Alors que les activités industrielles et urbaines sont génératrices d’un grand nombre de polluants, les inquiétudes de la société face à l’altération de la qualité de l’environnement évoluent et tendent à croître depuis plusieurs années. Ces préoccupations motivent le besoin de mieux connaître les effets toxiques de ces polluants afin de les contrôler et d’en limiter la nocivité. Le cadmium (Cd) est un métal lourd, découvert en 1808 par Magnus Martin af Pontin, qui est de plus en plus présent dans l’industrie moderne. Il entre notamment dans la composition de colorants rouges (Cd(S, Se)) et jaunes (CdS) utilisés en chimie des polymères, il est utilisé pour galvanisation de matériaux, il est présent dans les fluides caloporteurs des centrales nucléaires pour la capture des neutrons, ou encore dans les piles et batteries. En 1996, sa consommation annuelle par les industries de l’Union Européenne (UE) atteignait 5 329 tonnes. En parallèle, les émissions dans le milieu naturel (d’origine anthropique ou non) représentaient plus de 15 % de cette valeur, avec un total cumulé supérieur à 837 tonnes annuelles pour l’UE.
Le cadmium n’a aucune fonction physiologique connue. Il est au contraire un toxique important, et son accumulation dans l’organisme provoque des troubles physiologiques graves. Chez les mammifères, il touche principalement les reins (où il se fixe à hauteur de 30 à 40 %) et les os. Il peut alors entrainer l’apparition de cancers, d’une déficience rénale, d’ostéoporose, et de diverses autres affections des poumons, des nerfs ou des articulations notamment. Entre 1912 et 1946, l’intoxication d’une partie de la population japonaise par de fortes concentrations de cadmium suite à la contamination de la rivière Jinzū par une exploitation minière a provoqué l’apparition d’une maladie des reins et des os appelée maladie d’itaï-itaï. Contaminée par plusieurs métaux lourds (plomb, mercure, cadmium), cette rivière irriguait les exploitations de riz, qui ont concentrés le cadmium et qui ont ensuite été consommés par la population locale. Cette assimilation du cadmium via la chaine alimentaire est la première source d’exposition au toxique, et l’accumulation des ions dans les feuilles consommées (salade, choux, tabac …) est connue pour être la principale origine de contamination par le cadmium chez les hommes, avec une ingestion moyenne de 12 mg par an et par personne. L’épandage d’engrais azoté est la première cause de contamination des sols (263 tonnes de cadmium par an pour l’UE), et les plantes, cultivées ou sauvages, sont constamment soumises à la toxicité de ce métal. Afin de s’en protéger, elles ont développé des mécanismes de résistance aux métaux lourds, certaines espèces croissant sur des sols très contaminés (exploitation minière notamment) présentant même une tolérance particulièrement importante à ces toxiques (Arabidopsis halleri, Thlaspi caerulescens …).
L’équipe « Stress Environnementaux et Métaux Lourds » du Laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale (UMR 5168 CNRS INRA UJF CEA, à Grenoble) étudie les processus mis en place par la plante lors d’une exposition aux métaux lourds et aux radionucléides. Ceux-ci peuvent notamment aboutir à la compartimentation des métaux lourds, dont la vacuole est un site privilégié (Clemens, 2006). Cet organite est en effet connu pour être essentiel à l’homéostasie de la quasitotalité des éléments cellulaires : eau, ions inorganiques ou métabolites (protéines et acides organiques notamment). Il est aussi impliqué dans les processus de dégradation et de recyclage, et contient à cet effet une grande variété d’hydrolases. Toutefois si ces activités de stockage et de dégradation sont prépondérantes dans la vacuole, l’ensemble des fonctions qui lui sont associées ne s’arrête pas à ces seuls aspects. Elle est également connue pour être le lieu de certains processus anaboliques, ou pour son rôle dans la protection cellulaire contre certains pathogènes. L’accumulation du cadmium dans cet organite au cours d’un stress a été démontrée (Vogeli-Lange & Wagner, 1990), et est décrite pour être primordiale dans la tolérance de la plante au métal, sur la base de résultats obtenus à partir