La peur du « bazar » liée à l’inconnu
A la fin de la première période, j’ai observé le comportement d’un élève se dégrader. Je me suis sentie de plus en plus frustrée par celui-ci car il perturbait le fonctionnement rodé de ma classe. J’en ai fait part à ma tutrice le matin de ma visite le 19 novembre 2020 en pensant que cela serait le départ de mon écrit réflexif sur le thème de l’autorité. Au terme de l’observation, l’échange avec ma formatrice s’est révélé riche et contradictoire à ce que je m’étais imaginé. Ma frustration était davantage due à un souci de lâcher prise de ma part qu’à un problème d’autorité ou des comportements inadaptés de mes élèves. J’ai porté une réflexion approfondie sur mon comportement et ma posture. J’ai remarqué que je ne laissais pas les enfants transgresser les règles et que je les remettais sur le droit chemin avant même qu’une bêtise soit faite. Finalement, je ressentais de la peur, la peur de laisser trop de liberté à mes élèves ce qui me mènerait à une perte de contrôle totale. Le juste milieu n’était pas envisageable puisque je me sentais déjà sur le fil. Quel fil ? Le fil qui sépare le bazar du chaos. De mon point de vue, j’étais déjà dans la zone bazar. Le regard de ma tutrice sur ma classe et ma posture m’a rassurée. Non pas par des mots qui me réconfortaient mais par une opinion tranchée » tu tiens ta classe » ; « tu les as en main » ; « mais tu ne leur fais pas confiance, c’est toi que tu dois interroger ». En effet, je ne leur faisais pas confiance parce que je ne me faisais pas confiance, et je ne pensais pas que mon groupe était « sous » contrôle. Mon inexpérience me desservait. Je me suis cantonnée à des expériences de cycles 2 et 3 qui nécessitaient de la part des élèves plus de rigueur, moins de liberté, beaucoup de travail écrit à table et davantage d’autonomie mais surtout un savoir être lié au métier d’élève. Là était toute la subtilité entre l’enseignante que j’étais en élémentaire et celle que j’étais en maternelle. Je me suis souvenue en relisant les programme que l’école maternelle est une école qui accueille et qui s’adapte aux jeunes enfants pour leur permettre de devenir des élèves . 4 Mes demandes étaient trop exigeantes pour être atteintes et pas légitimes, elles concernaient des élèves et non des enfants. Je commençais à pointer le problème en pouvant le nommer.
Des ateliers simples, efficaces et réfléchis pour éviter le tsunami
Un tsunami est une onde provoquée par un séisme ou une éruption volcanique qui provoque d’énormes vagues. C’est la métaphore qui illustre le mieux la raison pour laquelle je créais des ateliers trop simples pour mes élèves. En effet, lors de l’entretien de visite, Françoise a évoqué la simplicité des ateliers proposés. Ils étaient adaptés et réfléchis pour correspondre au niveau de classe mais pas à tous les profils. Suite à ces remarques, la question de la création d’ateliers ou de séances qui me mettraient en danger et qui laisseraient les enfants créer, proposer, devenir acteur a émergé. Puis j’ai analysé la raison pour laquelle je n’avais pas essayé d’aller plus loin avec ces élèves auparavant: l’angoisse du tsunami . Comme dans sa définition, le tsunami est le résultat d’un processus. Il semble que c’était ce processus qui m’angoissait et que je vais décrire. Le séisme représente la situation problème donnée. C’est elle qui provoque de la fusion en chacun d’entre nous, elle motive. A mes yeux, cela signifiait que les enfants allaient chercher sans que je puisse maitriser, de nombreuses prises de parole étaient à prévoir et à modérer, des mouvements physiques pour tester, penser, réfléchir étaient envisageables. L’onde se détache, elle représente une déferlante d’idées liée à la situation qu’il faut trier, accueillir et supprimer en gérant le mouvement du groupe. Le tsunami, les énormes vagues, concernent la tache finale. La réalisation subit de telles impacts que les enfants n’arrivent pas au résultat escompté par l’enseignante, moi; ce qui me met en difficulté en pensant qu’il n’y a pas eu d’apprentissage. Cette analyse me permet de réaliser que les ateliers conçus étaient adaptés au niveau moyen de la classe et ME correspondaient surtout. Ainsi, pour beaucoup ils apprenaient; pour certains, ils réinvestissaient; pour moi, je m’abritais. Je suis quelqu’un qui aime le challenge mais qui n’aime pas se sentir en danger. Cependant, j’ai besoin de me libérer de mon hypercontrôle afin d’aller vers une école où l’on apprend ensemble en étant acteur pour que je puisse m’épanouir auprès et par des enfants épanouis. Une école où le professeur des écoles sort de sa zone de confort pour se risquer, tester, réajuster et faire réussir ses élèves donc réussir avec ses élèves.
