Rupture de la continuité : « une idée d’entre les images »

Continuité impossible, un raccord faux ?

Éprouver la sensation de durée

Au fil de l’histoire du cinéma, des conventions ont été établies entre les créateurs de film et les spectateurs de cinéma pour rendre intelligible une succession d’événements en mettant (dans la plus grande majorité des cas) tout un pan du temps dans une ellipse. Il est nécessaire de constater que ces conventions trouvent leur origine dans la transposition d’une temporalité ressentie par le spectateur hors du film au sein du film . C’est-à-dire qu’il puisse imaginer que ce qu’il regarde se transforme dans un temps sensiblement similaire au sien.
La continuité de cette temporalité est la caractéristique indispensable pour qu’il puisse recomposer la succession qui lui est proposée. Cet accord tacite entre le réalisateur et le spectateur va lier les plans en les disposant sur une droite à partir de laquelle la narration va pouvoir se déplacer (permettant flash-back et flash-forward).
Bien qu’il existe des exceptions, la plus grand majorité des films contiennent ce principe.
Il est nécessaire de distinguer la continuité du temps et la durée. Cette continuité serait permise par l’acceptation théoriqued’un « Temps impersonnel et universel » qui, selon les mots de Bergson, « a beau se prolonger sans fin du passé à l’avenir : il est tout d’une pièce ». Il poursuit ensuite par « les parties que nous y distinguons sont simplement celle d’un espace qui en dessine la trace et qui en devient à nos yeux l’équivalent ; nous divisons le déroulé, mais non pas le déroulement. »
Ainsi il est impossible de saisir le temps en train de passer, nous ne pouvons qu’imaginer une droite que nous analyserions à loisir. En mathématiques, une droite est continue et s’étend à l’infini.
La durée est un segment sur cette droite, dont les valeurs sont définies par la personne qui en étudie les caractéristiques.
Au cinéma le temps diégétique, si la convention de transposition de la temporalité de l’homme au sein du film est avérée, s’étend de la même façon « sans fin du passé à l’avenir ». Le temps du film quand à lui est fini, il peut être aussi long que l’histoire racontée (L’Arche Russe de Alexandre Sokourov fait même concorder le temps du récit et le temps du film). Il est une agrégation de durées(celles des plans composants le film) qui sont des segments de ce Temps impersonnel dans lequel se meuvent les personnages.
Ces durées sont relatives au rapport entre la cadence de prise de vue et la projection.
En cela, elles peuvent faire éprouver au spectateur des écoulements différents, une même action peut voir sa durée doubler ou au contraire, elle peut être accéléré e. « Le cinémacrée, comme en se jouant, ces mondes qui paraissent inimaginables et où les vitesses du temps sont vingt mille fois plus lentes ou cinquante mille fois plus rapides que celles de nos horloges.» Ainsi en tant que spectateur de cinéma nous sommes forcés de nous adapter à ces variations d’écoulement du temps.
Il est dès-lors possible d’envisager un film reliant des temporalités incompatibles tout en continuant à en apprécier les durées indépendamment les unes des autres. Le spectateur de cinéma est en mesure d’interpréter un plan pour lui-même, d’ajuster à chaque transition un référentiel qui lui permettra de poursuivre sa compréhension du mouvement, qui est nécessairement déterminé par une image (l’espace représenté sur la surface de l’écran) et une durée interne au plan, ce qui permet d’obtenir l’image mouvement de Gilles Deleuze.

La continuité : les règles de montage dans un système classique

Après une période primitive du cinéma, plusieurs façons de « construire » le propos filmique se sont développées. Ces constructions ont ouvert de nouvelles voies pour complexifier l’expression cinématographique. Ce que nous avons vu avec Noël Burch et les différents rapports entre le plans est le fruit de ces découvertes faisant qu’un plan entre en relation directe avec ceux qui le précèdent et le suivent.
Ainsi, à partir de 1908 aux États-Unis se développe une nouvelle forme d’expression privilégiant l’aisance de lecture et la narration dans laquelle tout les plans « maintiennent des directions de mouvement cohérentes, [rendant] la géographie de l’action totalement compréhensible » . Cette forme utilise le principe de continuité et de progression narrative (qui requiert la transposition du Temps en un Temps diégétique). À l’avènement d’Hollywood, elle va succéder à celles qui proposaient des séries de tableaux et des scènes de théâtre filmé. Cette forme est issue de recherches formelles intenses de la partde réalisateurs comme Porter et Griffith. Très vite, on découvre qu’il est possible de « couper » le personnage tout en sachant que cela est déterminé par le point de vue, et que ce premier garde une intégrité elle aussi conventionnelle.

