Rompre avec l’absurdité du monde

Un pouvoir oppressif

Le gouvernement et l’armée

C’est d’abord le pouvoir politique qui est remis en cause, notamment dans l’An 01. Le pouvoir politique est celui de l’État, représenté dans l’oeuvre par des généraux, un membre du gouvernement et son conseiller. Il s’agit de l’exercice de sa souveraineté lui permettant de mettre au point des règles et de les appliquer sur son territoire. Deux de ses aspects sont critiqués : sa légitimité reposant sur la violence, et son système de gouvernance passant par la représentativité. Le pouvoir est pris au dépourvu par les révolutionnaires de L’An 01 dont les modalités d’actions sont complètement inconnues. Ses moyens de communication sont subvertis, et ils passent d’instruments de transmission de la parole du pouvoir à relais de la volonté d’arrêt de la société : ainsi, les journalistes radio refusent de continuer leur travail après le mardi 15 h, et la télé est « hacké » pour diffuser un document vidéo d’explications et de propagande pour l’an 01. Ces rébellions renvoient à une scène de discussion, postérieure à l’arrêt, dévoilant l’absence de confiance des citoyens envers leurs médias, décrits comme n’étant pas faits pour eux. Le gouvernement n’est ainsi plus écouté, sa communication comme sa propagande étant complètement bloquées. Une autre scène montre un responsable politique, peut-être un ministre, discuter avec son conseiller des modalités d’actions possibles pour contrer la révolte. Ce dernier s’interroge sur l’impuissance du pouvoir à réagir en raison du caractère inédit de ce qu’ils affrontent : « comment arrêter un arrêt ? ». Puis le ministre demande des informations sur « les meneurs, la tête, les théoriciens », s’étonne de ne jamais en entendre parler et de la raison pour laquelle les services de police et de renseignement n’ont pas fait leur travail.
Le conseiller répond alors que c’est parce que tout le monde est pour l’an 01, que ça prend « comme une mayonnaise ». En d’autres termes, le pouvoir politique ne peut comprendre un mouvement sans chef, sans hiérarchie, parce qu’il ne peut comprendre quelque chose qui est structuré différemment et fonctionne sur des principes alternatifs,ici l’absence de hiérarchie et la spontanéité. Ayant épuisé ses moyens de réplique connus, l’homme politique propose en dernier recours de lancer une guerre par le biais d’une mobilisation générale. Mais là aussi les révolutionnaires ont pris les devants en ironisant sur le concept, placardant des « Arrêts de démobilisation générale » dans tout le pays pour préparer les gens au changement. Ils ont tourné en dérision la guerre, et ce faisant en empêchent le déroulement puisque personne ne consentirait plus à la faire.
Tous les symboles de l’armée sont d’ailleurs moqués : au moment de l’arrêt, un général était conduit par son chauffeur. Une fois quinze heures sonné, le conducteur quitte son siège et informe la foule de la qualité de son passager : celle-ci s’agglutine alors autour de la voiture pour l’observer. L’officier n’a ainsi plus de pouvoir, plus d’autorité : il est devenu une figure du passé et il est moqué (« Ho, un général… c’est beau… »).
C’est par ce même corps de métier qu’est démontré le refus du deuxième levier du pouvoir, la représentativité. Rappelons que le régime représentatif est un régime politique qui octroie à une assemblée le pouvoir de représenter la nation, celle-ci devant alors faire tampon entre le peuple et les gouvernants pour en faire remonter les problèmes et demandes. Cette solution est mise en scène dans une caserne militaire où un lieutenant vient essayer de récupérer ses soldats qui participent à l’arrêt. Il leur propose alors une « contestation efficace et réaliste » et de se faire « [leur] avocat honnêtement » s’ils lui confient « ce qui ne va pas ». À cette proposition répond un éclat de rire généralisé qui le voit, outré, quitter la caserne. On voit ainsi un rejet d’une forme de représentativité, les soldats n’ayant aucune revendication puisqu’ils décident de ne plus obéir à personne. Sans police ni légitimité pour se maintenir, cette dernière scène sonne le glas du pouvoir politique des gouvernants qui sont désormais absents de tout le reste du film.

