Sédiments et biodiversité : pourquoi faire des recharges sédimentaires ?
Importance écologique des sédiments
Les sédiments sont composés de matériaux solides : principalement du sable, des graviers et de la matière organique. La dynamique des sédiments se décompose en trois grandes phases : la mobilisation, le transport et le dépôt (OFEV (éd.) 2017). Ils arrivent dans les cours d’eau via les effets d’érosion, emportés par les ruissellements d’eau de pluie ou les glissements de terrains et coulées de boue, puis sont emportés vers l’aval. On peut alors distinguer deux grands types de sédiments (OFEV (éd.) 2017) :
• Les sédiments fins comme les sables, les limons ou l’argile, qui se déplace en suspension dans l’eau.
• Les sédiments grossiers comme les graviers ou les galets, qui eux vont se déplacer par charriage ou saltation quand ils sont suffisamment légers ou que les forces tractrices sont suffisantes.
L’équilibre des cours d’eau est majoritairement contrôlé par la dynamique hydraulique et le transport sédimentaire. Selon Newson et Large (2006), une rivière est considérée comme naturelle quand sa géométrie et ses caractéristiques représentent l’intégralité des interactions entre les flux d’eau et de sédiments, selon les conditions limites locales. Les sédiments sont soumis à des processus très complexes, et les cours d’eau sont capables d’ajuster leur morphologie selon des processus d’aggradation, de dégradation ou d’interactions latérales avec les plaines inondables, sur du court ou long terme (OFEV (éd.) 2017). Ce sont des processus souvent très long, et il n’est pas rare que les sédiments mettent plusieurs décennies à parcourir la distance entre la tête de bassin hydrographique et le lac ou la mer se trouvant en aval (OFEV (éd.) 2017). La morphologie locale des cours d’eau est très liée au régime hydrologique, au transport des sédiments et à la végétation riparienne, euxmêmes contrôlés par des contraintes naturelles telles que le climat, la géologie ou les activités humaines (Elosegi et al., 2010). Dans ce travail, l’accent sera plutôt mis sur des petites ou moyennes échelles, qui correspondent à la durée de vie et aux habitats de la plupart des organismes aquatiques. La connectivité des rivières fonctionne selon trois dimensions : La connectivité longitudinale contrôle le flux d’eau et de sédiments. Ceux-ci peuvent également être transportés latéralement en étant transportés entre les plaines inondables et le cours d’eau principal lors d’évènements de crues. (Elosegi et al., 2010). La connectivité verticale est créée par les échanges d’eau entre la hauteur d’eau libre et la zone hyporhéique (l’ensemble des sédiments saturés en eau situés en dessous et à côté d’un cours d’eau) (Elosegi et al., 2010). Il est également possible de noter l’importance des affluents et donc des confluences dans le transport sédimentaire des grands fleuves. Certains affluents peuvent fournir des charges sédimentaires particulièrement importantes, qui vont structurer les changements de pente, la morphologie et le caractère des sédiment du lit du cours d’eau principal qu’ils rejoignent (Rice, 2017). L’aggradation de matériaux due aux affluents entraîne généralement une réduction de la pente et un affinement des sédiments en amont, qui deviennent de plus en plus grossiers vers l’aval (Rice, 2017). Ces ajustements augmentent l’hétérogénéité des cours d’eau et l’excès de sédiments disponible peut servir à la construction de nouvelles formes de lit, et peuvent donc être un support important pour la biodiversité locale (Rice, 2017). L’hydromorphologie d’un cours d’eau n’est pas statique, les rivières étant façonnées par des transports d’eau et de sédiments très variables dans le temps. Les cours d’eau sont constamment en train de s’ajuster aux changements de puissance de courant et de transport de sédiment, ce qui fait des rivières des écosystèmes hautement dynamiques. Ce dynamisme est très important pour l’écologie de la rivière, et ce à différentes échelles de temps. Sur une petite échelle, les évènements de crue sont responsables de mouvements et de réarrangements sédimentaires importants, ainsi que de transformations dans les connectivités latérales et verticales (Elosegi et al., 2010). En considérant une échelle de temps plus large, le cours d’eau est façonné par les variations de débit saisonnières et interannuelles (Elosegi et al., 2010). Ce dynamisme est un facteur clé de la création des habitats physiques qui façonnent la biodiversité aquatique. Cette relation entre la complexité physique des écosystèmes et la diversité des communautés biologiques mène au concept des niches écologiques. L’écologie des cours d’eau a catégorisée les formes de lits selon plusieurs éléments morphologiques, comme les dunes, les barres sédimentaires, les berges, les îles… Ces éléments montrent des largeurs, longueurs, profondeurs différentes ainsi que des tailles et un tri des sédiments propres, qui définissent une multitude de micro-habitats et donc de niches écologiques différentes (Elosegi et al., 2010). Les cours d’eau naturels non modifiés présentent ainsi des variations spatiales considérables de la taille des matériaux de surface de lit, une hétérogénéité importante pour la qualité des habitats aquatiques (ASCE Task Committee on Sediment Transport and Aquatic Habitats, Sedimentation Committee, 1992).
