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A l’époque de la Renaissance
Cette époque marque une étape intermédiaire dans l’histoire de l’épilepsie où coexistent un progrès essentiel de la médecine et un renouvellement des conceptions surnaturelles autour de la question de l’épilepsie. En tout état de cause, il s’agissait d’une avancée importante par rapport aux conceptions antérieures car l’idée de l’épilepsie comme affection organique refit encore surface, grâce aux travaux en anatomo-pathologie de Bonnet et Morgani (Mauriac P 1956). Par exemple, le traumatisme crânien a fait l’objet d’un intérêt tout particulier dans la cause de la maladie à la fin du XVIème siècle. Mais, parallèlement, on retrouve encore dans l’explication de l’épilepsie un ensemble d’idées mystiques que certains médecins de l’époque aussi se chargeaient de diffuser. C’est le cas de Paracelse (1493-1541) médecin alchimiste et astrologue qui poursuit une démarche empreinte de théories astrologiques et d’interprétations religieuses et de Taxil en 1602 (Arborio 2009). Cette démarche a contribué à renforcer le caractère surnaturel attribué à l’épilepsie en reprenant particulièrement l’association jadis présentée par Aristode, « De l’épilepsie au génie ». au XIIIème siècle, les premiers écrits réalistes sur l’épilepsie sont rendus disponibles mais, la rupture ne semble pas s’être véritablement opérée en matière d’explication de cette maladie.
Du XVIIIème siècle à nos jours
Bien que le XIIIème siècle vît aussi apparaître les premiers écrits réalistes sur l’épilepsie, les progrès majeurs n’eurent cependant lieu qu’au XIXème siècle sous l’influence des grands médecins français et anglais. La pensée scientifique semble se débarrasser de toute influence démoniaque, lunaire ou divine dans les conceptions relatives à l’épilepsie. Aussi, l’épilepsie fut-elle progressivement séparée des maladies mentales, en particulier de l’hystérie collective et individuelle : c’est l’ère neurologique de l’épilepsie qui se poursuit jusqu’à nos jours.
– En 1770, le traité de l’épilepsie de Tissot constitue une des premières approches scientifiques de la maladie qui stipule que, pour que l’épilepsie se produise, il faut nécessairement deux choses :
Une disposition du cerveau à entrer en contraction plus aisément qu’en santé.
Une cause d’irritation qui mette en action cette disposition.
La crise d’épilepsie est alors appliquée et on peut la provoquer expérimentalement par éléctroconvulsion.
– En 1857, le premier médicament efficace contre l’épilepsie, le bromure a été introduit sur le marché et a commencé à se répandre en Europe et aux
Etats-Unis d’Amérique au cours de la moitié du XIXème siècle. Toujours au cours de la même année, un hôpital pour paralysés et épileptiques a été créé à Londres (Angleterre). Puis une approche plus humanitaire des problèmes sociaux de l’épilepsie a abouti à la création de colonies dans lesquelles les épileptiques sont soignés et exercent une activité professionnelle. On peut citer celle de Charfon en Angleterre (Arborio S., 2009).
– En 1873, Hughlings Jackson a émis l’hypothèse que les crises d’épilepsie étaient provoquées par des décharges électrochimiques brutales d’énergie dans le cerveau et que le caractère des crises étaient lié à l’emplacement et à la fonction du site des décharges.
Mais c’est au XXème siècle et grâce à l’essor des technologies médicales et de la neuro imagerie que des avancées majeures, des connaissances scientifiques dans le domaine de l’épilepsie ont connu une accélération très importante. Ces progrès touchent tous les domaines de l’épilepsie partant de l’explication, la compréhension des mécanismes physiopathologiques de la crise épileptique, des moyens d’investigation paraclinique, des mécanismes biochimiques, électrophysiologiques et génétiques des épilepsies. Les connaissances ont également explosé dans le domaine thérapeutique.
– Découverte du phénobarbital en 1912 par Hauptmam, et de la phénytoïne par Merrit et Putman en 1938.
