiques pour la ville durable de demain ou seulement des épiphénomènes particuliers et difficilement généralisables »(Nahrath, 2011, p.192) ? Quelle est la cohérence entre ce qui est dit et ce qui est mis en pratique ? Etc. Et si les éco-quartiers apparaissent comme des modèles de développement urbain, il est même dit au sujet de certains qu’ils sont LA référence, les modèles comme l’explique Taoufik Souami dans son article « Les quartiers durables en Europe : mythes et réalités »: BEDZed, Hammarby Sjöstad, Vesterbro, Vauban, Kronsberg, pour ne citer qu’eux.

Modèle(s) d’éco-quartiers ou éco-quartiers modèles ?

   Lorsqu’on parle d’éco-quartier, la notion de « modèle » est très importante. Car sur le concept d’éco-quartier, la sémantique du mot est intéressante. Le premier sens qui peut lui être attribué est celui-ci : la multiplication des éco-quartiers et surtout les « leçons » que l’on tire de ces projets, tendent à créer le(s) modèle(s) d’éco-quartier. Il s’agit d’un modèle façonné par les « bonnes pratiques », que l’on peut définir comme les « préceptes » clés à l’origine du succès de « réalisations urbaines (jugées) exemplaires » et « dont il faut suivre les commandements » (Arab, 2007, p.34). Ce modèle transformerait à son tour le concept d’éco-quartier, suivant une boucle vertueuse, dans le sens où le modèle se rapproche petit à petit d’un modèle qu’on pourrait qualifier d’utopique. En quelque sorte, il « s’auto-construit ». Ce n’est pas le sens sur lequel nous nous sommes penchés plus précisément dans cette recherche, mais il est relié d’une certaine manière à l’étude de la circulation des modèles et aide à comprendre le lien entre tous les concepts. Le deuxième sens de « modèle », celui qu’on lui attribuera par la suite dans ce projet de recherche, est donné par la définition du Dictionnaire Français Larousse : se dit de quelque chose « qui est parfait en son genre, qu’il faut imiter ». En fait, c’est le fameux « c’est un modèle, prends le en exemple ! ». Et pour les éco-quartiers, les exemples sont ceux cités précédemment : BEDZed, Hammarby Sjöstad, Vesterbro, Vauban, Kronsberg etc. Dès lors, il est légitime de se demander pourquoi justement ce sont ces quartiers-ci qui sont cités à titre d’exemple, quels éléments « distinctifs » ont-ils intégré depuis leur conception jusqu’à leur réalisation et au-delà qui ont fait leur succès ? En fait, comment se construisent les modèles ? Il est assez difficile de répondre précisément à ces questions car de nombreux critères sont à prendre en considération. Une première approche repose sur la temporalité. L’apparition des éco-quartiers est relativement récente, et il est évident que les premiers à « sortir de terre », c’est encore plus vrai pour les projets de grandes ampleurs, ont bénéficié d’une couverture médiatique (presse spécialisée principalement) importante du fait de l’« effervescence » qui a entouré l’apparition de ce phénomène nouveau. Réduire le degré d’importance accordé à un éco-quartier à sa date d’apparition est cependant un peu trop simpliste, même si cela y participe grandement. Bien évidemment, il faut aussi tenir compte des solutions techniques mises en place dans les projets, de la communication qui est faite autour de ceux-ci etc. Au-delà de la presse, les visites organisées pour les professionnels (élus, techniciens etc.) sur ces sites « emblématiques » ont aussi contribué à construire la notion de modèle et d’exemple, et participent à leur transfert. Comme le détaille Nadia Arab, « différents modes d’usage de ces voyages et visites sont repérables et peuvent être regroupés en trois grandes logiques d’action : – découvrir ce qui existe ailleurs et « dénicher » des concepts originaux […] – valider ou invalider des hypothèses de programme […] – comprendre les modes de fonctionnement des équipements et évaluer leur faisabilité dans le contexte local » (Arab, 2007, p.41). Plus généralement, ces quartiers sont considérés comme des modèles, car ils se sont fixés des objectifs ambitieux, sur des thématiques aussi larges que les déchets, l’eau, l’énergie etc., et intègrent des caractéristiques innovantes (du moins au moment de leur conception/réalisation). Nous reviendrons sur la notion d’« innovation » un peu plus loin. La notion de modèle, on l’a vu, implique donc la notion d’exemple. Il ne faut cependant pas se tromper sur le terme ; Si on considère qu’un éco-quartier est un modèle et qu’il peut être pris en exemple, cela ne signifie pas pour autant qu’il est « reproductible ». Le fait d’être considéré comme un exemple n’implique évidemment pas sa reproductibilité, l’inverse n’est pas vrai non plus. La nuance se trouve ailleurs : il y a des modèles, on peut s’en inspirer. Des guides de « bonnes pratiques » en aménagement sont notamment faits pour ça.