La police

Le pouvoir coercitif représenté par la police est au centre de Themroc. Celle-ci y maintient l’ordre social et moral, s’il le faut avec violence. C’est ainsi des policiers qui, lors de leur première apparition, vont tenter d’embarquer la soeur de l’ouvrier, au motif implicite qu’elle est nue et inactive en pleine rue. Elle enfreint en effet deux règles implicites de la société mises en scène dans l’oeuvre. La première est que le domaine de la femme est l’ univers intérieur et domestique, et qu’elles ne peuvent être à l’extérieur sans motif valable, sous peine de punition. C’est d’ailleurs ce qui arrive à l’une des habitantes de l’impasse, battue par son mari dès qu’elle sort de sa maison ou regarde par la fenêtre. Sa deuxième offense est que sa demi-nudité contrevient aux interdits moraux en vigueur (représentés par la mère). Face à la résistance de Themroc qui expulse violemment les policiers de l’impasse, ils reviennent équipés pour mater sa révolte. Leur arrivée est précédée de celle des journalistes qui viennent interroger la mère de l’ouvrier et les habitants. La maréchaussée commence par les dégager en les poussant. Le pouvoir ne veut pas qu’on le voie tel qu’il est, il cache sa nature violente. Cette action a aussi une valeur extra diégétique : quand le policier empêche le journaliste de filmer, il met sa main devant l’objectif de la caméra (Fig. 1). Ce plan est filmé du point de vue intradiégétique de la caméra obstruée : c’est ainsi également le spectateur que le policier empêche de voir.
La suite des évènements nous fait comprendre les raisons de ce refus. La police commence en effet à vouloir déloger Themroc à mains nues : cela échoue face à la force physique supérieure de l’ouvrier et sa position surplombante lui donnant l’avantage. Les forces de l’ordre augmentent alors leur force de répression en ayant d’abord recours à des grenades lacrymogènes, puis à une mitraillette lourde. Malgré la démesure des moyens déployés, ces deux instruments se révèlent complètement inefficaces face à l’ouvrier et à Rocthem – une habitante de l’impasse l’ayant rejoint. Alors que les essais successifs de la police se soldent par des échecs, les policiers commencent à repousser violemment les habitants de l’impasse qui, pourtant, ne font rien d’autre que d’observer.
Tout d’abord ils les poussent, parfois de manière assez violente. Puis l’un des policiers, Fig. 1 s’étant pris deux claques par Themroc, commence sans aucune raison à frapper un des jeunes de l’impasse. Il le pousse, le moleste, puis le jette à son père en le tenant par les cheveux, ce dernier le récupère et le poussant dans sa maison. Une coupe sur le visage de l’officier dirigeant l’opération nous le montre souriant face aux exactions de son homme : cet acte n’engendre ainsi pas de sanction, l’attitude du policier semblant validée par son supérieur. À cette violence se rajoute une séquence où on voit d’autres membres des forces de l’ordre essayer de violer une jeune fille dans une cage d’escalier. Par la suite, nous les voyons se déplacer en fourgon de nuit pour ramasser des badauds, effectuant une maraude au sein de l’explicite « Quartier des Arabes ». Ayant ramassé une personne âgée et une femme aux atours de prostitués, on voit les policiers se livrer à des activités obscènes pour s’amuser, en embrassant sans son consentement la femme et en essayant de faire advenir la même chose entre elle et le vieil homme. Ce ne sont donc pas des individus aux intentions bienveillantes. Leur rôle de contrôle social est affirmé par cette tentative de mater la révolte de Themroc et cette mise en scène de leurs virées nocturnes : ce sont effectivement des gardiens de l’ordre, celui qui est néfaste aux ouvriers. Après leur échec, ce sont des maçons qui iront refermer les murs éventrés par l’ouvrier pour construire son abri. C’est donc bien une forme de pouvoir qui vient sans cesse interférer avec cette révolte pour l’empêcher de s’étendre en tentant une première fois de la détruire, une deuxième de la contenir. La police prend donc ici les atours d’une institution violente, dont les membres agissent telle une meute enragée prête à tout pour maintenir l’ordre social. Au sein de notre corpus, le pouvoir apparaît donc toujours actif pour venir enrayer ce qui le remettrait en cause, si besoin en usant de violence contre les contrevenants, même pacifistes.

