L’océan couvre 70 pourcent de la surface de la Terre. De ce fait les sédiments marins constituent le second habitat le plus répandu sur notre planète, après la colonne d’eau (Gray et Elliott, 2009). La diversité de forme, de taille, de composition et d’agencement des sédiments offre une multitude d’habitats pour les organismes benthiques. Un habitat doit regrouper l’ensemble des conditions environnementales dans lequel une espèce ou une population peut survivre et se maintenir à l’état spontané (Carpentier et al., 2005). Néanmoins certaines espèces (dites ingénieures) peuvent le modifier du fait de leur propre structure physique (par exemple les coraux) ou par leurs actions (par exemple les castors, Castor sp.). Ainsi la présence de construction biologique peut avoir une répercussion sur l’hydrodynamisme local, le taux de sédimentation mais également sur l’installation d’autres espèces (Eckman, 1983). Les interactions entre un habitat et la faune qu’il héberge, sont donc complexes et nécessitent souvent une approche pluridisciplinaire afin d’aborder ce système dans son ensemble. La compréhension de ces liens est primordiale dans la préservation des écosystèmes et la conservation d’espèces d’intérêts particuliers, rares ou commerciales. Ce travail illustre des interactions qui peuvent exister entre un habitat et sa biocénose associée avec le cas original des pockmarks et du peuplement à Haploops nirae (Kaim-Malka, 1976) en baie de Concarneau (Bretagne Sud – France).
Contexte géologique
La baie de Concarneau couvre une surface d’environ 200 kilomètres carrés pour une profondeur inférieure à 50 mètres. Elle correspond à une dépression tectonique de cinq à six kilomètres de large et de quinze kilomètres de long, limitée par deux systèmes de failles (Delanoë, 1988). La bordure orientale se caractérise par plusieurs accidents structuraux, qui coïncide avec le système de failles décrochantes de Kerforne de direction N160 (Vanney, 1977 ; Béchennec et al., 1997 ; Menier, 2003; Proust et al., 2011 [Figure 1]). Le socle cristallin est composé de plusieurs unités dont la plus importante, en terme de surface, correspond au granite de Tregunc (Béchennec et al., 1997). Sur ce socle repose, en discordance, des séries de l’Éocène moyen constituée de formations de grès et des grésocalcaires bartoniennes faillées, basculées et plissées ainsi qu’incisées par des paléovallées. Ce système préserve les rares remplissages de calcaires marins de l’Oligocène supérieur (Delanoë et al., 1976).
Au sein de la baie de Concarneau l’Odet et ses affluents creusent un réseau hydrographique dans le socle cristallin et dans les séries tertiaires. Les vallées fossiles de l’Odet formant deux systèmes de paléovallées. Le premier se situe au Sud de la baie et est orienté au N120, parallèlement au cisaillement sud armoricain. Le second, quant à lui, est orienté N160, le long du système de failles de Kerforne (Menier, 2003 [Figure 2]). Le creusement de ce réseau fluviatile aurait débuté dès la fin de l’Eocène et au début de l’Oligocène (Delanoë, 1988). Ces paléovallées, longues de 20 et 18 kilomètres, ont des cours sinueux relativement étroits (200 à 500 mètres de large) et se rejoignent pour former un seul système de drainage, de quatre kilomètres de large, au sud de la pointe de Trévignon. Des dépôts fluviatiles et estuariens pléistocènes moyen ou supérieur ont comblé l’ensemble. La couverture holocène, épaisse de 3 à 5 m, vient coiffer toute la zone étudiée à l’exception de certains plateaux tels que les terrasses à maërl entre Concarneau et Trévignon (Bouysse et Calvez, 1967 ; Bouysse et al., 1974).
A l’heure actuelle la majeure partie de la baie est constituée de vase à faible composante sableuse. Ce faciès sédimentaire est bordée au Nord-Est par une terrasse à maërl (Ehrhold et al., 2006 ; Rigolet et al.,2014).
Contexte hydrodynamique
L’hydrodynamique de la zone d’étude est fortement contrainte pas la morphologie des fonds marins et les conditions régionales. En baie de Concarneau les courants de marée n’excèdent pas les 80 centimètres par seconde et ils atteignent seulement 20 centimètres par seconde entre les secteurs de Concarneau et de Trévignon (Ehrhold, 2007). Ils alternent leurs trajectoires entre Sud-Sud /Ouest pendant le flux (ou flot) et Nord-Nord/Est lors du reflux (ou jusant). La marée est semi-diurne avec un marnage de 5,5 mètres, pouvant augmenter jusqu’à 6-7 mètres au cours des grandes marées (Tessier, 2006). Les grandes houles sont généralement associées à des vents d’Ouest (Tessier, 2006) mais la baie en est relativement protégée par divers hauts fonds (Moutons, Pourceaux Glénans et Basse jaune [Pinot, 1974]). En ce qui concerne la turbidité, les apports sédimentaires sont peu marqués car les débits des rivières qui débouchent dans la baie sont faibles (Glémarec et al., 1987). Cependant au cours des dernières décennies la turbidité a augmenté dans les eaux côtières. L’une des causes envisagée pourrait-être l’accroissement des activités anthropiques conduisant à une eutrophisation du milieu auquel viennent s’ajouter les perturbations liés au dragage et chalutage en haute mer (Hily et al., 2008).
