School-bullying : la formation d’un concept
La fin du XXème siècle a vu émerger en Europe une nouvelle problématique sociale tournée autour des violences à l’école : le harcèlement scolaire ou school-bullying (mot originellement utilisé).
Etymologie de l’expression « harcèlement scolaire »
Comme disait Nietzche, « Connaître, c’est comprendre ». Donc, afin de comprendre en quoi consiste le harcèlement scolaire, se référer à l’étymologie des deux mots semble pertinent. Si l’on s’intéresse aux explications fournies par le site internet de l’Académie Française ainsi qu’à celles du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, le mot «harcèlement » provient de « harceller » (XVème siècle), variante de «herseler, herceler », qui signifie « malmener, soumettre sans répit à de petites attaques ». On peut également y voir une référence à la herse, outil agricole muni de dents et servant à travailler la terre. Le suffixe – ment, quant à lui, sous-entend une notion d’action. Ce retour au sens premier du terme indique déjà une première caractéristique du harcèlement : l’idée de récidive.
Le terme « scolaire » quant à lui renvoie évidemment à la notion d’école, schola (« loisir consacré à l’étude ; école »), et permet de situer le champ d’action du harcèlement et de l’identifier comme un acte intrinsèquement lié à l’école.
La conceptualisation du harcèlement scolaire au XXème siècle
Les premières recherches en termes de harcèlement scolaire, nous les devons à des chercheurs scandinaves et plus précisément à Peter-Paul Heinemann, médecin suédois, qui, dans les années 1960, après avoir été témoin d’une scène de violence entre pairs (plusieurs adolescents s’en prenant à un enfant isolé), conceptualisa le terme de mobbing qu’il réutilisa par la suite dans ses travaux de recherche.
S’appuyant sur les travaux de Heinemann, mais délaissant le terme de mobbing au profit de celui de bullying , la première définition du harcèlement scolaire, fut forgée par Dan Olweus, chercheur scandinave et professeur de psychologie à l’université de Bergen en Norvège. Pionner de la lutte contre le harcèlement scolaire, il propose, en 1981, dans son pays, de faire voter une loi contre le school-bullying. La proposition ne sera pas ratifiée mais ouvrira cependant la porte à une réflexion étatique sur le sujet. En 1983-1984, il lance la première grande enquête ayant pour but de mesurer l’ampleur du phénomène du harcèlement en Norvège. Ce travail de réflexion sur le school-bullying, il le reportera dans de nombreux ouvrages dont Bullying at School paru en Suède en 1986 et traduit en France en 1999 par Marie-Hélène Hammen sous le titre Violence entre élèves, harcèlements et brutalités, les faits, les solutions. C’est dans ce dernier, qu’il élabore la première définition du school-bullying.
Un élève est victime de violence (a student is being bullied) lorsqu’il est exposé de manière répétée et à long terme, à des actions négatives de la part de un ou plusieurs élèves […]. L’élève visé par les actions négatives a du mal à se défendre et se trouve en quelque sorte démuni face à l’élève (ou aux élèves) qui le harcèle.
Le harcèlement scolaire : des spécificités indiscutables ?
Tout au long des recherches effectuées, trois caractéristiques indissociables seront attribuées au school-bullying : Premièrement, la notion de répétition. Le harcèlement se produit lorsqu’il y a récidive d’un acte malveillant et ce, sur une longue période. La seconde caractéristique est la disproportion des forces. Le bullying est avant tout un rapport de domination ou l’un des partis prend l’ascendant sur l’autre que ce soit à travers l’âge, le nombre de harceleurs, la catégorie sociale…. La victime se retrouve dans l’incapacité de se défendre par elle-même et de faire face au harcèlement dont elle souffre. Enfin, la troisième spécificité du harcèlement scolaire est l’intention de nuire. L’harceleur persécute sa victime en pleine conscience et dans une véritable attention de la blesser. Cette troisième caractéristique est de plus en plus contestée et plusieurs chercheurs comme Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette remettent en cause la notion d’intentionnalité. Peut-on affirmer avec certitude de la volonté de nuire d’une personne ? N’est-ce pas un moyen de simplifier ou de rassurer que d’attribuer un certain état d’esprit à un élève sans avoir alors, à regarder le contexte qui l’a peut-être entrainé dans cet acte ? Ce sont autant d’éléments qui peuvent amener à s’interroger sur la dimension d’intentionnalité du harceleur.
Enfin, Éric Debardieux, pédagogue français plusieurs fois nommé par le gouvernement pour effectuer des travaux de recherche sur les violences scolaires, ajoutera, suite à son enquête de recensement des victimes de harcèlement scolaire en France en 1996, une autre caractéristique. En effet, il met en évidence dans son enquête l’importance des « micro violences » qui créent chez la victime un sentiment d’insécurité permanent. Le ressenti de la victime est donc, selon Éric Debardieux, un critère intrinsèquement lié au harcèlement scolaire. Autrement dit, la perception de la violence et le seuil de tolérance varient inévitablement selon chaque victime. Voici donc la différence entre violence et harcèlement, une question que nous avions évoquée préalablement. Le harcèlement consiste en un ensemble de micro-violences qui se répètent dans le temps. Ainsi donc, là où il y a harcèlement, il y a violence mais l’inverse n’est pas nécessairement réciproque.
