La préservation du patrimoine génétique de la vigne est primordiale aujourd’hui au vu de l’utilisation des clones du commerce qui réduit les ressources génétiques. Sélectionnés et agréés, ces clones répondent aux attentes des viticulteurs que sont l’utilisation de plants sains avec des caractéristiques agronomiques diverses.
Le Château Montrose, Second Cru Classé de 1855 situé sur l’appellation Saint Estèphe, s’est lancé dans une démarche de durabilité depuis le rachat de la propriété en 2006 par Martin et Olivier Bouygues. « Le passé mérite un grand respect » dit Martin Bouygues et la rénovation du Château s’est fait sous ce credo mais aussi avec un regard sur l’avenir via ces différents axes : continuer à valoriser le terroir avec des équipements viti-vinicoles plus modernes et respectueux de l’environnement, diminuer l’empreinte carbone et la consommation d’énergies avec la mise en place de panneaux photovoltaïques et un système de géothermie, conserver l’architecture dans le style typique de la région bordelaise. Le maintien de la biodiversité du Château Montrose fait également partie de cette démarche de durabilité et la sélection clonale est au cœur de cette problématique.
Le vignoble du Château Montrose est réparti sur 95 hectares d’un seul tenant et son encépagement est typique du Médoc avec une dominante de Cabernet-Sauvignon (55%) et de Merlot (38%). Le vignoble âgé du Château Montrose est en cours de restructuration et il est important de conserver le patrimoine de la propriété qui fait la qualité des vins de Montrose, comme le souligne Hervé Berland, gérant du Château : « Un des éléments de qualité, c’est la présence de vieilles vignes de Cabernet Sauvignon. Dans les supers-terroirs comme Montrose, c’est le Cabernet-Sauvignon qui atteint des sommets de complexité ». Ces vieilles parcelles de Cabernet Sauvignon sont très qualitatives et produisent chaque année le grand vin. Vieilles de plus de 60 ans, ces parcelles disposent d’une ressource génétique très variée. Cependant elles sont amenées à disparaître du fait de l’important taux de mortalité des pieds et du faible potentiel de production.
Les premières prospections, effectuées par Monsieur Jean Cordeau, débutèrent sur les parcelles 52, 54 et 55 ; en 2012, la parcelle 53 avait été replantée en partie avec des pieds de CabernetSauvignon issus de ces sélections massales. Le Château Montrose est aujourd’hui lancé dans une démarche de sélection clonale privée. Tout d’abord, en 2016, les pieds marqués par Monsieur Cordeau ont été soumis à des tests sanitaires puis suivis : 11 ont été retenus comme ayant un fort ou très fort potentiel. Une deuxième prospection a été effectuée à la fin de l’été 2016 sur le reste des parcelles datant d’avant 1960 : environ 1200 pieds ont été marqués. L’étude est menée sur les pieds retenus de la première prospection et sur l’ensemble des pieds de la deuxième prospection. Onze parcelles sont en sélection à ce jour et l’étude s’interroge sur la sélection des vignes mères par groupe d’étude de parcelles aux terroirs homogènes. Les parcelles ont en effet des terroirs distincts et sont réparties sur trois zones : le Château Montrose, le secteur dit de Fond Petite (racheté à une autre propriété) et le Château Tronquoy-Lalande, également propriété de Messieurs Bouygues. Les groupes d’étude seront créés tout d’abord en fonction des terroirs puis du suivi des stades phénologiques, et la sélection des pieds s’effectuera par groupe d’étude, la finalité de la sélection devant aboutir à 18 clones qui seront ensuite multipliés dans une parcelle d’étude.
La vigne fait partie de la famille des Vitaceae qui comporte 17 genres, dont le genre Vitis. Le genre Vitis est divisé en deux sous-genres : Euvitis et Muscadinia, différenciés par leurs caractéristiques ampélographiques et génétiques. Muscadinia comprend deux espèces, Euvitis en comprend une soixantaine dont Vitis vinifera L (Huglin & Schneider, 1998). À chaque reproduction sexuée, une nouvelle variété de vigne est créée. En 2015, le Catalogue français répertorie 377 variétés, plus de 1200 clones et 31 porte-greffes (Audeguin, 2015). La diversité inter-variétale est ainsi très importante. Pour maintenir les caractéristiques et la typicité d’un cépage dans le temps, la vigne est multipliée par voie végétative ou asexuée. Après la crise phylloxérique, le marcottage et le bouturage ont été abandonnés laissant place au greffage (Carrier, 2011). Au sein d’une même variété de vigne, les individus peuvent présenter des caractéristiques ampélographiques, agronomiques et organoleptiques différentes. Cette diversité intra-variétale est tout de même moins importante que la variabilité inter-variétale (Boursiquot, 2007). Elle augmente avec l’âge du vignoble et chez les variétés cultivées depuis de nombreuses années (Aurand, 2017). Le degré de diversité intra variétale varie en fonction du cépage (van Leeuwen, 2013). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette hétérogénéité :
• L’infection par des maladies à virus telles que le court noué et l’enroulement
• L’accumulation de mutations .
