Rôle de l’Océan Austral dans les grands cycles géochimiques
L’Océan Austral, défini comme la région au Sud de 40°S, est connecté à 3 bassins océaniques : l’Atlantique, l’Indien et le Pacifique et permet donc les échanges entre ces océans. C’est une région très active dans la formation et la subduction des masses d’eaux, en particulier les masses d’eaux profondes, qui contribuent au stockage du CO2 d’origine anthropique. Le pompage actuel du carbone anthropique par l’océan est estimé d’après les observations, en moyenne sur une décennie, à 2.2±0.4 10¹⁵gCan-1 (4ième Rapport de l’IPCC, WG I, 16/06/07). L’Océan Austral est un acteur important de la régulation du CO2 émis dans l’atmosphère, puisque la région au Sud de 50°S représente environ 20 % du pompage océanique du CO2, réalisé principalement par le biais de la pompe biologique (Takahashi et al., 2002).
L’absorption du CO2 anthropogénique par l’océan (puits de CO2) s’effectue suivant deux types de « pompes » (Figure 1):
– La pompe physique ou thermodynamique, est définie comme l’échange de carbone entre l’atmosphère et l’océan sous l’effet des flux de chaleur, de l’advection et de la diffusion et de la circulation océanique. Ce transfert est principalement contrôlé par la circulation de surface générée par le vent et par la circulation profonde associée à la circulation thermohaline (Figure 1). Cette pompe agit essentiellement au niveau des hautes latitudes, où les températures de surface de l’océan sont basses, permettant une meilleure solubilité du CO2 (d’après la loi d’Henry) et la diminution de la pression partielle pCO2 dans l’eau de surface : le gradient de CO2 ainsi induit permet une pénétration du gaz de l’atmosphère vers l’océan. Les mouvements de convection permettent ensuite une pénétration en profondeur de ce gaz, puis l’entraînement par la circulation thermohaline permet le transport et la « séquestration » de ce C à l’état dissous et inorganique (DIC).
– La pompe biologique repose essentiellement sur la consommation du CO2 via l’activité photosynthétique dans la couche euphotique de l’océan (100-150 m), suivie de sa transformation en carbone organique sous forme de matière dissoute (DOC) ou particulaire (POC, dans les particules vivantes ou détritiques), comme pour d’autres éléments tels que l’azote et la silice (cf. Figure 1). Ensuite, une partie du C est exportée vers des couches plus profondes via les particules, qui sont ensuite reminéralisées ou exportées vers les fonds océaniques, contribuant ainsi au stockage à plus long terme du C (de milliers d’années dans les fonds marins à des millions d’années si le C atteint les sédiments).
Bien que le stock de C associé à l’écosystème marin soit faible, environ 3×10¹⁵gC, le rôle de ce pompage biologique dans le cycle du C entre l’atmosphère et l’océan est important. Globalement, le phytoplancton marin est responsable pour plus d’un tiers de la production photosynthétique totale brute, soit environ 50 x10¹⁵gCan-1 (Carlson et al., 2001). Cependant, l’efficacité de la pompe biologique dépend de nombreux paramètres, comme par exemple 1) la lumière 2) la température 3) la profondeur de la couche mélangée 4) l’abondance d’autres éléments tels que les sels nutritifs (silicates, phosphates, nitrates), ou micronutritifs (Fe, Zn, Co, Cu…) qui sont nécessaires à la photosynthèse (Sedwick et al., 2002) et donc au piégeage du CO2. Dépendante de ces nombreux facteurs, l’efficacité de la pompe biologique varie fortement d’un point à l’autre de l’océan : quasi-nulle dans les centres des gyres, eaux fortement appauvries en sels nutritifs, elle est marquée par une forte saisonnalité dans l’Océan Austral, soumis à de fortes variations saisonnières. Par ailleurs, l’absence de fer dans les eaux de surface de cette région (Martin, 1990 avec « l’hypothèse de la limitation en fer », Boyd et al., 2002), ainsi que la profondeur importante de la Couche Mélangée Océanique (CMO), induit un déficit de production phytoplanctonique par rapport à l’abondance de sels nutritifs (Jickells et al., 2005) : on dit alors que la région est HNLC (High Nutrient Low Chlorophyll).
L’Océan Austral est une vaste zone HNLC et est reconnu comme une région océanique parmi les plus sensibles aux changements climatiques (Sarmiento et al., 1998, Tréguer et Pondaven, 2002, Marinov et al. 2006). L’augmentation des gaz à effet de serre d’origine anthropiques et les changements climatiques engendrés, pourraient modifier le fonctionnement de ces pompages : en changeant la circulation océanique (influence sur la température de surface des océans, la pression partielle atmosphérique,…) ou en affectant la chaîne de production biologique (Tréguer et Pondaven, 2002, Boyd et al., 2002, Jickells et al., 2005): changement dans la distribution spatiale et la gestion des stocks de nutriments, changement dans la nature de la matière exportée et donc dans le stockage du carbone (Joos et al., 1991, 4ième Rapport de l’IPCC, WG I, 16/06/07).
