La problématique
L’émergence constante de nouveaux secteurs d’activités influence par ricochet les organisations sociales et surtout les syndicats qui, pour la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, constituent des intermédiaires entre l’Etat et les travailleurs, entre les travailleurs et le patronat, et parfois même entre l’Etat et le patronat.
Le Sénégal n’est pas en reste dans cette prolifération des syndicats et des centrales syndicales (CNTS, CSA, UNSAS, CNTS/FC, etc.) et comme toutes les organisations syndicales, celles du Sénégal cherchent aussi à agrandir leur influence par la quête de la représentativité syndicale, le seul baromètre de classement. Cette notion de représentativité syndicale dont l’origine « doit être recherchée dans le traité de Versailles de 1919 qui a créé l’Organisation Internationale du Travail (OIT)», est régie par un certain nombre de conditions telles que l’importance des effectifs, les cotisations, etc. Cette quête d’influence, et surtout l’ingérence de la politique ont engendré des heurts dans les milieux syndicaux. Chaque centrale revendiquant une plus grande représentativité, gage d’importants privilèges tant au niveau national qu’international . Ceci a certainement motivé et suscité l’organisation d’élections de représentativité syndicale au Sénégal en avril 2011. A l’issue desquelles, la Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal (CNTS) est sortie largement victorieuse. Cette victoire fut très importante pour les membres de la centrale d’autant qu’ils se considéraient victimes de tentatives déstabilisatrices, dès l’aube de l’Alternance, par le gouvernement en place.
Ainsi, serons-nous tentés de nous demander quel est le poids du rapport entre la politique et le syndicalisme qui sont distincts et ont des domaines d’influence plus ou moins différents. D’une part, la politique gère les affaires de la cité et dans la cité vivent les travailleurs qui participent activement au fonctionnement de cette dernière. D’autre part, le syndicalisme gère les intérêts matériels et moraux des travailleurs qui sont une partie intégrante de la cité. Alors, les travailleurs sont gérés par la politique comme toute autre entité.
Dès lors, il s’affiche nettement que les syndicats ne peuvent pas se passer de traiter avec l’autorité dirigeante incarnée par la personnalité de l’Etat, et par la voie de la politique. Ainsi, démontra-t-il qu’« il est certain qu’à travers les syndicats, les citoyens prennent conscience de la vie politique et en acquièrent une plus juste connaissance». La politique est donc la liaison entre le pouvoir et les travailleurs. De là, « il est formellement établi que les rapports du syndicat et de la politique sont étroits ». Dans le cas de la « participation responsable » qui fait l’objet de cette recherche, ce rapport avait dépassé le seul cadre de liaison et d’intermédiaire. Car le mouvement syndical fut un acteur direct dans l’exécution des politiques concernant les travailleurs voire dans les autres secteurs de la nation.
RUPTURE DU CONSENSUS POLITICO SYNDICAL ET IMPLANTATION DE LA CNTS
Sous le sceau de la « reconstruction nationale », l’UNTS coopéra calmement avec l’Etat du Sénégal postcolonial. Mais l’évolution interne de la centrale syndicale et celle de la nation ont progressivement ébranlé « la coopération ». En effet, l’union syndicale concrétisée en 1967 par le ralliement de plusieurs courants syndicaux à l’UNTS et les événements de 1968 provoquèrent la décadence de « la coopération » entre l’Etat et la centrale. D’où, « après les graves crises sociales des mois de mai – juin 1969, le parti, dans une série de réunions et de rencontres, ouvrant un large débat sur les problèmes politiques et sociaux, s’engageait résolument dans la voie d’un redressement salutaire et durable ». Et « pour régner désormais sans partage, le gouvernement senghorien prend la décision capitale de dissoudre les syndicats et sur leurs restes de créer une nouvelle centrale de toute pièce, la CNTS ». C’est dans ce contexte de troubles socio-économiques, où le gouvernement cherchait à contrôler voire réprimer les syndicats hostiles à sa politique, que la CNTS, intégrée au pouvoir, a été créée et « la participation responsable » adoptée.
Par conséquent, à la politisation des syndicats se relaya une « partisation » du syndicalisme. C’est-à-dire, fusion totale de la CNTS avec le parti unique (UPS). Alors, « Au flirt de ‘la coopération’ succède le mariage de ‘la participation responsable’ » qui signifiait une intégration de la centrale dans le fonctionnement de l’Etat et dans les instances du Parti par une participation plus active. De ce fait, « l’intégration pure et simple de la CNTS à l’Etat et au parti unique en est une traduction ». Elle fut pleinement encadrée par l’Etat qui, déroula toute une stratégie pour son renforcement et sa subsistance.
