Définitions
Le sepsis est un des plus anciens syndromes décrits en médecine. Avicenne le définissait comme un processus par lequel le sang et les tissus se putréfiaient dans un contexte de fièvre (Majno 1991). Plus tard décrits par Boerhaave, Von Liebig, Semmelweis, Pasteur, Lister, Lennhartz et plus récemment par Bone (Bone et al. 1992), le sepsis et sa prise en charge ont intéressé les praticiens depuis près de 3000 ans. Depuis 1991, les définitions ont évolué dans la littérature jusqu’à la plus récente de Singer and coll. en 2016 qui décrit désormais le sepsis comme la présence d’une infection associée à la survenue de dommages tissulaires à distance du foyer infecté (Singer et al. 2016). Le choc septique devient une entité à part entière dans laquelle le risque de mortalité augmente de façon substantielle, caractérisé par une hypotension qui persiste malgré un remplissage vasculaire, et requiert in fine l’usage d’agents vasopresseurs. L’étude des traitements du sepsis reflète les progrès de notre compréhension de la physiopathologie humaine et des interactions entre l’hôte et les micro-organismes. Les premières recherches se sont penchées sur les micro-organismes et leur pathogénicité. A partir des années 80, grâce aux nouvelles technologies et particulièrement au clonage moléculaire et au séquençage des gènes humains liés à l’inflammation, les investigations se sont davantage tournées vers la réponse de l’hôte pour inactiver les pathogènes que vers la pathogénicité même de ces agents infectieux (Le and Vilcek 1989; Dinarello 1984; Beutler and Cerami 1989). La découverte de comment l’hôte reconnaît le soi et le non-soi a contribué à améliorer notre connaissance du sepsis et de sa pathogenèse. En effet, la reconnaissance du signal « danger » supporte le fait que le système de l’immunité innée reconnaît des patterns microbiens et des produits cellulaires comme des signaux de danger ou des « alarmines » de l’invasion microbienne ou des lésions tissulaires. Cependant, des travaux ont montré également que la physiopathologie de la progression du sepsis était bien plus complexe que la simple mise en jeu de l’inflammation ou d’une reconnaissance d’un pattern microbien ou de l’hôte. Le sepsis concerne aussi le tissu endothélial et la microcirculation, les tissus lymphoïdes, la coagulation et les tissus parenchymateux (poumon, cerveau…) (Deutschman and Tracey 2014; Levi, Schultz, and van der Poll 2013; L. E. White et al. 2013). Parallèlement, en dépit d’une nette amélioration de notre compréhension du sepsis, de ses origines, sa progression et sa résolution (guérison ou décès), notre capacité à intervenir et modifier le cours de la pathologie n’est que partiellement atteinte (Kaukonen et al. 2014). Autrement dit, notre compréhension physiopathologique a souvent échoué à améliorer le devenir des patients. Ainsi, bien que la mortalité intra-hospitalière liée au sepsis ait diminué durant la dernière décennie, cette amélioration est principalement attribuable au fait que l’on reconnaît les sepsis plus précocement et que l’on suit de façon plus complète les recommandations dans leur prise en charge (Ferrer et al. 2008; Levy et al. 2015).
