La plupart des agents pathogènes (qu’il s’agisse de macroparasites* ou de microparasites* (Morgan et al. 2004; Vicente et al. 2007)) peuvent infecter plusieurs hôtes : 62,7% des agents pathogènes recensés seraient ainsi concernés. Parmi eux, 61,6% seraient zoonotiques et 77,3% toucheraient les animaux de production (Cleaveland et al. 2001). Parmi les hôtes animaux, l’usage est de distinguer hôtes domestiques et sauvages. Toutefois, l’élevage des certaines espèces sauvages (pour la consommation de viande de gibier) ou encore leur présence au sein de parcs zoologiques, rendent perméable la barrière entre la faune sauvage sensu stricto et les humains. La faune sauvage pourrait finalement être définie comme l’ensemble des espèces sauvages ou férales pouvant avoir une valeur économique (espèces élevées) ou récréative (en parc zoologique), une fonction dans un écosystème (aspects conservation), jouer un rôle pour leur environnement (aspect préservation de l’environnement) ou encore être susceptibles d’occasionner des dégâts (Gortázar et al. 2016). Au sein des espèces domestiques, les animaux de production (élevés à des fins économiques telles que la production de viande, de lait, de laine, de peaux etc.) sont distingués des animaux de compagnie (accompagnant les humains dans leur vie quotidienne). Nous nous focaliserons dans ce qui suit aux animaux de production.
Lorsqu’un agent pathogène multi-hôtes touche à la fois une ou des espèces domestiques et une ou des espèces sauvages, on peut parler d’infection partagée entre la faune sauvage et la faune domestique (Gortázar et al. 2016). Pour les animaux domestiques, la gravité clinique de ces infections est variable, allant de modérée (par exemple pour la tuberculose bovine ou la fièvre catarrhale ovine) à majeure (maladie de Newcastle ou encore peste porcine classique) (Bengis et al. 2002). Les enjeux liés aux infections provoquées par ces agents pathogènes multi hôtes peuvent relever à la fois de la santé publique pour les agents zoonotiques, de l’économie pour l’élevage ou encore de la conservation lorsque la viabilité de populations* sauvages est menacée (Cleaveland et al. 2001; Caron et al. 2013; Gortázar et al. 2016).
Chacune des espèces participant à un système multi-hôtes peut avoir un rôle épidémiologique différent reflétant son importance pour la persistance et la diffusion du pathogène dans ce système . Par la suite, nous préfèrerons au terme d’espèce celui de population désignant la collection locale d’organismes pouvant se reproduire entre eux (Morrison et al. 2012).
Selon la définition de Haydon et al. (2002), le réservoir pour un pathogène donné est toujours défini par rapport à la population motivant la recherche épidémiologique pour le contrôle de l’infection, appelée population cible (Haydon et al. 2002). Il peut être défini comme une ou plusieurs populations (dans ce cas une communauté) voire des environnements connectés entre eux 1) au sein du ou desquels le pathogène peut être maintenu de manière permanente sans apport extérieur et 2) à partir du ou desquels le pathogène peut être transmis à la population cible. Le réservoir apparait donc comme l’élément clé du système multi-hôtes que l’on cherche à identifier dans le cadre de la lutte contre un pathogène donné. Toutefois, l’atteinte de cet objectif est compliquée par la variété des combinaisons de rôles épidémiologiques possibles pour ces populations (Figure 1). Comme nous l’avons déjà mentionné, le réservoir peut ne pas être une seule population mais une communauté ayant un rôle de maintenance pour le pathogène et incluant au moins une population source. En outre, la population cible peut faire partie de ce réservoir en y jouant parfois même le rôle de population de maintenance (Figure 1b.1) (Haydon et al. 2002). Ce dernier cas est rencontré par exemple en Grande-Bretagne avec la tuberculose bovine où les populations de bovins et de blaireaux constituent un réservoir, chaque population jouant le rôle de maintenance pour la mycobactérie. Dans le cas de populations d’une espèce donnée, connectées entre elles et représentant alors une métapopulation*, une meilleure compréhension du fonctionnement du réservoir doit également prendre en compte cette métapopulation (Viana et al. 2014). C’est le cas pour la population de blaireaux, organisée en groupes sociaux interconnectés lors de la reproduction entre autres .