– En 1920, mise au point par le professeur psychiatrie anglais Hans Berger de l’électro encéphalographie largement appliquée à des patients épileptiques après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cette invention a permis une meilleure connaissance de l’épilepsie et d’exclure certaines crises considérées comme des équivalents épileptiques telles que les syncopes, les névroses et les migraines. Elle est suivie plus tard de l’imagerie cérébrale moderne, la tomodensitométrie, à partir des années 1970 et l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) à partir des années 1980.
– Découverts depuis les années 60, de plus en plus de médicaments antiépileptiques permettent une meilleure compréhension de l’activité électrochimique du cerveau, et en particulier les neurotransmetteurs de l’excitation et l’inhibition. Avec les médicaments existant déjà et de nouveaux médicaments se trouvant dans les marchés des pays développés, on peut désormais maîtriser les crises d’épilepsie dans 70 à 80% des nouveaux cas diagnostiqués.
Malgré tout, il reste encore beaucoup d’inconnues et de lacunes dans nos connaissances. Il existe surtout, encore de nos jours, un décalage important du savoir populaire, qui reste empreint de préjugés et d’idées fausses qui vont à l’encontre des connaissances scientifiques. On voit encore dans les pays développés comme sous-développés que l’on exorcise des enfants épileptiques, que l’on interdit certaines professions aux patients épileptiques sans justification rationnelle ou que l’on met à l’écart, des personnes victimes de cette maladie.
Par conséquent, beaucoup de progrès restent à faire.
Ainsi donc, depuis quelques années, une attention accrue est portée à la qualité de vie, c’est-à-dire aux problèmes psychologiques et sociaux auxquels sont confrontés les épileptiques. Toutefois, les progrès sont lents et les services insuffisants. En effet, les problèmes d’ostracisme et de rejet social restent intacts un peu partout. Même dans les pays développés, les crises d’épilepsie demeurent tabous et les personnes qui en souffrent préfèrent ne pas en parler.
En 1997, la Ligue internationale contre l’épilepsie et le bureau international pour l’épilepsie ont associé leurs efforts à ceux de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en lançant une campagne mondiale contre l’épilepsie qui vise à améliorer les activités de prévention, les possibilités de traitement, les soins et les services destinés aux personnes atteintes d’épilepsies. Ces organismes visent aussi mieux sensibiliser les populations à cette maladie. Il faut espérer que ces efforts permettront d’instaurer un milieu plus favorable dans lequel les épileptiques vivront mieux.
DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES
L’épidémiologie est une branche de la médecine qui se propose de situer la place réelle des maladies dans la population générale et leur évolution. Les études épidémiologiques fournissent deux résultats principaux. Elles permettent de déterminer :
– La prévalence qui représente le nombre total des cas (nouveaux et anciens) d’une maladie à un moment donné, dans une population donnée. Par définition, c’est un rapport entre le nombre de cas existants et le nombre de sujets observés à un moment donné.
– L’incidence représente quant à elle, le nombre de nouveaux cas d’une maladie survenant pendant une période donnée. C’est une mesure dynamique du flux des nouveaux ; elle représente la vitesse d’apparition d’une affection dans une population.
L’OMS estime à environ 40 millions le nombre d’épileptiques dans le monde, chiffre qui augmente chaque année de 2 millions (Arborio et al., 1999). Sur cette population, 80 à 85% des cas vivent dans les pays en voie de développement où, l’incidence du fléau est, au minimum de deux fois plus élevée que dans les pays industrialisés (Arborio et al., 1999). Ceci s’explique par la plus grande fréquence des encéphalopathies infantiles, des accidents d’accouchement, des traumatismes crânio-encéphaliques, des maladies parasitaires et nutritionnelles qui affectent le système nerveux.
Ainsi, le taux de prévalence se répartit comme suit :
– 3 à 10 pour 1000 dans les pays développés (PREUX P.M, 2000)
– 10 à 55 pour 1000 dans les pays en voie de développement (Genton P., Remy C. 2003).