Dysfonction endothéliale
En plus de profonds changements dans l’immunité protectrice de l’hôte, la fonction de barrière endothéliale fait partie intégrante de la réponse au sepsis. La phase liquide du compartiment vasculaire est séparée des tissus par une barrière endothéliale continue qui recouvre le système vasculaire. Dans des conditions physiologiques, l’endothélium sert de surface anticoagulante et régule les flux de gaz, d’eau, de solutés, d’hormones, de lipides, de protéines, et d’une multitude d’autres macromolécules de la microcirculation. Le sepsis entraîne une dysrégulation notamment des communications cellulecellule qui participent à l’homéostasie dans des conditions physiologiques (Deutschman and Tracey 2014) avec un dysfonctionnement de la barrière endothéliale qui survient précocement. La barrière endothéliale, en situation normale ou pathologique, est hautement dynamique grâce à la cellule endothéliale, pivot de la régulation de cette barrière. L’endothélium sain a pour rôle de garantir la couverture de la membrane capillaire et de l’adventice, afin d’éviter l’exposition des fibres de collagène et du facteur von Willebrand (FvW) qui interagit avec. Lorsqu’elle est exposée au sang, la matrice sous-endothéliale riche en collagène fournit une surface adhésive capable de recruter et d’activer les plaquettes. Dans le même temps, l’endothélium activé peut exprimer le facteur tissulaire qui va lier le facteur VII circulant et entraîner ainsi l’initiation de la cascade de la coagulation par la voie du facteur tissulaire (ou voie extrinsèque) (Angus and van der Poll 2013). L’intégrité de l’endothélium est maintenue par le cytosquelette cellulaire (actine), les molécules d’adhérence intercellulaire (jonctions serrées) et un ensemble de protéines de soutien. Durant le sepsis, ces structures sont perturbées principalement en réponse à l’adhésion plaquettaire et des neutrophiles et à la libération des médiateurs inflammatoires et d’intermédiaires toxiques oxydants et nitrés. Combinée à l’augmentation de l’expression des sélectines et des intégrines, la liaison des leucocytes à la surface endothéliale entraîne une fuite du liquide vasculaire et la migration des leucocytes par extravasation à travers la barrière endothéliale altérée. Bien que cette réponse permette aux plaquettes et aux cellules immunitaires d’atteindre les sites tissulaires sièges d’une infection, le sepsis induit des réponses systémiques excessives et prolongées qui peuvent engendrer des lésions tissulaires majeures. Parallèlement, le glycocalyx est aussi altéré. Il est composé d’une couche de glycoprotéines-polysaccharides qui recouvre l’endothélium et maintient l’état anticoagulant et les jonctions serrées. Le sepsis altère la continuité du glycocalyx ce qui concourt à une augmentation de la perméabilité endothéliale (Chelazzi et al. 2015).
Les multiples facettes de la thrombine
Étant donnée l’importance centrale de la thrombine dans la propagation de la thrombose microvasculaire et de l’inflammation, la définition des mécanismes de la génération dérégulée de thrombine et une meilleure compréhension des mécanismes par lesquels cette sérine-protéase favorise la thrombo-inflammation durant le sepsis sont importants pour le développement futur de thérapies anticoagulantes et anti-inflammatoires efficaces. La thrombine peut augmenter sa propre génération notamment via une boucle d’activation rétroactive du complexe thrombine-Facteur XI (Matafonov et al. 2011). De nombreuses fonctions de la thrombine sont médiées par des récepteurs PAR (protease-activated receptors) couplés aux protéines G. Quatre PAR ont été identifiés et peuvent être activés par un large éventail de protéases. La thrombine a de nombreux effets dans le système vasculaire. Une partie de ses effets proinflammatoires est médiée par la stimulation des cellules endothéliales. L’α-thrombine active les cellules endothéliales principalement par la protéolyse de PAR1, induisant l’expression du FT et la mobilisation des corps de Weibel-Palade, ce qui entraîne une augmentation de l’expression de la Psélectine et la libération du FvW (Tull et al. 2012). L’α-thrombine induit également la libération de chimiokines par l’endothélium, de cytokines et de facteurs de croissance, et elle régule l’expression des molécules d’adhésion, notamment VCAM-1, ICAM-1 et E-sélectine (Okada et al. 2006). L’α-thrombine stimule l’activité pro-coagulante des plaquettes par l’intermédiaire des PAR1 et PAR4 (PAR3 et PAR4 chez la souris). Le clivage des PAR plaquettaires déclenche la libération du contenu des granules, libérant ainsi l’ADP et la sérotonine, entraînant l’expression de la P-sélectine et du CD40 ligand, la génération de thromboxane A2, et la libération d’un large éventail de molécules pro-inflammatoires, y compris des chimiokines et des facteurs de croissance (Shankar et al. 2006; Coppinger et al. 2004). Enfin, l’α-thrombine est un puissant activateur de l’intégrine αIIbβ3, induisant l’agrégation plaquettaire (Figure 9).
