Les modèles murins de lymphomes B
Plusieurs modèles murins de lymphomes B sont couramment utilisés. Ces modèles sont souvent xénogéniques, ils consistent en une greffe d’une tumeur humaine dans un organisme immuno-déficient, pour notamment tester les drogues humaines. Quelques modèles spontanés ont été développés dans le but d’étudier les anomalies moléculaires de la souris et les comparer à l’homme. Enfin, des modèles syngéniques ont été mis en place pour se rapprocher encore plus de la pathologie humaine. L’ablation d’un ganglion lymphatique de patient permet l’étude de l’environnement local des lymphomes nodaux mais les prélèvements de certains lymphomes extranodaux sont de faible volume et plus rares. Donc les modèles murins sont d’une utilité majeure dans la caractérisation du microenvironnement cellulaire de ce type de tumeur. De nombreuses lignées cellulaires lymphomateuses B existent (voir revue en annexe II). Par exemple, la lignée cellulaire A20 est un lymphome de type B d’haplotype H-2d dérivée d’un sarcome réticulaire (reticulum cell sarcoma) spontané trouvé chez une souris BALB/c AnN âgée de plus de 15 mois (Kim et al., 1979). Le sarcome réticulaire est aujourd’hui appelé lymphome à grande cellule. Cette lignée est alors proche du DLBCL humain. Pour étudier le micro-environnement immunitaire tumoral, un modèle syngénique est le mieux adapté. Les réponses immunitaires s’y déroulant nous donnent des pistes de recherche chez l’homme plus fiables que dans les autres modèles car elles sont d’abord dirigées contre les caractéristiques tumorales des cellules injectées et non contre leur caractéristique d’espèce. De plus, la localisation a aussi une importance réelle pour refléter l’environnement tumoral chez l’homme. Or, la plupart des auteurs utilisent, pour la lignée A20 notamment, des localisations sous-cutanées qui n’ont jamais été rapportées chez l’homme pour le DLBCL. Le modèle du PIOL, par exemple, développé au laboratoire regroupe ces 3 éléments importants : il est syngénique dans une localisation véritable chez une souris immunocompétente. Il consiste en l’injection intra-oculaire de lymphome B murin (cellules A20.IIAGFP (green fluorescente protein)) chez des souris adultes BALB/c immuno-compétentes. Le développement de la tumeur est systématique dans toutes les souris qui meurent au bout de 50 à 60 jours (Touitou et al., 2007). De plus, ce modèle est proche de la pathologie humaine tant par son infiltration rétinienne que par son environnement cytokinique et ses métastases cérébrales.
Rôle du système immunitaire dans les tumeurs
D’un côté, les réactions inflammatoires ont été décrites comme favorisant la croissance tumorale. Ceci est démontré dans les phénomènes d’inflammation chronique, comme dans l’infection par Helicobacter pilori et le cancer de l’estomac, dans les maladies auto immunes, démontré par l’association de la maladie cœliaque et du lymphome des MALT (mucusaassociated lymphoid tissue) ainsi que dans les cas d’agressions chimiques liant par exemple la fumée de cigarette et le cancer du poumon (Fridman et al., 2011). D’un autre côté, l’équipe de Schreiber, par la définition du concept d’immuno surveillance,prend le parti qu’une reconnaissance des cellules tumorales par les cellules immunitaires existe et qu’une destruction de la tumeur peut s’en suivre. Ce concept a été suggéré depuis une centaine d’années d’abord par Paul Ehrlich puis par Frank Macfarlane Burnet et Lewis Thomas. Cependant la démonstration n’en a été probante que dans les années 90 avec l’avènement des modèles murins génétiquement modifiés pour le compartiment immunitaire. Une des expériences le démontrant étant celle de Shankaran et coll. qui ont montré qu’une tumeur induite par le méthylcholanthrène, un carcinogène chimique, prolifère plus rapidement et est plus agressive chez une souris immuno-déficiente que chez une souris immuno-compétente (Shankaran et al., 2001) (Figure 4).
