Sédentariser les nomades en agissant sur les marchés publics européens

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Quelques exemples

Les ouvriers de l’industrie automobile, les ingénieurs de la pétrochimie, les acteurs de cinéma, les banquiers d’affaires, ou bien encore les traders constituent des exemples d’emplois nomades… Les boulangers, les bouchers, les acteurs de théâtre, les docteurs ou les professeurs des écoles entrent dans la catégorie des sédentaires… Ils tire nt leurs revenus de la production et de la vente des biens et des services sédentaires, qui ne circulentpas à l’extérieur du territoire considéré.
Ce sont les nomades qui sont concernés quand on parle de délocalisations en Europe de l’Est, de concurrence déloyale de pays asiatiques ; ce sont eux encore que l’on défend quand on promeut le made in France ou que l’on affecte quand on ouvre un marché à la concurrence. Ce sont donc les nomades qui concentrent l’essentiel de notre attention ; pourtant, ils ne représentent qu’un quart de l’emploi en France.

Discussion sur la définition

Même si les notions d’emploi nomade et sédentairesont proches de celle d’emplois délocalisables et non délocalisables, on gardera dans les développements qui suivent la terminologie proposée par Pierre-Noël Giraud.

Existe-t-il un portrait type du nomade ou du sédentaire ?

Comme le montrent les exemples, il existe une très grande disparité de revenus et de formation au sein d’une même catégorie : entre un boulanger teun chirurgien au sein des sédentaires, entre un ouvrier de l’industrie automobile et un banquier d’ affaires au sein des nomades.
Même si il n’existe pas de portrait type, le revenu des nomades est en moyenne supérieur au revenu des sédentaires.

Quelle est la frontière entre nomade et sédentaire ?

Il n’existe pas de frontière parfaitement définie et immuable entre emploi nomade et sédentaire. Ainsi, un emploi sédentaire peut devenir nomade dans le temps, sous l’effet des évolutions technologiques. Les progrès de la numérisation dans certains secteurs ont accéléré le passage d’emplois sédentaires à nomades.
Un exemple est celui d’employé de banque. Il y a 30 ans, un employé de banque constituait l’archétype du sédentaire. Localisé dans une agencede quartier, il avait pour mission de réaliser la plupart des opérations bancaires pour ses clients :virements, crédits, conseils… De nos jours, du fai t des progrès de la numérisation, l’ensemble de ces pérations s’effectue à distance par une application ou un site internet. Les employés de banque sont devenus nomades.

Quelle est l’échelle géographique pertinente à prendre en compte ?

La notion d’emploi sédentaire est directement liéeà la notion de territoire.
Dès lors la dimension géographique joue un rôle déterminant. Trois niveaux peuvent être envisagés:
– le niveau régional ou local ;
– le niveau national ;
– le niveau européen.
Ainsi, une boulangerie est sédentaire à l’échellelocale, une centrale électrique à l’échelle nationale et une usine automobile à l’échelle européenne.
Le niveau régional peut être intéressant pour développer l’attractivité d’une région en y créant des emplois sédentaires. Par exemple, la région Bourgogne—Franche Comté met en place une politique visant à développer le tourisme en créantdes emplois sédentaires dans cette région. Pour autant, dans le cadre du présent mémoire, nous ne évelopperonsd pas plus avant ce niveau.
Le niveau national est le niveau le plus généralement évoqué par les politiques et les médias. Il correspond au niveau que souhaitent privilégier lespolitiques publiques de lutte contre le chômage ou bien celles qui promeuvent le « made in France ».
Les effets sur l’emploi diffèrent : la fermeture récente de l’usine Whirlpool d’Amiens pour la délocaliser en Roumanie n’a pas d’incidence sur l’emploi à l’échelle européenne mais en a évidemment une à l’échelle française.
Nous nous proposons de retenir les échelles nationale et européenne dans le cadre des préconisations formulées dans la suite de ce document.

Quelles sont les interactions entre les différents groupes ?

Le schéma qui suit présente les flux d’emploi entr les catégories nomades, sédentaires et chômeurs, sur deux territoires donnés A et B :
Transformer les chômeurs en sédentaires ou nomade (flèches vertes) constitue l’objectif des politiques de lutte contre le chômage et les inégalités.
Comme on l’a vu plus haut, certains sédentaires deviennent nomades (flèches rouges) du fait des évolutions technologiques. C’est le cas des employés de banques, par exemple, qui a été développée précédemment.
Enfin, dans la suite de ce mémoire, nous verrons que dans certaines circonstances, des emplois nomades peuvent devenir sédentaires, notamment en faisant évoluer les usages et les modes de consommation (flèches bleues).