Modulation de la réponse inflammatoire
La réponse inflammatoire précoce exagérée demeure une cible d’intérêt dans la recherche fondamentale et clinique autour du choc septique. À l’heure actuelle, au moins 150 essais cliniques ont été menés sur PRR, les PAMPs eux-mêmes ou les cytokines et médiateurs inflammatoires précoces du sepsis. Aucun n’a démontré à ce jour son efficacité, même si plusieurs sont encore en cours d’essai. L’analyse rétrospective de sous-groupes a souvent montré un bénéfice significatif dans les sousgroupes plus petits avec antagoniste du récepteur de l’IL-1 et inhibiteurs du TNF, mais ceux-ci n’ont pas été validés de manière prospective. Il a été suggéré que les raisons de l’échec de ces essais cliniques incluaient le moment choisi pour l’administration du médicament et l’impossibilité d’identifier de manière prospective les patients présentant un sepsis qui pourraient bénéficier de ces traitements (Marshall 2014). Chez certaines populations de patients, le traitement avec des agents antiinflammatoires a en réalité augmenté la mortalité (Qiu et al. 2011), ce qui suggère que, dans certains cas, la production endogène de ces médiateurs pourrait être essentielle pour l’immunité protectrice. À l’heure actuelle, de nombreux agents anti inflammatoires et immunostimulants font l’objet d’essais cliniques dans cette indication.
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Table des matières
1. SEPSIS ET CHOC SEPTIQUE
1.1. Définitions
1.2. Épidémiologie & mortalité
1.3. Physiopathologie du sepsis
1.3.1. Initiation de l’inflammation
1.3.2. Mise en jeu de l’axe complément C5a
1.3.3. Développement d’une suppression Immune
1.3.4. Dysfonction endothéliale
1.3.5. Thromboinflammation et coagulopathie septique
1.3.5.1. Thrombose et inflammation
1.3.5.2. L’endothélium, régulateur critique de la thrombo-inflammation
1.3.5.3. α-thrombine : médiatrice centrale de la thrombo-inflammation
1.3.5.4. Les multiples facettes de la thrombine
1.3.5.5. Coagulopathie septique
1.3.6. Effets sur les organes
1.4. Diagnostic du choc septique, biomarqueurs
1.5. Prise en charge du choc septique
1.5.1. Contrôle de l’infection
1.5.2. Stabilisation hémodynamique
1.5.3. Modulation de la réponse inflammatoire
2. RÔLE DES PLAQUETTES DANS LE SEPSIS
2.1. Les plaquettes sanguines : structure et fonctions hémostatiques
2.1.1. Structure plaquettaire
2.1.2. Fonctions plaquettaires dans l’hémostase
2.2. Fonctions immunes des plaquettes
2.2.1. Patrouilleuses autonomes de la surveillance immune
Détection rapide des sites de l’infection au contact de l’endothélium lésé
Modalités d’interactions des plaquettes avec les pathogènes
a) Interactions avec les bactéries et leurs produits
Rôle de la glycoprotéine IIb-IIIa
Rôle de la glycoprotéine Ibα
Récepteurs du complément
Récepteur FcγRIIa
Interactions avec les toxines bactériennes
b) Interactions avec les virus
2.2.2 Modulatrices versatiles de l’inflammation : caractéristiques de la réponse plaquettaire à l’infection
De l’activation à l’agrégation plaquettaire
Recrutement des cellules immunes, action antimicrobienne et anti-inflammatoire
Partenariat avec les cellules de l’immunité innée dans l’immunité intra-vasculaire dans le sepsis
a) Illustration de la collaboration dans la réponse à l’infection
b) Interactions plaquettes-neutrophiles
c) Implication des plaquettes dans la NETose
2.2.3 Rôle des plaquettes dans l’immunothrombose
2.2.4 Rôle dans la résolution de l’inflammation
2.3 Conséquences clinico-biologiques du sepsis sur les plaquettes en réanimation
2.3.1 Thrombopénie septique : étiologies et implications
2.3.2 Coagulopathie induite par le sepsis
2.4 Ciblage plaquettaire dans le sepsis
RESULTATS EXPÉRIMENTAUX ET CLINIQUES
Partie 1 : CHOC SEPTIQUE & RÉACTIVITÉ PLAQUETTAIRE
Partie 2 : SEPSIS VIRAL : L’EXEMPLE DE LA COVID-19
DISCUSSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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