Déclenchement des réponses immunitaires envers la tumeur
L’élimination de cellules tumorales est en général le fruit de la coopération entre l’immunité adaptative (les lymphocytes) et l’immunité innée. Les processus par lesquels le système immunitaire prend connaissance de la présence de la tumeur ne sont pas clairs. Trois mécanismes peuvent être mis en jeu. Des molécules sécrétées par la tumeur dans ses phases précoces de développement, comme l’IFN de type I, de même que les molécules libérées par des cellules tumorales mourantes nommées DAMP (danger signals molecular patterns) sont considérés comme des signaux de danger par les cellules de l’immunité innée dont les cellules dendritiques (Figure 5). Certaines molécules de surface des tumeurs sont des ligands « de stress » liant des récepteurs de cellules de l’immunité innée comme MICA/B. Les molécules activant les cellules de l’immunité innée ainsi que les cellules dendritiques/macrophages induisent le relargage par ces cellules de cytokines proinflammatoires déclenchant l’induction de réponses immunitaires adaptatives.
Les acteurs de l’immunité anti-tumorale
Les tumeurs se développent dans les tissus et par conséquent, les premières cellules à leur contact sont les cellules résidentes propres à chaque tissu, par exemple les cellules de l’immunité innée. Dans un second temps, des cellules infiltrent les tissus tumoraux, par exemple les lymphocytes. Les cellules Natural Killer (NK) sont impliquées dans la destruction directe des cellules tumorales. Elles sont capables de relarguer des molécules de type perforine et granzyme. Les cellules NK sont non spécifiques de l’antigène et non restreintes au CMH, d’ailleurs, elles attaquent les cellules dépourvues de CMH I. Leur efficacité dépend de récepteurs de surface de la tumeur auxquels elles se lient et qui ont la capacité de les activer ou de les inhiber (Platonova et al., 2011). La reconnaissance de la partie Fc d’anticorps fixés à des antigènes tumoraux via leur récepteur CD16 va permettre le mécanisme d’ADCC c’est-à-dire de cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps. Les cellules NKT restreintes au CD1d sont des régulateurs important des réponses inflammatoires dans les modèles de cancer murin avec des mécanismes d’action proches des cellules NK et des lymphocytes T CD8+. Leur action ne dépend pas de la production de perforine mais d’IFNγ (Terabe and Berzofsky, 2008). Bien que possédant le récepteur des cellules T (TCR) et le marqueur CD3, elles appartiennent à l’immunité innée car elles réagissent rapidement à la reconnaissance d’antigènes lipidiques (comme α-GalCer ou des sulfatides) associés au CD1d de manière non spécifique (Godfrey and Rossjohn, 2011). Les lymphocytes Tγδ sont des cellules lymphoïdes de l’immunité innée reconnaissant des phosphoantigènes par leurs TCR et des ligands de type NK. Ils seraient capables de tuer de nombreux types de cellules cancéreuses (leucémie, lymphome, mélanome…) par la sécrétion d’IFNγ (Gomes et al., 2010). Parmi les cellules myéloïdes, les macrophages (CD11b+Ly6G-) et les neutrophiles (CD11b+Ly6G+, Ly6C-) sont les principaux acteurs anti-tumoraux. Pour chacune de ces populations, il existe 2 sortes de phénotypes : inflammatoire « 1 » et immuno-supppresseur « 2 ». Le type 1 est anti-tumoral et le type 2 est pro-tumoral (Mantovani et al., 2002; Fridlender et al., 2009). Les macrophages pro-inflammatoires, M1, sont phagocytaires. Ils participent à l’élimination de la tumeur par opsonisation des cellules tumorales et présentation des antigènes tumoraux aux lymphocytes T (LT) CD4+. Ils agissent aussi par ADCC comme les NK ainsi que pas relargage d’enzymes lysosomiales, de métabolites oxygénés et de TNFα (tumor necrosis factor) (Mantovani et al., 2002). Les cellules dendritiques exercent en partie leur rôle anti-tumoral dans la présentation des antigènes tumoraux aux LT CD4+ via le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) II et par leur importance dans la polarisation et le maintien du phénotype de ces cellules via la sécrétion de cytokines clés (par exemple IL23 dans le maintien du phénotype Th17). Les neutrophiles de type 1, associés aux tumeurs, exercent leur action antitumorale chez la souris via l’expression de cytokines (IL12, TNFα, GM-CSF (granulocyte-macrophage colony-stimulating factor), VEGF) et chimiokines (CCL3, CXCL9, CXCL10) pour recruter et activer les cellules T CD8+, entre autres, et via leur capacité directe à tuer les cellules tumorales par la sécrétion de défensines et de dérivés chlorés (Di Carlo et al., 2001; Fridlender et al., 2009). Les mastocytes aussi peuvent être des cellules régulant l’inflammation. Leur rôle dans l’immunité anti-tumorale consisterait principalement à induire une cytotoxicité cellulaire par la sécrétion de TNFα (Oldford et al., 2010).