Bonnes pratiques dans le développement urbain durable

   Avec l’apparition du développement durable et la prise en compte des enjeux environnementaux dans les politiques urbaines, une nouvelle manière de faire la ville est apparue. Comme le souligne Laurent Devisme, Marc Dumont et Elise Roy, les collectivités locales et plus généralement les structures chargées de cette mission sont à la recherche de « méthodes, techniques et recherches » (Devisme & al., 2007, p.15) pour parvenir à la remplir le plus facilement et le plus efficacement possible. Les guides de bonnes pratiques1 en font partie. Les bonnes pratiques travaillent comme des « guides de savoir-faire » (ibid. p.18) « qui constituent une sorte de chemin à suivre » (NavezBouchanine, 2007, p.102). Les bonnes pratiques sont donc « normalement » ce que l’on pourrait appeler des « outils » d’aménagement, dont l’emploi doit mener à la réalisation de projets exemplaires, ou du moins à la réalisation de « bons » projets car employant des pratiques jugées elles-mêmes « bonnes ». « Normalement » ? A l’origine, les bonnes pratiques ont effectivement la vocation d’être des outils d’aménagement, mais il y a progressivement un changement, une transformation dans l’utilisation qu’il en est fait. Il y a un glissement de l’outil « bonne pratique » à l’objectif « bonne pratique ». Les acteurs de l’aménagement (élus, architectes, urbanistes etc.) n’emploient plus uniquement ces bonnes pratiques comme des moyens pour créer, faire émerger leur projet, mais ils cherchent parfois à les atteindre. Elles peuvent devenir la finalité de ces opérations. Les propos du maire de Limeil-Brévannes illustrent bien cela : « je connais un certain nombre d’opérations, pour autant je ne peux pas dire que je m’en suis inspiré. J’ai surtout repris les objectifs, pour regarder comment essayer de les atteindre. D’ailleurs quand je demandais aux promoteurs 140 watts par an, on partait de l’objectif et on ne leur donnait pas les moyens ». La confusion qui subsiste quant à la nature même des bonnes pratiques, fait qu’elles agissent « comme des systèmes de normalisation, voire de standardisation » (Devisme & al., 2007, p.18). Laurent Devisme le souligne d’ailleurs, « on préfère aujourd’hui volontiers, par coquetterie de langage, les termes de « bonnes pratiques », […], à ceux de méthode, démarche, recommandations, normes, expérimentation, expériences… » (ibid. p.17). On pourrait résumer cela de la manière suivante : « Ces guides de bonnes pratiques existent, et à vrai dire peu importe qu’elles soient des outils ou des objectifs tant qu’il est possible « a minima (de) s’(en) inspirer, […] (et) a maxima (de les) reproduire » (Arab, 2007, p.34) ». Les reproduire, comme on appliquerait une règle ou suivrait une méthode universelle. Ce constat soulève une autre question : la place de l’innovation dans les projets urbains. En effet, il paraît logique que si les bonnes pratiques deviennent des normes sur lesquelles il peut être intéressant de se baser pour construire ces projets, la place laissée à l’innovation semble quelque peu restreinte. Sur ce sujet, les spécialistes peinent à s’accorder ; deux points de vue s’opposent. Il y a ceux qui pensent que les bonnes pratiques peuvent être « un frein à l’innovation » (ibid. p.35). Nadia Arab s’interroge sur cette problématique. Elle relate par exemple les propos du président du Conseil national des centres commerciaux : « il y a un modèle qui marche bien, c’est le centre commercial avec un multiplexe cinéma, de la restauration et une galerie marchande. Pour le reste, il se dit tout et n’importe quoi sur les loisirs 2 » (ibid. p.38), ce qui « signifie que pour les opérateurs et investisseurs privés, les meilleurs pratiques sont les pratiques dominantes et que la seule attitude viable est celle de la reproduction des modèles commerciaux classiques » (ibid. p.38). Nous nous trouvons dans une situation où l’expérimentation, l’innovation, n’ont pas leur place. Et donc « la rupture avec les bonnes pratiques peut […] être considérée comme une condition à l’innovation (puisqu’) […] innover équivaut à introduire une rupture avec les modèles connus » (ibid. p.39) ; ici les bonnes pratiques. Cela pose plusieurs questions. D’abord, au même titre qu’on distingue les « bonnes » des « mauvaises » pratiques, il y aurait aussi une distinction entre les bonnes pratiques elles-mêmes, certaines étant jugées « dominantes ». Ce rapport de hiérarchisation entre les opérations soulève des interrogations : quels critères permettent de qualifier une pratique de bonne ou mauvaise ? Et s’il est intéressant de rendre visible les bonnes pratiques, ne serait-il pas aussi important de communiquer sur les mauvaises pratiques, du moins les expériences ratées ? En effet, on dit souvent que « c’est en se trompant, en commettant des erreurs, qu’on apprend le mieux ». Ensuite, il semble évident qu’on ne peut pas évaluer une opération indépendamment du contexte dans lequel elle s’insère. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin.