FIN D’UN CONSENSUS ET CREATION DE LA CNTS
Les Etats africains post coloniaux ont presque tous tenté de contrôler le mouvement syndical. Ce dernier pouvait avoir une forte influence et exercer une pression sur le pouvoir étatique du fait de la forte implication de ses dirigeants dans la vie politique voire dans les appareils d’Etat, mais aussi du rôle qu’il a joué dans le combat pour la souveraineté. Ainsi, au lendemain des indépendances, le mariage fut effectif dans beaucoup de pays africains, sous le sceau de « la reconstruction nationale ». Dans ce sens, le montage de la Confédération Nationale des Syndicats du Mali (CNSM), « née en 1960 à la suite de la création de la Fédération du Mali est assez significatif de la volonté des nouveaux dirigeants de circonscrire le syndicalisme dans un carcan étatique ». Mais, son espérance de vie fut écourtée par l’éphémère fédération du Mali.
Plus tard, au Sénégal, une collaboration politico-syndicale ficelée entre l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) et l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal (UNTS) fut mise en place en 1962. Cette collaboration, matérialisée par la présence de la centrale syndicale à tous les congrès du parti avec voix consultative et l’entrée des membres de son Bureau national au Conseil national de l’UPS élu tous les deux ans par le congrès ordinaire du parti fut effective après 1964 . Malgré cette symbiose, « la collaboration » s’ébranla progressivement et la rupture fut consacrée dans le temps. Une nouvelle coalition plus étroite et plus stricte entre, l’UPS et la CNTS nouvellement créée, voit le jour.
Le déclin de « la coopération »
« La coopération » scellée depuis les années 60 entre la force politique et la force syndicale a été rompue en 1968 sans déclaration de principe par voie de fait. Mais, avant d’arriver à terme, elle avait subi des mutations pour devenir une « coopération renforcée » en 1966. Plus tard, l’intégration d’autres syndicats d’idéologies différentes au sein de l’UNTS lui octroya un caractère révolutionnaire et une force suffisante pour faire face à l’Etat et rompre progressivement le cordon de « la coopération ».
Les premières revendications et l’unité syndicale
Au Sénégal, l’interconnexion entre la politique et le syndicalisme incarnée par l’UPS et l’UNTS n’était pas sans danger, car toute crise politique ou syndicale influait directement sur l’une ou l’autre formation. Ce fut le cas lors des crises politiques majeures de 1960 (éclatement de la Fédération du Mali), où l’UGTAN-orthodoxe fut dissoute, et celle de 1962 qui opposait Léopold Sédar Senghor à Mamadou Dia. A la suite de cette crise, les divergences syndicales au sein de l’UNTS surgirent et s’affichèrent ouvertement.
L’UNTS entretenait de bonnes relations avec le parti et le gouvernement du président Senghor, mais elle était gangrénée par des crises internes dues à plusieurs facteurs tels les « querelles de personnes, l’affiliation internationale, la fidélité à la Confédération Syndicale Africaine (CSA) . Ces divergences qui s’aggravèrent après la crise politique de 1962 qui avaient mis à nu des incompatibilités doctrinales, provoquèrent des scissions au sein de la centrale. Ainsi, « Le congrès du 26 mai 1963 fut l’occasion de la rupture au sommet » où les deux centrales, l’Union Générale des Travailleurs du Sénégal (UGTS) et la Confédération Nationale des Travailleurs Croyants du Sénégal (CNTCS) sortirent de l’union syndicale et retrouvèrent leur autonomie.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RUPTURE DU CONSENSUS POLITICO SYNDICAL ET IMPLANTATION DE LA CNTS
CHAPITRE I : FIN D’UN CONSENSUS ET CREATION DE LA CNTS
I- Le déclin de « la coopération »
II- Une détente fragile
III- Les événements de 1969 et la création de la CNTS
CHAPITRE II : LA CNTS ET SES DISPOSITIONS
I- Organisation de la CNTS
II- Les revendications de la CNTS
III- Les relations extérieures
CHAPITRE III : LES MESURES PRISES POUR LA RECONQUETE
I- Décisions politico institutionnelles
II- La reconquête des entreprises et la chasse aux « sorcières »
III- Regroupement des forces sociales de l’UPS
DEUXIEME PARTIE : DE LA PARTICIPATION RESPONSABLE AU RENOUVEAU SYNDICAL
CHAPITRE I : NOUVELLE DYNAMIQUE DE PARTENARIAT
I- La « participation responsable »
II- Structuration et application de la « participation responsable »
CHAPITRE II : CRISE DE LA POLITIQUE SYNDICALE ET RESTRUCTURATION DES RAPPORTS ENTRE CNTS/UPS
I- Les crises de la « participation responsable »
II- Les débuts de l’ouverture politique
CHAPITRE III : MARCHE VERS LE « RENOUVEAU SYNDICAL »
I- L’affrontement frontal
II- L’influence des changements politiques et des réformes
III- Le triomphe du « renouveau » comme nouvelle dynamique
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE