Scepticisme et désespoir chez Montaigne

Si la métaphore des Lumières amorce et illustre les progrès fulgurants que les sciences enregistrent dans la sphère de la connaissance du réel, elle imprime aussi une nouvelle impulsion à la philosophie qui va bientôt orienter la recherche du savoir vers une entreprise d’émancipation de la raison de toute forme d’autorité. Les projets en métaphysique, notamment en théologie et en anthropologie, restent fort ambitieux mais bientôt certains ne tardent pas à manifester leur désespoir. Ne pouvant miser sur une science qui, par expérience, demeure impuissante à résoudre les sollicitations d’un esprit inquiet et angoissé, Pascal décentre la raison et l’humilie, déclarant que toute la philosophie ne vaut pas une heure de peine Ce prétendu échec de la philosophie se trouve illustré dans la contradiction des approches et des définitions établies sur l’étude de l’homme et de Dieu, y compris dans les divers travaux énoncés en métaphysique. Ainsi, le thème du désenchantement de la raison a été longuement évoqué dans une pléthore d’analyses faites sur la problématique de la connaissance. Mais c’est dans les Pensées que le pensionnaire de Port-Royal montre en une variété de réflexions et de démonstrations que la philosophie et les sciences dans leur généralité ont échoué dans leur mission de recherche de la vérité et de connaissance des principes explicatifs du réel, quoique l’idée de progrès reste pourtant une constance. Inutile de passer en revue toutes les doctrines ; toutes les perspectives et approches possibles ont été représentées dans les philosophies de Montaigne et d’Epictète.

scepticisme et désespoir chez Montaigne 

En partant du principe selon lequel le genre humain est, par nature, corrompu et indigne de la grâce divine et que la justice et le bien demeureront par conséquent inaccessible à la raison, nous entrons de plein pied dans la doctrine philosophique de Montaigne. Précisément, ce mode de pensée est appelé le scepticisme. Il n’en est certes pas le précurseur , mais il a contribué à la clarification des principes de la philosophie sceptique par la diversité et la richesse des thèmes développés dans les Essais. Son projet est de peindre par une approche aporétique de la vérité l’énigme de l’homme et la vanité des sciences. Ces deux thèmes fortement soutenus et illustrés fournissent à Montaigne les arguments d’une philosophie encline au désespoir.

De l’obscure peinture de l’homme 

Comme pour la plupart des penseurs, la question de l’homme occupe une place fondamentale chez montaigne. Mais à l’opposé des métaphysiciens auxquels il reproche les vaines abstractions, Montaigne ne propose pas d’enseignement précis sur l’homme. Se fondant sur sa propre expérience, il se propose seulement de rendre compte du sujet qui ne peut échapper à la réflexion philosophique. Ainsi, l’anthropologie de Montaigne présente l’homme comme un être pétri de contradictions. Elle illustre la nature changeante de l’homme dont l’irrésolution semble pour lui la seule constante. Cela est confirmé par pascal qui montre dans les Pensées la gratuité et la vanité de l’existence humaine dans le divertissement. Ce qui laisse entrevoir la complexité de la psychologie de l’homme. Aspirant à la paix et au bonheur, il est étonnant de voir qu’il ne s’empêche de s’infortuner et de se lamenter dans des entreprises visant à fuir le repos. C’est justement ce paradoxe que Montaigne exprime à travers ce passage des Essais : « Nous ne pensons ce que nous voulons qu’à l’instant que nous le voulons, et changeons comme cet animal qui prend la couleur du lieu où on le couche. Ce que nous avons, à cette heure, proposé, nous le changeons tantôt, et tantôt encore retournons sur nos pas : ce n’est que branle et inconstance (…) Nous flottons entre divers avis : nous ne voulons rien librement, rien absolument, rien constamment. » Traitant de l’opinion d’autre part, Montaigne montre un autre aspect de l’inconstance de l’homme, affirmant qu’il n’y a pas de vérité absolue ni de normes universelles du bien et du Mal. En effet, nos jugements restent tributaires des coutumes et lois du pays que nous habitons. En suite de quoi, il propose de ne jamais juger trop vite des actes et comportements d’autrui, puisque l’instabilité des mœurs et la relativité des idées donnent tort à ceux qui opinent sur les actions des autres en vue de les blâmer ou de les condamner. Ainsi, en rappelant que « le vice n’est que dérèglement et faute de mesure » , le moraliste des Essais dénonce toute prétention de régler nos jugements sur nos seules pensées, car la corruption de l’homme est telle qu’il ne peut rien connaître véritablement et absolument. Cette approche lui vaut les éloges de Pascal qui, rappelant les recommandations du sage Monsieur de Sacy, précisait qu’il n’avait mieux à enseigner aux hommes que de bannir les jugements téméraires ou de médire autrui pour sa conduite, puisqu’il n’y a que Dieu qui puisse en juger évidemment.

