La première description exacte des plaquettes a été publiée par Max Schultze en 1854 (1). Il les considère pour la première fois comme un constituant physiologique du sang circulant, et recommande instamment l’étude plus approfondie de ces « sphérules ». En 1882, le médecin italien Giulio Bizzozero démontrera la valeur de cette recommandation dans une étude beaucoup plus exhaustive (2). Il montra que ces « granules » sont les premiers composants sanguins adhérant aux parois des vaisseaux endommagés in vivo et, in vitro, qu’elles sont capables d’adhérer à des fils sur lesquels se dépose alors de la fibrine. Il les nommera piastrine en italien, traduit en français par petites plaques puis plaquettes. Les plaquettes sanguines sont décrites depuis la fin de XIXe siècle comme le support des états permettant le maintien de la fluidité du sang et l’arrêt des hémorragies.
Les plaquettes jouent en effet un rôle primordial dans le processus de l’hémostase ; elles sont, avec le facteur von Willebrand, l’un des acteurs majeurs de l’hémostase primaire, formant par leur agrégation le clou plaquettaire qui arrête l’hémorragie en cas de brèche vasculaire, et constituant également une surface procoagulante, support des réactions de coagulation.
Quand la fonction des plaquettes est altérée, le sujet s’expose à un risque accru d’hémorragies. Les thrombopathies constitutionnelles correspondent à un groupe hétérogène de pathologies rares liées à des atteintes fonctionnelles plaquettaires dont la fréquence est estimée à 1/10 000 individus en France. Les variants à l’origine de ces maladies génétiques affectent des protéines impliquées dans les processus d’activation, d’adhésion, d’agrégation plaquettaire ou encore dans leur activité procoagulante. L’étude de ces thrombopathies nécessite une connaissance approfondie de la physiopathologie plaquettaire, qui sera abordée dans la première partie de ce travail.
Rôle des plaquettes dans l’hémostase primaire
L’hémostase primaire comprend l’ensemble des phénomènes aboutissant à la formation, lors d’une brèche vasculaire, d’un caillot essentiellement plaquettaire, anciennement dénommé « clou plaquettaire » ou « thrombus blanc ». Ce caillot initial est ensuite consolidé par la formation de fibrine après activation de la coagulation, formant le caillot fibrinoplaquettaire, insoluble, capable de combler efficacement la brèche vasculaire et d’arrêter ainsi le saignement. Le processus de fibrinolyse permettra la dissolution du caillot et le reperméabilisation du vaisseau.
Les plaquettes font partie des acteurs majeurs de l’hémostase primaire, de même que le facteur von Willebrand (VWF), le fibrinogène et la paroi vasculaire. En l’absence de brèche, l’endothélium vasculaire synthétise et libère des inhibiteurs plaquettaires (23) comme le monoxyde d’azote et la prostaglandine I2 (PGI2); constituant une surface non thrombogène. Lors d’une brèche vasculaire, le sous-endothélium, thrombogène, est mis à nu et va permettre l’adhésion et l’activation des plaquettes. Parallèlement, le contenu des granules plaquettaires est sécrété et amplifie l’activation plaquettaire, aboutissant à l’agrégation plaquettaire et à la formation du thrombus.
Activation plaquettaire
L’activation plaquettaire fait intervenir de multiples voies de signalisation complémentaires. De façon schématique, elles peuvent être séparées en deux groupes : les voies impliquant les molécules adhésives, et celles impliquant les agonistes solubles. On peut considérer que les molécules adhésives mobilisent des intégrines et des glycoprotéines de surface couplées à l’activation de tyrosine kinases et à la phosphorylation de motifs spécifiques dont les motifs ITAM (immuno-tyrosine based activation motifs) (25) ; alors que les agonistes solubles ont pour récepteurs des membres de la superfamille des récepteurs à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G (RPCG) (26) .
La fixation des agonistes solubles ou des molécules adhésives sur leur récepteur active respectivement les phospholipases C (PLC) et (PLC). L’hydrolyse du phosphatidylinositol 4,5 bisphosphate (PI(4,5)P2) par les PLCβ ou γ génère deux seconds messagers : l’inositol 1,4,5-trisphosphate (IP3) et diacylglycérol (DAG), conduisant respectivement à la mobilisation du Ca2+ à partir des stocks intracellulaires et à l’activation des protéines kinase C (PKC). L’augmentation du Ca2+ intracytoplasmique est essentielle à l’activation plaquettaire, cet ion étant un cofacteur essentiel à l’action de nombreuses enzymes impliquées notamment dans l’activation de l’intégrine αIIbβ3, la sécrétion plaquettaire et le réarrangement du cytosquelette d’actine. Les PKCs sont aussi essentielles à la majorité des réponses plaquettaires en régulant de nombreux acteurs de la dynamique plaquettaire. Cette signalisation aboutit à l’activation plaquettaire proprement dite.