Le pouvoir patronal

Le pouvoir patronal, et notamment sa légitimité, subit une large remise en question au sein du corpus. La scène inaugurale de L’An 01 permet d’en poser les jalons. Deux hommes attendent le train sur un quai de gare et discutent. L’un d’eux, joué par Gérard Depardieu, demande à l’autre les raisons l’ayant amené à ne pas monter dans le train précédent. Celui-ci lui répond, penaud, qu’il n’a pas eu envie d’y monter.
Ils prennent alors la décision de ne pas entrer dans celui qui arrive, de ne pas se rendre au travail. Ils sont désormais assis sur un muret, derrière la gare. L’un remarque que ce qu’ils font, refuser d’aller au travail, ils ne risquent au fond pas grand-chose à le faire, il affirme même qu’« Ils ne vont pas nous mettre des gifles ». Depardieu renchérit : « On devrait leur dire, vous êtes trop grands pour prendre des gifles et des coups de pied au cul ». Le pronom « Ils » désignent les donneurs d’ordres et « leur » les ouvriers, leurs semblables. Les deux personnages posent ici deux éléments caractéristiques de leur relation au travail : la crainte d’une répression physique, et l’affiliation du pouvoir patronal à la figure paternelle.
Le patron, c’est le père. Cette analogie sert de principe de base pour remettre en cause son autorité : en effet, le pouvoir paternel n’a vraiment de sens et de légitimité qu’envers un enfant, et en particulier le sien. Or les travailleurs sont adultes, et cette prise de conscience inaugurale est comme l’étincelle qui mène à la révolte. De plus, les personnages mettent en jeu la faiblesse des moyens coercitifs à disposition des patrons : ces « coups de pied au cul » ne sont pas dangereux en soi, c’est une peur irréfléchie, instinctive, et non une contrainte concrète et dangereuse. D’autres scènes du film nous montrent que le père n’est pas une figure positive. Que ce soit le lieutenant de la caserne militaire, l’ex-rédacteur en chef du journal ou le contremaître de l’usine, tous se voient affublés du sobriquet « papa » quand ils essaient d’exercer leur autorité. Elle est de ce fait délégitimé et, par ailleurs, leur rôle de patron moqué vaut aussi barrière à l’exercice d’un quelconque pouvoir. C’est aussi vrai dans les autres films. Comme nous l’avons remarqué auparavant, Paulo réfute son rôle de père dans Bof. Dans Fango, Mathilde a abandonné son fils et fondé sa communauté notamment parce qu’elle ne pouvait plus « encadrer » son mari, le père de son fils. Dans Themroc, la figure paternelle est celle qu’incarne Henri Guybet, et une analogie entre lui et la police est faite dans la scène où un policier violente son fils. L’officier de la maréchaussée balance en effet le jeune homme aux pieds de Guybet, qui le saisit alors par les cheveux et le pousse dans la maison. Il n’y a là aucune tendresse, mais un simple transfert de la violence entre une institution externe (la police) et une interne (la famille) qui utilise les mêmes méthodes (ici la saisie par les cheveux). Par ailleurs, cet acte est une redite de ce qu’il fait subir à sa femme dès qu’elle observe l’impasse ou met un pied dehors : le père comme le mari est ainsi une figure de violence et de contrainte. L’anthropologie nous apprend que la relation commandement-obéissance est la forme principale de l’exercice du pouvoir dans les sociétés occidentales, rendu possible par l’exercice de la violence de celui qui ordonne. On peut donc rapprocher dans le film l’exercice du pouvoir patronal à celui du pouvoir tout court.
