Se découvrir, grandir au travers des émotions à l’adolescence

Les études de psychomotricité nous ont permis de vivre et de partager toutes deux de riches expériences qui nous ont beaucoup apportées et faites grandir. Les enseignements théoriques comme les moments forts vécus en travaux dirigés, en voyage solidaire, en année d’échange universitaire, nous ont façonnées et amenées à échanger longuement autour d’épisodes chargés émotionnellement qui restent ancrés en nous et font aujourd’hui partie de ce que nous sommes, psychomotriciennes de demain. Ces émotions partagées ont permis de mieux nous connaître nous-même et entre nous, et nous ont donné l’envie de travailler ensemble. L’adolescence a pour chacune de nous été une période mouvementée pour diverses raisons et dont les souvenirs sont encore très présents. Nos nombreux questionnements et expériences communes autour de cette période nous ont permis de développer ensemble des centres d’intérêts que nous avons souhaités alimenter en effectuant un stage expérimental auprès d’un public pour lequel nous avons beaucoup d’attrait et d’intérêt. La période adolescente est charnière dans le façonnement de l’identité de l’individu qui la traverse et nous pensons également que les émotions vécues participent grandement à l’élaboration de la personnalité future. Aujourd’hui en pleine construction de notre identité professionnelle, ces problématiques nous ont paru intéressantes à approfondir. Comment, grandies par nos expériences respectives et communes, et convaincues de l’importance d’une approche psychocorporelle de ces problématiques, accompagner de jeunes adolescents dans l’apprivoisement de leurs émotions et la prise de conscience qu’une bonne gestion de celles-ci peut les rendre bénéfiques et enrichissantes ? En quoi l’approche psychomotrice considérant un lien important entre le corps et l’esprit est-elle cohérente dans l’accompagnement des manifestations tonico-émotionnelles ? Quel lien peut-on ainsi établir entre le corps et les émotions, et quel rôle joue-t-il dans la régulation de ces dernières ? La période mouvementée qu’est l’adolescence exacerbe-t-elle l’expression des émotions ?

Association Espérance Banlieue 

Gestion et organisation de l’association 

Nous avons réalisé notre stage expérimental au sein d’une école privée hors contrat, gérée par l’association Espérance Banlieue régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Cette association assure la responsabilité administrative et financière d’un ensemble d’écoles, ainsi que leur développement. Elle est reliée à la Fondation Réseau Espérance Banlieues (FREB) ainsi qu’à l’Association Réseau Espérance Banlieue (AREB) (Gouvernance, s. d.). La FREB est abritée par la Fondation de France et est pilotée par un conseil exécutif qui veille à la correcte allocation des dons destinés aux écoles. L’AREB, par convention d’affiliation à Espérance Banlieues, s’occupe de la cohérence pédagogique, du pilotage et du développement du réseau ainsi que de l’animation du processus de collecte des dons. Actuellement, 17 écoles en France font partie du réseau Espérance Banlieues, dont 11 écoles primaires et 6 écoles primaires et secondaires. Ces écoles hors contrat sont des établissements scolaires privés n’ayant aucun accord avec l’État français et ne faisant donc pas partie de l’Éducation Nationale. De ce fait, ils ne reçoivent aucune aide financière et se gèrent de manière autonome. Le financement de ce type d’établissement dépend uniquement de dons privés, qu’ils proviennent de particuliers ou d’entreprises. Les établissements hors contrats ne sont pas non plus soumis aux programmes scolaires et aux volumes horaires du secteur public mais ils doivent néanmoins permettre aux enfants d’acquérir les connaissances du socle commun de compétence (Établissement scolaire privé « hors contrat » : quelles sont les règles ?, 2020).