Il a été montré qu’au cours du dernier Maximum Glaciaire (LGM), les concentrations en CO2 de l’atmosphère étaient d’environ 180-200 ppmv (partie par million par volume), soit environ 80-100 ppmv plus faibles que celles observées durant l’Holocène, soit dans les 10 000 dernières années (Petit et al., 1999, Sigman et al., 2000, Watson et al., 2000). Un des scénarii pour expliquer cette diminution du CO2 atmosphérique pendant l’ère glaciaire est l’augmentation des apports atmosphériques de fer sous forme de poussières, estimés comme 2 à 20 fois plus élevés durant le LGM (Martin, 1990, Kumar et al., 1995, Jickells et al., 2005), enrichissant les eaux de surface de l’océan et augmentant la productivité biologique, et donc l’absorption du CO2 par cette voie. Dans la mesure ou le changement global induit des désertifications, et intensifie certains mécanismes d’érosion, on peut attendre des variations dans les flux d’apports continentaux à l’océan (Jickells et al., 2005) et donc dans les flux d’apport de fer (et d’autres micro-nutrients) . Ces modifications de flux pourraient à leur tour induire des modifications des écosystèmes marins. C’est pourquoi une meilleure compréhension de la réponse de l’océan à ces modifications climatiques est essentielle (Tréguer et Pondaven, 2002).
De récentes expériences de fertilisation artificielle de l’océan ont montré que le fer contribuait de façon non négligeable à la productivité biologique dans l’Océan Austral (Watson et al., 2000, Boyd et al., 2000, 2007, Gervais et al., 2002, Buesseler et al., 2004) mais que nombre de ces expériences présentaient des « artefacts » (Boyd et al., 2000, de Baar et al., 2005) tels que les variations de profondeur de la CMO entre les différentes expériences ou les modifications chimiques du fer liées à son ajout artificiel (rôle des colloïdes). Beaucoup de ces expériences ont générés des blooms (patches d’algues), souvent de l’ordre de quelques semaines (Boyd et al., 2002, de Baar et al.,2005). Aucune cependant n’a démontré de façon probante que l’export de C était stimulé dans la région fertilisée (Watson et al., 2000, Buesseler et al., 2004), le fer introduit restant trop peu de temps (formes chimiques non stables) ou étant très vite dispersé par la circulation (de Baar et al.,1995, 2005, Boyd et al., 2007).
Ces dernières années, des projets ont permis de mener des expériences afin d’étudier les processus de fertilisation naturelle de l’océan par le fer : les projet CROSEX (Pollard, 2004), FeCycle (Frew et al., 2006) et enfin le projet KEOPS (Blain et al., 2007) sur lequel va porter notre étude.
La zone d’étude
Description du bloom des Kerguelen
Bien que l’Océan Austral soit la plus vaste région HNLC de l’océan global, des floraisons printanières intenses sont annuellement observées pendant environ 4 mois, à proximité de certaines îles de cet océan comme illustré sur l’image satellite MERIS/MODIS (Figure 2) montrant des zones de concentrations élevées en Chlorophylle, notée Chla (Tyrell et al. 2005, Blain et al., 2007). Ces observations corroborent l’hypothèse d’une « limitation en fer » des zones HNLC (Martin et al., 1990), fer indispensable à la croissance de la chlorophylle et qui serait apporté localement sous l’effet des îles, atténuant cette limitation d’où l’apparition des patches. Ainsi, les zones de l’Océan Austral à proximité des îles constituent de véritables laboratoires naturels pour étudier les processus de la fertilisation naturelle de l’océan. Au dessus du plateau des Kerguelen, un bloom récurrent est observé chaque année (Figure 2) et témoigne d’une fertilisation naturelle de cette région par le fer (Blain et al., 2001, Bucciarelli et al., 2001, Blain et al., 2007). Ce bloom est caractérisé par deux patches principaux :
– Une branche étroite qui s’étend le long de la section Nord-Est du plateau et vers le Nord du Front Polaire avec une grande variabilité spatio-temporelle.
– Un bloom plus étendu (~45 000 km2 ) situé au centre du plateau, au Sud du PF et est contraint par la bathymétrie du plateau (cf. Figure 4).
