En guise de préambule, rappelons que depuis le Plan de Rénovation de l’enseignement des langues vivantes étrangères de 2005, les élèves sont considérés comme les « acteurs sociaux » de leur propre apprentissage et les enseignants comme des guides, des « orchestrateurs de dynamiques de groupes » (Gaussel), mais certainement plus de simples « maîtres » dispensant unilatéralement leur savoir. En effet, les instructions officielles sont très claires (et cela n’est guère nouveau), « l’élève n’est pas cible à discours » (Martina). La perspective d’enseignement est donc désormais « de type actionnel, en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier » (CERCL).
C’est donc dans ce contexte précis que j’ai effectué ma première rentrée en tant que fonctionnaire stagiaire en septembre dernier, au sein de la cité scolaire Honoré de Balzac, lycée dans lequel j’avais effectué ma seconde, ma première et ma Terminale, ainsi que mon année d’Hypokhâgne. Affectée au collège, j’ai pris en charge deux classes de 5ème, une classe de 4ème et une classe de 6ème (en Accompagnement Personnalisé), tous élèves en section internationale avec l’anglais comme Langue Seconde (LV2).
Dès les premières semaines de septembre, j’ai vite compris que mon principal problème serait celui de l’excès de « TTT » (Teacher’s Talking Time – nous reviendrons sur ce point plus tard dans l’étude) et ma volonté de créer un environnement d’apprentissage bienveillant et ouvert au dialogue, ce qui allait engendrer inévitablement un flot de parole de ma part, dirigé vers les élèves (même si ceux-ci ne sont en aucun cas privés de parole, bien au contraire). Il m’a donc fallu comprendre très rapidement comment me soustraire à ce mode d’enseignement universitaire pour me mettre « aux normes » d’un enseignement propice à la démarche « communic’actionnelle » préconisée par le CECRL et l’ESPE. J’allais devoir tout simplement apprendre à m’effacer pour ne plus être le point focalized on, mais le focalisateur d’une communication en anglais. Il m’a été très difficile d’adopter immédiatement un recul réflexif sur mon positionnement dans la classe, alors même que je cherchais tout d’abord à trouver mes marques dans mes différents groupes classes. Il ne faut en aucun cas occulter que dans le cas des FSTG (agrégés qui plus est), nous sortons tout juste d’une année de préparation d’un concours exigeant, au cours de laquelle nous sommes encore considérés comme des étudiants. La différence avec les étudiants du Master MEEF (qui effectuent des stages d’observation et de pratique durant leurs études) est donc non négligeable. Il nous faut nous extraire d’un système de dispense du savoir universitaire (voire même d’une pensée exclusivement « concours ») afin de nous positionner en tant qu’enseignant au collège, c’està-dire enseignant d’élèves de 11 ans à 15 ans (pour ceux qui ont des élèves de 3ème).
Contexte de l’étude
L’établissement en question
Construit en 1952, le Lycée-Collège International Honoré de Balzac, situé dans le XVIIème arrondissement de Paris, à Porte de Clichy, est un campus de cinq hectares (le plus grand de Paris), connu pour abriter un complexe sportif complet, avec une piscine olympique, quatre gymnases, des pistes d’athlétisme, des terrains de hand ball, de basket-ball et volleyball. La cité scolaire Honoré de Balzac est composée de 140 salles de cours réparties sur deux ailes, une pour le lycée, les BTS et les classes préparatoires, et l’autre pour le collège, séparées par un bâtiment central qui accueille les divers services administratifs, médicaux et sociaux, ainsi que les cuisines, le self et la salle des fêtes. Plus de 1800 élèves sont scolarisés à Balzac et l’équipe enseignante (lycée, collège et classes post-bac confondues) se compose d’environ 140 enseignants. Enfin, depuis janvier 2016, Honoré de Balzac accueille la première classe « Avenir, Unité d’Enseignement pour Adolescents Autistes » et en février 2019, le lycée se verra doter d’un internat, qui accueillera plus de 160 élèves et qui permettra un réaménagement des espaces extérieurs avec notamment la création d’un nouveau parvis d’entrée dans l’établissement.
Spécificités et projets pour l’établissement
Honoré de Balzac est le seul établissement situé à Paris intramuros qui accueille six sections internationales, soit environ 900 élèves de la 6ème à la Terminale (section allemande, italienne, portugaise, espagnole, anglaise et arabe). Ces sections, accessibles sur concours, représentent quasiment 50% de l’effectif total de l’établissement puisque plus de 1800 élèves font leur scolarité à Balzac. Les élèves de ces sections internationales viennent donc de tout Paris, mais également de banlieue (parfois lointaine) et de l’étranger et si leur niveau dans les cours de langue de section (littérature et histoire-géographie) ne s’avèrent pas suffisamment élevé par rapport au niveau attendu, ces élèves s’exposent à un renvoi des classes de section, ce qui ne leur permet plus d’accéder à la finalité de l’enseignement international de Balzac, celui d’obtenir son baccalauréat avec mention internationale (OIB). Les parents des élèves de ces sections sont donc extrêmement attentifs au suivi scolaire de leurs enfants. De nombreuses voies s’élèvent et contestent fortement ces classes qualifiées « d’élites », tant et si bien que l’ancienne proviseure, Katia Blas, proposa de fusionner sections générales et sections internationales pour créer une émulation et une équité entre les élèves. Néanmoins, face à un mouvement de grève inédit, ce projet a été abandonné très rapidement et Mme Blas remerciée dans la foulée. Honoré de Balzac se veut donc représenter une certaine modernité dans son approche pédagogique et dans ses stratégies mises en place pour assurer une équité entre les élèves des différentes sections. Balzac est un paquebot géant, qu’il faut manœuvrer avec patience et délicatesse, un géant dont il ne faut pas immédiatement attendre un équilibre parfait.
