La dépression est une pathologie universelle avec une prévalence sur la vie entière proche de 16% (Kessler et coll. 2003). Elle représente une priorité en santé publique avec un coût élevé et un fort retentissement sur la qualité de vie des sujets (Kessler, 2012). En outre, c’est une pathologie pouvant avoir un début précoce et ayant un fort impact sur l’insertion sociale et le niveau socio-économique (Kessler et coll. 2005). C’est également une affection avec un fort taux de récidive, proche de 70% après deux épisodes dépressifs majeurs et proche de 100 % au-delà (Kessing et coll. 1998). Il existe des données biologiques caractérisant cette pathologie et elles sont nombreuses, telles que des anomalies des cycles de sommeil, notamment du sommeil paradoxal, des anomalies du fonctionnement du système catéchol aminergique et sérotoninergique, des anomalies structurelles cérébrales (Hasler et coll. 2004) et des anomalies du système immunitaire. Une autre grande ligne de dysfonctionnement est celle de l’axe du stress ou axe hypothalamohypophyso surrénalien (axe cortisolique) qui est intéressante car ayant un retentissement sur l’hippocampe. Une série de ces données biologiques s’intéresse à l’aspect neurotoxique de la dépression, considérant chaque épisode comme un état de stress au cours duquel l’organisme ne parvient pas à maintenir son homéostasie, la durée passée au cours d’une dépression étant alors considérée comme neurotoxique. Cette toxicité serait médiée, entre autres, par le cortisol et aurait donc un impact sur l’hippocampe. Une autre série de données s’intéresse à une spécificité du registre plus qualitatif de la dépression, considérant qu’il existe des sous types de dépression plus homogènes, notamment la mélancolie (Antonijevic, 2005). Dans ce sous type, la toxicité médiée par l’axe du stress et le cortisol est également mise en avant, mais donc pas de manière générale pour toute pathologie thymique. Une autre caractéristique des dépressions de type mélancolique est la prépondérance des troubles cognitifs.
L’HIPPOCAMPE
Anatomie et cognitions
D’un point de vue anatomique, l’hippocampe est divisé en trois régions qui sont tête, corps et queue. Il est composé du gyrus denté, qui contient des progéniteurs neuronaux au niveau de la couche granulaire, et des trois champs ammoniens, CA1, CA2 et CA3. Les cellules granuleuses du gyrus denté se multiplient, se différencient, migrent et projettent des axones ou fibres moussues, vers les champs ammoniens. Les champs ammoniens sont composés d’un cortex à trois couches. A l’échelle cellulaire, ils sont composés de cellules pyramidales glutamatergiques, d’interneurones inhibiteurs Gabaergiques et de cellules granuleuses. Les axones des cellules pyramidales du champ ammonien trois constituent les collatérales de Schaeffer qui permettent une transmission aux autres champs ammoniens (Figure 1)
Encore d’un point de vue anatomique, l’hippocampe est entouré du cortex entorhinal, du subiculum et de la fimbria projetant vers le fornix. Le fornix est un épais faisceau de substance blanche et constitue la voie efférente de l’hippocampe. Cette voie projette des fibres soit vers l’hémisphère contra-latéral, soit vers les corps mammilaires, diverses régions thalamiques et vers l’aire septale médiane du cortex. Le cortex entorhinal est la voie d’entrée dans l’hippocampe, cette structure reçoit des projections, entre autres, du cortex cingulaire. A noter qu’une boucle de ré-entrée impliquant l’hippocampe, les corps mammilaires, le thalamus et le cortex cingulaire, le circuit de Papez, circuit résonnant, est impliquée dans l’apprentissage de nouveaux éléments. L’hippocampe est une structure impliquée dans la mémoire. D’un point de vue cellulaire, cet encodage passe par des récepteurs de coïncidence, qui peuvent renforcer (Long Term Potentiation, LTP) lorsque deux neurones déchargent des potentiels d’action en même temps, ou affaiblir (Long Term Depression, LTD) des connexions synaptiques. Ceci passe par les récepteurs AMPA, NMDA et des canaux calciques. Une partie des informations encodées subit un processus de consolidation et la trace mnésique est alors présente au sein du cortex. D’un point de vue fonctionnel, l’hippocampe est impliqué dans la mémoire. Il est également impliqué dans la navigation spatiale. Il est de plus connecté (et adjacent) aux amygdales, au cortex cingulaire et à d’autres structures limbiques, il est impliqué dans le traitement des émotions et la régulation émotionnelle. Il est également connecté à l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et participe à la réaction au stress. Enfin, il est connecté au cortex pré-frontal et participe aux fonctions cognitives (Figure 2).
