ROLE ET STATUT DU GRIOT DANS LA LITTERATURE WOLOF

Hypothèses sur l’origine des castes : en Inde

     Les travaux de Georges Dumézil sur les sociétés indo-européennes ont fait ressortir les éléments de mise en place du système des castes : le choc des cultures semble en être un élément déterminant. Dans l’exemple de l’Inde, on se trouve en présence de la transformation d’une société d’ordre vers une société de castes. Effectivement, 600 ans avant J. C., correspondant à la période védique où la société d’ordre (rig Veda) est divisée en trois « couleurs » (Vanta) : Brama — poète et prêtre -, Kishastra — guerrier et chef -, vis — roturier — une quatrième « couleur », inférieure, composée de noirs vaincus — Dasa, Sudra — destinés à servir les Arya (les autres ordres) vient compliquer la situation. A partir de cette période, l’ordre des Brahmanes présente toutes les caractéristiques d’une caste : groupe fonctionnel occupant une place précise dans une hiérarchie, fermé sur lui-même par l’hérédité, l’endogamie et par un code rigoureux d’interdits. Avant l’Inde, on avait noté le même processus dans l’Egypte « castée ». Selon Dumézil, les Grecs croyaient y trouver le prototype, l’origine même des plus vieilles classes athéniennes. En réalité, cette structure ne s’est formée qu’au contact des Indo-européens qui surgissent en Asie mineure et en Syrie au milieu du second millénaire avant notre ère. C’est seulement à cette date que pour survivre le vieil empire des pharaons se réorganise, se donne notamment ce qu’il n’avait jamais eu, une armée permanente et une « classe militaire ». Cheikh Anta Diop, dans l’Afrique noire précoloniale, remet en cause la thèse de Dumézil sur l’origine des castes en Inde. En se fondant sur un texte de Strabon (lui-même s’appuie sur un auteur plus ancien, Mégasthème), Cheikh Anta Diop estime que les castes en Inde correspondent à une division du travail, à l’exclusion de toute différenciation ethnique, puisqu’un Dravidien peut être brahmane. Les critères qui permettent de les distinguer sont d’ordre moral ou matériel et non ethnique’. En Afrique noire, particulièrement au Soudan occidental, on peut attester d’une origine égyptienne des castes, phénomène très ancien. On peut être d’accord avec Cheikh Anta Diop lorsqu’il affirme que la spécialisation dans le travail, qui a abouti à la transmission héréditaire du métier dans le système des castes, à l’échelle familiale et individuelle, s’est élaborée depuis l’organisation clanique. Du temps des grands empires dont le plus ancien, Ghana, remonte au moins au II siècle avant J. C., la détribalisation était déjà effective sur toute l’étendue des grands empires.

Supériorité et infériorité

       S’agissant de la notion d’impureté, on peut avancer qu’il s’agit d’un phénomène, pour le moins, théorisé : les geer sont supérieurs de naissance, ils sont De nos jours, on connaît plutôt le phénomène inverse. Même ceux qui sont issus de sociétés égalitaires comme les Diolas, Ies étrangers établis et bien intégrés (Cap-Verdiens, ressortissants d’autres pays africains de façon générale) de sang pur, d’origine wolof, halpulaar, aussi loin que l’on remonte dans le temps les neeno sont biologiquement inférieures, d’origine étrangère. D’après Yoro Diao : « Si on dit que la sueur du forgeron est néfaste, c’est parce qu’il demeure entre deux corps : le fer et le feu. L’un est dur, l’autre est chaud. Son travail est pénible et la sueur qui en résulte cause peine et malheur à celui qui la touche 13 ». En réalité, la place qu’occupe l’idéologie dans le système des castes est capitale puisqu’un système n’est pas seulement un mécanisme mais aussi la représentation mentale que se font les individus au sein des groupes, de ce que doit être le comportement des (autres) groupes à l’égard de leurs (propos groupes. Une question subsiste cependant : par quels processus se sont opérées l’intériorisation et la cristallisation des valeurs sur une durée aussi longue par les castés elles-mêmes ? Nous y reviendrons en analysant le vécu des castes sous l’angle matrimonial, mais voyons d’abord quelle explication en donne Cheikh Anta Diop et Abdoulaye Bara Diop ? Cheikh Anta Diop estime que « Pour chaque caste : inconvénients et avantages, aliénations et compensations s’équilibrent I4».Et il ajoute : « La stabilité du système des castes est associée à l’hérédité des fonctions sociales. Ce qui correspond, dans une certaine mesure, à un monopole déguisé par un interdit religieux pour éliminer la concurrence ». Ce que dit Cheikh Anta Diop vaut surtout pour une société précapitaliste et il faut admettre également que le fait d’être éloigné des centres de décision se compense difficilement. Abdoulaye Bara Diop, quant à lui, explique la situation par DIA W, Yoro, Cahiers. « Le caractère dominant de l’économie agricole d’où la dépendance des artisans vis-à-vis des paysans dans le système d’échanges que contrôlaient ces derniers I5 ». On ne peut s’empêcher d’émettre quelques réserves. Les paysans ne contrôlaient absolument pas les échanges, surtout lorsqu’on considère la longue durée. Le commerce transsaharien avait fait émerger une classe de marchands plus proches des lettrés musulmans tandis que les paysans seront islamisés tardivement : XVIII’, XIX’ siècle ? D’ailleurs, les Piceno n’étaient pas interdits d’agriculture. lis jouaient non seulement le même rôle dans une économie de subsistance que les geer baadoolo (paysans), mais ils avaient en outre la maîtrise des instruments de production.

