Deux mille cinq cents, c’est environ le nombre de satellites qui sont en ce moment même en orbite autour de la Terre [CNES]. Leur nombre augmente continûment depuis le lancement en 1957 du premier d’entre eux, le satellite soviétique Spoutnik. D’abord symbole de la conquête de l’espace par l’homme, les satellites, auxquels il faut ajouter les sondes spatiales, sont maintenant présents dans de nombreux domaines économiques, scientifiques et militaires. Les enjeux associés sont considérables et sont à l’origine des efforts de recherche développés dans le cadre de la propulsion spatiale. Il s’agit en outre de maîtriser parfaitement la trajectoire de l’engin une fois celui-ci détaché de son lanceur. Dans le cas d’un satellite, il faut considérer son changement d’orbite jusqu’à l’orbite finale, l’orientation correcte de celuici par rapport à l’objectif et la correction des nombreuses perturbations de trajectoire tout au long de son utilisation (maintien en orbite et contrôle d’attitude). Il est donc équipé de propulseurs qui éjectent de la matière à une vitesse élevée dans la direction choisie créant une poussée conformément au principe de réaction.
Depuis le début de l’ère spatiale, l’un des défis majeurs de l’industrie aérospatiale est de faire face à l’accroissement des besoins en charge utile. Les satellites de technologie de plus en plus avancée, tout comme les sondes d’exploration, s’alourdissent et nécessitent par conséquent une puissance de plus en plus importante pour pouvoir être manœuvrés. Deux possibilités s’offrent à l’accroissement de la poussée : augmenter la vitesse d’expulsion de la matière ou augmenter le débit massique. La seconde possibilité pose problème dans la mesure où une augmentation du débit signifie une masse de propergol plus importante à emporter, ce qui alourdit d’autant la charge à propulser. Or, la part de carburant dans la charge utile est déjà très importante. A titre d’exemple, le carburant emporté par un gros satellite dont la durée de vie en orbite excède les 10 ans, ou par un module orbital type Cassini, peut représenter plus de 50 % de leur masse totale au décollage. Il faut donc se concentrer essentiellement sur la vitesse d’expulsion de la matière. La propulsion chimique, bien au point et en position de large monopole en matière de propulsion spatiale depuis des décennies, rencontre des limites inhérentes à son principe. Les valeurs théoriques de vitesse d’éjection maximale n’offrent que peu de marge pour les développements futurs. C’est dans ce cadre de nécessaire rupture en matière de mode de propulsion que la propulsion électrique poursuit son développement. Encore loin de rivaliser avec les poussées produites par la propulsion chimique, elle en constitue à l’heure actuelle une alternative crédible pour maintes applications. Son atout principal réside dans les vitesses d’éjection très élevées qu’elle permet par rapport à la propulsion chimique (jusqu’à 20 fois supérieure). Les propulseurs électriques autorisent ainsi un gain de charge utile important (1 tonne sur la masse au décollage pour un satellite de 4.5 tonnes par exemple) les rendant particulièrement compétitifs.
Mise en évidence expérimentale de la turbulence dans le propulseur
L’historique de la création et du développement du propulseur à effet Hall a largement conditionné la manière de comprendre les phénomènes physiques intervenant dans le fonctionnement de celui-ci. L’hypothèse d’une conductivité électronique au travers des lignes de champ magnétique dirigée principalement par les collisions pariétales [Morozov et al. 2000] a longtemps prédominé. Les récents développements dans les simulations numériques montrent l’insuffisance de cette hypothèse. Dans la section précédente, nous avons évoqué le rôle important que la turbulence semble jouer dans le transport électronique anormal. La présence de la turbulence au sein du propulseur est confirmée par les travaux expérimentaux récemment menés sur le propulseur à effet Hall (SPT-100ML) sur le moyen d’essai PIVOINE à Orléans [Prioul 2001, Bouchoule et al. 2003, Lazurenko et al. 2005, Kurzyna et al. 2005]. Il s’agit de mesures de micro-instabilités en sortie de propulseur à l’aide de sondes de Langmuir et d’antennes.
