Toute forme d’apprentissage suppose (afin de parvenir à remplir son objectif de formation) un degré minimum de rétention des contenus qu’il véhicule. Faute de quoi il passera dans le meilleur des cas pour une perte de temps. Un cours qui n’est pas mémorisé est un cours voué à sombrer dans l’oubli. L’enseignement de la philosophie en classe de terminale (ainsi que celui de HLP en classe de première) se fixe deux objectifs : 1 : Acquérir des compétences de réflexion, d’analyse et d’argumentation à même de développer un esprit critique permettant de mieux cerner le monde qui nous entoure. 2 : Développer les bases d’une culture philosophique permettant de s’orienter dans le réel à la lumière des réflexions des grands auteurs de l’histoire de la pensée. L’acquisition des compétences, et le développement d’une culture supposent que le professeur de philosophie soit en mesure de transmettre à ses élèves le contenu de son cours et les gestes philosophiques qu’il a lui-même acquis au cours de sa formation disciplinaire. Mais la qualité du contenu et la clarté des exercices permettant d’acquérir les compétences attendues ne permettent pas toujours d’éviter que la tâche du professeur ne se transforme en un exercice absurde comparable au châtiment des Danaïdes. En effet, la compréhension produite par la qualité du cours, ne suffit pas à engendrer la rétention. Il ne faudrait pas ici se méprendre : la compréhension occupe bien une place essentielle dans le cadre d’un enseignement, et sans doute pourrions-nous dire la place centrale. Il n’en demeure pas moins que comprendre une chose que l’on ne retient pas ne présente qu’un intérêt ponctuel, et que ce caractère ponctuel n’a pas le moindre sens si le cours doit être autre chose qu’un « passage obligé » ayant vocation à sombrer dans l’oubli. Il ne s’agit donc pas d’opposer compréhension et rétention, mais de les associer pour renforcer l’appropriation des contenus d’enseignement. Et si (comme le remarque justement Peirce dans son article Quelques conséquences de quatre incapacités ) ce dont nous nous rappelons spontanément n’est jamais le détail, pas même une idée, mais un sentiment général découlant des événements, alors la conséquence en est que les élèves retiendront au mieux du cours de philosophie l’impression qu’il s’est joué là quelque chose d’important, mais rien de plus.
Eléments théoriques
Fonctionnement élémentaire de la mémoire
Il nous est alors apparu que la connaissance des mécanismes fondamentaux de la mémoire était un atout considérable dans la perspective de l’enseignement. Ainsi, d’après Endel Tulving (qui propose une approche de la mémoire d’un point de vue neuropsychologique), il est nécessaire de distinguer plusieurs systèmes de mémoire dans la mesure où cette dernière ne présente pas d’homogénéité. Avec lui on peut définir la mémoire comme une fonction cognitive supérieure essentielle dans le traitement de l’information. C’est une faculté mentale qui permet d’enregistrer des informations, des expériences, des savoirs, des connaissances (théoriques et pratiques), de les conserver mais aussi de les rappeler. La mémoire se présente donc comme une faculté qui n’est pas en elle-même homogène. Tulving divise ainsi la mémoire en cinq systèmes différents :
• La mémoire procédurale :
Elle a pour fonction de stocker les compétences acquises, comme par exemple nager, conduire une voiture, produire une dissertation.
• La mémoire perceptive :
Elle a pour fonction d’enregistrer les impressions sensibles (percepts).
• La mémoire de travail :
Elle a pour fonction de conserver les informations nécessaires à l’exécution d’une tâche.
• La mémoire sémantique :
Elle a pour fonction de conserver les connaissances générales portant sur le monde.
• La mémoire épisodique :
Elle a pour fonction la rétention des événements et de leur contexte.