Il y a deux formes de patron au sein du corpus : le « petit » patron et le « grand ». Le « petit » est ce qu’on pourrait appeler le sous-chef : il est le contremaître de l’usine de L’An 01 ou bien le boutiquier de vins de Bof. Ils ont une autorité de fait et sont chargés de veiller à ce que le travail soit accompli, mais ils agissent au nom d’ordres qui viennent de plus hauts. Le contremaître presse ainsi son soudeur pour des raisons de « planning », soit un outil de management qui lui est imposé à priori par ses supérieurs. Le boutiquier dépend également de l’usine de vins, notamment pour la gestion de ses stocks. Le fait que le livreur aille à la « maison-mère » pour tenter d’obtenir une promotion est la preuve que ce boutiquier travaille pour cette entreprise, qu’il n’est pas indépendant. Ces patrons ressemblent et parlent comme les ouvriers en plus de travailler avec eux, dans le même espace : ils disposent juste d’une fonction managériale supplémentaire. Ce qui différencie ces petits patrons des ouvriers est bien une forme de pouvoir coercitif dont ils disposent et qui sert de base à leur autorité. Le contremaître menace ainsi les soudeurs quand se dévoilent leurs manigances, le boutiquier forme de manière assez rude le livreur et c’est un autre intermédiaire qui emmène ce dernier dans les vestiaires pour récupérer ses habits en assumant la confrontation avec les grévistes. Ils sont un appui au « grand » patron, un relai de son pouvoir. Parmi ces « grands » patrons, il y a une homogénéité d’apparence : ce sont toujours des hommes blancs, quadragénaires, habillés avec élégance et plaisants aux femmes. Dans Themroc, le grand patron apparaît pour la première fois dans une voiture de sport, accompagné de deux jeunes femmes séduisantes. Il est dans une tenue ostentatoire et passe directement par la grande porte centrale, séparé de fait des ouvriers.
Il est donc déjà dans un espace différent et dans ce qu’on pourrait appeler une autre strate puisque non seulement il bénéficie d’espaces plus larges, mais en plus son bureau est situé en hauteur là où les ouvriers sont au rez-de-chaussée. On ne le voit plus ensuite jusqu’au moment où Themroc doit aller repeindre un mur extérieur en hauteur. Cette rencontre est emblématique du rapport au pouvoir patronal qu’entretient le film. À l’étage, Themroc est d’abord confronté à son sous-chef dont l’unique activité consiste à casser des mines de crayons et à les retailler par la suite, méthodiquement. Le sous-texte violent et émasculant que son rôle représente est ainsi mis en évidence. La relation du patron avec Themroc est marquée par la violence et la réprimande menant à l’humiliation, celle-ci étant soulignée par l’aspect physique du chef qui se tient d’un port altier et est habillé de manière bien plus élégante que son employé prolétaire. Cette figure patronale se retrouve dans le film précédent du réalisateur, Bof. Elle est présente dans une scène où le livreur se rend au siège de la société Vins Noé pour tenter d’obtenir un camion. Les bureaux du patron sont là aussi en hauteur et confortables : il y dispose d’espace, le sol est en moquette, ils sont lumineux. Les supérieurs disposent ainsi de conditions d’exercice de leur métier confortable, au