Les peuplements benthiques
En 1964, les peuplements benthiques de la baie se répartissaient d’Ouest en Est suivant un gradient sédimentaire. En effet, un peuplement de sable fin à Amphiura filiformis (ophiures) à l’Ouest laisse place à un peuplement de vases sableuses à Maldane glebifex (annélides) à l’Est. Au centre de la vasière, entre la pointe de Trévignon et les Glénan, une population de Haploops nirae forme une enclave au sein du peuplement à Maldane. Les densités de Haploops étaient alors d’environ de 2000 à 5000 individus par mètre carré. Dix années plus tard, en 1974, les populations de Haploops avaient colonisé vers le nord une grande partie des vases à Maldane (Ménesguen, 1980). La population de Maldanes est alors passée de 450 individus par mètre carré, en 1969, à 30 individus par mètre carré, en 1983 (Glémarec et al, 1987). Ce déclin peut être expliqué par le fait que le large tube de vase compacte qui abrite le Maldane, favorise l’installation des H. nirae et inhibe son propre développement populationnelle (concept de l’amensalisme [Glémarec et Grall, 2003]). En 2003 la carte morpho-sédimentaire de Ehrhold et al. (2006) confirme une relative stagnation de la distribution de la population de Haploops, déjà observée en 1977, 1983 et 1997. Leur progression est limitée par la présence du peuplement de Amphiura filiformi au Nord-Ouest. Par leurs activités alimentaires, il maintient une instabilité de la couche superficielle du sédiment par une remise en suspension continue des particules. Cette bioturbation empêche l’installation des Haploops (Glémarec et al, 1987). Les fonds sablo-vaseux de la baie de Concarneau sont actuellement occupés par quatre peuplements Ehrhold et al. (2006) : les sables à Owenia fusiformis (annélides) situé à l’Ouest de la baie, près des Glénan, les vases sableuses à Amphiura filiformis situés au Nord, les vases molles à Sternaspis scutata (annélides) et enfin les vases consolidées à Haploops nirae.
Depuis 2008, l’ensemble du secteur d’étude est inclus dans une zone protégée Natura 2000.
UNE ASSOCIATION ÉTONNANTE : HAPLOOPS /POCKMARKS
Les peuplements à Haploops sp. ont été découverts dans certaines baies de Bretagne Sud dans les années 60 (entre 1964 et 1966 [Glémarec, 1969]). Les Haploops sont des petits crustacés amphipodes, de un à deux centimètres selon l’espèce, appartenant à la famille des Ampeliscidés (Dauvin et Bellan-Santini, 1990 [Figure 3]). Jusqu’à récemment les espèces du genre Haploops présentes en Bretagne Sud ont été rapportées comme appartenant à Haploops tubicola (Glémarec, 1969 ; Ménesguen, 1980 ; Glémarec et al., 1987 ; Le Bris, 1988). Cependant, après la description d’une nouvelle espèce, par Kaim-Malka en 1976, les collections ont été réexaminées et des analyses génétiques ont été effectuées. Ainsi les individus ont été réattribués à l’espèce Haploops nirae, par Dauvin et Bellan Santini (1990) et Rigolet (2013). Cette espèce a été identifiée en mer Méditerranée (e.g. au sud de la France, en Israël et en Italie) et dans l’océan Atlantique de la côte du Maroc à la Bretagne Sud, où elle atteint sa limite Nord de répartition (Dauvin et Bellan-Santini, 1990). Elle vit à des profondeurs de 15 à 320 mètres et sur des fonds vaseux, notamment pour leur permettre de construire leur tube. En effet, la plupart des espèces appartenant à la famille des Ampeliscidés sont tubicoles. Chaque individu vit dans son propre tube, qui ne peut être ouvert que de l’intérieur (Figure 3 et Annexe 1). Les tubes de Haploops nirae sont positionnés verticalement et ont une forme aplatie ressemblant à une cosse de légumineuse. Ils atteignent environ cinq centimètres de long pour les individus adultes et dépassent de deux à trois centimètres au-dessus de la surface du sédiment. Ils sont faits à partir d’un mélange de vase, de pseudofèces (i.e. particules non digérées par l’animal) et de mucus (mucopolysaccharide) (Rigolet, 2013). Ils s’allongent et s’élargissent au fur et à mesure de la croissance de l’animal (Glémarec et Grall, 2003). Pour se nourrir les Haploops se tiennent en position dorsale près de l’orifice du tube et recueillent les microalgues de l’eau environnante en balayant leurs antennes dans la colonne d’eau (Enequist, 1949 ; Rigolet et al., 2011).
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Table des matières
INTRODUCTION
I. ÉTAT DES LIEUX
1. Contexte géologique
2. Contexte hydrodynamique
3. Les peuplements benthiques
II. UNE ASSOCIATION ÉTONNANTE
III. MATÉRIELS ET MÉTHODES
1. Acquisition et traitements des données
2. Aire de répartition des pockmarks et du peuplement à Haploops nirae
3. L’évolution des pockmarks dans deux zones d’études
4. Activité de bioconstruction de Haploops nirae
4.1 Plan d’échantillonnage
4.2 Traitement du matériel sédimentaire
4.3 Traitement statistique
IV. RÉSULTATS
1. Aire de répartition des pockmarks et du peuplement à Haploops nirae
2. L’évolution des pockmarks dans les deux zones étudiées
2.1. Zone A
2.2. Zone B
3. Activité de bioconstruction de Haploops nirae
V. DISCUSSION
1. Aire de répartition des pockmarks et du peuplement à Haploops nirae
2. L’évolution des pockmarks dans les deux zones étudiées
3. Activité de bioconstruction de Haploops nirae
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES