Rodenbach, modèle et défenseur de Lévy-Dhurmer 

Correspondence between Lévy-Dhurmer and the Rodenbach family

Presentation of the corpus

This invitation was transmitted to Lévy-Dhurmer. He kept it throughout his life with the five letters and cards he received from Rodenbach and which constitute the entirety of their direct correspondence kept at the Musée d’Orsay72. Our search for Lévy-Dhurmer’s answers in the collections of several institutions, first and foremost the Archives and Museum of Literature, was unsuccessful. If conservation in private hands is possible, the most likely hypothesis is that of their destruction. Indeed, Rodenbach’s letters are rather short notes, most often an invitation or an announcement of a visit. Lévy-Dhurmer’s responses, which existed because they were sometimes required73, must, in the same way, have anecdotal importance. We then understand that Rodenbach had no interest in keeping them. Conversely, their conservation by Lévy-Dhurmer reveals the value he placed on this relationship which had marked the beginning of his career. The correspondence between Lévy-Dhurmer and Rodenbach ultimately appears thin due to the small number of pieces it includes as well as the brevity of its content. The researcher only finds there clues, which nevertheless attest to their frequent attendance.
Among these clues, dates and addresses are valuable chronological markers. Crossed with the perpetual calendar and the successive moves of Lévy-Dhurmer and Rodenbach, they allow us to delimit their relationship temporally. Lévy-Dhurmer and the anonymous recipient of note ODO 1996-33-443 were first invited by Rodenbach to come to lunch on Wednesday June 12, 1895. 74 They therefore met in the spring of 1895, supporting the hypothesis according to which they were introduced on one to the other during the exhibitions of the Rose-Croix or the Société de Pastellistes Français, which were held in April75. The canceled stamps of the postcards ODO 1996-33-446 and 447 then indicate the dates of July 2 and October 13, 189576. The address of Rodenbach’s private mansion at 43, boulevard Berthier finally appears on the ODO documents 1996- 33-445 and 447 bis. A letter to Mallarmé places his move from 2, rue Gounod to 43, boulevard Berthier at the end of 1897; these two letters are therefore later. Thus dated, the correspondence between Lévy-Dhurmer and Rodenbach attests to their regular contacts, persisting well after their meeting in the spring of 1895, if not until the death of the latter in December 1898.
A second correspondence of direct interest to our study extends these relations between Lévy-Dhurmer and the Rodenbach family: it is the one he exchanged with Anna Rodenbach after the death of her husband. The Archives and Museum of Literature hold Lévy-Dhurmer’s dispatches, without our finding any trace of Anna Rodenbach’s replies. This complementary corpus brings together a business card, a pneumatic card and three letters. The business card indicates Lévy-Dhurmer’s presence at Rodenbach’s funeral on 28 December 1898 and the pneumatic card is postmarked on 5 February 1899. 80 However, we will need to dwell on the content of the last three letters before proposing a dating for them.