Projet pédagogique 

Les trois piliers du projet pédagogique de l’association Espérance Banlieues sont l’Enseignement, l’Éducation et l’Attachement à la culture française. Les actions issues de ces trois piliers et mises en place par les écoles doivent permettre aux élèves d’évoluer dans la sérénité et en toute sécurité, ce qui constitue des éléments primordiaux au bon développement des enfants. Mettre du sens au cœur de tout apprentissage fait partie du premier pilier qu’est l’enseignement. Pour cela, une grande importance est accordée aux perceptions sensorielles et à la verbalisation. De plus, grâce au choix de limiter les effectifs des classes (15 élèves environ), un enseignement personnalisé auprès de chaque enfant leur permet de bénéficier d’une attention nécessaire à leur propre rythme d’apprentissage ce qui favorise la prise de confiance en soi et suscite ainsi la joie d’apprendre. Des évaluations fréquentes permettent un meilleur apprentissage, ce qui est renforcé par le fait que l’erreur doit d’abord être perçue comme une chance de progresser. Concernant le deuxième pilier qu’est l’éducation, trois attitudes doivent être appliquées: la bienveillance, l’encouragement mais aussi la fermeté. Les écoles valorisent et entretiennent “l’agir positif” (Projet pédagogique, s. d.) en proposant toutes sortes d’activités (spectacles, solidarité…) contribuant au bon fonctionnement des établissements, ce qui pousse les élèves à prendre des responsabilités et favorise leur autonomie. Cela répond à deux besoins des enfants: le besoin d’appartenir et le besoin de contribuer. Ils sont ainsi invités à participer à la vie d’une petite société, celle de l’école, lieu où l’enfant apprend à vivre en relation avec les autres. Une relation de confiance doit notamment être établie entre chaque membre de l’école, adulte comme enfant, mais aussi avec les parents afin d’assurer une continuité entre l’école et la maison.

Le troisième pilier qu’est l’attachement à la culture française illustre le fait qu’une croissance heureuse est le fruit d’un enracinement, besoin humain important. L’attachement doit d’abord se faire au sein de l’établissement scolaire comme petit corps social, puis à la communauté nationale. Pour cela, les élèves sont sensibilisés à l’histoire, la géographie et la culture du pays, ils participent à des missions de solidarité, fréquentent des chefs d’œuvre du patrimoine local, régional ou national, pratiquent les arts du spectacle vivant…

Cours Jeanne d’Arc

Structuration et fonctionnement

Le Cours Jeanne d’Arc est une des écoles d’Espérance Banlieues. Elle accueille une classe par niveau, du CP à la sixième. Et chaque année, une classe supplémentaire d’un niveau supérieur ouvre pour permettre aux élèves de poursuivre leur scolarité au sein de l’établissement. Chaque classe est composée de 15 élèves. Le déroulement de la journée ressemble à celui d’une école classique, à quelques exceptions près. Notamment le matin, puisqu’avant de rentrer en classe, une assemblée a lieu durant laquelle un élève par niveau est appelé devant tout le monde afin d’être félicité pour son comportement de la veille. Puis les “élèves méritants” lèvent les drapeaux de la France et de l’Europe, et toute l’école chante la Marseillaise “pour remercier les parents et la France qui leur permettent d’aller à l’école” . Ensuite les enfants entrent en classe. La récréation qui a lieu en milieu de matinée, a la particularité de ne pas être libre (contrairement aux autres récréations) puisque pendant cette dernière deux grands jeux sont systématiquement proposés (épervier, chat glacé, balle au prisonnier…), les enfants choisissent celui auquel ils participent.

En fin de journée, un temps d’études est prévu dans chaque classe pour que les enfants aient le temps de faire leurs devoirs avant de rentrer chez eux. L’équipe éducative est constituée d’un directeur, d’une secrétaire, de six enseignantes (une par classe), de trois encadrants en service civique et de nombreux bénévoles intervenant sur des temps plus ou moins longs selon leurs disponibilités (une journée, un repas…).