– Entre 5 et 40 pour 1000 en Afrique plus particulièrement. (Debrock, 1996-1997), cité dans : (Arborio S. 2009 : 57).
Toutefois, subsistent des variations parfois très importantes d’un pays à un autre, voire d’une région à une autre. Globalement, on estime que cette prévalence en Afrique est plus sous-estimée que surestimée, dans la mesure où, de nombreux malades ne fréquentent pas les réseaux de soins hospitaliers mais recourent avant tout, aux méthodes de soins traditionnels. D’autres parts, certaines attitudes de dissimulation de l’épilepsie contribuent également à une sous-évaluation de la prévalence de cette maladie. L’utilisation de méthodologies diverses, les critères de classification des formes d’épilepsies et un mode de recueil des données parfois aléatoire (obstacle linguistique, absence de spécialistes) représentent un troisième niveau d’explication dans l’absence d’homogénéité qui caractérise les taux de prévalence de l’épilepsie en Afrique comme on peut le voir dans quelques pays.
– Côte d’Ivoire : (Giodano et al., 1975) 5 à 6%
– Nigéria : (Osuntokun B.O, 1987) 3,7% à 37%
– Sénégal : (Collomb H. et Coll., 1968) 8%
: (Ndiaye et coll. 1986) 8,3%
– Mali : (Fanarier G, 1998) 15,6 pour 1000 en milieu rural.
A cette prévalence assez importante, il est pertinent d’ajouter une fréquence non négligeable de consultations : 16% à la clinique neurologique du CHUN de Fann (Thiam 1999) et 17, 63% au Centre Hospitalier National Psychiatrique de Thiaroye (Danfa 2001). Au village psychiatrique de Kenia (en Casamance), la fréquence de l’épilepsie dans la consulattion est passée de 17,39% en 1974 à 41,17% en 1979 (TAP D.R.G 1980).
L’incidence de l’épilepsie reste importante. Dans les pays développés, elle est de l’ordre de 50 pour 100.000 par an. (Genton P., Remy C., 2003). En Afrique subsaharienne, nous avons trouvé très peu d’études sur l’incidence de l’épilepsie. Cependant, celles existantes montrent des chiffres globalement élevés comme c’est le cas en Ouganda et en Ethiopie où, on a noté, respectivement 156 nouveaux cas pour 100.000 personnes (Kaiser C. et al.) et 64 nouveaux cas pour 100.000 personnes (Tekle-Haimanot R.) Les deux auteurs sont cités par (Akerey Diop D. A. C., 2008).
Dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement, l’incidence n’est pas la même à tous les âges de la vie. Dans le premier cas, elle est beaucoup plus importante chez l’enfant que chez l’adulte, puis redevient plus élevée chez le sujet âgé. On a donc plus de chance de commencer une épilepsie dans l’enfance et après 60 ans qu’à l’âge adulte. Dans le second cas en revanche, on a la chance de commencer une épilepsie avant l’âge de 20 ans comme le confirment les études menées par Piraux qui révèlent deux pics entre O et 5 ans et entre 15 et 25 ans. Quant à Dada, il trouve 71% des cas avant l’âge de 20 ans dont 22% avant 5 ans. Levy, en ce qui le concerne, fait mention de 85% de cas avant l’âge de 20 ans dont 35% avant 5 ans. Ces trois auteurs sont cités par (Gastaut H., et al 1970). Cette faible proportion des sujets âgés épileptiques en Afrique peut avoir plusieurs explications. Certains auteurs ont mis un accent sur l’espérance de vie réduite. D’autres, comme Orley, selon toujours (Gastaut H., et al 1970), l’expliquent par le fait que dans certaines régions on a tendance à soigner les enfants et pas les adultes ou encore que les malades dont les crises apparaissent tardivement, ont également une épilepsie à crises rares et ne consultent pas.
La crise grand mal est la plus connue en général par la population et parfois même la seule connue dans certains pays comme c’est le cas au Togo et au Cameroun ainsi que l’attestent certaines études. (Symposium Sanofi. 1989).