Correspondence between Lévy-Dhurmer and Georges Rodenbach

L’étude du contenu de ces deux corpus de correspondances, quoiqu’elle soit entravée par l’absence des réponses aux lettres retrouvées, doit maintenant nous faire déceler la nature réelle des rapports entretenus entre Lévy-Dhurmer et la famille Rodenbach. Nous nous concentrons d’abord sur les lettres de Georges Rodenbach. L’estime qu’il avait pour Lévy-Dhurmer transparaît dans les compliments qu’il glissa, sans épanchement, dans le corps de celles-ci : « l’esprit fin et artiste qu’il est », « nous irons […] voir vos belles choses »81. Le ton de la correspondance était manifestement chaleureux. Plus que le vocabulaire mélioratif, c’est la fréquence de leurs rencontres qui encourage l’hypothèse d’une amitié entre les deux hommes. Toutes les lettres, à l’exception de la carte ODO 1996-33-447bis, fixèrent une date et une heure de rendez-vous entre Rodenbach, Lévy-Dhurmer et ponctuellement d’autres individus. Leur fréquentation était suffisamment assidue pour que Rodenbach prît la peine de rendre une dernière visite à Lévy-Dhurmer avant de s’absenter, comme indiqué dans la lettre ODO 1996-33-444 qu’il conclut en disant : « j’espère que nous ne vous manquerons pas ». Les deux hommes se rencontrèrent ainsi régulièrement du printemps 1895 à l’année 1898.
Les faits rapportés dans ces lettres sont de la première importance, non seulement comme preuves de contacts cordiaux et fréquents entre Lévy-Dhurmer et Rodenbach, mais surtout comme indices de l’influence de ce dernier sur la carrière de l’artiste. L’intérêt de Rodenbach pour l’oeuvre de Lévy-Dhurmer, rendu manifeste par la commande de son portrait, l’incita sans nul doute à faire des démarches en faveur de l’artiste. Cette correspondance en rend compte puisque Rodenbach y révèle par trois fois son rôle d’intermédiaire entre Lévy-Dhurmer et des amateurs d’art. Le premier est le Comte de Nion, curieux d’en voir les peintures et dont Rodenbach précisa entre parenthèses le statut de collaborateur à L’Echo de Paris83. Cette indication était peut-être innocente, ou bien nourrissait l’espoir de voir cette entrevue se conclure par une critique favorable de Lévy-Dhurmer dans la presse. Cette visite du Comte de Nion ne semble en tout cas pas avoir abouti, aucun article n’ayant pu être trouvé pour confirmer cette hypothèse. La démarche suivante fut probablement plus concluante : Rodenbach réunit l’artiste et un couple d’amis hollandais autour d’un déjeuner, afin d’arranger la commande d’un portrait. Si celui-ci ne put être retrouvé, faute d’indice quant à l’identité de ses commanditaires, l’assurance avec laquelle Rodenbach parle de cette affaire laisse peu de doute quant à l’aboutissement de la commande.
La fonction d’intermédiaire de Rodenbach, dans ces deux cas, prête peu à conséquence ; la suivante, en revanche, détermina le cours de la carrière de l’artiste. Dans la lettre ODO 1996-33-447 datée du mois d’octobre 1895, Rodenbach écrivit : « J’aurais à vous donner des renseignements à propos du marchand de tableaux que vous savez, et chez lequel je suis allé hier. »85 Ce marchand a été identifié par Geneviève Lacambre comme étant Georges Petit, par association chronologique avec l’exposition individuelle de Lévy-Dhurmer qui devait s’installer dans sa galerie trois mois plus tard86. Nous ne pouvons que soutenir cette proposition, nous qui l’avons poussée jusqu’à faire de la galerie Georges Petit un lieu possible de la rencontre entre Albert Besnard, Lévy-Dhurmer et Rodenbach. Nous imaginons comme Geneviève Lacambre que l’écrivain, qui devait connaître personnellement Georges Petit, parla en faveur de l’artiste afin de lui ouvrir les portes de la galerie ; cela donna lieu en effet au projet d’une exposition, rapidement mis en oeuvre puisqu’elle ouvrit ses portes le 15 janvier 1896.
Le billet ODO 1996-33-447bis laisse encore penser que Rodenbach utilisa ses propres moyens, à savoir l’écriture, pour soutenir la carrière de Lévy-Dhurmer : « voilà les lignes demandées dont vous seriez bien aimable de me faire renvoyer une épreuve »87. Le terme d’ « épreuve », qui implique un projet de publication, suggère que Rodenbach exerça sa plume de critique pour soutenir publiquement l’artiste, à la demande de celui-ci. Or, ni les Archives et Musée de la Littérature ni le Musée d’Orsay n’en conservent de version manuscrite ou imprimée. Plus généralement, aucun des textes critiques connus de Rodenbach n’évoque Lévy-Dhurmer, à l’exception de ces courtes lignes.
La source de cette citation est inconnue, celle-ci ayant été publiée sans référence en exergue de l’édition posthume de Bruges-la-Morte illustrée par Lévy-Dhurmer. Il est possible qu’elle ait été extraite par Camille Mauclair d’une source privée (manuscrits, correspondances), celui-ci ayant participé en tant que préfacier au projet d’édition ; cette citation serait dans ce cas sans rapport avec le texte demandé par Lévy-Dhurmer. Le dépouillement de l’ensemble des revues auxquelles collabora Rodenbach n’ayant pas été possible89, il est encore envisageable que le texte évoqué dans le billet ODO 1996-33-447bis soit une critique favorable suite à la participation de Lévy-Dhurmer, en 1898, au salon de la Société nationale des Beaux-Arts ou à l’exposition de la Société de pastellistes français. Il est enfin possible que le texte critique de Rodenbach soit resté à l’état de projet non publié en raison de la mort de l’auteur.