Distinction affichée plutôt que vécue

   La comparaison entre la communication réalisée à propos des deux cas d’étude et les entretiens avec les acteurs de ces deux projets, met en valeur un point clé de la distinction : il y a une « distinction politique » qui correspond à l’affichage de l’opération et une « distinction quotidienne » plus légère dans les façons de faire. Autrement dit : une distinction affichée plutôt que pensée ou vécue. D’abord la communication sur l’EcoZac de Rungis met en avant la concertation dans le montage du projet : « la concertation avec la population fut particulièrement fructueuse et marquée par un esprit général de responsabilité. Les deux réunions publiques, les nombreuses rencontres, les réunions de travail avec les associations et les deux Conseils de quartiers ont permis de dessiner les grandes lignes du projet à l’aide des propositions des architectes et des paysagistes retenus par la Ville et des études préalables réalisées par la SEMAPA ». Se targuant même « sans doute » de participer à la création de « la première ZAC parisienne dessinée ainsi en grande partie, par et avec les habitants du quartier ». La participation des habitants à toutes les étapes du projet est, en effet, un point essentiel lorsqu’on parle d’un éco-quartier. C’est ce que souligne l’encadré « La développement durable » dans la lettre aux habitants n°1 : « la participation des citoyens, autre point fondamental pour le projet Gare de Rungis, fait partie intégrante du développement durable puisque chacun doit s’impliquer et se responsabiliser dans l’optique d’un monde plus juste ». On trouve un peu plus loin dans l’article, un autre encadré au titre évocateur, « Un projet que nous avons élaboré ensemble » qui reprend les mêmes idées que celles citées auparavant : « définition en commun (du) projet », « (concertation) très en amont » etc. Cette communication semble indiquer la mise en place d’une gouvernance participative pour ce projet. Les habitants ont leurs mots à dire, et cela dès sa conception et durant sa réalisation. Pourtant, Céline Deleron nous disait que c’était la ville qui avait décidé des éléments du programme même si il y a eu des concertations. Les habitants n’ont pas les « capacités », ils ne sont pas « des experts pour savoir ce qu’il est bon d’implanter ». Ce sont les études lancées par la ville qui ont permis de déterminer les besoins. Il semble y avoir une contradiction majeure sur ce point : d’un côté, le rôle des habitants est affiché comme étant essentiel dans la conception du projet de l’EcoZac de Rungis pour lequel ils auraient participé aux choix des objectifs à atteindre, des orientations à prendre etc., de l’autre, Céline semble nuancer assez fortement ces propos. Aussi, selon le maire du 13e arrondissement de Paris, Jérôme Coumet, « pour Gare de Rungis, nous avons voulu montrer aux habitants qu’il est possible de  mieux faire en s’inscrivant dans une démarche de quartier durable ». Or ce sont les habitants, par l’intermédiaire de l’association Les Amis de l’EcoZac notamment, qui sont à l’origine du projet tel qu’il existe aujourd’hui puisque ce sont eux qui ont milité pour faire passer le projet de quartier à un projet d’éco-quartier. On constate ici un décalage entre ce qui est dit et affiché, et la manière dont ce sont réellement déroulées les choses : pour ce projet, à son début, la prise de conscience des enjeux liés au développement durable semblait davantage venir des habitants que des élus. De plus, pour Jérôme Coumet, avec l’EcoZAC de Rungis « nous n’avons pas la prétention de réinventer l’eau tiède ni d’avoir des idées révolutionnaires. Nous nous inspirons