La structuration de l’emploi en France

Emplois nomades et sédentaires en France

Il y avait, en France, 26,8 % d’emplois nomades dans l’emploi total en 2013. Cette proportion est en nette baisse depuis la fin des années 1990, avec trois composantes significatives : deux sont en diminution, l’agriculture et l’industrie des biens; une est en croissance, mais pas assez pour compenser les destructions d’emplois des deux autres, c’est el secteur des services. Dans le même temps, le secteur sédentaire a, quant à lui, connu une augmentation principalement par le développement des services, qu’ils soient marchands ou non marchands.
Le secteur nomade a significativement accru sa productivité, et en particulier plus rapidement que le secteur sédentaire, ce qui contribue à l’accroissement de l’inégalité de revenu moyen entre les nomades et les sédentaires.
L’observation de la répartition géographique du secteur nomade et du secteur sédentaire met en lumière deux évidences qu’il convient de rappele. Tout d’abord, pour un secteur d’activité sédentaire donné, le nombre d’emplois dans un territoire est souvent directement corrélé à sa population. Ceci est logique dès lors que les emplois sédentaires sont à proximité de leur clientèle.À l’inverse, l’implantation des nomades n’a que peu à voir avec la démographie : une grande usine agroalimentaire employant 1000 salariés peut s’implanter dans une ville de 10 000 habitants et, à l’inverse, certaines grandes villes n’hébergent aucun site industriel de ce secteur, puisque la clientèle locale n’a pas besoin d’être desservie par une usine locale.
La seconde évidence, directement liée, est l’inégalité du territoire face à l’exposition : certaines régions sont très dépendantes d’industriefortement nomades, d’autres sont très protégéesLa. vulnérabilité d’une région peut être source de grandes tensions au sujet de certaines implantations nomades – on le voit régulièrement lorsqu’une usine, délocalisée hors de France, laisse sa région sinistrée. À cette fragilité inégale s’ajoute une utrea inégalité : dans de nombreux métiers, il seraplus aisé de retrouver un emploi en Île-de-France qu’enrégion Grand Est ; des ingénieurs en informatique retrouveront plus facilement un emploi que des ouvriers du textile. Pourtant, un informaticien de l’Essonne et un ouvrier du textile nancéien sont tous deux nomades : cela ne les empêche pas d’avoir des degrés de vulnérabilité très différents. En tique,pra cela signifie que pour protéger et développer l’emploi, il est plus judicieux, d’un point de vuesocial ou politique, de se concentrer sur certains cas de figure.
Il existe par surcroît un facteur bien établi de multiplicateur d’emplois : un entrepôt logistique qui s’implante en Normandie et emploie 100 personnes ne va pas créer 100 emplois, mais davantage car ces personnes vont consommer dans la ville et la région. En d’autres termes, l’emploi nomade génère de l’emploi sédentaire. En France, Ph. Frocrain et P.-N. Giraud1 estiment ce multiplicateur à 0,64. C’est-à-dire que 100 emplois qui s’implantent à un endroit donné génèrent en moyenne 64 emplois sédentaires supplémentaires. Les nomades génèrent aussi de l’emploi nomade, avec par exemple l’implantation de fournisseurs, mais dans une proportion moindre, 0,25 environ en France. On voit donc combien l’implantation de sites nomades, ou leur disparation, affecte significativement une ville et son territoire.
L’interaction entre le secteur nomade et le secteur sédentaire ne se limite pas à la création d’emplois. En effet, le secteur nomade consommant auprès du secteur sédentaire, par exemple pour l’immobilier, l’énergie ou les transports, le coûtdu secteur sédentaire influe sur celui du secteur nomade. On observe par exemple un écart significati dans l’évolution des salaires du secteur sédentaire, entre la France et l’Allemagne : en Allemagne, ils ont augmenté de 25 % entre 1993 et 2012, contre 52 % en France. Or, on estime que 70 % de la différence d’évolution de la balance commerciale entre la France et l’Allemagne est causée par cette divergence de modération salariale. Il y a là un vrai enjeu au bon fonctionnement du secte ur sédentaire, y compris pour le secteur nomade.