La moufle : comprendre le conte et ses enjeux pour favoriser les apprentissages
Cependant, pour sortir de sa zone de confort, il faut être à l’aise avec les outils que l’on utilise. Dans le cadre de cet écrit, j’ai choisi la version de La moufle, conte traditionnel russe, dont les auteurs sont Florence Desnouveaux et Cécile Hudrisier. Il s’agit d’un conte en randonnée qui est une structure particulière répétitive et cumulative. Cela permet de rendre l’histoire plus dynamique et vivante tout en favorisant sa mémorisation. Il s’agit d’un récit court énumératif qui met en scène plusieurs personnages qui sont des animaux. Ces animaux cherchent un abri pour se protéger du froid. Les personnages qui viennent s’entasser dans la moufle arrivent du plus petit au plus grand: c’est un conte d’accumulation par amplification. Dans la version choisie, la chute de l’histoire a lieu lorsque le plus gros animal, l’ours, essaie d’entrer dans la moufle. Elle éclate lorsque l’ours tente « de faire entrer de bout de sa queue ». Le conte humoristique est composé de mouvements aller sans retour. Les personnages s’accumulent dans la moufle et l’ours la craque marquant la chute et la fin du conte sur un ton humoristique. Bien qu’il y ait une logique au sein de la chute : c’est le plus gros animal qui fait éclater la moufle; il parait important de relever l’irréalité des faits : une moufle ne peut accueillir d’aussi gros animaux, ce n’est pas la petite queue de l’ours qui devrait faire éclater la moufle mais bien l’ours lui même ou les personnages précédents. Selon Suzy Platiel, ethnolinguiste spécialiste du conte, le message de ce conte est : il faut savoir dire non . C’est un album qui demande au lecteur une intonation par personnage, de jouer avec les bruits et avec les voix. Il doit théâtraliser l’histoire en la lisant. Ce jeu avec les personnages peut être évolutif pour permettre aux enfants de s’approprier les personnages et d’investir leur caractère. Lire et conter ne sont pas les mêmes verbes et se différencient par leur définition. La lecture est bien liée au support et à la manière de dynamiser par la voix et les gestes ce qui est écrit. Le fait de conter ne s’attache pas nécessairement au support. Le conteur connait bien son sujet, il est capable de faire vivre l’histoire en l’adaptant à de multiples facteurs: : âge du public, attention du public, lieu ou temps dont on dispose… Dans le cadre du projet, je serai lectrice, malgré une bonne connaissance du récit, je m’attache au support pour créer ma séquence. Pour relever le challenge que je me fixe afin de grandir professionnellement, j’ai fait un choix. Le projet que je souhaite soumettre à mes élèves concerne la mise en scène de l’album. La moufle est un album qui regroupe plusieurs avantages : l’action de plusieurs personnages, l’action additive qui permet à chaque personnage de s’exprimer tour à tour, la présence d’un objet commun: la moufle qui permet de rassembler les personnages, un lexique simple, la mise en voix que l’on peut intensifier selon le personnage que l’on incarne. Avant de réfléchir avec mes élèves, je souhaitais introduire l’album sans la mise en projet. J’avais besoin de recueillir leurs premières représentations après une lecture sans images afin de fixer leur attention sur le texte lu et entendu. Le but était de les investir dans l’écoute de l’album pour créer une première accroche. De ce fait, les enfants ont commencé à s’approprier les personnages et l’objet commun : la moufle. Puis, deux activités ont été proposées en ateliers tournants :
• Atelier 1 : reconnaitre et trier les animaux présent dans l’album.
