Se projeter dans l’avenir, une possibilité restreinte pour les élèves en Segpa ?

L’école et les élèves « arriérés et instables »

              Après l’obligation d’instruction en 1882 (loi Ferry) par des personnels laïques au sein des écoles publiques (loi Goblet 1886), est votée une loi en 1909 qui autorise la création, à l’appréciation des collectivités territoriales, d’écoles et de classes de perfectionnement pour les enfants dits arriérés et instables. C’est bien à la demande des médecins et non des enseignants que l’éducation spécialisée est mise en place (Vial, 1990). Le corps médical a, en effet, cette préoccupation de créer des espaces spécifiques au sein de l’institution scolaire, car il apparaît impensable, dans le cadre de l’école obligatoire, de mêler enfants et adultes dans les mêmes asiles d’aliénés (Gateaux-Mennecier, 1989). Des maîtres qualifiés ayant le CAEA (Certificat d’Aptitude à l’éducation des Enfants Arriérés) appliquent, alors, une pédagogie spéciale dans des classes à effectif réduit à 15 élèves maximum. La relation entre les grandes lois scolaires de la fin du XIXe siècle et celle de 1909 est plus politique que pédagogique. En effet, l’école, alors obligatoire pour les enfants de 6 à 13 ans, a pour but de fournir un bagage constitué des compétences en lecture, écriture et comptage ; et de former des citoyens patriotes (Mège-Courteix, 1999). Les résultats scolaires n’ont alors pas d’effet sur l’avenir professionnel et social des élèves, les professeurs ne sont donc pas en demande de ces institutions spécialisées pour séparer les élèves plus lents dans les apprentissages (Nique & Lelièvre, 1993). La loi de 1909 pose les bases de pratiques éducatives qui vont être prégnantes pendant 65 ans. Cependant, la création de structures spécialisées étant à l’appréciation des collectivités territoriales, rien ne les contraint à les mettre en place. 30 ans plus tard, une dizaine d’écoles autonomes sont recensées, ainsi que 240 classes de perfectionnement accolées à des écoles primaires (Hugon, p.81). La pensée des spécialistes de l’époque, médecins et juges, est liée à la doctrine de l’hygiène sociale et du paternalisme de l’État (Verdier, 1997) pensant que les enfants anormaux non éduqués à temps sont une des principales causes du désordre de la société (Roca, 1992). Cette volonté de contrôler la jeunesse déficiente et délinquante connaît un développement important sous le gouvernement de Vichy. Cela encourage la création d’institutions privées pour les jeunes, avant de créer en 1943 le Conseil technique de l’enfance déficiente ou en danger moral (Chauvière, 1980). Ces structures vont progressivement se spécialiser, par le biais d’une catégorisation des populations. En 1944, Daniel Lagache, psychiatre, établit avec des médecins une « nomenclature et classification des jeunes inadaptés » qui définit des inadaptations « selon la situation dont elle est corrélative, par exemple : inadaptation familiale, inadaptation scolaire, inadaptation professionnelle » (Chauvière, 1980).