Comparaison avec les autres pays

Cette première observation nous conduit à observer les différences de structure de l’emploi entre la France et d’autres pays, notamment européens.
On constate en effet que, si la tendance à la dimin ution de la part de l’emploi nomade est partagée dans toute l’Europe, la France fait partied’un bloc occidental (avec le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Espagne) où cette proportion est particulièrement faible (moins de 30%) et où le secteur nomade est majoritairement constitué de services. Plus à l’est, l’axe Scandinavie-Allemagne-Italie, davantage industrialisé, a une part légèrement plusélevée de nomades et repose moins sur les services. Enfin, l’Europe Centrale et de l’Est, des pays baltes à la Grèce, est beaucoup plus nomade : plus de 35 % des emplois y sont nomades, et jusqu’à plus de 50 % en Roumanie ! Ce point de vue sur l’emploi retranscrit trois histoires différentes de l’Europe.
Aux États-Unis, le fort recul des emplois industri els et agricoles n’est pas compensé par le développement des services nomades : il en résulteune baisse de la part d’emploi nomade dans l’emploi total, de 30 % à 26 % entre 1999 et 2013. Dans le même temps, le secteur sédentaire et les services nomades emploient du personnel de plus en plus qualifié.

La notion de sédentarisation

Compte tenu de la définition des emplois nomades et sédentaires, on voit que des emplois initialement sédentaires peuvent devenir nomades, si la nature de la concurrence change. Il est plus difficile d’imaginer en tant que tel un passage de nomade à sédentaire. Toutefois, nous pouvons parler de « sédentarisation » dans le cas de figure suivant : les conditions de concurrence sont telles que si, théoriquement, une concurrence extérieure peut exister, dans les faits, elle est pratiquement impossible.
Ceci peut par exemple survenir si la population d’un pays choisit de consommer presque exclusivement des biens produits sur le territoire national, dans un domaine donné, parce qu’ils accordent une valeur particulière à ces biens. On peut ainsi citer le cas de l’automobile allemande, où l’image de marque développée autour de laDeutsche qualität permet, d’une certaine manière, de considérer une voiture allemande comme un produit particulier, intrinsèquement différent d’une voiture étrangère. On peut aussi parler de sédentarisation si des barrières réglementaires ou normatives rendent en pratique très difficile l’importation d’un bien.
Naturellement, ces définitions sont moins catégoriques que celles des nomades et des sédentaires. Toutefois, elles ouvrent la voie à une certaine souplesse dans l’approche de la concurrence telle qu’elle s’exprime dans ce modèle nomade/sédentaire. Nous étudierons notamment dans la suite de ce mémoire certains cas de « sédentarisation ».

Sédentariser les nomades en agissant sur les marchés publics européens

Le cadre des marchés publics

Les marchés publics dans le monde

En France, les marchés publics sont des contrats à titre onéreux qui sont passés entre, d’une part, une l’État, une collectivité territoriale, un e entreprise publique ou encore un EPCI, et d’autre part, tout type de personnes publiques ou privées.
L’objet du marché en question peut être la construction d’un bâtiment public, la fourniture de denrées alimentaires, la rénovation de conduites degaz ou encore un service d’assurances.
En France, ces marchés publics représentaient en 0152 environ 385 milliards d’euros4, soit environ 20 % du PIB. On retrouve la même proportionde 20 % pour l’Union européenne, puisqu’en 2010 ce sont plus de 2400 milliards d’euros qui ont été dépensés dans ces marchés. La France occupe la troisième position en termes de dépenses, derrière l’Allemagne (480 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (390 milliards d’euros).
A l’échelle mondiale, l’OMC estime que les marchéspublics d’un pays représentent en moyenne 10 à 15 % du PIB du pays en question. D’une manière générale, les marché publics représentent une part élevée des marchés d’un payset représentent donc un enjeu particulier pour les fournisseurs tant nationaux qu’étrangers. Jusqu’à une époque récente, les marchés publics étaient généralement exclus des accords commerciaux internationaux relevant du GATT et de l’OMC.