Hippocampe et HPA
Notre capacité à répondre au stress détermine notre santé globale et, comme nous le verrons, a un retentissement sur l’hippocampe (Frodl et O’Keane, 2013). Le cerveau est un des principaux organismes de régulation face au stress. L’axe qui va de l’hypothalamus à l’hypophyse et aux surrénales (axe HHS) est le principal axe neuroendocrinien impliqué dans la réponse au stress. Il permet la production de cortisol (hormone du stress) par les surrénales. Le cortisol est un glucocorticoïde et ce nom vient du fait que sa sécrétion a pour mission de mobiliser les réserves énergétiques de l’organisme pour répondre à une situation requérant un changement adaptatif (de Kloet et coll. 2005). Au-delà de mobiliser les réserves en graisse et en sucre de l’organisme, le cortisol joue sur le métabolisme osseux, la réactivité du système cardiovasculaire et la fonction immunitaire. Au niveau du cerveau, le cortisol agit par deux types de récepteurs auxquels il se lie : les gluco-récepteurs (GR) et les minéralo-récepteurs (MR). Concernant l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, la Corticotropin Releasing Hormone (CRH) est le principal peptide impliqué dans l’activation de cet axe. La CRH est sécrétée par le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus en réponse à un stress somatique ou psychologique. Des stimuli somatiques tels que la faim (Ott et coll. 2011) ou l’inflammation (Straub et coll. 2011) provoquent de manière constante une activation de l’axe hypothalamo-hypophyso surrénalien. En revanche, la réponse à un stress psychologique tels que le stress social, est variable d’un sujet à l’autre, avec une absence de sécrétion de cortisol chez certains individus (Trestman et coll. 1991). On voit déjà poindre l’idée d’une inégalité dans la réponse au stress. La CRH est sécrétée dans le système porte hypothalamo-hypophysaire qui la mène à l’hypophyse. Celle-ci sécrète alors de l’hormone corticotrophine (ACTH) dans la circulation périphérique. Enfin l’ACTH provoque la sécrétion de glucocorticoïdes depuis le cortex des glandes surrénales.
L’hippocampe intervient dans ce mécanisme de réponse au stress. En effet, le cortisol a un effet de rétro-feedback négatif en inhibant la sécrétion d’ACTH et de CRH par les récepteurs au cortisol présents sur l’hypothalamus et sur l’hippocampe. Il est important de noter qu’il existe une balance étroite entre ces différents intervenants. De plus, l’axe HHS a des impacts sur le cerveau que nous allons développer. Les effets de l’hyper sécrétion de cortisol sont, en pratique clinique, difficiles à distinguer de ceux de l’ACTH et de la CRH. Le syndrome de Cushing, lui, est le cas d’une hypersécrétion de cortisol avec un taux d’ACTH faible. Dans ce syndrome, on note une dépression dans 60% des cas, dépression en rémission lorsque le taux de cortisol se normalise (Kelly et coll. 1996). On note également dans ce syndrome une atrophie corticale prématurée et des altérations du fonctionnement cognitif (Simmons et coll. 2000). Concernant l’hippocampe plus spécifiquement, l’hyper sécrétion de cortisol est toxique pour ce dernier. En effet, au niveau de la couche granuleuse du gyrus denté, des progéniteurs neuronaux continuent de se multiplier et de se différencier à l’âge adulte. Ce mécanisme est impliqué dans les processus d’apprentissage et de mémorisation, comme l’ont modélisé Becker et coll. (2009). Or des taux élevés de cortisol, chez le rat, ont montré une modification de la plasticité synaptique, une réduction de la neurogenèse voire une atrophie neuronale (Goosens et Sapolsky, 2007). Les glucocorticoïdes provoquent une augmentation de libération d’acides aminés excitatoires tels que le glutamate qui peut induire, en excès, une mort cellulaire ou apoptose (Campbell et MacQueen, 2004). Ils annulent également l’augmentation du facteur de croissance neuronale, le Brain Derivated Neurotrophic Factor, BDNF (Campbell et MacQueen, 2004), ce qui empêche la multiplication des cellules dendritiques en lien avec un stimulus. Enfin, l’hippocampe a normalement, comme nous l’avons dit, un rôle d’inhibition sur la sécrétion de CRH. Or l’altération hippocampique par une exposition prolongée ou répétée aux gluco corticoïdes empêche ce rétro-contrôle. Ceci crée une boucle d’altération hippocampique nommée la « glucorticoïd cascade hypothesis » (Sapolsky et coll. 1986). Nous reprendrons cette hypothèse et ce mécanisme en lien avec la dépression et les traitements antidépresseurs (Figure 3).