Le moment, une dérivée du mouvement

Nous avons vu que pour permettre la fluidité d’une transition il était nécessaire de s’appuyer sur les mouvements, ce sont eux qui ouvrent les possibilités de raccords.
Ces derniers sont difficiles à analyser. Il est possible de les décrire (« Le personnage pose un verre sur la table »), mais en réalité, nous ne savons rien de la vitesse à laquelle le personnage exécute l’action, le parcours exact dans l’espace de son geste est schématisé selon l’imagination de celui à qui est décrit l’action. Cependant le mouvement peut être décomposé. En esthétique, il est jalonné par des moments qui sont à distinguer des instants en cela qu’ils ont « une durée, bien que très courte ».
Dans son Vocabulaire d’esthétique, Étienne Souriau distingue six moments différents.
Deux sont des éléments constitutifs du mouvement, ils le déterminent. Ce sont les moments essentiels et les moments secondaires. Les moments essentiels permettent d’obtenir « les cadres, les étapes principales » par lesquelles le mouvement passera dans le temps. Les moments secondaires(ou intermédiaires) sont, quant à eux, situés entre les moments de la première catégorie et permettent « la continuité ».
Les moments esthétiques sont des moments secondaires « aux lignes particulièrement harmonieuses ». Les moments caractéristiques sont des moments essentiels n’appartenant qu’à un seul mouvement.
Enfin, il y a les moments n’existant pas dans la réalité mais malgré tout représentés. C’est le cas du moment suggestif. Ce moment est « faux mais sans équivoque et permet une identification immédiate ». Le moment psychique est « une création de l’esprit juxtaposant dans un même personnage des moments qui se sont en réalité succédés dans le temps, ou des angles de vue différents ».
Les auteurs précisent que « c’est surtout l’impression générale du mouvement qui compte, et le moment, réel ou imaginaire, est artificiellement isolé par la pensée dansla continuité du mouvement. »
Le moment étant le fruit de la pensée il peut être pris, dans le cas de l’étude d’un film à différentes échelles. Le moment peut être inclus dans un mouvement à l’intérieur d’un plan, pour un plan ou même à l’échelle d’une séquence en tant qu’elle est un mouvement du film.
Le montage étant subordonné au mouvement dans le cas d’un système de continuité, il est nécessaire que la coupe entre un plan « A » et un plan « B », non liés dans le temps, l’espace et le contenu, se trouve à deux moments essentiels des mouvements respectifs des plans. À l’inverse, pour faire un raccord de gestes, il est nécessaire, pour permettre une fluidité maximale, que le raccord soit fait dans un moment secondaire du mouvement, là où la course est la plus ample

Un mouvement interrompu

Si le montage refuse sa subordination au mouvement, en n’utilisant pas les moments-portes qui lui sont proposés, il en résulte, lorsque l’on se trouve dans le système classique, un effet de saute qualifié de«faux raccord ». La fluidité est rompue, le spectateur doit réajuster son regard après la césure. Nous avons vu que l’image-mouvement était le modèle proposé par Deleuze pour qualifier les fragments servant au montage par continuité. Il serait un peu réducteur d’associer tout plan issu d’un raccord remettant en cause la continuité à une image-temps. Le lien de subordination entre le mouvement et le temps ne s’en trouve pas nécessairement inversé. Lors d’un jump cut précipitant le déplacement d’un personnage dans l’espace , un instant de l’action est occulté, mais le lien entre le mouvement mis en ellipse et le temps requis pour l’effectuer existe toujours. Il est recomposable dans l’esprit du spectateur. Cependant, « cette façon de creuser un trou dans le temps d’un corps qui néanmoins continue à vivre, suffit généralement à casser l’impression de réalité. »
Par impression de réalité il faut entendre que cet accord faisant du temps filmique une reproduction fidèle du Temps ressenti par le spectateur hors film est rompu. Dès lors le film se construit sur un autre modèle que celui proposé par l’univers entourant le spectateur. Ce changement de registre peut être une volonté de la part du cinéaste de signaler au spectateur l’entrée dans un nouvel univers, ne répondant plus aux caractéristiques connues . Le rêve et le souvenir peuvent être manifestés au sein d’un film par la même mutation ponctuelle de la forme.
The Tree of lifeest un film dont la plus grand partie est une gigantesque image mentale du personnage se remémorant son enfance et son adolescence à Waco. Nous pourrions alors cantonner la figure que nous étudions à une manifestation intempestive d’une recombinaison d’images issue de la pensée volatile du personnage. Cependant on constate que cette figure se retrouve aussi au « présent », lorsque Jack est adulte. En réalité la figure parcourt tout le film indépendamment de la temporalité ou l’univers de représentation dans lequel nous nous trouvons.
Manifestement The Tree of lifene met pas en place une continuité issue d’un accord tacite entre le spectateur et le réalisateur. Les «faux raccords » abondent. Le film semble trouver sa cohérence grâce à ces figures de rupture. Sans trop précipiter la réflexion, The Tree of life semble appartenir, à première vue, à la dernière catégorie (celle du montage des correspondances), mais conserve quelques caractéristiques du montage narratif, notamment lors des scènes de repas. Cela accompagne un alourdissement général dû à l’autorité du père.