L’Accord Multilatéral sur les Marchés Publics

A partir de la fin des années soixante-dix, un certain nombre de pays membres de l’OMC ont conclu un accord visant à garantir l’ouverture des marchés publics à une concurrence transparente et équitable entre fournisseurs des pays prenant part à l’accord. Il s’agit de l’Accord plurilatéral surles Marchés Publics (AMP).
Dix-neuf parties, comprenant 47 membres de l’OMC, sont signataires de cet accord. L’AMP se compose d’une part du texte de l’accord, d’autre part de la liste des engagements de chacune des parties en matière de critères d’ouvertures des marchés publics : quel champ d’application, quel pouvoir adjudicateur, à partir de quel montant…
Cet accord est un traité juridiquement contraignan. Sa première forme date de 1979 et sa version actuelle est en vigueur depuis 2014, hormis pour les pays qui n’en ont pas encore achevé la ratification et continuent de se baser sur la version antérieure de 1994. Ses grands principes sont la non-discrimination entre entreprises, des prescriptions sur la procédure de passation de marchés et sur la transparence de l’information, ainsi que l’application d’un traitement spécial et différencié pourles pays en développement et pays les moins avancés.
En particulier, il interdit un traitement moins favorable vis-à-vis des fournisseurs étrangers ou produisant à l’étranger, que celui accordé à des entreprises nationales.
L’Union Européenne, signataire de l’AMP, est l’undes moteurs de cette ouverture progressive des marchés publics et affiche une volonté d’exemplarité afin d’inspirer les autres pays. Environ 350 milliards d’euros (soit plus de 15%) de marchés publics sont ouverts à une concurrence extra-européenne. En comparaison, le degré d’ouverture des Etats-Unis n’atteint que 180 milliards d’euros (10%) et celui du Japon 30 milliards d’euros (5%).

Les régimes dérogatoires à l’AMP

Certains pays ont obtenu des dérogations à l’AMP. Ainsi, des pays tels que le Canada, les Etats-Unis ou la Corée du Sud, peuvent réserver unecertaine partie de leurs marchés publics à des PME.
Comme dit précédemment, les pays en développementbénéficient explicitement d’un traitement différencié visant à favoriser le développement de branches de production nationales et à faciliter l’équilibre de leur balance des paiements, et tolérant que ces pays appliquent des accords régionaux spécifiques sous réserve de leur approbation par l’OMC. Dans la même philosophie, l’AMP permet aux pays les moins avancés, même non signataires de l’accord, d’en bénéficier en ce qui concerne leurs entreprises.
Par ailleurs, certains Etats peuvent restreindre l’accès à leurs marchés publics par des voies indirectes. C’est par exemple le cas du Japon, qui dispose de barrières normatives et réglementaires élevées qui rendent plus difficile l’accès à son marché par des entreprises étrangères qui ne produisent pas spécifiquement pour exporter au Japon. La difficulté du système d’homologation japonais ou encore la complexité des réseaux de distribution qui nécessitent souvent de passer par une entreprise locale s’ajoutent à ces barrières.

Le cas des États-Unis

Les États-Unis sont engagés depuis longtemps dans une démarche visant à ce que l’État, en tant que consommateur, soit un acteur de l’emploi et du développement de l’économie.
Entré en vigueur en 1933, le Buy American Act impose, pour les achats directs réalisés par le gouvernement américain, que tous les biens concernés soient produits sur le territoire américain. Le Buy America Act étend, en 1982, cette disposition aux agences tierces qui utilisent des fonds accordés par le Département des Transports.
En 2009, dans le cadre du plan de relance de l’économie américaine, le Buy American Provision impose que les financements accordés en lien avec ce plan ne s’appliquent qu’aux projets d’infrastructure utilisant des matériaux (fer et acier) ou des biens manufacturés produits aux États-Unis.

