Le cancer de prostate est le premier cancer de l’homme après 50 ans. Il représente 16% de l’ensemble des cancers et 28% des cancers de l’homme [1]. Il est la troisième cause de décès par cancer chez l’homme [2]. Son incidence est évaluée à 365 000 nouveaux cas en Europe en 2015[2]. Le taux de mortalité a parallèlement diminué de 16,3% en 1980 à 10,5% en 2011 [3]. Environ 3% des patients présenteront une récidive locale ou métastatique au cours de leur suivi[4]. La récidive locorégionale représente un tiers des cas, dans les autres cas la récidive est métastatique [5], et la médiane de survie en phase métastatique est de 42 mois [6].
Le cancer de prostate localisé présentant des métastases ganglionnaires pelvienne au diagnostic était historiquement considéré comme une maladie disséminée, au pronostic réservé et dont la prise en charge repose sur un traitement systémique. Dans les anciennes séries chirurgicales, l’abandon de la prostatectomie totale était la règle à la découverte d’adénopathies pelviennes per-opératoires [7], dans le cadre d’une prise en charge palliative. Cette présentation n’est pas rare, on constate en effet 1,3 à 12% d’atteintes ganglionnaires d’emblée sur les bases épidémiologiques [8,9]. Cette présentation ne fait l’objet d’aucun standard de prise en charge à ce jour. Lors de la conférence de consensus de l’Advanced Prostate Cancer Consensus Conference (APCCC) 2019[10] 75% des experts estiment qu’une irradiation prostatique et pelvienne est nécessaire, 25% des votes sont en faveur d’une irradiation prostatique seule, dans le cadre d’une maladie métastatique. La maladie localement avancée avec atteinte ganglionnaire est peu représentée dans les essais clinique, puisqu’elles incluent moins de 5% de patients avec atteinte ganglionnaire initiale [11].
Historiquement, l’irradiation prophylactique des aires ganglionnaires était associée à un surcroit de toxicités. Les techniques modernes de radiothérapie, avec la modulation d’intensité et le guidage par l’image, permettent de délivrer des doses de rayonnements supérieures tout en épargnant les tissus sains. La réalisation de surimpression intégrée au plan de traitement au niveau des adénopathies pelviennes pathologiques est pratiquée par de nombreuses équipes, sans un véritable rationnel scientifique. L’objet de cette étude rétrospective est d’évaluer le bénéfice d’une irradiation pelvienne avec surimpression dans les adénopathies pathologiques chez les patients présentant un cancer de prostate avec atteinte ganglionnaire.
Rationnel
Rôle de l’irradiation prostatique
Il a été démontré qu’une escalade de doses permettait d’améliorer le contrôle local et la survie sans récidive à 5 ans, avec 74 à 80 Gy recommandés dans le volume prostatique selon la European Association of Urology (EAU)[12]. Les récentes avancées technologiques ont permis de diminuer la dose aux organes à risques et ont permis de conserver un profil de toxicité acceptable, notamment grâce à la radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité (RCMI) et guidage par l’image (IGRT) [13,14]. Ces données techniques seront développées dans les paragraphes dédiés. Dans les situations des cancers à hauts risques selon la classification d’Amico, le standard de la prise en charge est la radio hormonothérapie, permettant une amélioration de la survie sans métastase à 10 ans comparativement à une radiothérapie seule selon des données des essais l’EORTC 22863 [15] (58 versus 40%, p = 0,0004) et RTOG 85-31 [16] (47 versus 38%, p = 0,0043). Bolla et al. ont démontré la supériorité en termes de survie globale d’une suppression androgénique de deux ans et demi, contre six mois, dans un essai de phase III incluant 970 patients traité pas radio-hormonothérapie exclusive[15]. Cette association thérapeutique présente un profil de tolérance acceptable. L’essai de phase III EORTC 22991 [17] randomisait les patients entre la dose de rayonnement prostatique (70, 74 et 78 Gy) associé ou non à une hormonothérapie pour six mois ou non. L’irradiation pelvienne n’était pas proposée dans ce protocole. Les auteurs constataient un profil de toxicités aigues acceptable.
Rôle de l’irradiation pelvienne dans le cancer de prostate localisé
Cancers sans atteinte ganglionnaire
La radiothérapie pelvienne pour cancer de prostate localisé sans atteinte ganglionnaire initiale reste à ce jour discutée. En effet son bénéfice est difficilement évaluable et les données sont contradictoires, avec des effets secondaires potentiels non négligeables. Actuellement une irradiation pelvienne est recommandée pour les patients de groupes de pronostic intermédiaire ou haut selon la classification [13].