d’expériences réalisées en système levure (Ortiz et al., 1992). Or chez les plantes, les mécanismes à l’origine de la séquestration vacuolaire des métaux lourds ne sont pas connu, de même que les processus permettant leur stabilisation, dans des sels ou des complexes d’acides organiques par exemple (Krotz et al., 1989). L’identification des protéines impliquées dans ces processus, et en particulier les composantes de la signalisation aboutissant à l’établissement de la réponse et les transporteurs conduisant à la translocation des ions, permettrait de mieux comprendre le rôle prépondérant de la vacuole dans la protection cellulaire contre les métaux lourds. Les études envisagées nécessitent toutefois de réaliser une analyse approfondie de la vacuole végétale, spécialement d’un point de vue protéique. Le protéome de cet organite est en effet peu connu, et aucune analyse par spectrométrie de masse n’avait été réalisée lors de la mise en place de ce projet. Le laboratoire bénéficie d’une expérience importante dans l’analyse de protéomes subcellulaires (Ferro et al., 2002 ; Ferro et al., 2003 ; Bardel et al., 2002 ; Brugiere et al., 2004) et dans l’utilisation de la spectrométrie de masse pour l’identification de protéines et la caractérisation de leur structure primaire (Bourguignon et al., 1993; Bourguignon et al., 1996), pour analyser les modifications post-traductionnelles et caractériser de nouvelles voies métaboliques (Macherel et al., 1996; Gueguen et al., 2000). Plus récemment, l’équipe a pu mettre en place une étude de la réponse de la plante au cadmium à travers des approches globales d’analyses transcriptomique (Herbette et al., 2006), protéomique (Sarry et al., 2006) et métabolomique (Ducruix et al., 2006). Dans un contexte où de nombreux travaux visant à mieux comprendre le rôle de la vacuole dans la tolérance aux métaux lourds n’ont pas permis d’identifier les transporteurs principaux impliqués, l’utilisation de telles approches pourrait aboutir à la mise en évidence de mécanismes essentiels aux fonctions étudiées.
Rôles de la vacuole végétale et transporteurs impliqués dans ses fonctions
La vacuole végétale a souvent été assimilée à un organite uniquement dédié au stockage de divers composés potentiellement gênant pour la cellule, et ses activités lytiques en font fréquemment un objet de comparaison avec les lysosomes des cellules animales. Si ces deux fonctions, stockage et dégradation, sont effectivement représentées dans la vacuole, l’ensemble des processus impliquant cet organite dépasse de loin ces seuls aspects. Outre le maintien de l’homéostasie cellulaire d’un grand nombre d’ions et de toxiques ou métabolites essentiels via leur rétention et éventuellement leur libération dans le cytosol, la vacuole est aussi impliquée dans le turnover de nombreux éléments cellulaires (des protéines jusqu’aux organites) ainsi que dans des voies de biosynthèse spécifiques. Ces fonctions très diverses nécessitent la présence sur la membrane vacuolaire (tonoplaste) de transporteurs permettant la translocation des ions et des métabolites vers ou depuis la vacuole, et dont la spécificité, l’efficacité, et la capacité à être régulés sont très variables. Deux types de transport permettent d’assurer les flux métaboliques et ioniques à travers le tonoplaste : le transport passif, indépendant de toute forme d’énergie autre que le gradient électro-chimique de l’élément transporté, et le transport actif, qui nécessite une dépense d’énergie pour que le soluté suive un trajet thermodynamiquement défavorable. Concernant cette dernière famille, l’énergie peut être, dans le cas de la vacuole, sous forme d’ATP ou de PPi, qu’elle soit utilisée de façon directe, via leur hydrolyse, ou indirecte via le gradient électrochimique qu’ils sont capables de générer. Les fonctions vacuolaires dépendantes de ces transporteurs peuvent être réparties en trois grands groupes : (i) Le maintien de l’homéostasie cellulaire de nombreux éléments essentiels, (ii) la régulation de plusieurs fonctions métaboliques (anaboliques et cataboliques) dont elle est le site privilégié ou exclusif, et enfin (iii) la protection cellulaire contre divers stress biotiques ou abiotiques.