Durant l’année 2004-2005, ce bloom printanier a démarré début novembre, avec des concentrations élevées en Chl a de l’ordre de 3 µg/L en décembre, avant de décroître à la fin du mois de février (Mongin et al., sous presse).
|
Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE I
PARTIE 1 LE CONTEXTE : LE PROJET KEOPS
I. Rôle de l’Océan Austral dans les grands cycles géochimiques
II. La zone d’étude
II.1. Description du bloom des Kerguelen
II.2. Description générale de la circulation de l’Océan Austral et du plateau des Kerguelen
II.3. Description biogéochimique
a) Le fer et Mn dissous (Blain et al., Sarthou et al., sous presse, Blain et al., 2007)
b) La production exportée (Savoye et al., sous presse, Blain et al., 2007)
c) Les nutritifs et la chlorophylle (Mosseri et al., sous presse)
d) La silice biogène (Mosseri et al., sous presse)
e) L’écosystème marin : phytoplancton, zooplancton (Armand et al., sous presse, Sarthou et al., sous presse), bactéries (Obernosterer et al., sous presse)
f) Les traceurs géochimiques (Jacquet et al., sous presse, Savoye et al., sous presse, van Beek et al., sous presse, Zhang et al., sous presse)
CHAPITRE I
PARTIE 2 LES TRACEURS GEOCHIMIQUES : 230Th ET 231Pa
I. Que sont-ils ?
II. Les modèles de scavenging
II.1. Le modèle irréversible
II.2. Les premières données de dissous : vers un modèle de scavenging réversible
II.3. Des variations dans le modèle de scavenging réversible
III. Le découplage 231Pa/230Th
IV. 230Th et 231Pa : Quels traceurs pour l’océan actuel ?
IV.1. Le 230Th
IV.2. Le 231Pa
V. Les autres applications, non abordées dans cette étude
VI. Le Thorium : 232Th
CHAPITRE II
PARTIE 1 METHODES ET ANALYSES
I. Echantillonnage
I.1. Echantillonnage à bord
I.2. Procédure d’échantillonnage de l’eau de mer
I.3. Procédure d’échantillonnage des particules
II. Protocole analytique du Th et Pa dissous et particulaires
II.1. Phase dissoute : traitement des co-précipités de Mn (Figure 1)
II.2. Phase particulaire : traitement des filtres (Figure 2)
a) Attaque partielle
b) Reprise
II.3. Les premières analyses du Th particulaire sur les aliquotes 20 %
II.4. Chromatographie : séparation des éléments
II.5. Rendements
a) Rendements de chimie
b) Rendements de coprécipitation
II.6. Calibration des spikes
a) Spike de 229Th
b) Spike de 233Pa
II.7. Influence de la désintégration du 233Pa
III. Mesures spectrométriques
III.1. Au MC-ICP-MS (Multi-Collection-Inductively Coupled Plasma- Mass Spectrometer)
a) Pour la mesure du Th
b) Pour la mesure du Pa et de l’U
III.2. Au TIMS (Thermo-Ionisation Mass Spectrometer)
a) Analyses du Th au spectromètre de masse TIMS (Finnigan MAT 261)
b) Principe de la mesure du Th
IV. Traitement des données
IV.1. Pour le Thorium
IV.2. Pour le Protactinium
CHAPITRE II
PARTIE 2 PROTOCOLE DE SEPARATION CHROMATOGRAPHIQUE
I. Tracers used in marine and surface earth geochemistry
I.1. Uranium and Thorium decay series
I.2. Nd isotopes, radiogenic tracers
II. Review of the existing procedures
III. Proposed procedure
III.1. Co-precipitation and mineralization of the samples
a) co-precipitation
b) mineralizations
III.2. Parameters of the chemical extraction
a) Resin volume and column geometry
b) Acids and flow rates
III.3. Zoom on the different fractions
a) Ba proxy of Ra?
b) REE fraction
c) Pa fraction
d) Th and U fractions
III.4. Further purifications required
a) Ra purification
b) Nd purification
c) Pa purification
III.5. Blanks
IV. Confrontation to the real samples: suspended particle samples
V. Conclusion
CHAPITRE II
PARTIE 3 CORRECTION DE LA MESURE
I. Amélioration de la propagation des erreurs affectées à la mesure du Th et du Pa
I.1. Les blancs
I.2. Validation des données
a) Propagation des erreurs
b) Correction du fractionnement isotopique
c) Correction du tailing et de sensibilité en abondance
d) Correction du bleeding dans la fraction Pa
e) Duplicats des échantillons de Thorium
II. Reproductibilité des mesures spectrométriques
II.1. Entre TIMS et MC-ICP-MS
II.2. Entre MC-ICP-MS et ICP-MS
CHAPITRE III
PARTIE 1 LES ISOTOPES DU THORIUM DANS LE SILLAGE DES KERGUELEN
Présentation de l’article intitulé « Etude de la dynamique des particules dans le sillage des Kerguelen tracée par les isotopes du Thorium » (Venchiarutti et al., en révision)
I. Introduction
II. Echantillonnage et procédure d’analyse
III. Hydrologie
IV. Résultats
V. Discussion
a) La couche de surface jusqu’à 1000 m
b) Les eaux profondes et de fond (de 1000 m au fond)
VI. Conclusion
Conclusion générale