De l’enseignement spécialisé à l’enseignement adapté, la création des Segpa

                 La genèse du dispositif Segpa met en lumière les caractéristiques de l’enseignement dit adapté, ainsi que ses objectifs particuliers. La Segpa remplace les Sections d’Enseignement Spécialisées en 1996. Les SES ont été créées en 1965 pour la « scolarisation des enfants inadaptés ». L’ambition est de permettre, pour ces enfants alors qualifiés de « débiles légers », de s’insérer rapidement dans la vie active par une formation préprofessionnelle jusqu’à 19 ans, c’est-à-dire qui comporte une formation professionnelle en plus de la formation générale. Au cours des années 1980, les innovations pédagogiques socioconstructivistes et l’évolution de la formation des enseignants en SES ouvre la voie, pour les élèves qui y sont accueillis, aux formations professionnelles ordinaires comme le CEP (Certificat d’Études Professionnelles) et le CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle). La référence à la déficience légère est abandonnée en 1989 pour la notion de « difficultés scolaires ». Les caractéristiques de l’élève en enseignement adapté ne sont plus associées au champ du retard de développement, mais à un retard scolaire issu de ses difficultés. L’éducation spécialisée est alors intégrée dans l’ensemble des formations du second degré en faisant alors référence à un enseignement adapté. Les élèves qui y sont accueillis commencent à partager des cours avec les élèves ordinaires. Cependant, cet enseignement adapté, encore mal défini, ne propose que peu l’orientation vers l’enseignement professionnel ordinaire en Lycée professionnel (LP) et Centres de Formation d’Apprentis (CFA), au profit des formations en SES (Beauvais, 2010). Les dispositifs Segpa sont officialisés en 1996. Elles ont pour objectif, à l’occasion du passage dans le second degré, d’offrir un nouveau départ. Ces élèves doivent pouvoir accéder en fin de 3e à des modalités de formation professionnelle ordinaire. La professionnalisation progressive doit permettre aux élèves d’obtenir un CAP dans un établissement ordinaire, en LP et CFA. Lorsque les difficultés sont trop importantes, la formation qualifiante peut-être poursuivie en EREA (Etablissement Régional d’Enseignement Adapté). Les collégiens des classes Segpa, intégrées aucollège unique, ont le même statut ordinaire que les autres collégiens. Au niveau pédagogique, l’adaptation se définit par la différenciation et l’individualisation pédagogique (Monfroy, 2013). L’accompagnement individuel est privilégié. La restauration d’une image de soi positive est favorisée, avec une reprise de confiance dans ses capacités par l’évaluation formative, pour que l’élève devienne acteur de son apprentissage et puisse se remobiliser sur un projet de formation ou d’apprentissage. Pour ce faire, les situations pédagogiques sont adaptées à l’âge de l’élève, à ses intérêts pour stimuler sa curiosité et son rapport positif au savoir (MEN, 19883 ; Beauvais, 2010). L’école, toujours à la recherche de plus d’égalité pour les élèves, met notamment en place cette méthode d’enseignement adapté pour compenser les inégalités. La nécessité de ce système n’est ici pas discutée. Néanmoins, il convient de mettre à l’épreuve ce dispositif, et de se pencher sur la réalité des profils des élèves accueillis en Segpa pour déterminer si cette dernière réduit effectivement les inégalités et la stigmatisation des élèves.

La notion de « difficulté scolaire »

                    L’accueil en Segpa est une prise en charge des élèves ayant « des difficultés graves et durables » (B. O. n° 31 du 1er septembre 2005). La notion de « difficulté scolaire » apparaît dans les années 1990, notamment avec la création des Réseaux d’Aides Spécialisées aux Élèves en Difficulté (RASED). Elle désigne une population hétérogène, mal définie, c’est un « concept valise » (Cousin, 2007) dont le point commun est la non-adéquation totale ou partielle avec les attentes de l’école aux niveaux scolaire et/ou comportemental. Ainsi des élèves décrocheurs et/ou en éducation prioritaire, ayant redoublé, ayant été concerné par un dispositif d’adaptation ou ne sachant pas bien lire et écrire peuvent être désignés comme en difficulté (Roiné, 2011). Par ailleurs, le nombre d’élèves considérés en difficulté diffère selon les critères retenus pour désigner la difficulté scolaire, que ce soit la non-maîtrise des compétences générales attendues, des notes obtenues au Diplôme National du Brevet (DNB), la persistance de difficultés de lecture ou encore les sorties sans qualification (Hussenet & Santana, 2004). Ainsi la supposition qu’un élève est en difficulté revient aux enseignants avec leurs outils personnels d’évaluation. Ces moyens sont subjectifs, en l’absence de définition institutionnelle et scientifique, et tendent à se baser sur le rapport au groupe-classe et à l’écart déterminé avec cette norme (Do 2007). Les difficultés scolaires graves et persistantes des élèves de 6e et 6e Segpa sont comparables. En effet, 5 % des élèves de 6e ordinaire ont autant de difficultés que les élèves de 6e Segpa sans pour autant y être affecté, et inversement (Vugdalic, 1997). Il est alors légitime de se demander si, dans cette population en difficulté scolaire, les élèves qui sont accueillis en Segpa ont des caractéristiques scolaires spécifiques qui justifieraient l’orientation en Segpa ? En étudiant des résultats provenant d’une évaluation nationale donnée aux élèves de 6e , il apparaît que les élèves de Segpa échouent aux mêmes types d’épreuves que les 6e ordinaires. Les domaines où échouent les 6e Segpa et les 6e ordinaires ayant un faible niveau sont identiques. Il semble donc que les élèves de Segpa n’aient pas de spécificités psychocognitives et ne sont pas différents des autres élèves d’un point de vue didactique (Roiné, 2011). L’orientation vers le cursus ordinaire ou adapté, à performances équivalentes, dépend donc d’autres facteurs. Nous allons apporter quelques éléments de réponses pour déterminer les caractéristiques qui entraînent l’orientation en Segpa plutôt qu’en 6e ordinaire à niveau scolaire égal.