Maintien de l’homéostasie cellulaire
La vacuole végétale peut, dans certaines conditions, représenter jusqu’à 90 % du volume cellulaire total, le volume cytosolique correspondant alors à moins du dixième de celui de la vacuole. Cette particularité fait de la vacuole un organite adapté au maintient d’une certaine « inertie » ionique et métabolique dans le cytosol, dans la mesure où un faible flux moléculaire entre ces deux compartiments permettra un ajustement précis de la concentration du cytosol sans influer de façon prononcée sur l’osmoticum de la vacuole. Celle-ci est à ce titre un lieu privilégié de stockage d’ions inorganiques (H+ , Ca2+, Na+ , Cl- , K+ , NO3- , Pi …) et de molécules plus complexes (carbohydrates, acides aminés, protéines …), et assure le stockage ou l’export de ces éléments en fonction de leur concentration cytosolique et des besoins de la cellule.
Homéostasie des micro-éléments essentiels
Régulation du pH par la vacuole
Parmi les ions transportés de façon active dans la vacuole, les protons (H+) constituent un cas particulier puisqu’ils sont à l’origine de la mise en place d’un gradient de pH de part et d’autre du tonoplaste. Ce gradient contribue non seulement à réguler le pH cytosolique, mais également à maintenir un environnement propre à la vacuole. Le pH vacuolaire (pHv) est généralement compris entre 5,5 et 6,5, mais peut en quelques occasions descendre jusqu’à 2,5 (Muller et al., 1996). La valeur du pHv est le plus souvent régulée par les flux de protons au travers du tonoplaste, bien que la présence d’acides organiques dans la vacuole (malate, citrate) puisse en quelques occasions influer de manière prononcée sur le pHv. La balance entre l’entrée et la sortie des H+ est assurée par plusieurs protéines. Deux transporteurs sont en charge de l’influx des protons : une ATPase vacuolaire (V-ATPase), qui hydrolyse l’ATP comme source d’énergie, et une pyrophosphatase (V-PPase) qui consomme du pyrophosphate. Les contributions relatives de ces deux enzymes dans l’établissement du gradient ne sont pas connues, mais la densité de la PPase à la surface du tonoplaste est décrite pour être supérieure à celle de la V-ATPase (Maeshima, 2001), ces deux pompes constituant, avec les TIP (Tonoplast Intrinsic Protein), les principales protéines de la membrane vacuolaire.
L’ATPase vacuolaire est un complexe de 400 à 750 kDa, composé de 2 domaines : le domaine catalytique V1, soluble et responsable de l’hydrolyse de l’ATP, et le domaine V0 membranaire, qui permet la translocation des protons (Sze et al., 2002). Chacun de ces domaines est un complexe macromoléculaire de 5 protéines pour V0 et de 8 protéines pour V1. Chacune de ces protéines est représentée par 1 à 5 isoformes (Sze et al., 2002). Son fonctionnement est comparable à celui de l’ATPase de type F, localisée notamment à la membrane interne des mitochondries et des chloroplastes, mais selon un principe inverse, l’ATP étant consommé pour générer le gradient. L’énergie chimique résultant de l’hydrolyse de l’ATP est convertie en énergie mécanique, matérialisée par la rotation de la sous-unité V1 par rapport à la sous-unité V0 (Imamura et al., 2003). Ce changement de conformation force alors le passage au travers de la membrane, contre leur gradient de concentration, de 2 H+ par molécule d’ATP hydrolysée (Kawasaki-Nishi et al., 2003).
Le second transporteur de protons participant à l’établissement du gradient est la pyrophosphatase, une protéine très majoritaire de la vacuole qui peut représenter de 1 à 10 % du protéome tonoplastique (Rea et al., 1992). Clonée en 1992 (Sarafian et al., 1992), cette enzyme n’est toutefois pas pleinement caractérisée aujourd’hui et son substrat exact, MgPPi ou Mg2PPi, n’a pas été identifié depuis que son activité strictement magnésium-dépendante a été mise en évidence (Walker & Leigh, 1981). Cette pompe est inhibée de façon réversible par le calcium (Ca2+), probablement via la formation de CaPPi, un inhibiteur compétitif potentiel. Le potassium est également régulateur (activateur) de l’activité pyrophosphatase (Walker & Leigh, 1981 ; Davies et al., 1991), certains travaux suggérant même que le potassium lui-même pourrait être transporté en même temps que les protons par la V-PPase (Davies et al., 1992).