Les tests mnésiques utilisés pour évaluer les fonctions hippocampiques
Avant de repérer quelles sont les anomalies cognitives qui peuvent être spécifiques de la dépression, en refléter le caractère neurotoxique ou l’hétérogénéité, potentiellement via les altérations de l’hippocampe, il est nécessaire de discerner les différentes facettes des troubles mnésiques. La mémoire est constituée de plusieurs sous –type dont la mémoire à long terme qui comprend la mémoire déclarative. La mémoire implique par ailleurs quatre processus que sont l’encodage, la consolidation, le stockage et la récupération. L’hippocampe est indispensable pour l’encodage et le stockage. Les tests mnésiques qui sollicitent l’hippocampe sont les tests concernant la mémoire déclarative et plus particulièrement la mémoire déclarative différée. Les principaux tests employés dans nos deux études exposées ici sont le test des mots de Rey et le test des mots de Wechsler. Concernant le test des mots de Rey (Lezak, 1983), quinze mots sont lus de manière distincte au sujet qui doit de manière immédiate en rappeler autant que possible. Cette opération est répétée cinq fois de suite. Puis le sujet effectue une tâche qui va distraire les sujets, qui est, autant que faire se peut, autre chose qu’une tâche verbale, pendant vingt minutes. Enfin un paragraphe contenant les quinze mots est lu au sujet qui doit dire chaque mot qu’il reconnait. Les résultats sont classés en mémoire immédiate, mémoire différée et reconnaissance. Ces deux tests sont relativement proches, les mots de Rey sont donnés ci-dessous à titre indicatif (le test est décrit plus précisément en Annexe 1, les mots en italiques sont ceux dont on mesure la bonne restitution). Un vieux paysan (1) à longues moustaches (2), assis sur un banc (3) au soleil (4) dans son jardin (5), près de la rivière (6), surveillait ses dindons (7) et ses poules (8) en fumant sa pipe (9) ; il regardait passer sur la route (10) devant le café (11), près de la gare (12), un enfant (13) qui allait à l’école (14). Cet enfant avait oublié sa casquette (15), son manteau (16) et ses livres (17). Il soufflait dans une trompette (18), tenait un drapeau (19) et portait, attaché à la ceinture (20), un petit tambour (21) aux couleurs (22) vives. De la maison (23) au bout de la rue (24), les parents (25) et le frère (26), derrière les rideaux (27) de la fenêtre (28) garnie de fleurs (29), observaient attentivement le petit écolier (30). Le test des mots de Wechsler est tiré du « Wechsler Memory Scale » (Wechsler, 1945) qui comprend le « Logical Memory subtest ». Deux histoires sont lues à voix haute au sujet. Il lui est ensuite demandé de répéter l’histoire en utilisant le maximum de mots identiques à ceux de l’histoire. Après une tâche distrayante de vingt minutes il est demandé au sujet de répéter à nouveau l’histoire avec le maximum de mots identiques à l’histoire originale. Un point est accordé pour toute formulation alternative proche.
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Table des matières
I Introduction
II L’hippocampe
II. 1 Anatomie et cognitions
II. 2 Hippocampe et axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
II.3 Les tests mnésiques utilisés pour tester les fonctions hippocampiques
III Effet des psychotropes sur l’hippocampe et les fonctions cognitives
IV Les spécificités de la mélancolie
V Les facteurs de risque connus pour la dépression favorisent ils une approche qualitative ou quantitative de la dépression ?
VI Effet propre à l’âge
Etude 1
VII La toxicité cognitive et neuro-anatomique de la dépression, un phénomène cumulatif ou qualitatif ?
Etude 2
VIII Conclusions
Références
Annexe 1 : Test des mots de Rey
Annexe 2 : Echelle CORE
Annexe 3 : NART ….
Annexe 4 : Fiche d’information aux patients
Annexe 5 : Feuille de consentement
Annexe 6 : Données totales de l’échantillon de l’étude 2
Annexe 7 : article de l’étude 1
Résumé de la thèse
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