De plus, les études réalisées dans certains pays montrent que cette forme est la plus répandue dans le cadre des consultations pour épilepsie. En Côte d’Ivoire, 90% des épileptiques vus à la consultation externe ou hospitalisés faisaient la crise grand mal. Au Kenya, 72% des consultations épileptiques le sont pour des crises grand mal, tandis qu’au Sénégal, ce sont 80,3% des patients selon Ndiaye et coll. (Thiam I. 1989). Cette prédominance des crises grand mal dans les consultations ou hospitalisations des épileptiques trouve son explication dans le fait que c’est elle est beaucoup plus facilement diagnostiquée, qui est très spectaculaire, effraie l’entourage et fait l’objet de lourds préjugés.
REPRESENTATION SOCIOCULTURELLE DE L’EPILEPSIE
Connue depuis l’antiquité et malgré les avancées significatives des connaissances sur cette pathologie sur tous les plans, l’épilepsie reste une maladie qui suscite encore peur et rejet du malade dans beaucoup de régions du monde, notamment en Afrique au Sud du Sahara. Il est vrai que les difficultés économiques de ces pays constituent un frein pour les soins adéquats à donner aux épileptiques. Mais la conception socio culturelle associée à cette maladie peut à elle seule empêcher le transfert de ce peu de moyens dans les soins surtout quand la maladie est considérée par certains comme une malédiction, une possession, une impureté, une hérédité, une folie, un signe de divinité ou encore une maladie contagieuse et sans solution thérapeutique. Dans un communiqué de presse, OMS/3 du 4 mai 2000, le Docteur Ebrahim Malick, Directeur du bureau régional de l’OMS pour l’Afrique disait : « En Afrique, pourtant, jusqu’à 80% des épileptiques n’ont jamais été soignés. Et dans le plus grand nombre des cas, la raison n’est pas tant économique que sociale ».
Voilà pourquoi nous allons essayer de faire le tour des croyances saillantes qui font souvent que l’étiquette collée à l’épileptique, du fait des fausses croyances sur cette maladie demeure souvent inchangée, même lorsque les crises sont maîtrisées par le traitement, croyances qui sont des obstacles à la prise en charge.
Epilepsie et contagion
La question de la contagion a accompagné l’épilepsie tout au long de son histoire. Malgré l’évolution des connaissances, cette notion perdure et reste tenace dans certaines sociétés surtout traditionnalistes jusqu’à nos jours. Ah Sun, rapportait que : « l’épileptique était considérée comme sale et dégoûtant, inspirant le mépris et contagieux au même titre que les lépreux » (Arborio S., 2009). De même Rhazès (850-923) cité par le même auteur, comptait l’épilepsie parmi les maladies qu’il considérait comme contagieuses. Déjà, dans l’Antiquité et au Moyen Age, cette idée de contagion a existé et a rendu ainsi victimes de ségrégation, les épileptiques. A cette même époque, la crainte qui entourait cette maladie et le mythe de la contagion, avaient amené les autorités à mettre en place des mesures d’expulsions systématiques d’épileptiques au même titre que les lépreux et plus tard des syphilitiques comme l’a relevé Temkin O. (1971). Exclus des villes puis, relégués à la campagne, les épileptiques étaient aussi interdits d’exercice de la mission de prêtre. Cette maladie permettait même à certaines victimes de se soustraire de justesse à l’esclavage. Dans le code d’Hammourabi, les esclaves épileptiques étaient alors retirés de la vente, après un test qui confirmait leur maladie. Même au sein des structures sanitaires, à l’époque, les épileptiques étaient toujours discriminés, mis à l’écart. Par exemple, en 1486, les malades épileptiques sont isolés dans l’hôpital de Sainte Valentine. Ces divers exemples montrent comment les épileptiques étaient victimes de discrimination.