Les acteurs suppresseurs de l’immunité anti-tumorale
Cependant, dans certains cas, l’élimination par les cellules immunitaires n’est pas efficace et la tumeur prolifère. La tumeur échappe au contrôle de l’hôte par 2 grands mécanismes. Le premier est l’immunoediting, le système immunitaire ne reconnait plus la tumeur comme du non-soi. Cette régulation est le fruit d’une sélection des clones les moins immunogènes (Vesely et al., 2011). Le deuxième mécanisme est la capacité de détourner les réponses immunitaires à son avantage en favorisant l’immuno-suppression. Dans ces 2 cas la tumeur va soit entrer en phase d’équilibre avec le système immunitaire, soit échapper complètement à son contrôle et proliférer. Dans le cas du détournement des mécanismes anti-tumoraux de l’hôte, l’action de certaines cellules immunitaires peut être bénéfique à la tumeur en lui procurant une aide à la prolifération et à la néoangiogénèse. La littérature liste les macrophages, les neutrophiles, les mastocytes ainsi que certains lymphocytes T et B dans cette action pro-tumorale (Ruffell et al., 2010). Les lymphocytes T régulateurs naturels (nTreg) sont différenciés dans le thymus. Ils sont de phénotype CD4+CD25hi et principalement Foxp3+(forkhead box protein 3). Ils nécessitent un contact cellulaire pour être efficaces et sécrètent du TGFβ. Les Treg induits (iTreg) se différencient localement à partir de LT naïfs (Figure 6) quand une stimulation du récepteur au TGFβ à leur surface active la transcription du gène FOXp3. Les Tr1, sécréteurs d’IL-10, et les Th3, sécréteurs de TGFβ, sont des iTreg mais n’expriment que transitoirement le Foxp3. Ils agissent en absence de contact cellulaire direct (Yamazaki and Steinman, 2009). Les Treg suppriment l’action des lymphocytes T spécifiques de la tumeur principalement par la sécrétion de molécules immuno-régulatrices, IL-10 et TGFβ, suppriment la fonction des cellules présentatrices d’antigènes (CPA) par la voie CTLA-4 (CTL-associated antigen4), hydrolisent l’ATP extracellulaire par CD39 et CD73 et transfèrent les cAMP inhibiteurs aux LT effecteurs via des jonctions gap (Sakaguchi et al., 2009). Des environnements immunosuppresseurs leur sont souvent favorables, par exemple l’induction d’IDO (indoleamine 2,3- dioxygenase) par la tumeur permet de stabiliser le phénotype Treg (Sharma et al., 2010). Les cellules myéloïdes suppressives forment une population cellulaire hétérogène immature très commune dans les cancers. Elles peuvent avoir adopté un phénotype monocytaire (Ly6C+) ou granulocytaire (Ly6G+ ). Il a été démontré que ces cellules peuvent infiltrer les tumeurs et se différencier en macrophages matures ou neutrophiles (Hanahan and Weinberg, 2011). Elles peuvent alors être la source des M2 ou N2. Même sans différenciation au préalable, ces cellules peuvent réguler les réponses immunitaires. Leur production d’oxyde nitrique dépendante de l’IFNγ et leur synthèse d’arginase dépendante de l’IL-4 induisent la perte de la chaîne zeta du CD3 ce qui résulte en l’inhibition des cellules T (Fridlender et al., 2009; Yang et al., 2010) et de promouvoir la néo angiogénèse (Mantovani et al., 2002). Elles sont aussi capables d’inhiber l’action des cellules NK (Hanahan and Weinberg, 2011). De plus, les macrophages Foxp3+, une population de macrophages suppresseurs nouvellement décrite, pourraient supprimer la prolifération des lymphocytes T via la sécrétion de prostaglandine 2 et favoriser la croissance tumorale. Les mastocytes sont capables de mobiliser ces cellules suppressives dans la tumeur (Yang et al., 2010). Les cellules NKT possèdent elles aussi un « type II » immuno-suppresseur. Les cellules NKT sont notamment les régulatrices de l’immunité anti-tumorale du fibrosarcome 15-12M où la rechute tumorale ne survient pas lorsque le CD1d est muté (Terabe and Berzofsky, 2008). Ces cellules, CD4+ , agissent via la sécrétion d’IL-13 sur des cellules myéloïdes CD11b+ Ly6C+ sécrétant à leur tour du TGFβ inhibiteur de cellules immunitaires telles que les CTL.