• Atelier 2 : dessiner une moufle « comme on pense ». Le tapuscrit (annexe II) montre la mise en commun de cet atelier ainsi que sa pertinence pour modifier les représentations initiales des enfants.
« 0’17 Jessica : Alors, toute à l’heure on avait parlé de dessin. Il y en a un qui ressemblait à ça. » J’insiste sur le dessin en le montrant. Puis je l’accroche au tableau pour que tous les enfants assis dans le coin regroupement le voient.
« 0’24 Jessica : Aluna pense qu’une moufle ça ressemble à ça (je pose au tableau). Il y a un enfant qui pense qu’une moufle ça ressemble à quelque chose un peu comme ça (montre le deuxième dessin et je l’accroche au tableau), un peu comme ça et puis il y a aussi plein d’enfants qui ne savent pas trop à quoi ça ressemble une moufle alors ils ont juste dessiné comme ils pensaient. Par exemple, ici Emma, elle ne savait pas trop ce que c’était une moufle alors elle a juste dessiné un bonhomme comme ça. Maintenant, on va aller voir dans le livre à quoi ça ressemble une moufle. On va aller voir si ça ressemble à ça ou bien à ça ou bien à ça. Je montre les productions à chaque « ça »). Je vais enlever la feuille (feuille qui cachait la page de garde). La moufle. Est-ce que vous la voyez sur la page ? Qui peut me dire où il voit une moufle? Elle est tout en haut ou tout en bas ? » Je continue la mise en commun en mettant en tension quatre représentations récoltées parmi les dessins. Le silence est total, les enfants sont très attentifs à ce qui se passe, ils n’interviennent pas, sont à l’écoute et s’apprêtent à découvrir ce qu’est une moufle. J’ai récolté un seul dessin qui ressemble à ce qu’est une moufle, celui d’Aluna. Je reprends la parole pour montrer la moufle de l’album.
« 2’13 Jessica : Très bien. Une moufle, c’est comme ça. Aluna avait raison. Une moufle ça se met autour de la main. Mais ça ne va pas autour de chaque doigt, ça va autour de tous ces doigts là et autour du pouce ( je passe mes doigts autour de ma main puis de mon pouce pour que les enfants visualisent). J’en ai trouvé une, quelqu’un m’en a prêté une toute à l’heure et c’est Clemence. Clemence est-ce que tu veux bien qu’on montre aux autres enfants ce que c’est des moufles ? » Je montre la moufle sur l’album, peut être que cela aurait pu être fait par un élève mais les enfants sont toujours concentrés. Ainsi, j’explique ce que c’est, je prends une craie et j’en dessine une en me servant de la forme de ma main pour que les enfants visualisent. Enfin, je demande à Clemence d’intervenir pour montrer ses moufles. Les enfants peuvent les toucher et passent par la fonction kinesthésique ce qui permet de fixer la représentation. L’introduction de la séquence montre ma réflexion. Je ne souhaitais pas soumettre le projet d’emblée. Il me semblait important de créer de l’attente et de la curiosité. Cacher la première de couverture et ne pas montrer les images provoquaient de la concentration et de l’écoute. Je cherchais à accentuer l’investissement de chacun dans la découverte de ce nouvel album. De plus, les enfants savaient qu’il fallait bien écouter pour pouvoir effectuer les activités qui suivaient, implicitement ils étaient déjà mis en projet. Pour pouvoir faire sens, l’atelier dessiner une moufle était lié à une mise en commun collective qui montrait les différentes représentations de celle-ci. La séance devait définir la moufle, ce qu’elle est, pour que chacun s’approprie et adapte sa représentation afin de lever le premier obstacle de compréhension. Finalement, ma réflexion en amont de la première séance a mis en évidence la nécessité de lever les obstacles de compréhension pour que la mise en projet prenne sens auprès des élèves et qu’elle soit adaptée à leurs compétences (H3). Ce qui aurait pu être fait pour accentuer les apprentissages et la compréhension du conte :
• Montrer dès cette mise en commun l’absurdité du récit : ces animaux ne peuvent pas entrer dans une moufle, en s’appuyant sur la moufle de Clémence (2’50 à l’annexe II).