Correspondance entre Lévy-Dhurmer et Anna Rodenbach

Les contacts entre Lévy-Dhurmer et la famille Rodenbach se poursuivirent en dépit de cette mort prématurée, comme nous le découvrons à la lecture de sa correspondance avec la veuve Rodenbach. La carte de visite conservée par Anna Rodenbach indiquait d’abord la présence de Lévy-Dhurmer aux funérailles de son mari et par là-même l’estime qu’il gardait pour le défunt longtemps après leur rencontre90. Leur correspondance fut ensuite motivée par des affaires concernant la mémoire de Rodenbach, que la veuve préservait activement. La première était son don du Portrait de Georges Rodenbach au Musée du Luxembourg, officiellement accepté le 3 février 189991. Lévy-Dhurmer réagit immédiatement à cette nouvelle en exprimant à Anna Rodenbach sa reconnaissance, dans la carte pneumatique ML 3021 expédiée le 5 février92. Le souci qu’avait la veuve de protéger son mari de l’oubli se traduisit encore par les renseignements et les documents qu’elle communiquait aux auteurs d’études posthumes sur Rodenbach. La lettre qu’elle reçut de Camille Mauclair au début de l’année 1899 en témoigne : chargé de publier un article sur l’écrivain dans la Revue des revues, il lui demandait pour l’illustrer une photographie du Portrait de Georges Rodenbach par Lévy-Dhurmer93.
Cette requête est à l’origine d’un nouvel échange de lettres entre Anna Rodenbach et Lévy-Dhurmer, qu’elle dut solliciter pour obtenir cette photographie. Dans sa lettre ML 3041/62, l’artiste l’informe de ses démarches auprès du directeur de la Revue des revues pour lui transmettre directement la reproduction ; elle fut en effet imprimée en tête de l’étude de Mauclair, parue le 15 février 189994. Cette affaire et la précédente étaient simultanées, celle du Musée du Luxembourg étant rappelée dans le post-scriptum. La lettre ML 3041/63 rend compte d’une affaire différente, plus difficile à identifier et à dater95. Elle traite de l’envoi d’un pastel à Bruxelles et de l’accord d’Anna Rodenbach et de Lévy-Dhurmer pour arrêter immédiatement les démarches en cours. L’implication d’Anna Rodenbach laisse supposer que le pastel en question était le Portrait de Georges Rodenbach. « Bruxelles » renverrait alors à la galerie des Artistes Français à Bruxelles, où le portrait fut présenté entre décembre 1927 et janvier 1928 lors d’une exposition individuelle de Lévy-Dhurmer96. La lettre ML 3041/64 renvoyait probablement à la même affaire, dont Lévy-Dhurmer souhaitait connaître l’avancement97. Si notre hypothèse se vérifiait, ces deux dernières lettres dateraient de 1927 et témoigneraient d’une relation entre Lévy-Dhurmer et Anna Rodenbach plus durable que nous le supposions à la découverte de cette correspondance.