contraire de celles de leurs employés. En s’adressant au livreur, le patron a une attitude hautaine : il le prend de haut et ne le voit pas comme un interlocuteur, mais comme quelque chose à utiliser, en l’occurrence pour casser la grève de ses conducteurs. Un autre point commun des patrons est de n’être jamais montrés travaillant. Dans Bof et Themroc, leurs seules activités semblent être la drague de secrétaire et la réprimande d’ouvriers. Par ailleurs, il apparaît que ce ne sont pas tant leurs actes que leur simple autorité qui font que ce qu’ils ordonnent se concrétise. Ils sont des êtres de mots. Le patron ne fait ainsi rien lui-même, il délègue et jouit du fruit du travail d’autrui.
Une autre caractéristique du patronat est d’être montré comme une catégorie d’individus dont les exigences et motivations sont différentes de celles de leurs employés. Cela est illustré dans L’An 01 à travers les trois figures de chef : le lieutenant de l’armée, le rédacteur en chef du journal et le directeur de l’usine de pâtes. Le premier tente ainsi de maintenir son pouvoir en promettant une oreille plus attentive à ses soldats : ceux-ci rejettent cette idée d’un éclat de rire, l’An 01 ayant pour but de les libérer et non juste de desserrer les liens de dominations. Le rédacteur en chef du journal veut concevoir un journal comme il le faisait avant la révolte, arguant que le lecteur est toujours le lecteur et qu’il faut lui donner ce qu’il veut si on veut être lu en attendant qu’il change. Là aussi, cette idée est rejetée d’un éclat de rire par les rédacteurs. Tout d’abord, l’arrêt général rend caduque toute logique d’objectifs de vente ou de poursuite des profits, il ne fait donc plus sens d’écrire dans un but mercantile (faire le « marchand de sou » comme lui reproche un des rédacteurs). Par ailleurs, les recettes que veut appliquer ce responsable sont avant tout marketing, des logiques dont le film propose une critique à travers une séquence entière mettant en scène des communicants ayant pour mission de dégoûter de l’An 01 en utilisant précisément les ficelles de leur métier. Il y a donc une déconnexion forte entre les objectifs de cet ex-chef et les aspirations des rédacteurs désormais libérés de son joug. Une même logique anime le directeur de l’usine de pâtes.
Alors qu’il montre à ses anciens employés son bureau, il leur propose de prendre de l’avance en produisant encore plus de pâtes même s’ils ont déjà un stock pour deux mois. Motif récurrent, le rire et l’ironie accueillent sa proposition par le truchement d’un des employés qui proposent d’ajouter le nom du patron sur le paquet. Les ouvriers en ont marre de travailler, ils veulent du temps libre, réfléchir, se reconnecter à la nature.
Le patron, lui, reste dans une logique d’accumulation et d’enrichissement. Car la différence fondamentale entre les patrons et les employés reste que ces derniers aiment être patrons, y éprouvent du plaisir, là où les ouvriers souffrent de leur condition. Le pouvoir patronal est ainsi présenté comme violent et aux objectifs non concordants avec ceux des employés, une différence renforcée par une apparence et une manière d’être au monde radicalement différente. Il est par ailleurs délégitimé par l’analogie avec la figure paternelle et le fait qu’on ne voit jamais le patron réellement actif autrement que dans l’exercice du plaisir.