• De mon coté, mieux approcher les enjeux didactiques de l’album pour percevoir tous les messages de l’album afin de favoriser une réelle compréhension. La découverte de l’album a permis aux enfants de s’investir, elle a suscité de la motivation par l’absence d’images que j’ai maintenue jusqu’à l’introduction du projet.
Conclusion
Je permets à mes élèves d’acquérir un savoir, mais j’apprends aussi mon métier, n’apprend-t-on pas en essayant et en se trompant ? C’est pourquoi, il est nécessaire que j’ose, que j’essaie, que je me trompe et que je refasse pour réussir. Les hypothèses émises en début de travail ont toutes été validées. Le travail personnel que j’ai effectué en amont de la classe m’a permis de m’approprier le support choisi. J’ai envisagé l’introduction de la mise en projet pour que les enfants puissent lever les premiers obstacles tout en permettant les prémices d’une motivation grandissante. Durant cette phase, les modalités et supports mis en place ont accordé aux enfants la place d’auteurs et d’acteurs du projet. Les propositions qui m’ont été soumises montraient l’appropriation que se faisaient les élèves du projet. La séquence a connu des obstacles que je n’avais pas envisagés et que je devais lever pour que les enfants puissent continuer de développer leurs compétences. Je suis sortie de ma zone de confort en dérogeant à la programmation initialement prévue, en adaptant mes séances aux besoins de mes élèves et en m’appuyant davantage sur leurs apports pour répondre à nos problématiques ( la taille de la moufle, comment jouer les personnages). Finalement, rendre acteurs les élèves, c’est apprendre à s’effacer et à vivre de leurs propositions. Il ne s’agit pas d’anticiper toute une période et tout le travail possible sur l’album choisi mais de se laisser aller, d’écouter les propositions des élèves pour pouvoir réagir et ajuster son travail. Ecouter et rebondir sur des remarques permettra peut être d’envisager le travail comme le professeur ne l’aurait pas fait. Laisser aux enfants leur place dans la construction de leurs savoirs sans nécessairement intervenir. C’est ce que je comprends de mon expériences et c’est ce que je souhaite perpétuer dans ma classe.
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Table des matières
Introduction
1 – Découverte et auto-analyse d’une frustration dans la quête d’un Moi professionnel
1.1 La peur du « bazar » liée à l’inconnu
1.2 Bienveillance et bienveillance, couper la poire en deux pour ne pas tomber dans le trop
1.3 Des ateliers simples, efficaces et réfléchis pour éviter le tsunami
2 – Construire son enseignement et apprendre à travers un challenge motivant pour provoquer l’épanouissement
2.1 – Aller au-delà de ses limites pour se découvrir et s’inspirer
2.2 – La moufle : comprendre le conte et ses enjeux pour favoriser les apprentissages
2.3 – Dérouler le tapis rouge à la pédagogie de projet pour s’impliquer et enrôler les élèves
2.4 – Assurer l’action dans les apprentissages en autorisant les chutes
Conclusion
Bibliographie
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