Les antennes peuvent transmettre des signaux jusqu’à 20 GHz et sont capable de résister à une température de 600˚C. Elles sont installées dans des saignées de quelques millimètres réalisées dans la céramique externe du canal de décharge à proximité du plan de sortie. Comme le montre le schéma, le dispositif expérimental comporte plusieurs antennes disposées à des positions axiales et azimutales différentes en vue de caractériser au mieux les propriétés des micro-instabilités (décalage en azimut de la position des antennes pour mesurer la vitesse de propagation azimutale des perturbations, position parallèle et perpendiculaire des antennes par rapport à l’axe du moteur pour mesurer les composantes axiale et radiale du champ électrique).
Elle met en évidence l’apparition d’instabilités dans la bande de fréquence de 5 à 8 MHz sur les fronts décroissants du courant de décharge. Toutes les antennes donnent un signal similaire : la position spatiale de l’antenne introduit uniquement un léger décalage des micro-instabilités qui apparaissent néanmoins toujours en front décroissant du courant de décharge. L’étude précise de ces micro-instabilités en fonction du temps montre un comportement imprévisible du signal : des phases d’organisation et de désorganisation se succèdent pendant la décroissance du courant de décharge. La phase de désorganisation s’apparente à une superposition de plusieurs signaux de fréquences différentes. L’interprétation théorique de ces phénomènes est encore sujette à débat mais ceux-ci mettent en avant le caractère turbulent du plasma au sein du propulseur. Alors que le principe de base du fonctionnement du propulseur est relativement simple, l’existence de nombreuses échelles spatiales et temporelles, le comportement non prévisible et l’apparence désordonnée du plasma démontre une activité turbulente du propulseur. L’implication directe de la turbulence dans le fonctionnement du moteur n’a pas à ce jour été explicitée mais de fortes corrélations ont été mises en évidence tant au niveau expérimental qu’au niveau numérique comme cela vient d’être exposé.
Simulation particulaire 2D (Z, θ)
A partir de 1998, les travaux du CPHT sur le propulseur à effet Hall ont été axés sur l’élaboration d’un modèle numérique particulaire. Il s’agissait dans un premier temps d’une modélisation mono-dimensionnelle axiale qui utilisait un schéma implicite. La stabilité de ce schéma a été obtenue au prix d’un amortissement important des hautes fréquences. En effet, là où dans un schéma explicite classique de type saute-mouton cet amortissement numérique est nul, pour le schéma utilisé, considérant une fréquence ω, on a un amortissement numérique γ/ω de l’ordre de 0.5 (ω∆t)³ [Cohen et al. 1982, Langdon et al. 1983]. Pour les paramètres typiques du propulseur, nous avons ωpe/Ω = 10 où ωpe et Ω sont respectivement la pulsation plasma et la pulsation cyclotronique électronique. Dans ces conditions, si on utilise un pas de temps adéquat pour résoudre la fréquence cyclotronique électronique, l’amortissement des ondes plasmas est, pour un pas de temps donné, 1000 fois plus important que l’amortissement du mouvement cyclotronique électronique. Dans ces simulations, le pas de temps utilisé était typiquement tel que Ω∆t ∼ 0.15, ce qui se traduit par un amortissement de l’ordre de 2 10⁻³ pour le mouvement cyclotronique et de l’ordre de 2 pour l’oscillation plasma, i.e. suppression effective des ondes plasmas.
Ce code PIC 1D implicite, qui permet donc de s’affranchir des contraintes de stabilité numérique liées à la fréquence plasma, comporte d’autre part une physique très riche en terme de modélisation des processus d’ionisation et de collisions [Garrigues et al. 2001]. Il est parvenu à reproduire les oscillations d’ionisation observées dans le moteur. L’étude de l’espace des phases obtenu dans ces simulations a suggéré cependant que ces résultats 1D devaient être instables à plusieurs dimensions : une rotation azimutale très rapide des électrons, sans dispersion thermique, y est en effet observée, ce qui est une situation caractéristique d’instabilité en l’absence d’inhomogénéité. Le modèle implicite a donc été étendu au cas 2D pour vérifier la stabilité de la solution 1D [Adam et al. 2004].