L’intérêt de cette première division est qu’elle nous a permis d’identifier sur quels systèmes de mémoire il était nécessaire de faire porter notre action dans le but de consolider la rétention des informations par nos élèves. Ainsi, il nous est apparu que notre attention devait essentiellement se porter sur trois systèmes : la mémoire procédurale, la mémoire de travail et la mémoire sémantique. Il est intéressant de remarquer ici que la mémoire épisodique est l’une de celles qui requiert le moins d’attention de la part du sujet. Ainsi, nous pouvons donner une base neuropsychologique à l’affirmation de Peirce qui affirmait que l’on ne retenait en général que les événements et, d’une manière diffuse, les impressions ressenties au cours de leur déroulement. Outre ces distinctions, il est également intéressant de noter que Tulving propose une division des étapes de la mémorisation en trois parties : l’encodage, le stockage et la récupération. L’encodage se définit comme la procédure de transformation des informations provenant de l’extérieur en « traces mnésiques », c’est-à-dire en souvenirs. Pour en donner une définition plus concrète, nous pouvons suivre Schacter : «L’encodage, c’est la procédure qui transforme ce qu’une personne voit, entend, pense ou ressent en souvenir ». Ce qui est particulièrement intéressant pour nous, c’est que la procédure d’encodage de l’information peut se faire selon deux modalités : ou bien de manière incidente ou bien de manière intentionnelle. Cela signifie que l’enseignant doit pouvoir agir sur la procédure d’encodage de ses élèves sans que ces derniers ne manifestent une intention de mémorisation. En revanche, si l’enseignant peut agir sur l’encodage de l’information, il n’est pas en son pouvoir d’influer sans la participation active de l’élève sur les processus de stockage et de récupération.
Le stockage d’une information constitue le processus par lequel une information passe de la mémoire à court terme (type de mémoire permettant de retenir et réutiliser une quantité limitée d’information pendant environ une demi-minute), dans la mémoire à long terme (type de mémoire permettant de retenir et réutiliser une quantité illimitée de l’information sur des périodes de temps considérables). Notons que la mémoire à court terme correspond en gros à la mémoire de travail, et que la mémoire à long terme se rapporte à la mémoire sémantique. A partir de cette distinction entre mémoire à court terme (MCT) et mémoire à long terme (MLT), nous comprenons donc que l’enjeu, pour le professeur, consiste à trouver le moyen d’inscrire les informations et les compétences qu’il cherche à transmettre dans la MLT. Le mécanisme de stockage de l’information est directement fonction du mécanisme d’encodage de cette dernière et des processus de consolidation de l’information. Ce qui passe essentiellement (toujours selon Tulving), par la répétition. Ce qui est ainsi clair, c’est que c’est à la fois sur les processus d’encodage, et de répétition de l’information que le professeur doit centrer son action.
Enfin, le mécanisme de récupération de l’information constitue le processus par lequel l’information contenue dans la MLT devient accessible au sujet. Ce processus de récupération de l’information qui permet de réactualiser les connaissances peut avoir deux objectifs : 1 : Récupérer une information pour répondre à une tâche ponctuelle. 2 : Récupérer une information pour l’enrichir par l’activité que le sujet est en train de réaliser. Concrètement, le premier objectif correspond à l’usage des informations dans le cadre de la pratique des exercices philosophiques ; le deuxième objectif correspond à ce qui est attendu en cours lorsqu’une information doit-être mobilisée pour la compréhension des nouvelles informations abordées (par exemple, mobiliser l’information que constitue le paradoxe du bateau de Thésée pour comprendre le problème relatif à la connaissance de sa propre identité). L’essentiel des problèmes de récupération des informations provient d’un déficit d’encodage et de stockage.
Remarquons qu’à l’ère du tout numérique, il peut sembler que l’effort de mémorisation soit superflu au motif que toute information est accessible en quelques clics. Il est alors tentant de chercher à localiser hors de soi le stockage de l’information. Ainsi, il suffirait de comprendre une information et de savoir où la retrouver (sur internet ou dans son cours), pour la considérer comme acquise. Ici encore l’image de la nutrition est intéressante : on ne tire pas d’énergie d’une nourriture stockée hors de soi. Penser que la compréhension épisodique d’une information suffit à en tirer quoi que ce soit sur le long terme est une illusion du même ordre que celle d’un individu qui pense pouvoir mobiliser l’énergie des aliments conservés dans son réfrigérateur au motif qu’il les a déjà tous goûtés.
Stratégies possibles pour favoriser la mémorisation
Comme nous le voyons à partir de ces éléments théoriques, c’est essentiellement sur l’encodage et sur le stockage de l’information que le professeur doit concentrer son attention. Pour ce qui concerne l’encodage, il a été mis en évidence que l’attention du sujet était l’élément primordial, même si l’intention de mémorisation était faible. L’encodage, dans la mesure où il fait passer des traces mnésiques au statut de souvenir est le lieu où ce qui est simplement perçu fait l’objet d’une amorce de mémorisation. Il est donc essentiel de saisir comment une perception passe du statut de simple perception à celui de souvenir potentiel. Et ce qui a été mis en évidence donc, c’est que c’est l’attention du sujet qui est primordiale dans cette opération. Même si cette attention n’est pas explicitement dirigée vers le but que constitue la mémorisation. Ainsi, une information a plus de chance de passer dans la MCT (et donc de faire l’objet d’un stockage possible) si l’attention de l’élève est plus élevée. Un exemple flagrant de défaut d’encodage est l’incapacité que nous avons à nous remémorer certains détails que nous percevons pourtant (qui sont donc des traces mnésiques) mais auxquels nous ne faisons tout bonnement pas attention. Ainsi nous pourrions poser au lecteur la question suivante : « De quelle couleur est le pantalon d’Astérix ? ». Il est vraisemblable que cette information ne sera pas évidente à retrouver alors même que la plupart d’entre nous avons déjà « vu », c’est-à-dire perçu, la couleur du pantalon d’Astérix. Si toutefois le lecteur parvient à retrouver cette information il admettra sans difficulté qu’il n’est pas capable de se souvenir de la couleur des vêtements de tous les personnages de bande dessinées qu’il a pourtant lues. Ce type d’information n’est pas encodé, parce que aucune attention particulière n’est attirée vers elle. Et si l’une des aventures d’Astérix avait pour objet principal de l’intrigue la couleur des vêtements des personnages, il y a fort à parier que ses lecteurs retiendraient facilement l’information. Il est évident qu’il n’est pas possible d’attirer également l’attention de nos élèves sur tous les éléments du cours. C’est pourquoi une première stratégie qui nous est apparue intéressante consiste à déterminer à l’avance quels éléments doivent faire l’objet d’une attention particulière pour les mettre en valeur dans le cadre du cours. L’un des ressorts possibles permettant de faciliter l’encodage étant de coupler l’information à une émotion (qui permet de solliciter la mémoire épisodique) il est possible de faire usage d’humour pour encoder efficacement une information. Le contexte d’encodage est absolument essentiel pour la récupération d’informations car il est le lieu où se constituent les indices de récupération par constitution d’images mentales. Il est primordial que ces indices soient constitués au moment même de l’encodage, c’est-à-dire au moment même du cours.
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Table des matières
Introduction
I : La démarche
A) Le problème concret
B) Première solution envisagée : une séance de révision générale
A) La mémorisation des compétences attendues
II : Eléments théoriques
A) Fonctionnement élémentaire de la mémoire
B) Stratégies possibles pour favoriser la mémorisation
C) Des stratégies pour le professeur et les élèves
III : Application dans le cadre d’un cours dispensé à des classes de TS
A) La préparation : discussion préparatoire avec les élèves
B) Déroulement de la séance
IV : Bilan de la séance et effets à long terme sur le cours
A) Succès et lacune de la séance
B) Projection pour la suite du cours de l’année 2019-2020
C) Conclusion et projection pour le cours de l’année scolaire 2020-2021
Conclusion
Bibliographie
Annexes