Mais depuis le début du XVIème, l’idée de contagion a commencé à être discréditée par les médecins. Depuis lors, et en dépit de la compréhension physiopathologique de l’épilepsie, la croyance liée à la contagion reste encore fréquente surtout en Afrique comme le témoigne de nombreux travaux réalisés dans ce sens. Karfo K en 1991, rapporte dans son mémoire que 42% de la population interrogée pensent encore que l’épilepsie est contagieuse. Parmi cette population, 78,5% estiment que la contagion a lieu à travers la salive. Loin d’être seulement une croyance de la rue, elle est parfois notée dans le milieu estudiantin voir paramédical. (Awaritefe A., 1985). Une étude menée au Nigéria incluant les étudiants en médecine et le personnel paramédical a abouti à la même conclusion.
Les modes de contamination les plus fréquemment retrouvés seraient le contact visuel et physique avec le patient en crise, avec ses excréments, ses sueurs, ses pets, ses urines et surtout sa salive. Selon toujours la même enquête, le contact avec les traces de la crise sur le sol, avec la demeure du génie sont des situations propices à la contagion. Les rapports sexuels avec un/une épileptique sont aussi indexés comme source de contamination. Les contaminations par le sang, le sperme et l’haleine sont aussi retrouvés dans certaines cultures. Au Niger, une contamination chez les enfants de la souillure, à travers la poussière du sable d’un génie incarné dans un oiseau vivant aux alentours des cimetières, a été rapportée par Gouro K. 1998. Certains patients et leurs parents expliquent une cause probable de cette maladie par la rencontre d’avec un « mauvais vent » car ce dernier contiendrait, selon eux, des esprits maléfiques. Cette croyance à la contagiosité admise par presque tous, détermine le comportement du groupe social qui vise à la circonscription de la maladie au sein de sa communauté. Face à cette angoisse, toute une série de comportements dont certains très dangereux pour l’épileptique sont adoptés :
a- Interdiction de toucher l’épileptique en crise. Par exemple, chez les dogons du Mali, la survenue de la crise amène l’entourage à se retirer en laissant le malade tout seul (Miletto G., 1981). De même, chez les Wapogoro du Tanganyika, une tribu pauvre et sous-alimentée, l’épilepsie est la maladie la plus crainte et, lorsqu’un épileptique fait la crise, tout le monde se sauve. Dans les moments inter-critiques, le malade est craint et méprisé (Karfo K. 1991).
b- Prise de distance vis-à-vis des malades épileptiques en les excluant du bol familial ou communautaire. Ils doivent boire dans les récipients qui leur sont exclusivement réservés et dormir seuls. F.A. Adotevi repris par (Karfo K. 1991) rapporte des observations de malades contraints de dormir dans le poulailler ave la volaille, exclus du bol familial dont les couverts et les canaris d’eau sont tenus de contaminants. Chez les Dogons du Mali, la même attitude a été observée (Miletto G., 1981).