La stigmatisation des élèves de Segpa

                L’accueil en Segpa est stigmatisant à plusieurs niveaux, depuis le dépistage de la difficulté scolaire en amont, à la sortie du système scolaire et l’insertion professionnelle, sans oublier le temps de la scolarisation dans le second degré luimême. Le caractère subjectif de la catégorisation de ces élèves dépend de l’appréciation de leur « difficulté scolaire » par l’enseignant. Or, les attentes favorables ou défavorables des enseignants, semblent avoir des effets sur le comportement des élèves6 . Les attentes favorables entraînent une hausse des performances, et inversement (Jussim, 1986 p. 439). De plus, les résultats antérieurs influencent ces attentes, les échecs plus anciens auraient ainsi tendance à induire des attentes moins positives de la part des enseignants (Potvin & Rousseau 1993 p.146). Les élèves dits en difficulté scolaire, qui n’ont pas les ressources pour résister à cet effet, peuvent être pris dans une boucle ne leur permettant pas d’améliorer leurs performances. En effet, les élèves assignés à un groupe ont tendance, pour maintenir leur identité sociale, à adapter leurs comportements aux stéréotypes de ce groupe et à accentuer les différences. Or les stéréotypes, ces représentations qui n’ont pas de fondement scientifique, sont généralement négatifs au sujet de la difficulté scolaire. Ainsi, par le manque de motivation, le mauvais comportement ou encore la fainéantise, les élèves en difficulté scolaire seraient responsables de leur situation (Antoine, Desombre, Lachal, Gaillet, Urban, Delelis, 2010), de leur position dans la « hiérarchie scolaire » et donc de leur orientation (Rochex, 2001). L’orientation en Segpa est stigmatisante au sens de Goffman (1975), c’est-à-dire que la Segpa, par ses caractéristiques propres, s’écarte de la norme du collège ordinaire. L’élève ainsi scolarisé risque d’être résumé par son stigmate, ses actions interprétées à travers ce prisme (Rostaing 2010). Par exemple, une réussite peut être discréditée par l’idée que l’exigence y est moindre et l’échec expliqué par les caractéristiques supposées des élèves. Cet écart avec la norme, l’opposition des élèves en « réussite » et en « difficulté », l’orientation vers l’enseignement professionnel et l’hypothèse tenace de spécificités psychocognitives attribuée aux élèves en difficulté est source de discrimination. Cette norme construite socialement « est une source de conflit et la faire appliquer implique une forme de violence. En conséquence, ces entrepreneurs occupent généralement une position dominante dans l’espace social » (Pavie & Masson, 2014, p. 214). Les classes Segpa ont alors une position dominée par les classes ordinaires, source d’un sentiment d’humiliation (Palheta, 2011) au point que l’acronyme Segpa est aussi utilisé comme insulte par les autres élèves (Asséré, 2018). L’identité sociale portée par un élève de Segpa est telle qu’il lui est pratiquement impossible de s’extraire de son groupe (Siméone, 2007). Ainsi, la discrimination n’est pas que subie, car les élèves de Segpa ont alors tendance à favoriser leur groupe d’appartenance au détriment des autres groupes. Il y a une revendication de la part des élèves de Segpa de profiter des adaptations pédagogiques et de former un groupe (Marteddu, 2018). Que leur scolarisation ait été vécue sereinement ou non par les élèves, une fois sortis du système scolaire et intégrés dans le monde du travail, les effets d’un parcours en Segpa peuvent encore se faire sentir. Le marché du travail est de plus en plus compétitif et requiert des qualités d’adaptation, c’est-à-dire avoir des compétences transférables d’un emploi à un autre, en plus des compétences techniques spécifiques. Dans ce cadre, pour des individus ayant un diplôme final égal, l’obtention