Les différentes formes de harcèlement
Toutes ces spécificités, il est possible de les retrouver dans les différentes formes que prend le harcèlement scolaire. Hélène Romano, psychologue et docteur en psychopathologie, en détermine cinq :
➢ Le harcèlement moral : insultes, moqueries (sur la taille, le poids, l’appartenance ethnique ou religieuse, le handicap…), qualificatifs dévalorisants (« tu es nul(le) », « tu nous fais honte »), des menaces (« t’es mort », « je vais te planter »), chantage affectif (« tu n’es rien sans nous », « c’est de ta faute si … alors que nous on voulait t’aider ») ou encore menaces/insultes envers un proche de la victime.
➢ Le harcèlement physique : bousculades, coups, croche-pieds… Ces agressions sont bien souvent « gratuites », elles interviennent en dehors de véritables confrontations physiques (bagarres) et la victime les perçoit comme une agression. Le harceleur est alors considéré comme un danger et crée autour de la victime un sentiment d’insécurité permanent.
➢ L’exclusion ou rejet : exclusion du groupe classe, rejet, ostracisme social.
➢ Le harcèlement sexuel : il peut être verbal ou physique mais constitue une catégorie à part entière de par la connotation sexuelle qui y est liée. On retrouve également dans cette catégorie toutes les insultes ou agressions motivées par une homophobie banalisée (« sale pédale ») et véhiculée et/ou tolérée par certains adultes.
➢ Le harcèlement matériel : racket, vol, dégradation dans le but d’humilier la victime et de renforcer le climat de menace qui plane autour d’elle. Hélène Romano ajoute même la notion de « harcèlement alimentaire » qui prend forme dans les cantines des établissements.
Dans les contextes de harcèlement alimentaire, les victimes sont bousculées et le contenu de leur plateau tombe au sol ; de l’eau est renversée sur leur plat principal pour le rendre immangeable tout comme leur dessert ou leur entrée peut être recouvert de sel ou de poivre, etc. Ce harcèlement conduit le plus généralement à des stratégies d’évitement qui font que l’élève est systématiquement seul pour manger et déjeune dans un état d’hypervigilance et d’alerte face à de possibles agressions ; voire ne déjeune plus du tout.
➢ Le harcèlement virtuel : l’émergence des nouvelles technologies et des réseaux sociaux ont provoqué la naissance d’un nouveau type de harcèlement dénommé harcèlement virtuel ou cyberharcèlement. Plus insidieuse, cette forme de school-bulling se produit à travers internet et bien souvent hors de l’établissement scolaire. La dangerosité du cyberharcèlement est qu’il renforce le sentiment d’impunité de l’harceleur ainsi que son anonymat. Cet écran favorise l’anesthésie émotionnelle du harceleur ainsi que son indifférence face à la souffrance de la victime. Si l’écrivaine n’évoque pas nécessairement une hausse du harcèlement scolaire avec l’arrivée des nouvelles technologies ⸺ l’une de mes hypothèses que j’avais évoqué préalablement ⸺ces dernières renforcent néanmoins le caractère insidieux du phénomène puisque les réseaux sociaux sont facile d’accès et procurent un certain anonymat.
Hélène Romano, définit le harcèlement scolaire comme « un processus d’usure psychique lié à l’accumulation de micro-violences et d’incidents mineurs ». Ainsi, c’est l’ensemble répété et la multiplication des attaques qui font la dangerosité du harcèlement : la victime vit dans un climat constant de crainte qui la fragilise d’autant plus psychologiquement.
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Table des matières
Introduction
1. Cadre théorique
1.1.School-bullying : la formation d’un concept
1.1.1 Etymologie de l’expression « harcèlement scolaire »
1.1.2 La conceptualisation du harcèlement scolaire au XXème siècle
1.1.3 Le harcèlement scolaire : des spécificités indiscutables ?
1.1.4 Les différentes formes de harcèlement
1.1.5 Le cyberharcèlement
1.1.6 Les lieux de school-bullying
1.1.7 Bullying ou Mobbing : de l’importance des pairs
1.1.8 Victimes et harceleurs : un profil type ?
1.1.9 Les conséquences du harcèlement scolaire sur les victimes
1.2.La France et le school-bullying : une reconnaissance tardive
1.2.1 Une traduction difficile.
1.2.2 L’impact de la représentation sociale
1.2.3 Le mutisme des victimes
1.2.4 Les années 2010 : une série de plans d’action
1.2.5 Une approche juridique du harcèlement
1.2.6 Des premiers éléments concluants
2. Cadre expérimental
2.1 Le professeur de langue dans sa classe
2.1.1 Un choix méthodologique
2.1.2 Des questions au service de mes hypothèses
2.1.3 Un public varié et de tous niveaux
2.1.4 Définir le harcèlement scolaire : divergences et similitudes
2.1.5 Évolution du harcèlement scolaire
2.1.6 Repérer le harcèlement scolaire
2.2 Le professeur de langue, un membre de l’équipe éducative
2.2.1 Sensibiliser, prévenir et prendre en charge : un manque de moyen ?
2.2.2 Prévenir et lutter contre le harcèlement scolaire : une mission du professeur de langue ?
2.2.3 Anatol Pikas et la Méthode de la Préoccupation Partagée
2.2.4 Mettre en place un climat d’écoute bienveillant
2.2.5 L’amélioration du climat scolaire
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes
Annexes