Les règles s’appliquant en France

Trois principes s’appliquent en France, d’une partau titre de la Constitution, d’autre part au titre du droit européen : le libre accès à la commande publique, l’égalité de traitement et la transparence. Les deux premiers principes interdisent toute discrimination entre les prestataires, qu’il s’agisse d’interdire l’accès à un marché public ou d’imposerdes conditions d’exécution particulières. Le troisième impose la publicité du marché et des critères de décision.
Ces principes ne s’appliquent pas dans quelques cas de figure, principalement lorsqu’il y a une urgence, lorsque les montants engagés sont inférieurs à 25 000 € ou lorsque aucune candidature recevable n’a été adressée suite à un appel d’offres.
Il existe des seuils de procédure formalisée : audelà- d’un certain montant, qui varie selon la nature du marché et l’entité contractante, le marché public concerné doit faire l’objet d’une procédure formalisée. Cette procédure peut être un appel d’offres, une procédure concurrentielle avec négociation, une procédure négociée avec mise en ncurrenceco préalable ou un dialogue compétitif. Pour les fournitures et services, ce seuil varie de 135 000 € à 418 000 €. Pour les travaux, il se sit ue à 5 225 000 €.
Il existe également des seuils de publicité, qui mposenti le degré de publicité à donner au marché concerné : à titre d’exemple, au-delà de 90000 €, il est obligatoire de publier l’avis de marc hé au Bulletin Officiel des Annonces de Marchés Publics.
En vertu du principe de libre accès à la commande publique, il n’est pas possible d’appliquer de préférence géographique (locale, nationale ou européenne) dans le choix de la candidature retenue. Ceci inclut le lieu de production des biens ou services requis, mais aussi, par exemple, toute obligation qui serait faite d’utiliser des produits locaux, par exemple dans les cantines scolaires.
Néanmoins, depuis le 25 août 2011, les marchés publics en France peuvent recourir à des circuits courts : « Est considéré comme circuit court un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur ».Le décret n°2011-1000 du 25 août 2011 « offre la possibilité aux acheteurs de retenir, parmi les critères de choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture. »
Par ailleurs, l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics autorise l’imposition de critères environnementaux ou sociaux dans les conditions d’exécution d’un marché public, dans son article 38 : « Les conditions d’exécution d’un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à conditio n qu’elles soient liées à l’objet du marché public….() »
En pratique, ce texte ouvre en particulier la voie à un alourdissement de critères tels que l’empreinte carbone, qui favoriserait de facto la production locale. C’est aussi ce que permet, par ailleurs, le choix de délais de livraison ou encorele recours à des produits alimentaires respectueux de l’environnement.
L’utilisation de ces éléments dans le cadre de politiques de l’emploi peut être vu par nature comme une dérive : utiliser l’argument environnemental, censé être une fin, comme un moyen pour contourner la non-discrimination des entreprises étrangères, est en quelque sort vicieux. C’est particulièrement vrai sur toute contrainte posée sur le trajet des marchandises.
En revanche, il peut être légitime de le faire valoir pour des critères d’exécution (procédés de production, conditions de travail, etc.) : l’État n ‘ayant pas vocation à faire remplir ses besoins par des entreprises ne respectant pas ses principes en termes de traitement des personnes, de normes environnementales, etc. Là encore, la prudence est de mise : si cet argument vaut pour des différences significatives, il est plus discutable qu’il se justifie contre des pays dont les conditions de travail sont similaires, mais légèrement moins bonnes qu’en France.
Enfin, il existe un mécanisme pour se protéger contre une concurrence déloyale : c’est le critère d’offre anormalement basse. Le code des marchés publics indique que « Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies ». L’appréciation decette anormalité est laissée aux pouvoirs adjudicateurs tene fait pas l’objet d’une définition officielle.
On observe donc un ensemble de mesures permettant de lutter, directement ou indirectement, contre la concurrence de pays appliquant des normes sociales, environnementales ou salariales, trop manifestement différentes de la France. En revanche, nulle disposition n’autorise les pouvoirs adjudicateurs de marchés publics à privilégier l’emploi local, national ou européen.

Imposer un minimum de valeur ajoutée sur le sol européen

Proposition

Proposition 1 :
Afin de donner à l’État et aux collectivités publiq ues les moyens de défendre l’emploi à travers leur propre consommation, nous proposons que, dans tout marché public européen, une part minimale de valeur ajoutée soit nécessairementréalisée sur le sol européen.
Cette disposition favoriserait les entreprises appliquant les règles européennes dans leur production, et rétablirait un certain équilibre vis-à-vis de concurrents étrangers ne respectant pas ces règles.
Cette proposition implique de définir et mesurer de façon assez précise la localisation de cette valeur ajoutée : comment décomposer la valeur ajoutée dans un produits complexe constitué de pièces produites dans plusieurs pays d’Asie, assemblé pourpartie en Inde et pour partie en Europe, et distribué par une entreprise dont les fonctions support sont situées aux Etats-Unis et ne se consacrent pas entièrement à ce produit-ci ? Quelle confiance accorder à cette mesure ?
Dans l’exécution peuvent se poser plusieurs problèmes. D’une part, il peut ne pas y avoir de candidat remplissant le critère de localisation : dans ce cas, la mise en compétition s’opérerait entrles différents candidats en omettant ce critère. D’autre part, il peut y avoir un seul candidat éligible,auquel cas celui-ci dispose d’un pouvoir de négociation significatif puisqu’il est en situation de monopole.

Quels effets possibles ?