La complexité des canaux fluviaux et la diversité écologique associée résulte de processus intervenant à plusieurs échelles (Elosegi et al., 2010). Ainsi, à l’échelle du micro-habitat (plus petit que la largeur du cours d’eau), les sédiments sont triés naturellement selon leur taille, donnant des niches d’habitats pour des organismes différents. Ce processus de tri dépend du schéma d’écoulement généré à l’échelle du tronçon de rivière (vitesse d’écoulement, profondeur…) et est influencé par les roches, macrophytes ou morceaux de bois pouvant obstruer le courant. Les dépôts de sédiments fins dans le lit majeur vont par exemple être des facteurs clés de la formation de forêts alluviales (OFEV (éd.) 2017). A cette échelle, une grande diversité de taille de grains est donc clairement liée à la biodiversité, dans la mesure où les parcelles de taille de grain différentes constituent très souvent des habitats fonctionnels différents (Elosegi et al., 2010). Il est possible de trouver de nombreux exemples de dépendance entre l’abondance, la diversité ou la productivité de macroinvertébrés et la diversité de substrats. La plupart des macroinvertébrés benthiques peuvent être classés en deux catégories : les macroinvertébrés fouisseurs, et ceux vivant attachés sur différents matériaux. De manière générale, les fouisseurs vivent préférentiellement dans des matériaux cohésifs, quand les autres vont préférer les surfaces rocheuses et les sédiments plus grossiers (ASCE Task Committee on Sediment Transport and Aquatic Habitats, Sedimentation Committee, 1992). Ce sont dans les sédiments grossiers que sont retrouvés des niveaux plus élevés de diversité, phénomène expliqué par deux facteurs principaux (ASCE Task Committee on Sediment Transport and Aquatic Habitats, Sedimentation Committee, 1992) :
• Les sédiments grossiers contiennent dans leur gamme de taille des matériaux relativement gros, qui offre toute une gamme de taille de vides interstitiels offrant des habitats pour différentes espèces.
• Les lits de sédiments grossiers sont plus stables que les lits de sédiments fins, dont les mouvements quasi-continus empêche l’établissement de certaines espèces.
A l’échelle plus grande d’un tronçon de rivière, la complexité physique est liée à la diversité et abondance des séquences de seuils/mouilles, des barres sédimentaires, dunes et autres formes de lit (Elosegi et al., 2010). Dans ce cas aussi, la complexité de ces caractéristiques physiques du cours d’eau est reliée à la biodiversité, en témoigne le fait que plusieurs espèces de poissons ont besoin d’habitats différents tout au long de leur cycle de vie, ou que de nombreuses espèces ont un habitat relié aux sédiments (Harvey et al., 2005). Les organismes aquatiques se sont habitués au cours de leur évolution à la dynamique sédimentaire, et beaucoup d’espèce animales comme végétales en sont aujourd’hui même tributaires. Ces adaptations peuvent être physiques, physiologiques, comportementales, sur le cycle de vie. Les espèces lithophiles ont ainsi pu adapter leur cycle de vie à la dynamique sédimentaire, comme c’est le cas des truites qui, dans les cours d’eau Suisses, fraies à l’étiage en fin d’automne, laissant l’hiver pour le développement des œufs, saison où les crues sont rares et les déplacements de sédiments faibles (OFEV, 2017). Pour leur reproduction, les saumons et les truites creusent un trou dans les frayères, pondent et recouvrent leurs œufs de graviers. Ainsi, si les sédiments sont trop gros, les poissons ne peuvent pas creuser de trou, et si des sédiments trop fins recouvrent le lit après la période de frai, l’incubation peut ne pas réussir (Milhous, 1998). De la même manière, certaines espèces d’amphibiens vivent dans les vides présents dans un lit de galet ou de rocher. Si ces vides sont remplis par des sédiments fins, ces organismes ne peuvent pas survivre (Milhous, 1998). Les espèces de moules adaptées au barres sédimentaire pourraient également ne pas survivre si les barres sont recouvertes de sable ou de fines (Milhous, 1998). Ces processus concernent également la flore, en témoigne la forte dépendance du Tamarin d’Allemagne au type de sédiment, puisqu’un fond sablonneux va très distinctement favoriser sa germination (OFEV, 2017). A l’échelle d’un bassin hydrographique, les rivières naturelles montrent en général des différences importantes entre l’amont et l’aval et dans leur structure physique, leurs communautés biologiques et leur fonctions écologiques (Elosegi et al., 2010). A cette échelle, la biodiversité est liée aux différents modèles hydrogéomorphologiques le long du système fluvial.La distribution granulométrique joue également un rôle sur la rétention des matières organiques ayant le rôle essentiel de source de nourriture pour les micro-organismes, champignons, algues et larves d’insectes, qui sont à la base du réseau trophique des milieux aquatiques : plus les sédiments sont grossiers, plus la vitesse d’écoulement à proximité du fond est faible, est plus l’effet de rétention des matières organiques sera grand (OFEV, 2017). La longueur des chaines alimentaires peut être pris comme un indicateur de biodiversité, les chaines alimentaires les plus longues étant souvent retrouvées dans les cours d’eau les plus intacts et montrant une grande biodiversité (Mary et al., 1996). Les poissons prédateurs ont un effet important sur la chaine alimentaire des invertébrés, et l’absence dans un cours d’eau de certains habitats clés peut entrainer la diminution du nombre de prédateurs, provoquant des effets en cascade au sein des chaines alimentaires (Elosegi et al., 2010). La présence de barres sédimentaire en aval des barrages permet la rétention du plancton et des contaminants provenant des réservoirs et contribue à la restauration de la chaîne alimentaire en aval et à l’auto purification le long des canaux (Ock et al., 2015). La continuité verticale de ces milieux permet aussi d’accroître les échanges hyporhéiques et donc l’hétérogénéité hydrologique et thermique du cours d’eau (Ock et al., 2015). Ces échanges hyporhéiques contribuent également à améliorer la qualité de l’eau en fonctionnant comme des puits importants pour l’azote anthropique et le phosphore (Ock et al., 2015). La perte des bancs de gravier et de radiers causés par les déficits sédimentaires dus aux barrages entraine donc une perte d’échanges hyporhéiques et d’hétérogénéité thermique d’importance pour certaines espèces piscicoles comme les salmonidés (Ock et al., 2015). Les sédiments grossiers peuvent ainsi être considérés comme une ressource nécessaire pour soutenir la complexité des habitats et des fonctions écologiques dans les cours d’eau. Les crues sont essentielles pour le transport des nutriments, de la matière organique et des sédiments, ainsi que pour la dispersion des organismes vivants. En écologie, il est dit que la biodiversité est maximale pour des perturbations moyennes (hypothèse de la perturbation moyenne). Des perturbations trop fortes empêcheraient le développement de nombreux organismes, quand des perturbations trop faibles désavantageraient certaines espèces au profit d’autres plus fortes par compétition. En perturbant les différentes parcelles de sédiments, les crues peuvent en créer de nouvelles conditions de vie et favoriser une plus grande biodiversité (Elosegi et al., 2010). Lorsque les crues sont très intenses, elles sont alors plus destructrices et déplacent les organismes et les sédiments de manière importante, puis font place à une nouvelle succession écologique (Elosegi et al., 2010). L’intensité de la crue est donc décisive pour les organismes fluviaux et alluviaux, selon les variations de durée, de récurrence, de quantité de matière en suspension, de matériaux charriés puis déposés… Une fois encore, le contrôle qu’exerce l’homme sur les évènements hydrologiques n’est donc pas bénéfique à la diversité écologique.
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Table des matières
I. Introduction
II. Sédiments et biodiversité : pourquoi faire des recharges sédimentaires ?
1. Importance écologique des sédiments
2. Situation actuelle : déficits sédimentaires et conséquences écologiques
III. Retours d’expériences : suivis géomorphologiques et écologique des restitutions sédimentaires
1. Mise en place des travaux de réinjection
2. Suivis géomorphologiques
3. Suivis écologiques
IV. Conclusion
Bibliographie
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