Fara Lamb

       L’origine des Fara Lamb59 est lié à un mythe qui remonte au Dammeel Tee Latsukaabe Ngôone Jeeri qui avait contracté une alliance avec leur ancêtre Dogo. Les Fara gambeen sont originaires de Njaxeer fief de la Lingeer. Leur nom de famille est Mbaay. Contrairement au Fara jun jury dont le rôle est fortement lié à l’animation des combats, le Fara gambeen organise les réceptions et les gaajo (danses). Le Fara gorong est chargé comme le Fara gambéen de l’organisation et de l’animation des festivités royales. Le Fara lamb est maître d’un tambour du même nom et assure les festivités de nature royale. Contrairement aux autres joueurs de tambour, le Fara lamb ne peut jouer un rythme profane sans être déchu. Ainsi dans le texte intitulé « L’origine du lamb », il apparaît comme un délégataire des attributs d’un pouvoir royal, garant de sa légitimité. Au-delà d’une simple réception dans ce texte de Mamadu Sàmbb, Dogo reçoit un culte qu’il assure et dont la descendance en fera une fonction sociale. Dans un autre texte, celui-là de la cantatrice Kinne Laam, le Fara lamb est l’exemple même du vrai griot dont les attributs sont, entre autres, l’honneur, le sens du sacrifice et la loyauté. Aujourd’hui encore on les retrouve un peu partout au Sénégal et dans le monde même s’ils en non plus le statut. Ainsi avec la modernisation de la musique sénégalaise certains descendants des Fara lamb ont intégré les orchestres dont ils assurent les percussions tandis que d’autres ont franchi les frontières à la recherche d’un eldorado.