Des désirs qui asservissent

De « faux » désirs

En plus de régir la vie de ses ressortissants par des institutions sociales néfastes qui contraignent à l’intérieur et à l’extérieur du foyer, c’est leur esprit même que le système influence. Il influence ainsi leurs désirs, soit en les influençant pour qu’ils soient en accord avec son fonctionnement et ce qu’il offre, soit en les créant de toutes pièces. La technologie, et surtout l’innovation technique, entre dans cette seconde catégorie. Celle-ci se dévoile dans la scène du « magasin-musée : saloperies » de L’An 01, aux alentours des cinquante minutes. Deux femmes discutent devant un four.
L’une d’entre elles s’imagine comment aurait évolué le four et livre ses visions à son amie : une profusion de boutons, une pédale pour l’ouvrir, un écran pour observer ce qui est en train de cuire… À chacune de ces idées, son amie répond « et alors ? ». Son amie répond alors qu’elles auraient eu envie de l’acheter, et toutes les deux partent dans un éclat de rire.
En effet, si tous ces ajouts peuvent avoir un intérêt et faciliter l’utilisation de l’outil, les deux femmes semblent avant tout les considérer comme très secondaires. On remarque en effet que rien dans les propositions avancées ne permettrait fondamentalement d’améliorer la fonction première de l’engin, qui est de cuire des aliments à haute température. Ces « perfectionnements », comme le dit ironiquement l’une des deux, n’apparaissent que comme des gadgets dont le rôle est avant tout de séduire les clients pour engager l’achat, ou le renouveau, des ustensiles électroménagers. Le progrès technique est donc ici bien plus un argument marketing qu’un réel bond en avant pour les usagers. Le problème est que cet achat entraîne la nécessité de travailler, et cela pose le véritable enjeu de la critique technologique déployée par l’oeuvre. Cela se dévoile dans la scène où de jeunes cyclistes s’arrêtent pour discuter avec un vieil agriculteur qui refuse l’An 01. Les anciens ouvriers commencent par dire qu’ils vont revenir à une agriculture traditionnelle pour ne plus devoir aller à l’usine fabriquer des tracteurs. L’agriculteur répond alors qu’ils étaient pourtant contents d’aller travailler pour se payer « la télévision, les frigos, les machines à laver ». À cela l’un des jeunes répond qu’il a acheté ces « saloperies », et que pour se faire il devait aller bosser huit heures à l’usine « comme un con » et sa femme faire caissière au Viniprix, le tout pour réinvestir ensuite l’argent dans d’autres machines équivalentes, ce qu’il appelle « ces saloperies ». Il affirme ainsi que le ratio entre le bénéfice que provoque l’utilisation d’une machine et le temps passé à travailler pour l’acquérir est négatif, et qu’elles ne valent au fond pas le sacrifice demandé. La critique ne se porte ainsi pas sur l’utilité de ces objets, qui semble faire l’objet d’un consensus, mais sur ce qu’elles supposent de faire pour les obtenir, c’est-à-dire passer ses journées à « tapiner » à l’usine, littéralement y vendre son corps. Les individus désirent ce que le système produit en pensant que cette production leur est indispensable. Cette idée de « faux besoins » fait écho à ce qu’on trouvait chez Herbert Marcuse, un philosophe allemand exilé aux États-Unis dont la pensée entre en résonance avec les revendications des années 1960 et 1970 qui ont pu s’exprimer pleinement lors des évènements de Mai, ce qui lui vaut d’être vu comme le grand théoricien de la critique sociale de l’époque.
En 1968 est publiée en France une traduction de son livre le plus influent, L’Homme unidimensionnel. Le philosophe s’y attelle à une critique globale de la société, et notamment des illusions que la consommation engendre. Ainsi le « système » réussit à s’entretenir en proposant une forme de bonheur à ses membres reposant sur l’achat et la consommation de produits et services industriels. Marcuse identifie de « faux » besoins qu’il définit ainsi.

