Le Sénégal, pays côtier, a un littoral qui s’étend sur près de 700 km sur sa façade occidentale. Suivant les particularités physiques du milieu, la côte est divisée en une Grande et une Petite Côte. La Petite Côte correspond à la partie sud-ouest du littoral sénégalais. On peut distinguer dans cet ensemble la Petite Côte touristique qui va de Bargny Minam (2 km au sud de Bargny) à la Pointe de Sangomar, longue de 110 km. Ce milieu côtier est le siège d’un tourisme balnéaire d’une envergure internationale symbolisé, par la commune de Saly Portudal, qui constitue notre champ d’investigation.
Le village de Saly Portudal, devenu commune de Saly Portudal avec la réforme administrative de 2008 , se trouve dans la région de Thiès, département de Mbour. En 1984, elle comptait 2080 habitants et en 2006, sa population (autochtones et touristes) était comprise entre 12000 et 15000 habitants (Hayat, 2006) . La ville a donc multiplié sa population par 6 en 22 ans. Et en 2015 la population est de 26945 hab. (ANSD, 2015) . Cet accroissement trouve une partie de son explication dans l’évolution de la localité d’un village traditionnel en une station balnéaire.
L’aménagement du village de Saly Portudal en station balnéaire entrepris depuis les années 1970, a entrainé une mutation de la localité d’un espace villageois en une cité « moderne ». En effet, le fait touristique entraine l’édification à Saly Portudal en plus des réceptifs hôteliers, des résidences secondaires de sénégalais « aisés ». Ceci ayant pour effet, la modification du paysage caractérisé par des bâtiments d’un standing élevé consacrant de facto la mutation du bâti. Ainsi, le tourisme et ses effets induits ont-ils fini de faire de Saly Portudal une cité « originale » juxtaposant un espace villageois et un espace urbain. C’est dans ce contexte touristique qu’évolue Saly Portudal. Hôtels, auberges, restaurants, bars, discothèques, résidences constituent le principal paysage qu’offre la ville. Son littoral sablonneux, est jalonné par des villas et résidences affectant de nouvelles fonctions à cette partie de la ville.
Ainsi donc, Saly Portudal vit au rythme de l’activité touristique. Cette activité est perceptible le jour comme la nuit. Cependant, l’activité diurne est plus connue car plus facile à appréhender. Par contre, l’activité nocturne est plus complexe. Or, pour comprendre Saly Portudal dans sa complexité géographique, il faut nécessairement une analyse de sa dimension nocturne. Cela parce qu’une visite du site la nuit, montre une ville vivante, un littoral animé pour ne pas dire une ville éveillée. Ce qui induit une différence fondamentale entre Saly Portudal le jour et Saly Portudal la nuit. La géographie de la nuit étant différente de celle du jour, l’étude de la vie nocturne s’impose comme élément d’analyse dans un milieu touristique comme Saly Portudal.
LE CADRE DE REFERENCE
Problématique
La nuit, dans une définition astrologique du terme donnée par le dictionnaire (Petit Robert, 2000) , est un : « espace de temps qui s’écoule depuis le coucher jusqu’au lever du soleil ». C’est donc le temps de l’obscurité, du sommeil et par extension du repos social. La nuit en tant qu’objet d’étude est le parent pauvre de la recherche. C’est un espace-temps qui a été longtemps ignoré dans les travaux de recherche à l’exception de l’ouvrage d’Anne Cauquelin, La ville, la nuit, publié en 1977.
Qu’est-ce-qui explique cet oubli ? L’homme, animal diurne par excellence saisit cet espacetemps pour son repos. Et d’une manière générale, la nuit marque l’arrêt de toute activité. On peut ainsi parler d’une barrière temporelle biologique. De même, on peut parler de barrières morales, voire mystiques, surtout dans un contexte africain. Ainsi entend-on souvent : « la nuit c’est fait pour dormir » ou encore « gouddi am na borom » . Et dans le contexte particulier de la recherche, on peut évoquer l’absence de données sur cet espace-temps particulier. Cependant, depuis quelques années, l’étude de la nuit commence à émerger dans certains pays occidentaux.
Pourquoi s’intéresser à la nuit maintenant ? Les mutations sociales, spatiales et technologiques induites par le fait urbain ont balisé de nouveaux champs de recherche pour la géographie. En effet, on assiste de plus en plus à une « diurnisation » des nuits urbaines à travers le travail de nuit, les loisirs, le transport, etc. Des activités banales de la journée se déportent aujourd’hui en pleine nuit. Ainsi, la connaissance d’un milieu urbain ne peut plus se faire sans des éléments d’analyse nocturne. Cette réalité-là, n’est pas exclusivement occidentale mais s’applique partout où le fait urbain est d’actualité.
Au Sénégal, le fait urbain est le reflet de l’histoire et de l’économie. En effet, le premier tissu urbain sénégalais s’est constitué autour des grands centres de traite de l’arachide durant la période coloniale. Ces premières villes exceptées les quatre communes (Saint Louis, Gorée, Dakar, Rufisque), sont disséminées dans tout le pays le long du chemin de fer Dakar-Niger. Elles constituent alors le réceptacle des nouvelles mutations socioéconomiques et accueillent dès le début du 20e siècle des flux migratoires importants.