Epilepsie et pouvoir surnaturel
C’est depuis l’époque classique que les représentations populaires attribuaient déjà l’épilepsie à l’intervention de plusieurs divinités en fonction de la différence des symptômes. Mais à l’époque, Hippocrate à travers son célèbre traité « Maladie sacrée », avait entrepris la déconstruction de ces représentations divines sans pour autant, trouver une oreille favorable à l’accueil de cette conception de la maladie. Au Moyen Age, l’idée de la sorcellerie et de la possession occupaient une place centrale dans l’interprétation de l’épilepsie. A cette époque, la médecine était aux mains des moines et divers saints étaient recommandés dans le traitement de l’épilepsie. Deux versets bibliques illustrent cela : Saint Marc, 9, 17 « Maître, j’ai amené auprès de toi mon fils, qui est possédé par un esprit muet. En quelque lieu qu’il le saisisse, il le jette par terre, l’enfant écume, grince des dents et devient tout raide ». Une autre référence tirée de l’évangile de Saint Luc : « Et comme il approchait, le démon le jeta sur le sol et le secoua de convulsions. Mais Jésus menaça l’esprit impur, guérit l’enfant et le remit à son père ». De nos jours, en dépit du fait que les mécanismes physiopathologiques et électrochimiques de l’épilepsie soient bien connus et qu’une parfaite maîtrise des crises par les antiépileptiques soit possible, force est de constater que l’association de l’épilepsie aux forces naturelles demeure persistante et bien ancrée dans l’imaginaire populaire des peuples d’Afrique subsaharienne. Plusieurs travaux réalisés dans ce sens confirment ce constat. C’est le cas d’une enquête menée par Adotevi F. et Stephany F. en 1981 dont il ressort que chez les Wolofs du Sénégal, l’épilepsie est associée à une attaque par un Djinn, esprit qui se manifeste souvent sous forme d’un tourbillon, de vent, surtout pour les crises d’épilepsie chez la femme et chez l’enfant. La crise d’épilepsie chez la femme enceinte et en effet reliée à une négligence d’interdits comme le fait de croiser un chien qui agonise ou de le frapper avec un bâton. Dans la même optique, une autre étude faite en Mauritanie par Traoré H. et al. (1998) sur l’approche socio culturelle de l’épilepsie sur 150 malades trouve que les interprétations fournies quelle que soit l’ethnie évoquait l’intervention de djinns à l’origine de la maladie. De même, chez les Bamilékés de Maham au Cameroun, l’épilepsie est considérée comme la conséquence de la sorcellerie, ou encore du contact avec un objet dans lequel s’incarne une parole maléfique (cactus, pierres, herbes, habits, etc.). (Nchoji Nkwi et Ndonko 1998). Outre les croyances mystiques et surnaturelles, des causes liées à l’organicité ont été rarement évoquées pour expliquer la maladie : Toujours seulement Traoré H. et al, chez les Maures (Mauritanie) a été noté la cause alimentaire quasi constante. Chez les Bamilékés de Maham au Cameroun, entre autres croyances, le blocage de la salive dans l’estomac serait à l’origine de la maladie.
Malgré ces différentes interprétations organiques de la maladie, une origine mystique reste toujours prépondérante en Afrique. Dans les sociétés traditionnelles animistes, des représentations anthropologiques de l’épilepsie sont inséparables du système de croyances sacrées. L’épilepsie est parfois conçue et représentée comme un désordre dans les relations entre les vivants et les morts conduisant à une possession par un esprit, surtout si un certain nombre de précautions ne sont pas mises en œuvre conformément à la coutume du patient ou que ces coutumes sont carrément respectées.
En Mauritanie, l’épilepsie est souvent attribuée à l’action (possession) des rabs (esprit des religions traditionnelles), des djinns (esprits introduits par l’islam) selon H. Collomb et al. Cela est aussi illustré par l’appellation attribuée à la maladie dans certains dialectes du pays : maladies des rabs, maladies des djinns.
Epilepsie et sentiment de honte
La honte est un vécu fréquent au sein de la famille proche et de l’épileptique lui-même. Plusieurs auteurs se sont intéressés à la question dans les civilisations d’Afrique subsaharienne comme arabo-berbères, l’ont souligné. C’est le cas de Benjelloun T. 1989. Ce sentiment induit le silence et un secret autour de la maladie et du malade pour des raisons diverses comme la disqualification sociale du sujet malade, l’évitement de sa famille par le groupe social étendu. Ce silence ne permet pas d’augmenter le niveau de connaissance de la population sur la maladie et, par conséquent, ne favorise pas un changement rapide des attitudes sociales vers une acceptation plus grande de la maladie. Mieux encore, cela renforce son isolement et son exclusion.