Les mécanismes mis en jeu dans la transmission de l’agent pathogène dans un système multihôtes se produisent à la fois entre les populations et au sein des populations. Dans le système multihôtes le plus simple constitué d’un hôte de maintenance (que l’on note par la suite M) et d’un hôte de non-maintenance (que l’on note par la suite S), la transmission du pathogène de M vers S est communément appelée spill-over, S pouvant alors être appelé hôte spill-over (Power & Mitchell 2004). Le taux de reproduction de base, noté ?0 est quant à lui défini comme le nombre de nouveaux cas secondaires à l’infection au sein d’une population hôte non exposée auparavant et générés par un seul individu infectieux introduit dans cette population. L’infection peut persister dans la population lorsque ?0 est supérieur à un (Lloyd-Smith et al. 2005). Utilisant le ?0 pour quantifier les transmissions intra- mais également interspécifiques et se basant sur l’exemple d’un système multihôtes simplifié constitué des deux hôtes, Fenton et Pedersen ont proposé de classer les systèmes multi-hôtes composés d’un hôte M et d’un hôte S en quatre grandes catégories, les deux premières mettant en lien un hôte M et un hôte S et les deux autres deux hôtes M (Fenton & Pedersen 2005; Nugent 2011). La première, dénommée « hôte spill-over », correspond au cas où le ?0 interspécifique de M vers S est faible, conduisant à une infection transitoire ou occasionnelle chez S (avec le cas particulier du cul-de-sac épidémiologique lorsque le ?0 intra-spécifique est très faible à nul chez S). La deuxième catégorie est le système « multi-hôtes apparent », où une transmission interspécifique intermédiaire (0 < ?0 < 1) à importante (?0 > 1) conduit à une infection permanente chez S, avec des prévalences pouvant être élevées (Fenton & Pedersen 2005). Un cas particulier pour ce système est celui où la transmission depuis S vers au moins une autre population, qualifié de spill-over secondaire,se produit en retour vers la population M (de laquelle était issue la première transmission spill-over). On parle alors de transmission spill-back (Nugent 2011). La troisième catégorie est le système « multi-hôtes vrai » caractérisé par une transmission interspécifique élevée entre les deux populations de type M. Enfin, la quatrième catégorie est le système « infection à potentiel d’émergence » caractérisé par une transmission interspécifique faible entre deux hôtes M, mais dans lequel un évènement de transmission inhabituel, chez l’un ou l’autre, peut conduire à une épidémie (Fenton & Pedersen 2005; Nugent 2011).
L’utilisation du terme de réservoir au sens de Haydon devient donc moins aisée dans le contexte du système multi-hôtes que l’on vient de présenter (Nugent 2011). Elle a en particulier été contestée du fait d’une de ses complications majeures : déterminer un tel réservoir pour une population cible peut conceptuellement conduire à considérer une autre population ou un autre complexe de populations lorsque l’on change de population cible (en passant des bovins aux humains par exemple) (Ashford 2003; Nugent 2011). Ces considérations ont conduit certains auteurs à suggérer l’emploi de termes tels que « réservoir de maintenance » ou « réservoir autonome » (Nugent 2011) pour qualifier le complexe d’hôtes au sein duquel l’infection peut persister indéfiniment (Ashford 2003). Finalement, ne pas considérer une population cible en particulier permet de décrire le système de manière générale (pour un pathogène donné, un seul réservoir est alors défini). Toutefois, définir une population cible permet d’avoir une approche pratique, le réservoir étant alors propre à la population cible d’intérêt (Ashford 2003). La compréhension du système est alors motivée par la réduction de l’infection dans la population cible.
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Table des matières
Introduction
1 Le système bovins-blaireaux, illustration du concept d’interface faune sauvage – faune domestique.
1.1 Les concepts de pathogène multi-hôtes et de réservoir
1.1.1 Agent pathogène multi-hôtes
1.1.2 Rôles épidémiologiques des différentes populations et concept de réservoir
1.2 Le concept d’interface appliqué au système bovins-blaireaux
1.2.1 Concept d’interface
1.2.2 Bovins en France : diverses pratiques d’élevage
1.2.3 Blaireaux : vie sociale et domaine vital
1.2.4 L’interface bovins-blaireaux
2 Mycobacterium bovis : un pathogène à l’interface bovins-blaireaux
2.1 Pathogénie et dépistage de l’infection à M. bovis chez les bovins et les blaireaux
2.1.1 Pathogénie
2.1.2 Dépistage et confirmation de l’infection
2.2 Surveillance, contrôle et situation épidémiologique de la tuberculose bovine chez les bovins et les blaireaux
2.2.1 Surveillance et situation épidémiologique chez les bovins
2.2.2 Surveillance et situation épidémiologique dans la faune sauvage et notamment chez les blaireaux
2.3 Transmission et facteurs de risque de tuberculose bovine dans le système bovins-blaireaux
3 Des outils statistiques et mathématiques pour la compréhension de la diffusion de Mycobacterium bovis dans un système bovins-blaireaux
3.1 Rôle de l’environnement : l’épidémiologie spatiale
3.2 Rôle des contacts intra et inter-espèces : l’analyse de réseaux sociaux
3.3 Rôle de la dynamique de propagation : la modélisation mathématique
Conclusion
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