L’instauration d’un tel pH dans la vacuole est essentielle au fonctionnement de cet organite, en particulier pour deux raisons : Il caractérise un environnement particulier pour un grand nombre d’enzymes vacuolaires, dont l’activité peut être fortement réduite, voire inhibée, dans un milieu plus alcalin (Mayne & Kende, 1986; Canut et al., 1987), de plus la pression électro-chimique engendrée par le gradient de protons (aussi appelée Force Proton-Motrice ou FPM) permet d’activer un certain nombre de transporteurs secondaires, symports ou uniports selon qu’ils transportent dans le même sens ou dans des sens opposés les protons et les solutés.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I – LA VACUOLE VEGETALE
I.1 – Occurrence des vacuoles dans le vivant
I.2 – Rôles de la vacuole végétale et transporteurs impliqués dans ses fonctions
I.2.1 – Maintien de l’homéostasie cellulaire
I.2.2 – Implication de la vacuole dans des fonctions métaboliques
I.2.3 – Protection cellulaire
II – LE STRESS CADMIUM CHEZ LES PLANTES
II.1 – Entrée du cadmium dans la plante
II.2 – Chélation des métaux, et plus particulièrement du cadmium, dans la plante / Répartition tissulaire des ions métalliques
II.2.1 – Transport par le système vasculaire
II.2.2 – Distribution du cadmium dans la plante : cas particulier des trichomes
II.3 – Mécanismes cellulaires de la détoxication du cadmium
II.3.1 – Synthèse des phytochélatines
II.3.2 – Compartimentation des métaux lourds dans la vacuole
III – OBJECTIFS DE LA THESE
MATERIELS ET METHODES
I – BIOLOGIE CELLULAIRE
I.1 – Matériel Végétal
I.1.1 – Cellules en culture liquide d’Arabidopsis thaliana
I.1.2 – Cultures in vitro
I.2 – Purification de vacuoles de cellules en culture d’Arabidopsis thaliana
I.2.1 – Préparation de protoplastes
I.2.2 – Isolement de vacuoles (méthode adaptée de Frangne et al., 2002)
I.3 – Préparation de fractions enrichies en cytosol
II – TECHNIQUES BIOCHIMIQUES
II.1 – Séparation d’échantillons protéiques par électrophorèse
II.1.1 – Séparation des protéines par électrophorèse sur gel de polyacrylamide en conditions dénaturantes
II.1.2 – Séparation des protéines par électrophorèse sur gel de polyacrylamide en conditions non dénaturantes
II.1.3 – Coloration des gels
II.2 – Western-blot
II.2.1 – Transfert des protéines sur membrane
II.2.2 – Immunorévélation des protéines
II.3 – Mesure d’activités enzymatiques
II.3.1 – Activité de l’α-mannosidase – adapté de Boller & Kende, 1979
III – TECHNIQUES DE BIOLOGIE MOLECULAIRE
III.1 – Amplification d’un fragment d’ADN par PCR
III.2 – Expression de plasmides en système bactérien
III.2.1 – Construction du plasmide
III.2.2 – Transformation de bactéries
III.2.3 – Extraction de plasmides
III.3 – Expression transitoire in vivo de protéines chimères
III.3.1 – Expression dans des feuilles de tabac
III.3.2 – Expression dans des protoplastes
IV – EQUIPEMENTS PARTICULIERS
IV.1 – Identification de protéines par spectrométrie de masse
IV.1.1 – Principe de la spectrométrie de masse
IV.1.2 – nanoLC ESI-MS/MS
IV.2 – Inductively Coupled Plasma – Mass Spectrometer (ICP-MS)
IV.2.1 – Principe
IV.2.2 – Préparation des échantillons et dosage du cadmium
CONCLUSION GENERALE