Comportement propulseur
Le modèle correspond maintenant à la surface d’un cylindre de plasma située à un rayon arbitraire du canal. Cette géométrie permet de prendre en compte la dérive azimutale des électrons. La description des populations ionique et électronique est particulaire. Comme le montre la figure 8, l’espace de simulation est ramené à une boîte rectangulaire équivalente à la surface du cylindre de plasma découpée selon la hauteur (donc selon l’axe du propulseur) et « aplani ». La flèche dans le schéma du haut indique l’axe du propulseur. La direction azimutale est modélisée par la direction y pour laquelle les conditions de bord sont périodiques. Les bords de la direction x représentant la direction parallèle à l’axe sont ouverts et une différence de potentiel y est appliquée. Le champ magnétique, considéré comme essentiellement radial, est porté par l’axe z et est donc perpendiculaire au plan de la simulation. Il ne dépend que de la variable axiale. Plusieurs profils ont été utilisés dans les simulations.
|
Table des matières
Introduction
Préliminaires
1 Le transport anormal dans les codes hybrides
2 Mise en évidence expérimentale de la turbulence dans le propulseur
3 Simulation particulaire 2D (Z, θ)
3.1 Comportement propulseur
3.2 Le champ électrique fluctuant
Partie I Instabilités électroniques de dérive
Chapitre 1 Relation de dispersion
1.1 Modèle
1.2 Établissement de la relation de dispersion
1.2.1 Population ionique
1.2.2 Population électronique
1.2.3 Relations de dispersion
1.3 Gradient de densit
1.4 Étude analytique
1.4.1 Hypothèse plasma froid
1.4.2 Cas kyVd ≈ nΩ
1.4.3 Cas F(kyVd) = 0
Chapitre 2 Étude linéaire de l’instabilité
2.1 Perturbation mono-dimensionnelle
2.1.1 Modes instables azimutaux
2.1.2 Influence du champ magnétique
2.1.3 Influence de la température
2.1.4 Influence du gradient de densité
2.2 Extension bi-dimensionnelle : modes obliques
2.3 Perturbation tri-dimensionnelle
2.4 Validation du domaine linéaire de l’instabilité
2.4.1 Modèle particulaire explicite
2.4.2 Phase linéaire de l’instabilité
2.4.3 Évolution de la fonction de distribution
Chapitre 3 Déformation de la fonction de distribution électronique et modes instables
3.1 Relation de dispersion intégrale
3.2 Déformation de la fonction de distribution
3.3 Évolution des solutions selon la forme de la fonction de distribution
3.3.1 Perturbation azimutale
3.3.2 Perturbation oblique
Chapitre 4 Comparaison avec les simulations
4.1 Simulation fortement discrétisée
4.2 Simulation multi-mode
4.2.1 Système 1D
4.2.2 Système 2D
4.3 Corrélation entre l’instabilité et le transport électronique
Chapitre 5 Conclusion de la première partie
Partie II Transport électronique stochastique
Chapitre 6 Interaction onde-particule dans un champ magnétique
6.1 Dynamique électronique : cas d’une onde azimutale
6.1.1 Configuration et équations
6.1.2 Interaction onde-électron : modèle de Karney
6.1.3 Transport électronique
6.2 Généralisation à une onde oblique
Chapitre 7 Validation numérique du modèle de transport stochastique
7.1 Modèle numérique
7.2 Cas d’une onde azimutale
7.2.1 Amplitude d’onde constante
7.2.2 Amplitude extraite du code PIC
7.3 Cas d’une onde oblique
7.3.1 Cas mono-mode
7.3.2 Cas multi-mode
Chapitre 8 Conclusion de la deuxième partie
Limites et perspectives
Annexes
Annexe A Calcul de la densité électronique perturbée
Annexe B Calcul de la vitesse de diffusion axiale
Annexe C Mise en évidence de l’instabilité par diffusion collective de la lumière
C.1 Diffusion de la lumière par un milieu turbulent
C.2 Détection du champ diffusé
C.2.1 Détection hétérodyne
C.2.2 Obtention du signal complexe
Conclusion
Bibliographie
Publications
Télécharger le rapport complet