L’essai de Phase III de Pommier et al. [19], le GETUG-01, explorait le bénéfice de l’irradiation prostatique et pelvienne en fonction de groupe à risques « haut » (stade T3 ou score de Gleason >6 ou PSA >3 fois la normale) ou « bas » (stade T1-T2, score de Gleason = 6, PSA <3 fois la normale). Les patients à bas risques n’étaient pas éligibles à une hormonothérapie adjuvante. Parmi la population globale ; 46% des patients présentaient un risque d’atteinte ganglionnaire supérieur ou égal à 15% selon la formule de Roach. Dans cette population, moins de la moitié (43,2%) des patients ont bénéficié d’une irradiation prostatique (66-70 Gy) et pelvienne (46 Gy). Parmi les patients avec un risque ganglionnaire inférieur à 15%, 50% ont été traités sur les volumes protatiques et pelviens. Ces traitements, comparables entre les groupes, ne permettent pas de démontrer le bénéfice de la radiothérapie pelvienne. Parmi les patients avec un risque d’atteinte ganglionnaire ≥ 15%, la survie sans progression n’est pas augmentée de façon statistiquement significative entre le groupe radiothérapie prostatique et le groupe radiothérapie prostatique et pelvienne, avec 48,3% et 65,6%% à 10 ans respectivement (p = 0.0829). Parmi les patients avec un risque ganglionnaire < 15% et traités par radiothérapie prostatique et pelvienne (sans hormonothérapie associée) la survie sans progression à 10 ans est de 82,2% versus 48,5% (p = 0.0058) dans le groupe au traitement prostatique uniquement. Ce gain est expliqué par le fait que les patients à faible risque ne recevaient pas d’hormonothérapie.
L’essai de phase III RTOG 94-13 [20] évalue l’intérêt de l’irradiation prostatique ou prostatique et pelvienne associée à une hormonothérapie (adjuvante, ou néo-adjuvante) Chez ces patients dont le risque d’envahissement ganglionnaire est supérieur ou égal à 15%, il a été démontré une supériorité en terme de survie de l’irradiation prostatique et pelvienne comparativement à l’irradiation prostatique seule. La survie sans progression était significativement augmentée en cas l’irradiation pelvienne avec une survie sans progression à 10 ans de 28,4%, elle était de 23,5% en cas d’irradiation prostatique seule (p = 0,027).
Plus ancien, le RTOG 85-31[21], étudiait le bénéfice de la mise en place d’une hormonothérapie adjuvante dans la prise en charge initiale d’un cancer de prostate avancé. Les patients inclus présentaient un cancer de prostate dès le stade T2 s’ils avaient une atteinte ganglionnaire, ou les stade T3 clinique avec adénopathie ou non. Les patients étaient tous traités par radiothérapie prostatique à la dose de 60 Gy, et pelvienne à la dose de 46 Gy par une technique de radiothérapie 2D. L’hormonothérapie était proposée soit en association à la radiothérapie, soit lors de la rechute biochimique. La survie globale à 10 ans du groupe traité par radio hormonothérapie était de 49% et de 39% dans le groupe où l’hormonothérapie était différée (p = 0.002). La radio-hormonothérapie concomitante a un impact en survie globale chez le patient à haut risque d’atteinte ganglionnaire.
Ces données, sans apporter de preuve, suggèrent que l’irradiation pelvienne pourrait apporter un bénéfice dans la prise en charge des patients présentant un cancer de prostate avec atteinte ganglionnaire d’emblée. Les techniques d’imageries utilisées alors ne permettaient pas une évaluation fine du statut ganglionnaire et les patients classés à haut risque ganglionnaire pouvaient être porteurs d’adénopathies pelviennes non diagnostiquées. Les tumeurs de stade plus avancé sont plus fréquemment associées à des adénopathies pathologiques, et les résultats des études présentées ci-dessus sont en faveur d’une amélioration de la survie sans progression et de la survie globale à l’irradiation prostatique et pelvienne des maladies les plus avancées ou agressives .
|
Table des matières
1 Introduction
2 Rationnel
2.1 Rôle de l’irradiation prostatique
2.2 Rôle de l’irradiation pelvienne dans le cancer de prostate localisé
2.2.1 Cancers sans atteinte ganglionnaire
2.2.2 Pour les cancers avec atteinte ganglionnaire synchrone
3 Estimation du statut ganglionnaire en cancérologie prostatique
3.1 Diagnostic et traitement de l’atteinte ganglionnaire synchrone dans les séries chirurgicales
3.2 Le statut ganglionnaire en imagerie
3.3 Traitement local de la maladie métastatique
3.3.1 Traitement local du primitif
3.3.2 Traitement local des oligo-métastases
3.4 Possibilités dosimétriques, données de tolérance
3.5 Place de la radiothérapie guidée par l’image
4 Matériel et méthode
4.1 Méthodes
4.2 Statistiques
5 Résultats
5.1 Données de population
5.2 Données de survie
5.3 Données de toxicité
6 Discussion
7 Conclusion
8 Bibliographie