Projet éducatif
Le projet éducatif du Cours Jeanne d’Arc met l’accent sur une approche holistique de chacun des élèves. Les résultats scolaires ne sont pas les seules préoccupations et l’école veille à ce que chaque enfant développe son caractère et sa volonté, ainsi que son sens moral et civique. L’instruction se situe au cœur de l’activité scolaire. La transmission et la maîtrise des connaissances fondamentales est assurée auprès de chaque élève, tout en veillant à respecter leurs capacités et leur rythme d’acquisition. L’éducation représente une véritable exigence que le Cours Jeanne d’Arc prend soin d’introduire dans toutes les activités, et pas uniquement dans les apprentissages scolaires. Les enfants sont amenés à apprendre à mieux se connaître, à développer un sens critique, le goût de l’effort, le sens des responsabilités, le respect d’autrui ainsi qu’une bonne confiance en eux. Une approche personnalisée selon les besoins des élèves est permise grâce à la liberté dont l’école bénéficie par son statut hors contrat, notamment par la mise en place de soutien scolaire. De plus, l’école accorde une importance considérable à la bienveillance, entre l’équipe éducative et les élèves, mais également vis-à-vis des enfants entre eux. Cette disposition va de pair avec le fait que l’école doit être le lieu dans lequel les enfants sont initiés à la vie civile et aux usages de la vie sociale.

Description du projet 

Naissance du projet 

La mise en place de ce projet est le fruit d’une longue période de réflexions et de discussions au sein du binôme que nous formons. Étudiantes dans le même groupe de TD pendant nos deux premières années d’études, au sein de la même association universitaire, nous avons également eu la chance de partir ensemble pendant un an d’échange à Montréal l’an passé. Nous avons donc développé des centres d’intérêts communs et appris à travailler ensemble. Au Canada, nous avons suivi des cours de socio-criminologie et de psychocriminologie avec lesquels nous avons pu relier quelques notions de psychomotricité notamment l’importance de l’environnement dans le développement de l’enfant, l’importance d’une bonne estime de soi, d’un bon rapport aux autres et donc, en premier lieu, à soi. Notre expérience commune d’une mission solidaire au Sénégal auprès d’enfants talibés a également contribué à l’intérêt que nous portons aux expériences vécues dans l’enfance par un individu et leurs impacts sur la personne qu’il tend à devenir. Par “expériences vécues dans l’enfance” nous entendons, l’histoire de l’enfant, son développement psycho-affectif et cognitif, la qualité des relations entretenues avec son entourage familial, social et leur contexte. Notre réflexion s’oriente donc vers une approche développementale du jeune adolescent et de ses problématiques.

Pourquoi l’école?
C’est donc avec l’objectif de relier davantage nos expériences et nos apprentissages théoriques, reçus à l’Université de Montréal, à la psychomotricité que nous avons souhaité effectuer un stage expérimental. Intimement convaincues que les expériences vécues pendant l’enfance sont déterminantes et constituent la base sur laquelle l’identité de la personne se construit, nous cherchions une population d’enfants ou de jeunes adolescents, sans pathologie particulière, auprès desquels nous pourrions mesurer quelle pourrait être la place de la psychomotricité et expérimenter les techniques psychomotrices acquises au cours de la formation. L’école est donc un terrain de stage idéal et tout à fait cohérent avec notre projet. Le côté associatif et le public bénéficiaire d’Espérance banlieues nous a attirées. En effet, nous savons que les “quartiers difficiles” concentrent une importante part de la criminalité en France. Les enfants qui y grandissent sont bien souvent exposés à de nombreux facteurs criminogènes: statut socio-économique, parents absents, mauvais résultats scolaires, une culture différente de celle du pays, exposition précoce à la violence, vie en communauté isolée du reste de la population… Partisanes de la théorie selon laquelle les comportements déviants sont souvent l’expression d’une souffrance interne, ce public nous interpelle énormément. Il est important de préciser que nous ne nous attendions pas à faire face à de futurs criminels, ni même à des enfants en détresse, et nous ne prétendons pas être dans une démarche de prévention de la délinquance. Cependant, les problématiques que les enfants du Cours Jeanne d’Arc peuvent nous donner à voir nous intéressent particulièrement. Les valeurs de l’association nous plaisent et résonnent même avec la vision que nous avons de la psychomotricité. Ses trois missions sont d’augmenter chez les élèves le goût de la réussite, l’estime de soi et l’envie d’aimer le pays. En psychomotricité, nous avons conscience de l’importance, pour un bon développement, de prendre conscience de ses capacités, d’avoir une bonne estime de soi et d’un environnement de confiance, ce qui est en totale cohérence avec l’idéologie d’Espérance banlieues. Nous avons également conscience que la souplesse permise par un établissement hors contrat peut faciliter nos expérimentations.

Orientation vers un public expérimental spécifique 

L’adolescence, souvent résumée à la puberté et à la “crise” associée, est en fait un réel processus d’identification. C’est une période durant laquelle l’enfant fait le choix de celui qu’il veut être. Il est en capacité de faire le tri entre ce qu’il garde et ce qu’il rejette pour façonner sa personnalité, son identité d’adulte. L’adolescent développe sa capacité à penser de façon abstraite et à raisonner de manière plus efficace et scientifique. Il développe son jugement moral. Il s’affirme, essaie de nouvelles expériences afin de se construire à partir de toutes ces choses vécues. Cette période sensible pendant laquelle l’individu se forge est donc l’occasion de mettre à profit les expériences passées, vécues dans l’enfance. Il peut donc intérioriser et faire siennes les expériences positives et rejeter, modifier ou adapter les plus négatives. Nous considérons donc ce moment comme une étape lors de laquelle l’enfant est en capacité de faire un état des lieux de sa vie, de ce qu’il est, pour façonner ce qu’il aspire à être. C’est dans l’accompagnement de ce processus que nous envisageons un rôle éducatif de la psychomotricité auprès de jeunes adolescents.

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Table des matières

Introduction
Première partie: Démarche expérimentale
I. Présentation du terrain de stage
1. Association espérance banlieue
a. Gestion et organisation de l’association
b. Projet pédagogique
2. Cours Jeanne d’Arc
a. Structuration et fonctionnement
b. Projet éducatif
II. Description du projet
1. Naissance du projet
2. Pourquoi l’école ?
3. Orientation vers un public expérimental spécifique
4. Les émotions comme axe de travail
III. Modalités des expérimentations
1. Champ éducatif de la psychomotricité dans un cadre scolaire
2. Processus de création des ateliers
a. Observation du terrain de stage
b. Mise en place et fonctionnement des ateliers
c. Évaluations et récolte des données auprès du public expérimental
3. Élaboration des ateliers
4. Déroulement d’une séance type
Deuxième partie : Apports théoriques
I. Analyse du public concerné
1. L’adolescence
a. Comment définir cette période charnière ?
b. Spécificités de l’adolescence du public expérimental
c. Corps et adolescence
d. Adolescence et milieu scolaire
2. Le groupe
a. Le groupe, vecteur de la relation
b. Le groupe de pairs à l’adolescence
c. Le groupe thérapeutique
d. Le groupe thérapeutique en psychomotricité
II. Grandes notions théoriques au cœur de notre projet
1. Le tonus
a. Élément pionnier du développement psychomoteur
b. Le tonus, support essentiel des émotions
c. La tonicité, du tout petit à l’adolescent
2. Les émotions
a. Des signaux essentiels au bon fonctionnement humain
b. Les compétences émotionnelles
c. Le développement émotionnel
d. Adolescence et émotions
Troisième partie: Discussion
I. Les outils de notre pratique psychomotrice
1. L’éducation psychomotrice auprès de ces jeunes
2. Les médiations utilisées
a. Un outil du lien
b. Les médiations à expression corporelle
c. Le groupe en tant que médiation
3. Contenu proposé
a. Donner naissance au groupe
b. Chacun son espace
c. Exploration corporelle des émotions
d. Partage et conseils autour des émotions
II. Analyse des résultats
1. Résultats quantitatifs de nos outils d’évaluation
a. Analyse des résultats des questionnaires
b. Limite des questionnaires
2. Observations qualitatives
a. Émotion de groupe et contagion émotionnelle
b. Temps de verbalisation
c. Réceptivité des élèves et implication
3. Difficultés rencontrées
a. Limite de la démarche expérimentale
b. Nos propres limites
4. Bilan des ateliers: quelle place pour la psychomotricité?
a. Intérêt de la psychomotricité, et les processus mis à l’oeuvre
b. Les spécificités de la psychomotricité auprès du public expérimental
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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