Voies de signalisation impliquant les molécules adhésives
En cas de lésion de l’endothélium vasculaire, la matrice sous-endothéliale riche en collagène et en protéines fibrillaires (fibronectine, laminines, vitronectine) se retrouve exposée au flux sanguin. Les plaquettes sanguines vont alors ralentir et adhérer au sous-endothélium en se liant aux constituants de la matrice via leurs récepteurs membranaires. Cette première étape, rapide (3 à 5 min), débute par une vasoconstriction réflexe qui entraine une perturbation du flux sanguin. Nous détaillerons les principales classes de récepteurs impliquées dans l’adhésion plaquettaire, soit :
➤ la famille des protéines riches en leucines, comme le complexe GPIb-IX-V, récepteur du VWF
➤ la famille des immuno-récepteurs à motif ITAM dont fait partie la GPVI, récepteur du collagène
➤ la famille des intégrines avec l’intégrine α2β1, également récepteur du collagène ; et l’intégrine αIIbβ3, récepteur du fibrinogène.
D’autres glycoprotéines et des tétraspanines peuvent également être impliquées dans l’activation plaquettaire.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Physiologie plaquettaire
1.1. Mégacaryopoïèse
1.2. Structure des plaquettes
1.2.1. Membrane
1.2.2. Cytosquelette
1.2.3. Organelles plaquettaires
1.2.3.1. Granules α
1.2.3.2. Granules denses (δ)
1.2.3.3. Lysosomes
1.3. Rôle des plaquettes dans l’hémostase primaire
1.3.1. Activation plaquettaire
1.3.1.1. Voies de signalisation impliquant les molécules adhésives
a) Le complexe GPIb-IX-V
b) La GPVI
c) Les intégrines
1.3.1.2. Voies de signalisation impliquant les agonistes solubles
a) Les récepteurs à la thrombine : PAR1 et PAR4
b) Les récepteurs à l’ADP : P2Y1 et P2Y12
c) Les récepteurs au thromboxane A2 (TXA2) : TPα
d) Les récepteurs à l’épinéphrine (adrénaline)
e) Les récepteurs à la sérotonine (5-HT)
1.3.1.3. Voies d’inhibition de l’activation plaquettaire
1.3.2. Agrégation plaquettaire
1.3.2.1. Signalisation « inside-out » de l’intégrine αIIbβ3
a) Voies de signalisation « inside-out » impliquées dans l’agrégation plaquettaire
b) CalDAG-GEFI : nœud de signalisation intra-plaquettaire
1.3.2.2. Signalisation « outside-in » de l’intégrine αIIbβ3
2. Outils diagnostiques
2.1. Préanalytique
2.2. Numération plaquettaire et microscopie optique
2.3. Microscopie électronique
2.4. Immunofluorescence
2.5. Tests globaux d’exploration de l’hémostase primaire
2.5.1. Temps de saignement
2.5.2. Temps d’occlusion plaquettaire
2.6. Agrégation plaquettaire
2.7. Cytométrie en flux
2.8. Etude de la sécrétion plaquettaire
2.8.1. Dosage du contenu des granules plaquettaires
2.8.1.1. Granules α
a) Dosage des protéines solubles des granules α
b) Etude des protéines membranaires des granules α
2.8.1.2. Granules denses
a) Etude des protéines membranaires des granules denses
b) Détermination du contenu en nucléotides plaquettaires
c) Dosage de la sérotonine
2.8.2. Tests fonctionnels de la sécrétion granulaire
2.8.2.1. Granules α
2.8.2.2. Granules denses
a) Lumi-agrégométrie : Test à la luciférine luciférase
b) Test de sécrétion de la sérotonine (SRA : serotonin release assay)
c) Autres tests fonctionnels de sécrétion de la sérotonine
d) Test à la mépacrine
2.9. Biologie moléculaire
3. Stratégie diagnostique et classification des principales thrombopathies constitutionnelles
3.1. Stratégie diagnostique
3.2. Classification des principales thrombopathies constitutionnelles
3.2.1. Pathologies des récepteurs glycoprotéiques des protéines adhésives ou d’agrégation
3.2.1.1. Thrombasthénie de Glanzmann
3.2.1.2. Syndrome de Bernard-Soulier
3.2.1.3. Déficit en GPVI
3.2.1.4. Pseudo-maladie de Willebrand plaquettaire
3.2.2. Pathologies des récepteurs des agonistes solubles
3.2.2.1. Déficit en P2Y12
3.2.2.2. Déficit en récepteur du TXA2
3.2.3. Pathologies des voies de signalisation
3.2.3.1. Déficit en CalDAG-GEFI
3.2.3.2. Déficit en Kindline : leukocyte adhesion deficiency III (LAD-III)
3.2.3.3. Syndrome de Noonan
3.2.4. Pathologies sécrétoires
3.2.4.1. Défauts des granules α
a) Syndrome des plaquettes grises
b) Thrombopathie Québec, ARC syndrome, syndrome de Paris-Trousseau
3.2.4.2. Défauts des granules denses
a) Syndrome du pool vide
b) Syndrome de Chediak-Higashi, Syndrome d’Hermansky-Pudlak, Syndrome de Griscelli
3.2.5. Anomalies de l’activité procoagulante des plaquettes
3.2.5.1. Syndrome de Scott
CONCLUSION