Sur le sol européen, cette disposition concerne des marchés publics totalisant environ 350 milliards d’euros de dépenses par an. L’impositiond’un seuil de 50 %, par exemple, impliquerait en fait plus de 50 % du montant de ces marchés, compte tenudu fait que des entreprises produisant à 60 ou 80 % sur le sol européen seraient également favorisées. Nous pouvons néanmoins retenir l’estimation de 175 milliards d’euros ainsi « verrouillés ».
Les fournisseurs concernés sont des nomades, puisqu’ils sont très précisément en compétition avec des concurrents extra-européens. Verrouiller ainsi 175 milliards d’euros par an, ce serait sédentariser les activités et les emplois associés. Ce montantreprésentant environ 1,2 % du PIB européen, on peut estimer le nombre d’emplois ainsisédentarisés à plusieurs millions sur l’ensemble ud territoire de l’Union Européenne. Il convient toutefois de souligner que certains de ces emplois existent déjà sur le sol européen : ils sont certes nomades,mais pas forcément concurrencés par des emplois extra-européens.
Une réserve majeure sur cette proposition est la suivante : si une administration ou collectivité locale est ainsi contrainte à contracter avec une e ntreprise produisant en Europe, alors qu’elle en aurait pris une autre sans cette règle, cela signifie que le coût pour elle augmente. Ses dépenses pour un autre marché seront donc réduites d’autant, ce qui peut égrader la qualité ou l’étendue de son action.

Quelles difficultés de mise en œuvre ?

Cette proposition est à contre-courant de la dynam ique de l’Union Européenne sur les marchés publics. Elle prend aussi à contre-pied ses princip es de libre-échange, à ceci près qu’elle ne modifie pas les règles internes du marché intérieur européen.
Néanmoins, aboutir à une position commune des pays d’Europe sur ce sujet n’est pas chose aisée. Par le passé, certains pays, comme l’Allemagne ou les pays scandinaves, ont fait part de leur opposition à cette mesure, à des degrés divers. Les pays européens les plus exportateurs craignent qu’une telle mesure appelle des mesures de rétorsion de la part de leurs principaux clients, notamment la Chine.
De plus, l’AMP étant un accord plurilatéral, une ifficultéd supplémentaire se pose concernant le fait d’obtenir des pays signataires une dérogation à cet accord. Les dérogations existantes résultent soit de raisons historiques (pour les Etats-Unis notamment), soit d’un niveau de développement moins avancé du pays. L’Union Européenne ne peut rentrerdans ces deux cas de figure.

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Table des matières

Introduction
I. Le modèle Nomade/Sédentaire
A. Définition
B. Quelques exemples
C. Discussion sur la définition
1. Existe-t-il un portrait type du nomade ou du sédentaire ?
2. Quelle est la frontière entre nomade et sédentaire ?
3. Quelle est l’échelle géographique pertinente à prendre en compte ?
4. Quelles sont les interactions entre les différents groupes ?
II. La structuration de l’emploi en France
A. Emplois nomades et sédentaires en France
B. Comparaison avec les autres pays
C. La notion de sédentarisation
III. Cadrage et objectifs
L’emploi sédentaire est-il un rempart contre le chômage ?
IV. Sédentariser les nomades en agissant sur les marchés publics européens
A. Le cadre des marchés publics
1. Les marchés publics dans le monde
2. L’Accord Multilatéral sur les Marchés Publics
3. Les régimes dérogatoires à l’AMP
4. Le cas des États-Unis
5. Les règles s’appliquant en France
B. Imposer un minimum de valeur ajoutée sur le sol européen
1. Proposition
2. Quels effets possibles ?
3. Quelles difficultés de mise en œuvre ?
V. Consommer nomade ou sédentaire mais consommer européen
A. Le marché de la consommation intérieure par les particuliers
1. Une demande grandissante pour les indications d’origine et autres
2. Le cas de l’alimentaire
3. Les cas de « franco-lavage »
B. Mettre en place un étiquetage clair
1. Une proposition d’étiquetage et de mise en œuvre
2. Les dispositifs déjà existants
3. Les principales difficultés
VI. Développer l’emploi sédentaire auprès de la personne
A. Définition
B. Soutien public aux SAP
C. Pourquoi s’intéresser aux SAP dans le cadre du présent mémoire ?
1. La filière des SAP présente plusieurs atouts
2. La filière présente par ailleurs des faiblesses qui suscitent des propositions d’amélioration 37
D. Propositions pour développer l’emploi dans les SAP
1. En influant sur la demande
2. En influant sur l’offre
E. Discussion sur ces propositions
1. Temps nécessaire
2. Déséquilibre entre les travailleurs et la plateforme ?
3. La nécessité de créer des emplois plus qualifiés
Conclusion
Annexe
Les activités de services à la personne
Bibliographie

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