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Abstract
Abréviations
Introduction
1 – Les lymphomes B diffus à grandes cellules (DLBCL)
1.1. Introduction générale des lymphomes
1.1.1. Classification
1.1.2. Epidémiologie
1.2. Nosologie des DLBCL
1.2.1. Stade de développement : morphologie et phénotype
1.2.2. Anomalies moléculaires
1.2.3. Localisation
1.2.4. Conclusion sur la nosologie des DLBCL
1.3. Epidémiologie
1.4. Etiologie
1.5. Diagnostic de la maladie
1.6. Thérapie
1.7. Les modèles murins de lymphomes B
2 – Le micro-environnement immunitaire des DLBCL
2.1. Généralités sur le micro-environnement immunitaire des tumeurs solides
2.1.1. Le stroma et les cellules vasculaires
2.1.2. Le micro-environnement immunitaire
2.1.2.1 Rôle du système immunitaire dans les tumeurs
2.1.2.2 Déclenchement des réponses immunitaires envers la tumeur
2.1.2.3 Les acteurs de l’immunité anti-tumorale
2.1.2.4 Les acteurs suppresseurs de l’immunité anti-tumorale
2.1.2.5 Les mécanismes de l’hôte modulant l’immuno-suppression des réponses antitumorales
2.1.3. Le pronostic associé aux cellules immunitaires
2.2. Le micro-environnement des lymphomes à grandes cellules B
2.2.1. Localisation nodale
2.2.2. Localisation extranodale
2.3. Le micro-environnement des lymphomes dans un site immunologiquement privilégié
2.3.1. Définition du privilège immun
2.3.2. Le lymphome primitif du système nerveux central (PCNSL)
2.3.3. Le lymphome testiculaire
2.4. Conclusions sur le micro-environnement des DLBCL
3 – Les lymphocytes Th17
3.1. Identification des Th17
3.1.1. Description phénotypique et polarisation
3.1.2. Caractéristiques inflammatoires des cytokines Th17
3.1.3. Autres sources des cytokines Th17
3.2. Rôle des Th17 dans les désordres immunitaires
3.2.1. Th17 et maladies auto-immunes
3.2.2. Th17 et allergies
3.3. Th17 et immunité anti-microbienne
3.4. Rôle des Th17 dans les cancers
3.4.1. Généralités
3.4.2. Présence et rôle des Th17 dans les lymphomes B
3.4.3. Balance Th17/Treg dans les cancers
3.4.2.1 Mécanismes d’action immuno-suppressive
3.4.2.2 Rôle des Treg dans les cancers
3.4.2.3 Rôle des Treg dans les lymphomes B
3.4.2.4 Rôle de la balance Th17/Treg dans les cancers
4 – Objectifs de la thèse
Résultats
I. Etude du micro-environnement immunitaire du lymphome B chez la souris –Impact de la localisation du lymphome
a. Article 1
b. Résultats non publiés 1
II. Présence et rôle des Th17 et de leurs cytokines dans le PIOL
a. Article 2
b. Résultats non publiés 2
i. Molécules favorables aux Th17 dans l’œil de souris
ii. Effet de l’IL-21 sur la différenciation des cellules tumorales
iii. Traitement des souris PIOL par l’IL-21
III. Impact de la localisation du lymphome B sur le rôle des Treg et des Th17 envers la tumeur (résultats non publiés)
a. Rôle des Treg dans le lymphome B en fonction de sa localisation
b. Rôle de l’IL-17 dans le lymphome B en fonction de sa localisation
Discussion
I. Etat du micro-environnement immunitaire des lymphomes de type DLBCL en fonction de la localisation
II. Présence des lymphocytes Th17 dans le micro-environnement du PIOL
III. Rôle des lymphocytes Th17 dans le micro-environnement du PIOL
IV. Rôle de la balance Treg/Th17 dans le micro-environnement du lymphome B en fonction de sa localisation
Conclusion et perspectives
Bibliographie
Annexes
I. Article « Cytokine profile in human eyes with intraocular lymphoma: contribution of a new cytokine combination for differential diagnosis with uveitis »
II. Revue « Murine models of B cell lymphomas : promising tools for designing cancer therapies »
III. Article « Naturally occurring CD4+CD25+Foxp3+ regulatory T cells participate in but do not govern immune escape in primary intraocular lymphoma »
IV. Matériel et méthodes
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