Une vision du monde restrictive

Dans Fango, Bleed et Jérémy arrivent au pays avec des objectifs différents : le premier veut récupérer le titre de propriété de la terre, le second désire se trouver une petite amie. Pour Bleed, les choses évoluent quand il rencontre Nathaniel l’écrivain. Ce dernier identifie directement pourquoi il est venu, pour « l’acte de propriété ». Il raconte alors qu’il voulait la même chose et qu’il a, pour ce faire, cherché à séduire Mathilde pour se marier avec elle et récupérer le papier.Mais face à l’échec de son plan, il se fit la réflexion suivante : « Tu vis sur cette terre comme si elle t’appartenait, personne ne t’embête, que réclamer d’plus ? […] ». Nathaniel, qui pensait d’abord en termes légaux, s’est rendu compte qu’il vivait de fait comme s’il était propriétaire de la terre et s’est rendu compte qu’obtenir l’acte de propriété ne changerait rien pour lui. En réponse, Bleed s’énerve contre lui et tous les habitants, les traitants de « mous ». Cette altercation nous montre à quel point Bleed est aveuglé par des conceptions provenant de sa société, celles de propriété privée, de réussite, d’élévation sociale. Il ne peut comprendre qu’un mode de vie différent puisse convenir à ses pratiquants et leur apporter du bonheur : ainsi il ne reconnaît pas à Nathaniel de célébrité pour son travail, parce que celle-ci ne dépasse pas les frontières du pays. De manière plus générale, il interprète le bien-être manifeste des habitants du pays comme une tromperie, une « mollesse » globale, une façon de vivre erronée. Ce refus l’amène à vouloir détruire ce qu’il ne comprend pas, expliquant à Mathilde qu’une fois morte il pourra récupérer la terre grâce à leur lien biologique et qu’il fera alors ce qu’il voudra, c’est-à-dire l’industrialiser et détruire le mode de vie alternatif que la matriarche y a construit. C’est pourquoi il meurt à la fin, sur ordre de Mathilde : préférant détruire que comprendre, il représente une menace trop importante pour une communauté attachée à sa façon de vivre. Son aveuglement, émanation directe des valeurs de la société d’où il vient, le mène ainsi à sa perte. C’est une chose similaire qui arrive à Jérémy : alors qu’il a trouvé l’amour, il le refuse parce que Maurine est sa soeur, arguant qu’il ne « peut » pas être avec elle pour cette raison.
Mais celle-ci considère plutôt qu’il ne « veut » pas, car en Fango les liens familiaux et biologiques ne sont pas reconnus comme soumis à des règles différentes des autres rapports sociaux. Jérémy se refuse ainsi à l’amour uniquement parce que la société dont il est l’engeance n’accepte pas les relations amoureuses incestueuses.
De toute façon, Jérémy a déjà démontré auparavant qu’il ne comprenait pas le mode de vie de ces terres. Cela apparaît dans une discussion entre lui et Maurine, avant que l’on apprenne qu’elle est sa soeur.

Un lieu de vie néfaste

Le problème de la ville

Le premier obstacle à l’épanouissement des individus mis en scène au sein de notre corpus est leur espace de vie, la ville. Elle est l’endroit où ils passent le plus clair de leur existence mais dont on ne les voit jamais profiter des commodités. À l’image des lieux de labeur, elle semble dotée d’une fonction purement utilitaire, limitée au transit entre le lieu d’habitation des personnages et leur travail. Un rôle de passage caractérisé par la grande répétitivité et platitude du décor. Que ce soit dans Bof ou l’An 01, les personnages se meuvent ainsi au départ dans un univers visuel de murs abîmés, de trottoirs sales et de larges routes plates (Fig 1 & 2). Un environnement très froid, stérile, qui n’invite jamais ni à la contemplation ni au repos, et encore moins au bienêtre.
Le premier film, qui met en scène un livreur, donne une certaine place aux déplacements motorisés de ce dernier et souligne d’autant plus les limites de l’urbanité.

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Table des matières
Introduction
Partie I : Un individu sans liberté
Chapitre 1 : Place des institutions sociales
1.1 Le travail
1.2 Le mariage
1.3 La famille
Chapitre 2 : Un pouvoir oppressif
2.1 Le gouvernement et l’armée
2.2 La police
2.3 Le pouvoir patronal
Chapitre 3 : Des désirs qui asservissent
3.1 De « faux » désirs
3.2 Une vision du monde restrictive
Partie II : L’impasse du monde moderne
Chapitre 4 : Un lieu de vie néfaste
4.1 Le problème de la ville
4.2 L’incommunicabilité entre les êtres
Chapitre 5 : L’abstrait face au concret
5.1 L’utopie technologique comme mirage
5.2 L’intellectuel en opposition au manuel
Partie III : Vers le nouveau monde
Chapitre 6 : Rompre
6.1 S’extraire du monde
6.2 Refaire collectif
6.3 Rompre avec l’absurdité du monde
Chapitre 7 : Instaurer le nouveau monde
7.1 Renouer avec la Nature
7.2 Un rapport différent au temps
7.3 Le sexe, symbole d’un monde de plaisir
Conclusion
Bibliographie

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