simplement de ce qui fonctionne ailleurs ». Pour les élus du 13e , il est essentiel de continuer à étudier toutes les solutions adoptées par d’autres villes pour construire des quartiers durables , notamment à Friburg im Breigsgau. Il y a une mise en valeur de la volonté de s’inspirer d’expériences réussies pour parvenir à faire un quartier exemplaire. Cependant, ce souhait affiché par Jérôme Coumet de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, ne se retrouve pas dans le discours de Céline Deleron pour qui le fait d’organiser des voyages pour s’inspirer d’autres expériences semble être finalement assez ordinaire : « tout le monde fait ça, à partir du moment où vous allez créer des choses vous vous renseignez sur ce qui se fait ailleurs. […] Quand vous devez créer, vous n’allez pas calquer exactement ce qui s’est fait ailleurs, mais vous allez forcément vous servir d’un acquis, adapter. De toutes les façons, il faut voyager, il faut voir le monde pour s’inspirer et créer, sinon on apprend rien ». A nouveau, on constate un décalage entre les discours, une distinction affichée et une distinction vécue. Le jardin de l’EcoZac de Rungis comprendra également une placette sur laquelle trois petites éoliennes seront installées pour produire de l’électricité. Mais selon Guillaume Champagnat, ces éoliennes seront uniquement là pour l’image, la symbolique. Au sujet du quartier des Temps Durables, il est dit que, la place de la voiture étant supprimée, d’autres types de transports vont être développés sur l’ensemble de la ville tels que le covoiturage, l’auto partage, la construction d’un téléphérique reliant le Nord de Limeil-Brévannes à la ligne de métro 8 etc. Manuel Laforest, nous a bien parlé de ce projet de « métro-câble » mais en disant que ce projet n’en était encore qu’aux « balbutiements ». Ce qu’ont confirmé également Corinne Adragna et Simon Lhéritier en disant que ce n’était pour l’instant qu’une idée et que très peu d’études avaient été engagées sur le sujet. Cela montre une nouvelle fois le décalage entre ce qui est présenté dans la communication et qui met en valeur le projet, et la réalité de la situation. La ville a aussi communiqué sur la prise en considération des habitants lors de la conception du projet. Elle annonce qu’au moment de réfléchir sur son projet d’écoquartier, une concertation de plusieurs mois avec les habitants de la commune a été menée afin de « travailler ensemble sur le type de quartier que chacun souhaitait ». De la même manière que pour l’EcoZac de Rungis, la place des habitants dans l’élaboration du projet semble être essentielle. Toutefois, Corinne Adragna nous a appris que les habitants n’ont pas été mobilisés au montage du projet, mais après que le concept général du projet soit fixé dans les grandes lignes. Aussi, les propos du maire peuvent laisser supposer que cette concertation a été difficile, du moins au début : « les riverains pensaient qu’on voulait leur vendre quelque chose. Ils n’avaient pas compris que je voulais faire ce projet avec eux ». Une fois de plus, un écart apparait entre ce qui est « affiché » et ce qui est « vécu ». Il apparait visiblement que la communication faite sur ces projets d’éco-quartiers ne traduit pas toujours la perception réelle qu’en ont les acteurs qui ont participé à leur conception/réalisation. Plus que cela, les particularités misent en avant dans ces projets, semblent parfois ne se retrouver que dans les documents de communication, d’où la nuance entre distinction « affichée » et distinction « vécue ». L’éco-quartier apparait alors, notamment avec la communication qu’il génère, comme un moyen de se mettre en valeur.