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Table des matières

INTRODUCTION
ALPHABET PHONETIQUE
CORPUS
PREMIERE PARTIE : ORIGINE, PRESENTATION GENERALE DES LIGNEES ET HIERARCHIES DE GRIOTS 
CHAPITRE I : DE L’ORIGINE DES CASTES 
I. La géographie des castes en Afrique occidentale
1.1. Hypothèses sur l’origine des castes : en Inde
1.2. Au Soudan occidental
2. Origine de la bipartition gor/jam
2.1. Supériorité et infériorité
CHAPITRE II : LES GRIOTS DANS LA SOCIETE WOLOF 
1. Civilisation de l’oralité et parole du griot
1.1. Géographie et organisation sociale des griots wolof
1.2. Hiérarchie et castes
2. Rôles des griots wolof
2.1. Le prince, le conseiller et l’arbitre
2.2. Fara juu juu
3. L’animateur des cérémonies
3.1. Fara Lamb
3.2. L’homme en sursis : les Ngoceen
DEUXEIME PARTIE : QUETE ET CONQUETE DES AIRES ET INSTRUMENTS MUSICAUX 
CHAPITRE I : LA MUSIQUE TRADITIONNELLE 
I. Contexte
1.1. L’omniprésence des griots
1.2. Caractéristique et thèmes de la musique traditionnelle
1.3. Les genres
2. La mythologie de la parole
2.1. Au commencement était le verbe
2.2. La parole en Afrique : origine et signification
3. Les instruments de musique chez les wolof
3.1. Origine des langages frappés ou rythmiques
3.2. Le jun jun (tambour royal)
3.3. Le degg daw
3.4. I.e rue
3.5. Le gajjalde
4. Signification et circonstance d’utilisation des instruments de musique
4.1. Qui a droit à tel tambour et pourquoi
4.2. Circonstance d’utilisation
CHAPITRE II : ANALYSE DES RECITS SUR LA QUETE ET LA CONQUETE DES AIRS ET INSTRUMENTS MUSICAUX 
1. Origine des airs musicaux et des instrument de musiques
2. Fonction et place du lamb et du jun jun
2.1. Origine du lamb
2.2. La rencontre entre Latsukaabe et Dogo
2.3. L’accession au pouvoir de Latsukaabe et l’élection de Dogo
3. T2 R7
3.1. Origine du jun jun
3.2. Quête et l’objet magique
4. Ce que dit tam-tam
4.1. Interaction entre tam-tam et paroles
4.2. Message tambouriné pour tester la réaction d’un membre de la société par rapport au code de l’honneur
4.3. Interprétation tambourinée du Gajjalde
4.4. Interprétation tambourinée du Fudë
TROIXIEME PARTIE : TYPOLOGIE DE PAROLES GRIOTIQUES 
CHAPITRE 1 LES DIFFERENIS PARLERS GRIOTIQUES ET LEURS SIGNIFICATIONS 
1. Les types de paroles : Le miel et le fiel
1.1. Le chant d’exortation
1.1.1. Le tagg
1.1.2. Le bàkk
1.1.3. Le jatt
2. Le chant virulent
2.1. Le xaxar
2.2. Le taasu
2.3. Le xarab
CHAPITRE II : ANALYSE DES RECITS
I. Première partie
1.1. T2 R1 Askanu Ngewel (la lignée des griots)
1. 2 . Analyse T2 R2
1.3. T2R3
1.4. T2 R4
1.5. T2 R5
1.6. T2 R6
2. Deuxième partie de l’analyse
2.1. La parole laudative
2.2. Kaloom T2 R7
2.3. T2 R8 Talaatay Ndeer
2.4. T2 R9 Jigeen Jëkkërëm (la femme n’a d’autre fierté que son mari) et Sëy (le mariage)
2.5. T2 RIO Kaaro Yàlla
2.6. T2 R11 Reew mi bayileen (peuple ! Retournez cultiver la terre)
2.7. T2 R12 Bëgg naa la (chérie je t’aime)
2.8. La parole pamphlétaire
7.9. T2 R13 Loo fi jaay nu jëndd ko (Nous répondrons à tous tes actes)
2.10. T2 R14 Njëkke (la belle soeur)
2.11. T2 RI 5 Bu iïu kenn fitnaal ! (Ne nous agacez point!)
2.12. T2 R16 Laabaan (Ma fille)
CHAPITRE III : LES GRIOTS PARLENT D’EUX-MEMES 
1. Le griot en scène
1.1. Le griot, l’honneur et le pouvoir
2. Les griots et l’Islam
CHAPITRE IV : LE GRIOT ET LA MODERNITE 
I. du pouvoir ceddo el reconversion du griot
1.1. Rupture et déviance du griot
2. Du griot de cour à la star du show biz et du commerce international
3. Analyse des récits sur le griot et la modernité
3.1. T3 RI Galayaabé
3.2. T3 R2 Le statut de la griotte
3.3. T3 R3 Birima
3.4. T3 R4 La conversion du Para juu julj
3.5. T3 R5 Cheikh Mbacké
3.6. La fonction narrative : l’histoire et le narrateur
3.7. La fonction de régie
v 3.8. La fonction de communication
3.9. La fonction testimoniale
QUATRIEME PARTIE 
1. La parole du griot
1.1. Les griots wolof au miroir de leur langue
1.1.1. Le rapport griot/société
1.1.2. L’honneur
2. Le thème de la femme : La mère, la femme, la soeur
2.1. L’amour
22. Le travail
2.3. les fonctions de la parole
2.4. Fonction enthousiaste et émotive
2.5. La fonction dramatique du dialogue
3. Le style
3.1. Quelques éléments narratifs
3. 9 . Les répétitions
3.3. L’autoglorification
4. Du langage proverbial
5. Les parallélismes asymétriques
6. Les figures de mot
6.1. L’anaphore
6.2. Les allitérations et les assonances
CONCLUSION GENERALE
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