L’équipe pédagogique d’anglais, un soutien indispensable
Lors de mon arrivée à Honoré de Balzac, j’ai été accueillie par le proviseur, M. Garcia et la proviseure adjointe au collège, Mme Horesnyi, et ceux-ci ont immédiatement réuni tous les stagiaires pour discuter de la façon dont les premières semaines allaient se dérouler, les équipes vers lesquelles nous allions pouvoir nous tourner pour nous fondre dans ce nouvel environnement professionnel. J’ai ainsi rencontré l’équipe pédagogique d’anglais du collège, composée de cinq enseignantes et une contractuelle. Elles m’ont tout de suite expliqué les rouages de l’établissement et du collège en particulier, le fonctionnement des cours et la répartition de mes classes. Bien entendu, de 2006 à 2009, j’ai été moi-même élève au lycée Honoré de Balzac donc j’étais déjà familière du système des sections internationales, même si au collège, la séparation entre sections générales et sections internationales est plus nette (il faut également noter qu’au lycée, les élèves de la section européenne anglaise étaient mélangés aux sections internationales). J’ai donc appris que l’équipe pédagogique s’était réunie en amont avec la direction pour discuter de la répartition des effectifs élèves et que tous s’étaient mis d’accord pour me confier uniquement des élèves de section internationale, afin que je puisse bénéficier d’un environnement moins « hostile » lors de mon année de stage. Ma tutrice, Rébeca. S., s’est montrée disponible et bienveillante à mon égard, ce qui m’a beaucoup aidé à me familiariser avec l’environnement pédagogique de Balzac.
Présentation des classes cibles : hétérogénéité et disparités
Depuis septembre dernier, j’ai pris en charge deux groupes classes (préférons groupes classes à classe, puisque dans les deux cas, je n’enseigne pas à tous les élèves de la 407, de la 505 et de la 506) de 5ème et une classe de 4ème, et c’est sur ces deux classes de 5ème que j’ai pris appui pour cette étude. Mon premier groupe classe est composé de seize élèves (onze filles et cinq garçons) de section internationale allemande, tous d’un très bon niveau, attentifs et dynamiques. Mon second groupe classe est lui composé de dix-neuf élèves (onze filles et huit garçons) d’un niveau assez fragile dans l’ensemble, dont six sont des élèves de la section internationale arabe et treize sont des internationaux portugais. La première différence notable entre ces deux groupes classes est donc celle des sections puisque, dans le cas de ma 5ème 06, le groupe entier est de même section (allemande), et dans le cas de ma 5ème 05, deux sections sont mélangées (deux tiers, section portugaise et un tiers, section arabe). La section allemande est relativement homogène et d’un excellent niveau dans toutes les matières et notamment en anglais car l’anglais et l’allemand ont des convergences linguistiques (à l’exception des conjugaisons bien évidemment). Les six élèves de la section arabe de la 5ème 05 sont d’un niveau relativement solide et ils sont très dynamiques dans l’ensemble. Les élèves de la section portugaise sont quant à eux d’un niveau très fragile (à l’exception de deux élèves) et ils se sont montrés, dès la rentrée, très hostiles concernant leur apprentissage de l’anglais. Cette classe est donc bien plus hétérogène que la 5ème 06. Rappelons également que ces deux classes étudient l’anglais en LV2. Ces deux 5ème sont donc très différentes, et les mêmes stratégies d’enseignement appliquées aux deux classes ont eu, sans surprise, des résultats divergents. J’ai établi divers plan de classes au fur et à mesure des semaines de cours, mais au mois de novembre, j’ai décidé de placer les élèves en îlots (quatre îlots de quatre pour la 5ème 06 ; quatre îlots de quatre et un îlot de trois pour les 5ème 05). Au sein de chaque îlot, j’ai fait en sorte (dans la mesure du possible) de placer un élève « tuteur » qui est censé aider ses camarades avant de passer par moi. Notons tout de même qu’étant stagiaire, j’ai du m’adapter à des salles de configurations très différentes (une salle minuscule où les élèves, malgré les îlots, sont en contact les uns avec les autres, et une autre salle immense avec les tables disposées en « U » que je dois déplacer à chaque début de séance et remettre en place à la fin).
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Table des matières
Introduction
1. Contexte de l’étude
1.1. L’établissement en question
1.2. Spécificités et projets pour l’établissement
1.3. L’équipe pédagogique d’anglais, un soutien indispensable
1.4. Présentation des classes cibles : hétérogénéité et disparités
2. Pistes théoriques et stratégies
2.1. Difficultés rencontrées
2.2. L’espace classe : un lieu complexe aux positionnements stratégiques
2.3. TTT et STT
2.3.1. TTT versus STT
2.3.2. TTT qualitatif ou quantitatif ?
2.3.3. Mon approche du TTT
2.4. Les notions d’input et d’output dans l’interaction
2.5. Situations de communication : verbales et non-verbales
3. Expérimentations et résultats
3.1. Mise en place de rituels pour favoriser la circulation de la parole
3.2. Favoriser la communication non-verbale : un outil indispensable ?
3.3. Les îlots : efficaces ou inutiles ?
3.4. La fiche de participation : gain ou perte de temps ?
3.5. Le TTT analysé dans mes classes
4. Conclusion
4.1. S’effacer pour mieux enseigner ?
4.2. Conclusion générale de cette étude comparative
5. Piste à explorer
5.1. De l’agrégation au collège : un fossé insurmontable ?
5.2. Le temps de parole réduit de l’enseignant entraîne-t-il une communication authentique ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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