Cette situation va prévaloir jusqu’après l’indépendance en 1960. Cependant, le cycle de sécheresse et la baisse du cours des oléagineux dans les années 1970 vont entrainer une nouvelle recomposition sociale et spatiale du pays. Ainsi, le Sénégal sous l’impulsion du Fonds Monétaire International (FMI), identifie de nouveaux secteurs capables de « booster » son économie à travers la pêche et le tourisme qui vont par la suite dessiner la nouvelle urbanisation du pays. L’Etat fait alors du tourisme une priorité dans le 3e plan économique et social de 1963 à 1973. L’objectif de ce plan était de délocaliser le tourisme existant de Dakar vers la Petite Côte dont les plages et le climat présentent les atouts nécessaires au développement d’un tourisme de type international Saly Portudal, village de pêcheurs et d’agriculteurs, disposant d’une mer calme aux plages sablonneuses et de températures clémentes ainsi que d’une végétation importante à proximité de la plage, est choisi pour abriter la station balnéaire de la Petite Côte. Dès lors, Saly Portudal se singularise. En effet, le tourisme balnéaire axé sur le soleil, la plage et les loisirs a attiré de nouveaux habitants et conféré à la localité de nouvelles fonctions.
Ce changement de statut a induit un ensemble de mutations sur le plan spatial se traduisant par une recomposition du bâti. Cette recomposition du milieu n’est pas seulement spatiale mais aussi temporelle. Cet espace qu’est le » nouveau Saly Portudal », n’offre pas le même visage le jour et la nuit. En effet, la ville du jour est différenciée de celle de la nuit. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le tourisme a drainé avec lui de nouveaux habitants, venus avec leurs propres cultures, et loisirs. Ainsi, les loisirs nocturnes avec leur ensemble infrastructurel (bars, restaurants, discothèques) et leur corollaire ont fait leur apparition dans la ville. Il ressort de ce fait une réorganisation spatiale et temporelle de la ville suivant le jour et la nuit.
Saly Portudal le jour est une ville morne. Les principales activités tournent autour du commerce et du transport. Les touristes flânent à travers les artères de la ville à la recherche de commerces d’objets exotiques. Excepté les antiquaires, les rabatteurs et le ballet des voitures, rien ne distingue Saly Portudal des autres villes du pays. La nuit tombée, Saly Portudal se métamorphose en une autre ville, une nouvelle ville avec discothèques, bars et terrasses. Des éclats de rires, mêlés à de la musique sont perceptibles à travers les airs jusqu’au petit matin. Saly Portudal a fini de faire sa mue, elle reflète maintenant les différents apports migratoires et sociologiques qu’elle ne cesse de recevoir. Cela fait alors de Saly Portudal un pôle de la nuit composite qu’il convient de disséquer. On ne saurait parler de la nuit à Saly Portudal mais des nuits au regard de la multiplicité des usages nocturnes. La station touristique étant essentiellement vouée à la satisfaction des touristes, les loisirs constituent le moteur de la ville. Les infrastructures (bars, discothèques, restaurants) ainsi que les touristes de la nuit renseignent sur le dynamisme du secteur. Les loisirs, moteur de la station polarisent d’autres activités qui renseignent un peu plus sur les usages de la nuit parmi lesquelles le travail. En effet, les infrastructures et services nocturnes nécessitent une main-d’œuvre abondante. Ce qui fait donc du travail un secteur important dans l’univers nocturne.
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Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE REFERENCE
I. Problématique
II. Revue de la littérature
III. Le cadre conceptuel
IV. Le cadre opératoire
1. Variables et indicateurs
DEUXIEME PARTIE : LE CADRE DE L’ETUDE ET LA METHODOLOGIE
I. Statut et localisation
1. La zone d’étude
II. Le cadre humain
III. La méthodologie
1. La recherche documentaire
2. L’échantillonnage
3. Les enquêtes de terrain
4. Les outils de collecte et d’exploitation des données
5. Les difficultés
TROISIEME PARTIE
CHAPITRE I : SALY PORTUDAL : HISTOIRE D’UNE EVOLUTION
I. Le mythe de la création du village
II. Saly Portudal des origines à l’indépendance en 1960
1. Le peuplement originel
2. Saly Portudal des origines à l’essor du comptoir commercial
3. Saly Portudal : du déclin du comptoir commercial à l’indépendance en 1960
III. De 1960 à 1977, date de la création de la station balnéaire
IV. De la création de la station balnéaire en 1977 à la réforme administrative de 2008
1. Création et caractéristiques de la station balnéaire
2. Saly Portudal après la création de la station balnéaire
V. De la communalisation en 2008 à aujourd’hui
CHAPITRE II : SALY PORTUDAL, UNE VILLE HYBRIDE
I. Les aspects de l’urbanité
1. L’éclairage
2. Les infrastructures et services
II. Les aspects de la ruralité
1. L’agriculture et la pêche
III. Conséquence de l’hybridation
CHAPITRE III : SALY PORTUDAL, UN POLE DE LA NUIT
I. Saly Portudal, pôle du travail nocturne
1. La ville de garde
2. Le personnel des établissements festifs
3. Les activités prohibées
4. La ville dynamique ou la vie de relations
II. Saly Portudal, pôle du loisir nocturne
1. Les bars-restaurants
2. Les discothèques
III. La ville des marges
CHAPITRE IV : LA VIE NOCTURNE, FACTEUR DE MUTATIONS SOCIOECONOMIQUES
I- Les mutations sociales
1. La culture du loisir
2. L’importance de l’argent dans les rapports sociaux
3. Le développement du travail du sexe
II. Les mutations économiques
1. La création d’emplois
2. La création de richesses
3. L’essor du transport nocturne
III. Vie nocturne et nouveaux enjeux de gestion urbaine
1. L’élargissement de l’assiette fiscale
2. Le tourisme nocturne
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES CARTES
ANNEXES