Epilepsie et traitement
Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, un large éventail de remède a été utilisé pour le traitement de l’épilepsie. Ces remèdes qui reposaient parfois sur les conceptions ayant prévalu à ces différentes époques étaient aussi variés que folkloriques parfois complexes et dépourvus d’activité. C’est donc ainsi qu’au Moyen Âge, le traitement de choix était d’abord représenté par la purification combinée plus tard aux exorcismes, à la confession et à la pénitence. Différentes préparations à base d’ingrédients végétaux ou animaux pouvaient être offertes par la médecine officielle ou par les guérisseurs. Mais lorsque plus tard, la notion de l’épilepsie a été associée à une irritation cérébrale, certains ont préconisé la trépanation. Au XIXème siècle la masturbation était rendue responsable de nombreux maux et considérée comme l’une des causes possibles de l’épilepsie. Certains patients ont subi une castration ou une clitoridectomie. Les interventions les moins agressives consistaient en une circoncision, qui était censée empêcher la masturbation. En l’absence de traitement efficace, des recommandations hygiéniques drastiques étaient faites, et des patients subissaient de nombreuses restrictions.
C’est au XIXème siècle, en 1857 précisément que le premier médicament antiépileptique a été découvert : le bromure de potassium. Mais il a été abandonné depuis en raison de ses effets secondaires (sédation importante) au profit d’autres médicaments. Le premier traitement moderne est apparu en 1912 : il s’agit du phénobarbital en Allemagne, encore très utilisé de nos jours surtout en Afrique subsaharienne comme le confirme plusieurs études dont celle de : Ndiaye Niang Mb. et al., 1998. Dans leur article intitulé « Les dysthymies au cours de l’épilepsie au Sénégal », ils trouvent que dans le traitement des épilepsies le phénobarbital est la drogue la plus prescrite (81,5%) salle ou en association. De même Gourou K. en 1998, selon une étude effectuée à l’Hôpital National de Niamey sur 69 cas d’épilepsie, 75% des malades suivis ont été guéris ou améliorés par le phénobarbital. Cette forte prescription du phénobarbital s’explique en partie par son coût relativement raisonnable et économiquement accessible aux populations des pays d’Afrique subsaharienne et sous-développés en général.
Par la suite, plusieurs médicaments dans la phénytoïne en 1938, le valproate de sodium, la carbazépine et bien d’autres ont été découverts améliorant ainsi la prise en charge de l’épilepsie. A ces médicaments, il faut ajouter la chirurgie qui ne peut s’adresser qu’à une petite minorité des patients qui présente une épilepsie sévère, rebelle aux médicaments. Elle ne peut se faire qu’après un bilan approfondi qui précise l’origine topographique des crises. Ce fait explique la nécessité des examens paramédicaux.
Malgré cet arsenal thérapeutique, le poids des représentations socioculturelles de l’épilepsie demeure un obstacle certains dans la prise en charge médicale de l’épileptique surtout en milieu africain où, en général, le premier contact thérapeutique pour l’épileptique se fait avec le tradipraticien. Plusieurs travaux confirment cette tendance qui amène souvent les patients et leurs parents à consulter en premier lieu la médecine traditionnelle. Ainsi, Karfo K et al. 2007 notent dans leur article intitulé : « les parents d’enfants épileptiques en milieu ouagalais : croyances, attitude et pratiques », que la première consultation en cas de crise d’épilepsie est fait chez tradithérapeute dans 79 % des cas. Au Sénégal, Danfa, dans son mémoire intitulé : « place de l’épilepsie dans les consultations psychiatriques à l’hôpital psychiatrique Henri Collomb de Thiaroye » trouve que les 3/4 des épileptiques soit 88,31% ont consulté en première intention le tradipraticien. Les méthodes thérapeutiques traditionnelles sont globalement fonction des croyances fondamentales qui se sous-tendent l’origine et l’évolution de l’épilepsie. On peut les distinguer selon deux grands groupes : un modèle pseudo-biomédical et un modèle magique qui souvent s’associent dans une logique quasi irrationnelle. S’y ajoutent des séances d’expiation ou de consommation de décoction à des prières.
– Le traitement pseudo-biomédical.