Ambiguïté du jump cut, la continuité sous-jacente

« C’est toutefois sur sa violence de hiatus que la saute temporelle a fondé sa plus noble justification. Au premier chef, en heurtant le bon sens : comment, dans la fluidité du regard continu, la réalité peut-elle se briser soudain ? »
D’un raccord de discontinuité, lorsqu’il est le plus frontalement ressenti par le spectateur, résulte une secousse déconcertante. Pourtant il revêt certains caractères paradoxaux qui vont à l’encontre de l’idée selon laquelle « nous nous retrouvons là, déconcertés, au bord d’un vide dans la texture même de l’espace-temps. »
La phrase est juste, mais une fois le précipice du sens franchi, il s’opère un phénomène qui tend à joindre les deux plans en une entité nouvelle.
Curieusement, la continuité impossible manifeste entre deux plans peut-être rapprochée du gros plan tel que le conçoit Deleuze car les effets qu’elle provoque se rapproche de ceux décrit par l’auteur: « Comme Balazs le montrait, le gros plan n’arrache nullement son objet à un ensemble dont il ferait partie, dont il serait une partie, mais, ce qui est tout à fait différent, il l’abstrait de toutes coordonnées spatiotemporelles,c’est à dire il l’élève à l’état d’entité. »
Le raccord de discontinuité peut ménager une suspension au sein du film, ou au contraire accélérer le flux de perception (comme dans la célèbre séquence du cassage de l’assiette du Cuirassé Potemkine). Il élève le plan à l’état d’entité. Plus encore, il y a effectivement, de la même manière,une «mutation du mouvement, qui cesse d’être une translation pour devenir expression.»
En enrayant la continuité, il change la nature du plan. Plus précisément, le jumpcut remet en cause la durée et les limites du plan. La même composition, réactualisée avec une variation du temps, associe l’avant et l’après par une continuité spatiale parfaite. Cela provoque une confusion dans l’interprétation du spectateur.
Dans À bout de souffle, le discours de Ferdinand se poursuit en dépit des sautes. Le sens de ses paroles se prolonge au-delà de la coupe et lie l’ensemble dans une nouvelle unité. La tirade va agir au-dessus des coupes et les estomper en quelque sorte. La durée éprouvée s’en trouve modifiée puisqu’en se réajustant nous poursuivons un cheminement de la pensée. Par sa nature même, le jump cut fait entrer les plans en résonance. L’effet est double, il est à la fois vecteur de distinction et de liaison.

