Savoir gagner ou perdre en EPS

Jahlys élève de CE2 : « C’est nul ce jeu, à chaque fois je perds, est-ce qu’on peut faire un béret je suis trop fort à ça ». Ce constat évoque avant tout une relation en EPS basée non pas sur les apprentissages mais bien sur la dualité victoire/défaite. J’aime un jeu quand je gagne et je n’aime pas quand je perds.

Ce postulat est global, après analyse en EPS de ma classe de CE2 à l’école Roland Malvitte à Gonesse classé REP, mes observations faites pendant ces cours soulèvent un même constat : les enfants sont focalisés sur la recherche de la victoire et l’atteinte de ce but par tous les moyens. Ce qui m’amène à travailler sur ce sujet est l’observation que j’ai menée dans les jeux traditionnels en début d’année ; j’ai rencontré beaucoup de difficultés à faire acquérir une attitude sportive et fairplay à l’ensemble des élèves qui étaient obnubilés par la victoire. En effet, j’étais confronté aux moqueries des vainqueurs sur les perdants, aux élèves qui trichaient pour parvenir à gagner, aux mauvais joueurs qui s’énervaient quand ils perdaient. Par conséquent ma volonté était dans un premier temps de développer un comportement citoyen en EPS pour que par la suite les élèves puissent orienter leur pratique vers une volonté de progresser, d’apprendre, mais surtout de prendre du plaisir dans une activité physique et sportive et ce dans le respect des autres.

Fort de ce constat, nous pouvons alors nous poser les questions suivantes : comment motiver les élèves dans une pratique sportive sans qu’ils se focalisent sur la victoire, mais avant tout sur l’apprentissage et le plaisir sources de motivation ? Comment faire verbaliser par les élèves les pourquoi d’une victoire et les raisons d’une défaite ?

L’essence de l’EPS pour les enfants est avant tout le jeu et le plaisir mais souvent ce dernier n’est permis que par l’atteinte d’un objectif majeur : la victoire. Ainsi, l’élève ne considère que la finalité à savoir gagner pour entrer pleinement dans l’activité, sans pour autant réfléchir sur sa pratique. L’enseignant devra donc mettre en place une alternative à cette dualité victoire/défaite pour pouvoir se sortir de cette attitude primaire et axer un réel travail sur les apprentissages en donnant à l’élève du sens à son activité.

Je fais donc l’hypothèse, qu’en verbalisant avec les élèves sur leur réussite mais également leur échec lors d’une activité, ils accèderaient à l’analyse de leur pratique et par conséquent à un processus axant l’apprentissage et la progression au cœur de l’éducation physique et sportive.

Dans le dictionnaire Larousse, le plaisir se définit comme un « état de contentement que crée chez quelqu’un la satisfaction d’une tendance, d’un besoin, d’un désir ». Par cela on comprend que c’est un état de bien être éprouvé chez un individu et que cet état est subjectif et personnel par rapport aux désirs et aux besoins de la personne. Cette notion de plaisir n’intervient pas pour tout le monde dans un même contexte, à un même moment, elle se déclenche en faisant des actions qui donnent satisfaction à une propre personne. En effet la pratique d’un sport pour quelqu’un peut être un réel plaisir tandis que pour une autre personne cette pratique sera vécue comme une contrainte, une souffrance.

Tout d’abord, scientifiquement parlant, il existe dans notre corps et plus spécifiquement à l’intérieur du cerveau une molécule qui gère les plaisirs des individus : cette molécule s’appelle la « dopamine ». Elle est sécrétée fortement lorsque l’individu est confronté à un plaisir qui peut être lié à la musique, à une addiction, au sexe mais pour ce qui nous concerne ici, lié à une activité physique et sportive. En effet quand un individu pratique une activité physique prolongée, il va sécréter une hormone qui va lui procurer, après l’effort, un état de bien être (Brookshire 2013). Il serait donc intéressant de mettre en place autour de la notion de « courir longtemps » pour mes CE2, une activité qui permettrait à l’enfant de connaitre un autre plaisir que celui de la victoire, celui du bien être après l’effort.

Par ailleurs pour Tye Michael (1995) il existe des degrés dans le plaisir, échelonnés en fonction de l’individu. Prenons l’exemple du sport : certains font primer la victoire ou les records sur d’autres éléments constitutifs à des activités physiques et sportives telles que la relation avec mes coéquipiers dans une APSA collective, la mise en mouvement de mon corps sensible dans une APSA artistique ou acrobatique, etc. C’est en effet le souci que j’ai pu rencontrer avec mes élèves de CE2, qui pratiquaient l’EPS avec pour unique but d’être meilleur que l’adversaire. Il est donc nécessaire de faire connaitre à l’enfant différentes sources de plaisir quant à la pratique d’une activité physique et sportive qui ne peut se résumer uniquement à la victoire sur un « adversaire » ou à la frustration d’une défaite.

Pour Delignières (1998), « le principal facteur sous tendant l’adhésion prolongée à une pratique est le sentiment de plaisir que cette dernière procure aux individus ». De ce fait, la notion de plaisir tient une place importante dans la pratique de l’EPS. En effet si les élèves sont réceptifs et participatifs aux enjeux de l’APSA sur la durée, c’est qu’ils éprouvent une sensation de plaisir quant à la pratique de l’activité en question. L’adhésion prolongée est un observable incontournable pour l’enseignant afin de remettre en question son enseignement. Celle-là est révélatrice d’un niveau de maitrise avancé des élèves qui s’épanouissent dans l’activité et va à l’encontre de la simple victoire qui suffit à l’enfant à court terme. Il serait alors nécessaire de dépasser le plaisir immédiat et bref en EPS pour s’orienter vers un plaisir sur la durée par la maitrise de l’activité.

Souvent occultée à l’école, la notion de plaisir a fait une entrée remarquée dans les programmes de 2008 dans les différentes disciplines et plus récemment dans les programmes de 2015. Dans ceuxci, il n’y aurait pas de barrière entre plaisir et école comme cela est trop souvent perçu dans notre société avec une vision dualiste, qui sépare plaisir et apprentissage. C’est explicitement que dans les programmes du cycle 2, la notion de plaisir tient une place importante en EPS, elle en est même une finalité pour l’enfant : « L’EPS initie au plaisir de la pratique sportive […], les élèves s’engagent spontanément et avec plaisir dans l’activité physique » (BO spécial n°11 du 26 novembre 2015). Il serait alors essentiel d’amener les enfants à pratiquer une activité physique pour le plaisir. En ce qui concerne ma classe de CE2, où la victoire semble être le seul moyen de se procurer du plaisir, il me faudrait donc trouver une alternative pour y remédier. C’est pourquoi il serait intéressant d’amener les élèves à développer ce plaisir non seulement pour la victoire mais possiblement sur la maitrise de l’activité, la gestion du corps, la relation autour d’un collectif. La variété des APSA à enseigner permet aux enfants d’explorer la totalité de ces postulats et d’acquérir le plaisir de pratiquer une activité physique pour ce qu’elle apporte en sortant de la dualité victoire/défaite.

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Table des matières

Introduction
I. Apports théoriques
I.1. Le plaisir, une notion subjective
I.1.1. Qu’est-ce que le plaisir ?
I.1.2. L’activité physique et sportive vectrice de plaisir
I.1.3. Le plaisir dans les programmes et les apprentissages
I.2. Quels sont les motifs d’agir en EPS pour l’élève
I.2.1. La but de la tâche
I.2.1.1. Le sens
I.2.1.2. Le statut de l’erreur et de la défaite
I.2.1.3. Une différence filles/garçons
I.2.2. La motivation
I.2.2.1. Motivation intrinsèque vs extrinsèque
I.2.2.2. Auto-détermination
II. Expérimentations et analyses
II.1. Action de l’enseignant
II.1.1. La programmation face à la dualité victoire/défaite
II.1.2. La régulation dans les apprentissages des élèves
II.1.3. Maitriser, apprendre et se surpasser dans la défaite
II.1.4. La différenciation comme outil de réussite pour tous
II.2. Verbalisation avec les élèves
II.2.1. Avant l’action
II.2.2. Pendant l’action
II.2.3. Après l’action
Conclusion

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