Illustrée en mille endroits, la corruption de l’homme se manifeste aussi dans la cruauté. D’ailleurs Montaigne en a consacré une analyse approfondie dans le livre II des Essais. Dénonçant cette propension perpétuelle au mal, il exprime son pessimisme quant au pouvoir d’échapper aux inclinations mauvaises qui empestent le cœur de leur venin, obscurcissent l’âme, la rendant constamment encline à la méchanceté et à la haine. Ainsi, c’est moins par lâcheté que par humilité qu’il refuse de se repentir car l’homme, réduit à ses seules ressources, est inapte à demeurer dans le bien, si Dieu n’intervienne par sa grâce. Mais il s’attache plus à montrer les effets de cette dépravation de nature qu’à en déterminer les origines. La couardise en est un ; Montaigne se désole de cette puissance à nuire qui prend racine dans les sombres pensées d’une âme faite du mauvais levain et l’exprime dans les Essais en des termes fort explicites : « A peine me pouvais-je persuader, avant que je l’eusse vu, qu’il se fût trouvé des âmes si farouches, que pour le seul plaisir du meurtre la voulussent commettre ; hacher et détrancher les membres d’autrui ; aiguiser leur esprit à inventer des tourments inusités, et des morts nouvelles, sans inimitié, sans profit, et pour cette fin, de jouir du plaisant spectacle des geste, des mouvement pitoyables, des gémissements et voix lamentable, d’un homme mourant en angoisse» .

Aussi ne manque-t-il pas de fustiger l’étrange complicité de l’Eglise et des Princes Chrétiens qui, contre le droit religieux et civil et contre l’équité naturelle, autorisent les hommes à s’entreruiner par la « justice » du duel . Qui plus est, évoquant la doctrine pythagoricienne de la métempsychose  à laquelle il affirme ne pas faire grand compte, la répugnance à la cruauté le pousse à suggérer que cette théorie de l’immortalité de l’âme rendrait probable l’idée d’une justice divine et d’un purgatoire qui fait office de châtiment réservé aux méchants, aux incorrigibles. Bref, l’anthropologie de Montaigne est fortement marquée par la thématique de la corruption qui reste à ses yeux le facteur d’inhérence des imperfections naturelles de l’homme et de son inclination aux vices. Ainsi, autant cette corruption empêchera l’homme d’accéder au vrai bien, autant elle rendra la raison impuissante à connaître les choses en soi. Par conséquent, en dénonçant la présomption des sciences, c’est à la vanité des sciences qu’il s’en prend.

De la vanité des sciences

Par souci de libérer la philosophie de la tutelle religieuse et de se dresser contre toute opinion dogmatiquement énoncée, Montaigne adopte une démarche qui se veut émancipatrice. Certes la lecture de Plutarque et de Sextus Empiricus ont sensiblement influencé le scepticisme de ses réflexions, mais il fut déjà enclin à tout remettre en doute dans un contexte historique de cette fin du XVIe siècle, période où les convictions religieuses et politiques et les certitudes les mieux établies furent ébranlées par une profonde crise des consciences. C’est dans cette optique qu’il entend combattre l’ « outrecuidance démesurée » de ceux qui opinent que par la raison, il est permis de connaître et de juger assurément et d’asseoir les sciences sur des principes inébranlables. C’est notamment dans le célèbre chapitre XII du livre II des Essais intitulé « Apologie de Raymond de Sebond » que cette critique de la vanité des sciences est exposée avec plus d’arguments et d’illustrations.

La critique de la vanité humaine est d’abord dirigée contre les savants dans leur présomption à connaître de tout, à l’image d’Anaxagore qui commettrait la grossièreté de prendre la lune pour une terre céleste où il est possible par le génie humain d’y habiter. La préoccupation essentielle de la science devrait consister d’abord à résoudre l’équation de l’homme car notre être, plus proche de nous, n’en est pas moins source d’étonnement et de mystère que l’effroi et l’inquiétude que les objets extérieurs et l’univers nous inspirent. Invitant l’homme à un retour à soi, il reprend sans nul doute la célèbre maxime de l’oracle de Delphes : « Connais-toi toi même » , pour combattre un certain orgueil de l’homme dans son ambition à déterminer les principes des choses. Aussi, montre-til par une avalanche d’illustrations, la relativité de nos sources de savoir. Connaissances sensibles comme connaissances rationnelles, l’homme demeure dans une incapacité naturelle de traiter toute chose dans un ordre irréversiblement achevé. Il s’étonne de ce que cette outrecuidance l’engage à la recherche des causes premières plutôt que de se connaître, qui reste pourtant la vertu essentielle de la pensée. Car, autant que nous ne commencions par là, nous accentuons notre aveuglement et nous éloignons de l’authentique sagesse qui, de l’avis de Socrate dont Montaigne la doctrine en maints endroits, consiste à s’humilier par le conscience de notre propre ignorance. C’est à juste raison ce qu’il traduit en des termes métaphoriques : « L’ignorance qui était naturellement en nous, nous l’avons par longue étude confirmée et avérée. Il est advenu aux gens véritablement savants, ce qui advient aux épis de blé : ils vont s’élevant et se haussant la tête droite et fière, tant qu’ils sont vides ; mais quand ils sont pleins et grossis de grains en leur maturité, ils commencent à s’humilier et baisser les cornes. Pareillement les hommes, ayant tout essayé, tout sondé, et n’ayant trouvé en cet amas de science et provision de tant de choses diverses, rien de massif et ferme, et rien que vanité, ils ont renoncé à leur présomption, et reconnu leur condition naturelle » .

C’est ainsi qu’il conçoit cette avidité à déchiffrer les énigmes du monde comme un défaut d’esprit et un aveuglement. Les fausses imaginations, nées d’un prétendu pouvoir des sciences à lui procurer le savoir assuré, accroissent son illusion d’être doté d’une faculté exceptionnelle qui ferait de lui un être semblable à Dieu. Et, dans un sens purement gnoséologique, il met en évidence l’incertitude du savoir humain : les sens abusent la raison et la trompent, l’esprit est impuissant face à ses incessantes interrogations et la précarité de nos jugements indique qu’on ne peut rien établir de ferme et de durable sur nous et sur le monde. Cette vue n’est pas nouvelle en philosophie car, de tout temps la vérité a été recherchée sur fond d’aporie. Et Cicéron le rappelle : « presque tous les anciens ont dit qu’on ne peut rien connaître, rien  concevoir, rien savoir, que bornés sont les sens, faibles les esprits, et bref le cours de la vie » .

Cependant si la tradition philosophique attribuait à l’homme une centralité exaltante dans la hiérarchie des créatures, c’est assurément en vertu de la raison en tant que faculté de connaître par laquelle il est glorifié et spécifié , tirant de ce même prodige la licence d’ordonnancer les animaux et la nature toute entière. Montaigne, quant à lui, convainc l’homme de son égarement issu de son orgueil. Travaillant sans cesse à lui faire perdre la place que les humanistes de la renaissance lui avaient donnée, il dénonce un certain anthropocentrisme des philosophes, à l’instar de Voltaire d’après qui l’homme serait fait à l’image de Dieu. Aussi l’exprime-t-il en ces propos : « C’est par la vanité de cette même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines qu’il se tire soi-même et aux animaux (…) et leur attribue telle portion de facultés et de forces, que bon lui semble » . Récusant leurs opinions à concevoir l’intelligence et le langage comme des traits singuliers à la nature humaine, il reste plutôt sceptique sur ce point, préférant suspendre le jugement par le doute que de confirmer une opinion que ni l’expérience ni la raison ne puissent prouver . Enfin s’attaque-t-il à l’ « étrange » idée que l’homme se fait de la notion de beau et souligne que la vanité des descriptions et des définitions rend raison de l’évidente précarité des conceptions que nous nous faisons d’elle. Il conteste également la conception philosophique d’un humanisme enthousiaste qui ne rend compte que d’une vision idéalisée et par ricochet irréaliste. Il pose que l’homme n’a pas plus de mérite que les animaux dont il cherche à se distinguer par l’intelligence et la beauté. Partant de la ressemblance de l’homme aux bêtes d’entre lesquelles certaines le surpassent en beauté, il le désacralise et l’humilie en faisant du corps par lequel il se fait une    image de gloire et de noblesse, une peinture fort abjecte et misérable. Aussi vise-t-il sans conteste, en des termes tranchants, à l’indigner afin de briser son orgueil. Ce passage des Essais en porte expressément témoin : « Certes quand j’imagine l’homme tout nu (oui, en ce sexe qui semble avoir plus de part à la beauté), ses tares, sa sujétion naturelle, et ses imperfections, je trouve que nous avons eu plus de raisons que nul autre animal, de nous couvrir » .

Le problème de Dieu a aussi fait l’objet de profondes analyses dans les Essais. Rendant vaine toute possibilité d’une théologie, il ne nie pas pourtant l’existence de Dieu, mais exclut tout commerce entre celui-ci et une humanité vouée à l’ignorance. Il déclare que c’est par méprise et anthropomorphisme  que les hommes lui attribuent des tendances propres à leur nature : la colère, la vengeance, la haine, le désir, la passion, etc. Dieu, tel qu’il le conçoit, est hors de portée de l’entendement et, en tant que tel, n’a nul rapport avec leurs actions. De là, il s’étonne de ce que la religion, tendant à cautionner sournoisement l’obscurantisme et la superstition inspire aux hommes les plus sombres et criminelles pratiques ; tuer au nom de la croix ou de Dieu, immoler des enfants livrés comme offrandes pour honorer les dieux et leur témoigner de la gratitude des hommes. De l’avis de Montaigne, Dieu étant bonté absolue fait toute chose bonne. Or, ses desseins restent obscurs aux hommes. En suite de quoi, Dieu ne se conforme guère aux prières et sollicitations grossières, mais agit selon une justice qui transcende leurs prévisions et leur pouvoir.

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Table des matières

Introduction
PREMIERE PARTIE scepticisme et désespoir chez Montaigne
1 – De l’obscure peinture de l’homme
2 – De la vanité des sciences
DEUXIEME PARTIE De la connaissance de soi et du bonheur chez Epictète
1 – De la sagesse d’Epictète
2 – De l’objection des Pensées
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE

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