Eco-quartier : facteur de visibilité

   Il semble aujourd’hui que les éco-quartiers soient perçus comme facteur de visibilité et contribuent à donner une bonne image : d’une part pour la ville et d’autre part pour les acteurs qui participent à leur conception/réalisation. A l’époque où les acteurs se sont lancés dans des projets d’éco-quartiers, les Temps Durables et la ZAC de Rungis, ceux-ci n’étaient pas encore montrés comme des opérations exemplaires. Les acteurs n’avaient donc pas l’idée de « s’en servir » pour faire valoir une bonne image de la commune et se mettre en avant. Manuel Laforest dit reconnaitre aujourd’hui que « c’est certain, […] il y a une question d’image qui est très valorisée et que tous les promoteurs essaient maintenant de mettre en avant une image un peu marketing, avec les performances environnementales etc. C’est sur que de pouvoir faire référence à des quartiers comme ceux là, c’est une grande visibilité et c’est très valorisant, c’est de la publicité un peu gratuite ». Pour certains, les éco-quartiers semblent être en partie des moyens de valorisation. Selon Manuel Laforest, le fait d’avoir participé à un projet d’éco-quartier est valorisant pour son organisme ; si le projet avait été primé, cela aurait été « un plus ». Joseph Rossignol valide ce constat : « (les promoteurs) souhaitent équilibrer l’opération avec des coûts de vente qui ne vont pas leur permettre de faire de bénéfices. Ils ne le font pas pour ça, mais ça leur sert comme vitrine ». Les trois petites éoliennes qui seront implantées dans les jardins de l’EcoZac de Rungis marquent également une volonté de prendre en compte les enjeux liés au développement durable dans le projet. L’intégration de cet élément symbolique, a pour but de sensibiliser les habitants à l’environnement, mais il semble que ce soit aussi l’affichage d’une distinction recherchée. Aussi, le fait de vouloir travailler avec des architectes reconnus tels que Christian de Portzamparc, Pierre Granger, Christian Devillers, Yves Lion, Bruno Fortier, pour ce type de projet, semble montrer une nouvelle fois la volonté d’arriver à un projet reconnu comme exemplaire. Manuel Laforest nous explique qu’à un moment donné le maire a été dans une perspective de valoriser son projet car un certain nombre de choses permettaient de postuler au « titre » d’éco-quartier : « les choses se sont construites progressivement. Au départ il n’était pas dans une logique d’aller certifier quoi que ce soit ou de répondre à des obligations. C’est une fois les choses construites qu’il s’est dit : voilà, nous ce qu’on fait c’est un éco-quartier donc on va en profiter pour le valoriser, mettre en avant la notion ». Le maire de Limeil-Brévannes « espère que (son projet) sera le premier en France reprenant toutes les dispositions environnementales », dans l’espoir qu’il devienne en quelque sorte une référence dans le domaine environnemental : « il ne faut pas qu’il reste une vitrine. Mais il faut qu’il soit un exemple. Un exemple y compris pour nous, en terme d’aménagement ». Sans affirmer qu’il s’agisse là d’une compétition part rapport à d’autres quartiers, il y a en tout cas la volonté d’être perçu et reconnu en tant que tel, éco-quartier. De plus, le maire précise qu’il n’a jamais mis en place l’Agenda 21 mais qu’il a toujours cherché à travailler sur des éléments concrets, comme l’éco-quartier des Temps Durables. Cette approche concrète lui permet de se distinguer d’autant plus que les habitants peuvent percevoir plus facilement, car affiché physiquement, la prise en compte du développement durable dans ces projets. Simon Lhéritier le signale d’ailleurs, en montrant que la ville a essayé d’afficher cette prise en compte, avec l’école Marquèze dont l’« architecture rend visible la performance énergétique ». Cela leur permet notamment de communiquer auprès des habitants et donc de se mettre en valeur. La commune de Limeil-Brévannes a lancé une grande campagne de communication sur le quartier des Temps Durables. D’après Corinne Adragna « Monsieur le Maire et ses élus (ont) tapé fort au niveau de la presse pour faire cette publicité », une péniche a même été louée sur Paris.

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Table des matières

Introduction
Partie 1 Contexte général de l’étude
1. Eco-quartiers : Quels rôles ? Quelles ambitions ? Quels constats ?
2. Modèle(s) d’éco-quartiers ou éco-quartiers modèles ?
3. Bonnes pratiques dans le développement urbain durable
Positionnement
Problématique
Hypothèse
Partie 2 Méthodologie : terrains d’étude et outil de recherche
1. Choix des terrains d’étude
a) Appel à projet EcoQuartier
b) Autres critères de choix
2. Zoom sur le ZAC de Rungis
a) Contexte
Environnement proche
Site
b) Montage du projet et jeu d’acteurs
c) Projet
Organisation générale du quartier
Objectifs de l’EcoZac
3. Zoom sur « Les Temps Durables »
a) Contexte
Environnement proche
Site
b) Montage du projet et jeu d’acteurs
Groupement partenarial
Financement des travaux d’aménagement
c) Projet
Organisation générale du quartier
Objectifs des Temps Durables
4. Entretiens et analyse qualitative
a) Acteurs rencontrés
Acteurs rencontrés pour le projet de la ZAC de Rungis
Acteurs rencontrés pour le projet de Limeil-Brévannes
b) Outil : entretien
c) Analyse qualitative des données
Partie 3 Mise en avant des acteurs par l’objet « éco-quartier »
1. Perception de l’éco-quartiers par les acteurs de l’aménagement
a) Eco-quartiers : des projets ordinaires
b) Eco-quartiers : des projets exemplaires
2. Eco-quartiers…vers un argument de marketing urbain ?
a) Distinction affichée plutôt que vécue
b) Eco-quartier : facteur de visibilité
Conclusion

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