Walter et Antcliff en 1980 ont étudié l’origine sanitaire du polymorphisme de la vigne et ont montré que les variations dues au virus ne sont pas héréditaires et que seules les mutations somatiques sont transmissibles à la descendance (Carrier, 2011). Les cycles successifs de multiplication végétative ont induit une accumulation de mutations, principale cause du polymorphisme de la vigne. Ces mutations sont en général silencieuses mais elles sont parfois non silencieuses et peuvent alors affecter le phénotype. La variabilité interclonale peut être due à la présence ou disparition des caractères juvéniles, comme par exemple la forme et la couleur des jeunes feuilles. Ces mutations somatiques peuvent être propagées à une partie de l’organe ou à l‘organe entier. Si la mutation apparait dans l’ensemble des cellules initiales d’un bourgeon et que celui-ci est utilisé pour produire un nouveau plant, alors il pourra donner naissance à un nouveau clone. Les mutations somatiques sont d’origine génétiques ou épigénétiques. Si elles sont d’origine génétiques, des variations dans la séquence de l’ADN sont observées, si elles sont épigénétiques, la structure de l’ADN est modifiée (Carrier, 2011). D’autres facteurs, épigénétiques notamment, peuvent être également à l’origine du polymorphisme clonal de la vigne (Yobrégat, 2011).
C’est cette variabilité intra variétale qui entraîna la sélection clonale ayant pour objectif primaire de sélectionner des phénotypes de variétés de vigne conformes aux demandes des producteurs. L’OIV définit un clone comme étant « une descendance végétative d’un plant de vigne unique. Aux fins de la sélection, ce plant unique est choisi pour son identité variétale, ses traits phénotypiques et son état sanitaire ». Une grande diversité de clones est présente en France, dont 1200 sont agréés (Yobrégat, 2011).
Les caractéristiques des clones varient en fonction des conditions de l’environnement (van Leeuwen R. A.-V., 2013). Ces interactions clone x environnement ont été étudiées. Mannini, en 2010, étudia les clones de Nebbiolo sur différents terroirs en Italie et montra que le clone 142 avait un meilleur profil sur un terroir mais pas sur l’autre. Barbeau, en 1999, étudia le Chenin, en Val de Loire, sur deux conservatoires. Il nota des différences entre clones notamment concernant la composition des baies. L’interaction clone x environnement influerait sur cette caractéristique par la précocité et l’alimentation en eau. Aussi, les différences de comportement du clone sur les terroirs suivant les années indiquent une plus ou moins bonne adaptation du clone au terroir où il est planté (Barbeau, 1999).
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Étude bibliographique
1. Origine et objectifs de la sélection clonale
1.1. La diversité intra variétale de la vigne
1.2. Historique de la sélection clonale
1.3. Les objectifs de la sélection clonale
1.2. Méthodologie de la sélection et réglementation
2. La conservation des ressources génétiques
2.1. La collection ampélographique du Domaine de Vassal
2.2. Les conservatoires, collection d’étude et parcelle de comportement
2.3. Vers un retour aux sélections massales et clonales privées
2.4. La biotechnologie au service de la préservation des ressources génétiques
3. Etat des lieux de la sélection de Cabernet-Sauvignon
3.1. Description du Cabernet-Sauvignon
3.2. Les critères de sélection du Cabernet-Sauvignon
3.3. Les clones agréés et la collection de Cabernet-Sauvignon
4. Objectifs de sélection du Château Montrose
Partie 2 : Matériel et méthodes
1. Cadre de l’expérimentation
1.1. Le vignoble du Château Montrose
1.1.1. Localisation et caractéristiques pédoclimatiques
1.1.2. Surfaces, encépagement et âge du vignoble
1.1.3. Système de conduite du vignoble
1.2. Dispositif expérimental
1.2.1. Une diversité parcellaire
1.2.2. Nombre de pieds en sélection
1.1.1. Création de groupes d’étude
1.1. Climatologie du millésime 2017
2. Etat sanitaire
3. Caractérisation du potentiel agronomique
3.1. Analyse de la précocité via l’évaluation des stades phénologiques
3.2. Composante du rendement et morphologie des grappes
4. Caractéristiques du potentiel œnologique
Conclusion
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