Le masquage par distraction

Une discontinuité révélée à rebours

Nous avons vu que la « continuité impossible » pouvait se révéler lors de la succession de deux plans. Néanmoins, il est des cas où l’impossibilité se révèle plus tard. C’est-à-dire que le spectateur est en mesure de construire une suite logique, comprise dans un flux temporel intelligible, avant d’être rattrapé par un indice qui remet en cause le modèle qui s’était construit de la séquence. C’est ce que Noël Burch appelle un raccord à appréhension retardée. «Le déroulement du plan B (ou même un plan ultérieur) peut nous révéler, à retardement, qu’il appartient à une tout autre catégorie, soit dans l’espace soit dans le temps, soit dans les deux » . Pour rester dans notre terminologie, nous appellerons ce phénomène une saute indirecte (bien que le sens reste le même), car il se produit le même phénomène de discontinuité, mais la saute est rendue plus fluide par l’insertion entre les deux plans incompatibles pour une continuité d’autres plans. Cette saute est permise par un masquage de l’incompatibilité.
Il ne faut pas entendre incompatible dans un sens péjoratif. Au contraire, dans le cas de The Tree of life, cela produit un effet qui dévoile un trouble filmique transmis au spectateur. Nous sommes confrontés à une ellipse indéfinie. Il est impossible de replacer sur une ligne de temps la «succession » nécessaire pour qu’un personnage aille d’un point « A » à un point « B ». Nous voyons que par des conventions de montage « classique » (le raccord regard) il est possible de générer des espaces paradoxaux qui voient les personnages à plusieurs endroits dans des temporalités qui devraient pourtant cloisonner des positions. Le raccord ouvre des possibilités nouvelles et non définies. Le propos de Noël Burch était dès-lors prophétique : «Mais d’autres possibilités pourraient naître de la non-résolution de ces raccords « ouverts ».
Ce serait un cinéma dont la matière première serait l’ambiguïté même, où l’espace « réel » serait constamment remis en question, où le spectateur ne pourrait jamais s’orienter. »
Cette désorientation est omniprésente dans le film. Elle est permise par une forme particulière transposant la narration dans un système d’assemblage thématique. Il est le fruit d’un montage de correspondances tel que Vincent Amiel le conçoit. Mais plus précisément, disons qu’il s’agit de faire entrer en résonance deux plans liés par une idée forte, ce qui peut correspondre à un effet de rime de sens. L’assemblage forme une série dont les liaisons génèrent une chaîne de raccords par correspondances en cela que les rapports s’établissent de proche en proche.
Le tissage de sens par un assemblage thématique des plans confond le spectateur dans un univers visuel sans qu’il ait a priorià se préoccuper de la continuité (puisque l’on se trouve dans un système différent). Cependant, un raccord thématique appelle le montage à associer des idées, à créer des ponts de sens entre les deux images associées. La saute intervient lorsque nous raccordons sur une composition trop proche dans le temps et dans l’espace pour que le sujet change et que se crée une nouvelle idée entre deux images. Le plan est même renvoyé à lui-même et c’est dans les minimes différences qu’il faut chercher le sens. Le raccord fonctionne non plus par fusion mais par différence. Le changement de lecture se trouve là, dans la brusque variation d’expression, provoquant la discontinuité. Les opérations de produit mutent instantanément en soustraction.

Masquage par jeu de hors-champ

Le raccord à appréhension retardée, lorsqu’il remet en cause la continuité peut être dissimulé par le cache du hors-champ. La séquence que nous nous proposons d’étudier pour ce cas s’ouvre sur un mouvement de caméra nous approchant de la maison des O’Brien. Puis nous raccordons dans la chambre des enfants. La mère remonte le store, c’est le matin. Dans le plan suivant Ms O’Brien a des glaçons dans les mains et, pour « taquiner » son fils, les applique sur la plante de ses pieds révélés par la couverture soulevée en hâte.
La transgression de montage est flagrante. Le raccord propose une similitude de composition mais la mère qui avait les mains vides tient maintenant des glaçons.
Elle a pu aller les chercher dans l’ellipse. De la même manière, l’action se trouve accélérée quand elle va mettre des glaçons sur le cou de son fils, il y a eu un déplacement rendu instantané par un raccord. Le procédé supprime littéralement une partie du mouvement opéré par le personnage. C’est après un jump cut sur le visage de la mère qui vraisemblablement récupère les glaçons sur le lit (son fils a bondihors de ce dernier dans le plan précédent), qu’un mouvement de caméra (avec unjeu de découverte du hors-champ) nous fait comprendre que Jack est toujours dans le lit.
Nous pensions avoir fait un bond en avant via un hiatus, mais nous sommes brusquement renvoyés en arrière.
Cette discontinuité n’est pas frontale dans la mesure où le hors-champ ménagé avant la révélation fluidifie cette première. Pourtant le mouvement de caméra, qui a valeur de continuité au sein du plan annonce l’incompatibilité des deux images que nous avions d’abord interprétées comme étant sur une même ligne de temps. Il est difficile de concevoir que nous soyons en flash-back parce que la séquence suit un processus logique de stimuli (l’application des glaçons sur les pieds) et de regard réprobateur. Nous pouvons alors considérer ce raccord comme un rapprochement de deux journées différentes. Cependant nous nous trouvons peut-être plus dans une recomposition de la part du Jack adulte qui ne parvient pas à trancher entre deux solutions (« j’étais sorti du lit/j’étais dans le lit »). En montant de la sorte les deux événements incompatibles, on force la liaison entre eux (par le fonctionnement à rebours) et il y aacceptation les deux possibilités.

Masquage par faux contrechamp

La séquence qui suit présente les enfants en ville. Nous les voyons tout d’abord seuls, ils traversent la rue et après avoir croisé un homme probablement alcoolisé, ils imitent sa démarche incertaine. Le plan suivant s’apparente à un contrechamp où nous ne voyons ni la voiture rouge avec laquelle ils sont venus, ni le malheureux qu’ils ont croisé. Mais c’est dans le plan qui suit que le doute s’installe pour de bon.
Les enfants sont hors-cadre et un homme avec un handicap moteur s’approche. La mère entre dans le champ et va à sa rencontre, elle est suiviepar Jack et l’autre frère.
Il y a dumimétisme entre les démarches des enfants et celle de l’homme, ce qui concorde avec l’idée de la chaîne de raccord. Leur attitude change, ils se sentent coupables, ils se retournent à plusieurs reprises pour observer encore l’énigme à laquelle ils sont confrontés : l’homme aviné et l’homme handicapé marchent de la même façon, mais l’un par un effet de sa volonté, l’autre indépendamment de cettedernière.
La lumière est sensiblement la même et pourtant les vêtements ont changé. Le montage amène à penser que l’on se trouve dans la même journée et pourtant nous ne pouvons nous y résoudre à cause du changement vestimentaire. La faute de raccord n’est certainement pas à rejeter sur la/le scripte, parce que l’on retrouve tout au long du film le même type de « faute ». Nous pouvons penser que Terrence Malick s’en est affranchi, ou même l’a utilisé pour multiplier les possibilités de temps alors que l’action semble s’exécuter dans un même mouvement.

Le masquage par faux raccord regard

Ensuite, juste un regard de l’un des enfants vers le hors-cadre nous amène dans un probable contrechamp en réponse. Des hommes menottés sont installés dans des voitures de police. Mais la position de la famille O’Brien dans l’espace ne concorde pas. Ils étaient sur le trottoir et ils se trouvent ensuite sur la route et se dirigent vers le trottoir. De plus la mère a maintenant une robe verte (elle portait une robe blanche dans les plans précédents). L’impossibilité rejaillit à nouveau. Jack substitue des couleurs pour d’autres, les personnages opèrent des translations dans l’espace, les actions sont discontinues. Le raccord sauté dans ce cas fonctionne à nouveau à rebours, et il est cette fois masqué par la continuité du raccord regard (raccord classique de montage) avant d’être révélé par les plans suivants. Le raccord révèle la discontinuité de la recomposition des événements générée à partir des souvenirs de Jack adulte.
Le masquage, à l’instar des chaînes de raccords, permet de recréer des continuités qui devraient être a priori incompatibles mais qui, soutenues par les caches ou le système de chaînes, se concrétisent.

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Table des matières
Introduction
I. Rupture de la continuité : « une idée d’entre les images »
1. La charge d’un plan
a) Des rapports entre les plans
b) La caméra-potentiel
c) Variations de charge
d) Étude de cas : une séquence de The Tree of life
2. Continuité impossible, un raccord faux ?
a) Éprouver la sensation de durée
b) La continuité : les règles de montage dans un système classique
c) Le moment, une dérivée du mouvement
d) Un mouvement interrompu
e) Ambiguïté du jump cut, la continuité sous-jacente
3. Le masquage par distraction
a) Une discontinuité révélée à rebours
b) Des chaînes de raccords : interaction forte du film
c) Masquage par jeu de hors-champ
d) Masquage par faux contrechamp
e) Le masquage par faux raccord regard
II. Mouvement elliptique, les trois circuits
1. Précipité horizontal : une picnolepsie
a) Le soubresaut dans le raccord
b) Avancer par à-coups : le père dans l’usine
c) Avancer par à-coups : Jack-automate et le cric envisagé
d) Clignement de conscience
e) Moments occultés et mises en exergues
f) Précipité horizontal
2. Précipité vertical : implosion
a) Deleuze et la série « intensive »
b) Séries intensives descendantes
c) Une variation à partir de la série intensive : la culpabilité
d) Précipité vertical
3. Précipité en étoile : explosion
a) L’indétermination de l’action
b) Série intensive ascendante : série effervescente
c) Une variation autour de la colère et de l’évaporation de la pensée
d) Précipité en étoile
III. Le raccord sauté : une figure de la réconciliation
1. Télé-structure : Des « mouvements cinématographiques »
a) Une narration au service de séquences thématiques
b) Une séquence caractéristique de The Tree of life : le départ du père
c) Structure de The Tree of life
d) Rimes visuelles
e) Musicalité du film
2. Des séquences jaillissantes ou articulées
a) La cruauté des enfants, une séquence jaillissante
b) La réconciliation avec le père, une séquence articulée
c) La dispute après le repas, une séquence qui tend de l’articulation au jaillissement
3. L’acmé du mouvement
a) Le moment et le mouvement recomposé
b) Jack et le mouvement de l’âme
c) L’initiation à la boxe par le père
d) La danse de la mère
e) Donner à voir un état de grâce
Conclusion
Corpus
Résumé de The Tree of life de Terrence Malick
Fiche Technique
Bibliographie

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