d’un diplôme de compétences générales peut être le gage de compétences plus élevées et variées, permettant cette nécessaire adaptabilité. De même, à diplôme final égal, l’obtention d’un diplôme général comme le DNB permet d’obtenir des salaires plus élevés, et limite la probabilité de chômage (Dauty & Lemistre, 2010). Les élèves ayant été scolarisés en Segpa, qui pour la majorité ne passent pas le DNB général, semblent alors défavorisés par rapport à leurs homologues scolarisés en milieu ordinaire. Le parcours scolaire des élèves de Segpa, marqué par les inégalités et la stigmatisation, entraîne bien souvent une image de soi dévalorisée qui est un frein à leur engagement et leur projection dans le futur. (Philip 2010). Nous allons maintenant essayer de déterminer quels effets ce parcours engendre dans la persévérance scolaire et les choix d’orientation des élèves qui en profitent.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. CADRE THEORIQUE
1. L’EDUCATION SPECIALISEE DANS LE SYSTEME EDUCATIF FRANÇAIS
Historique de l’éducation spécialisée
Éduquer les inéducables
L’école et les élèves « arriérés et instables »
« L’enfance inadaptée »
Entre « débilité légère » et « arriérés profonds »
Le temps de l’intégration
De l’enseignement spécialisé à l’enseignement adapté, la création des Segpa
Les collégiens de Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (Segpa)
La notion de « difficulté scolaire »
Les causes de l’orientation en Segpa
2. LE POIDS DES INEGALITES DANS LE PARCOURS SCOLAIRE DES ELEVES DE SEGPA
Le paradoxe de la Segpa au sein du collège unique
La stigmatisation des élèves de Segpa
3. L’ORIENTATION POUR LES COLLEGIENS SCOLARISES EN SEGPA
Les modalités de l’orientation au collège
Du parcours individuel d’orientation au Parcours Avenir
Le Parcours Avenir en Segpa, des possibilités d’orientation restreintes
La préparation professionnelle en Segpa
L’impact de la motivation et de la persévérance scolaire des élèves sur l’orientation
La notion de motivation
Les collégiens de Segpa prédisposés au décrochage scolaire ?
L’orientation comme source de stress
De l’absence de motivation à l’autodétermination
Le rôle de la communauté éducative
SYNTHESE DE LA PARTIE I
II. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Problématique
Hypothèses
Population choisie
Méthodes d’enquête
III. EXPLOITATION DES DONNEES
1. L’EDUCATION A L’ORIENTATION EN SEGPA, UNE PRISE EN CHARGE GLOBALE DE L’ELEVE
L’importance de la ritualité dans l’éducation à l’orientation
Garantir la cohérence dans le travail d’équipe
Garantir la cohérence du processus d’orientation tout au long de la scolarité de l’élève
Ajuster progressivement les objectifs
… et accroître le niveau d’exigence
Une visée éducative commune pour des acteurs aux pratiques et missions hétérogènes
Créer un cadre mobilisateur, propice à la découverte professionnelle
… qui valorise l’élève et le dispositif
Au-delà du cadre, l’accompagnement de l’élève au quotidien
Synthèse
2. LES EFFETS CONTRE-PRODUCTIFS DE LA SEGPA SUR LA MOTIVATION DES ELEVES 
La Segpa, un dispositif paradoxal
Sortir du « cocon Segpa », une projection paralysante
La Segpa fournit des repères difficiles à abandonner pour les élèves
Les élèves sont stressés par leur orientation
L’enseignement préprofessionnel, levier ou finalité ?
L’enseignement préprofessionnel est un levier de remobilisation
… mais aussi une finalité pour de futurs actifs
D’une socialisation scolaire à une socialisation professionnelle
Le projet, clef de la motivation ?
Des élèves qui ne sont pas démotivés
Deux catégories d’élèves : ceux qui ont un projet, et ceux qui n’en ont pas
Faire du lien entre les apprentissages, la clef de la mise en projet
Synthèse
Limites
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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