Il s’agit souvent des catharsis par le feu, détoxication par des purges, instillations ou encore des décontaminations. Ainsi, dans certaines partie du Nigeria, le traitement de l’épilepsie consiste à exposer les membres du malade au feu, à mettre du piment dans les yeux du patient ou encore à lui faire avaler, dans son état de crise et inconscient, des breuvages (urine de vache) Awaritefe A. 1989.
Au Ghana, selon Nyame PK et al. Cité par Nubukpo P. et al. 2001, il arrivait que l’on verse de l’eau chaude sur le corps du malade en coma post-critique ou que ses membres soient brutalement exposés au feu, qu’on frotte ses yeux avec du piment etc. Les wolofs, en milieu rural au Sénégal, autrefois, traitaient l’épilepsie par instillation dans les yeux, d’eau provenant du rinçage des tablettes coraniques, ou encore par la friction des paupières avec les exsudats de feuilles macérées ; le but du traitement et de faire perdre à l’épileptique le pouvoir de voir l’invisible (Adotevi F., Stephany J. 1981). Quant aux dogons du Mali, ils utilisent fréquemment dans leur arsenal thérapeutique contre l’épilepsie, le lapin sauvage : l’animal vivant est frotté contre les scarifications sanguinolentes du malade, puis il est relâché dans la brousse, il transmettra l’épilepsie à celui qui mangera ainsi qu’à sa lignée.
– les rites magiques.
Ils sont nombreux, variés et retrouvés dans la plupart des milieux traditionnels en Afrique : séances de désenvoutement, exorcisme, sacrifices, prières, … comme exemple nous avons chez les maures l’aspersion d’eau, le n’doep chez le wolof et le bori baussa ou le tromba à Madagascar.
A ces types de traitements traditionnels, il faut ajouter les multiples interdits et recommandations souvent sans fondement scientifique réel. En effet, il est curieux de constater que dans l’imaginaire populaire comme dans les discours médical, ces genres de choses persistent alors qu’il est avéré de nos jours qu’un traitement efficace de l’épilepsie permet aux patients de mener une vie entièrement normale dans bien des cas.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
I. DEFINITION
II. HISTOIRE DE L’EVOLUTION DES CONNAISSANCES SUR L’EPILEPSIE
II.1. Dans l’Antiquité
II.2. Au Moyen Age
II.3. A l’époque de la Renaissance
II.4. Du XVIIIème siècle à nos jours
III. DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES
IV. REPRESENTATION SOCIOCULTURELLE DE L’EPILEPSIE
IV.1. Epilepsie et contagion
IV.2. Epilepsie et pouvoir surnaturel
IV.3. Epilepsie et sentiment de honte
IV.4. Epilepsie et traitement
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE AU CENTRE HOSPITALIER DES SPECIALITES DE NOUAKCHOTT EN MAURITANIE
I- OBJECTIFS
II- METHODOLOGIE
II.1. Cadre d’étude
II.2. Population d’étude
II.3. Type d’étude
II.4. Période d’étude
II.5. Méthode d’étude
II.6. Contrainte
II.7. Critères d’inclusion
II.8. Critères d’exclusion
III- RESULTATS
IV- COMMENTAIRES
IV.1. Selon le sexe
IV.2. Selon l’âge de début
IV.3. Selon la durée entre les débuts des crises et la première consultation traditionnelle ou médicale
IV.4. Selon la scolarité tableau
IV.5. Selon la situation professionnelle des épileptiques
IV.6. Selon la situation matrimoniale des épileptiques
IV.7. Selon la croyance en une cause surnaturelle
IV.8. Selon le recours à la médecine traditionnelle
IV.9. Selon l’évolution sous traitement traditionnel et médical
IV.10. Les sentiments des épileptiques face à leur maladie
IV.11. En fonction de la notion de contagion de la maladie
IV.12. En fonction de la connaissance du nom de la maladie en dialecte local
IV.13. En ce qui concerne la marginalisation et le rejet
IV.14. En fonction de l’existence d’antécédents familiaux
IV.15. La répartition des malades en fonction des facteurs de risque
IV.16. Commentaire des groupes de parole
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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