Rodenbach, critique d’art

Comme beaucoup de ses contemporains, Rodenbach débuta sa carrière d’écrivain en France par une activité de journaliste et de critique d’art. Celle-ci n’était pas seulement alimentaire selon Dario Gamboni, mais nécessaire à l’intégration du champ littéraire par un écrivain débutant – et qui plus est étranger. Les collaborations de Rodenbach à divers périodiques belges ou français, en premier lieu ses « Lettres parisiennes » publiées dans le Journal de Bruxelles et ses articles envoyés au Figaro, lui apportèrent en effet une première notoriété. Le succès obtenu, Rodenbach aurait pu se consacrer tout entier à sa profession d’écrivain ; il poursuivit au contraire son activité journalistique jusqu’en 1898. Une part importante de celle-ci était consacrée à la critique d’art, sous la forme de comptes-rendus de salons et d’expositions ou, plus rarement, d’articles monographiques. Les « Lettres parisiennes » du Journal de Bruxelles, dont l’objectif était de donner un aperçu de l’actualité française, s’attardaient sur les salons de la Société des artistes français, de la Société nationale des Beaux-Arts, de la Société de pastellistes français ou encore de la Rose-Croix. Ces comptes-rendus, parce qu’ils étaient destinés à un public belge, regardaient en priorité les artistes de cette nationalité, notamment Alix d’Anethan, Fernand Khnopff et Alfred Stevens. Le Figaro accueillit par ailleurs une série d’articles consacrés, cette fois-ci, à des artistes français et rassemblés dans une édition posthume sous le titre de L’Elite. Ces articles monographiques portaient sur des artistes souvent proches de l’auteur, à savoir : Albert Besnard, Eugène Carrière, Jules Chéret, Claude Monet, Pierre Puvis de Chavannes, Jean-François Raffaëlli, Auguste Rodin et James Abbott McNeill Whistler. Nous ne sommes pas en mesure d’expliquer l’absence de Lévy-Dhurmer parmi ces noms.
Cette production critique, partie intégrante de l’oeuvre de Rodenbach, est désormais mieux connue grâce aux travaux de Paul Gorceix et de Joël Goffin. Le premier combina une étude approfondie à une réédition de L’Elite dans Les Essais critiques d’un journaliste paru en 2007. Le second oeuvre encore aujourd’hui à la sélection et à la réédition numérique d’articles de Rodenbach. Ce sont là de précieuses contributions à l’histoire de la critique d’art et à l’histoire de la littérature, dont elles éclairent d’un jour nouveau l’un des principaux écrivains belges de langue française de la fin du XIXème siècle.
A la suite de Paul Gorceix et de Joël Goffin, nous nous intéressons à l’activité de critique d’art de Rodenbach. Notre perspective sur cet objet d’étude diffère cependant, ne partant plus de l’histoire de la littérature mais de l’histoire sociale de l’art. Nous n’analysons pas la composante critique de son oeuvre d’écrivain, mais ses actes critiques, autrement dit ses actions de critique d’art au sein d’une société sur laquelle il influait. Harrison et Cynthia White constatent l’influence du critique d’art dans La carrière des peintres au XIXe siècle, où ils révèlent le passage d’un « système académique » à un « système marchand-critique ». L’Académie ne suffisant plus à répondre à la demande de professionnalisation d’un nombre croissant d’artistes, les auteurs démontrent que la carrière des peintres parisiens de la seconde moitié du XIXème siècle dépendait de deux acteurs-clefs : le critique d’art et le marchand d’art. Le premier, par ses écrits et ses actes, engendrait la reconnaissance de l’artiste et par là-même son entrée dans le champ artistique. Cette influence nouvelle du critique d’art lui accordait un rôle déterminant au sein du champ artistique, en dépit de son appartenance première au champ littéraire. C’est à ce contexte de la fin du XIXème siècle qu’appartiennent Lévy-Dhurmer et Rodenbach ; c’est donc sur la base de cette approche historique et sociologique du critique d’art que nous analysons l’impact de ce dernier sur la carrière de Lévy-Dhurmer.
Les multiples actions de Rodenbach en faveur de l’artiste se résument à une fonction d’intermédiaire plusieurs fois renouvelée : comme nous l’avons vu, il introduisit Lévy-Dhurmer auprès du Comte de Nion et d’un couple d’amis hollandais, amateurs d’art en lesquels nous pouvons voir des clients potentiels. Une autre correspondance nous apprend encore qu’il mit en relation Lévy-Dhurmer et Pierre Loti109. Dans une lettre adressée au peintre, Loti exprima sa gratitude envers Rodenbach pour le rôle d’ « intermédiaire » qu’il joua dans la commande du Portrait de Pierre Loti en 1896. On apprend que le projet de ce portrait n’émanait pas du modèle mais de l’artiste, qui put le proposer à Loti seulement après avoir pris contact avec lui par l’entremise de Rodenbach110. Cette première collaboration entre Lévy-Dhurmer et Loti eut des suites, le reste de leur correspondance évoquant un projet d’illustration111. L’impact de Rodenbach sur la production débutante de Lévy-Dhurmer fut ainsi double : d’une part, il fut le commanditaire de son propre portrait ; d’autre part, il élargit la clientèle de Lévy-Dhurmer en le faisant bénéficier de son réseau relationnel.
L’impact de Rodenbach s’observe aussi sur la diffusion de l’oeuvre de Lévy-Dhurmer. En assurant une fonction d’intermédiaire voire de conseiller auprès du marchand d’art Georges Petit, Rodenbach lui offrit l’opportunité d’une première exposition individuelle dans une prestigieuse galerie. Cette reconnaissance par le marché de l’art entraînait celle du champ artistique, Lévy-Dhurmer étant dorénavant connu et légitimé comme peintre. La réception de cette exposition en 1896 est symptomatique de l’efficacité du système marchand-critique, duo ici composé par Petit et Rodenbach. L’étude de cette réception, objet de notre prochain chapitre, en révèlera le pouvoir de diffusion et de promotion d’un artiste. Si l’activité de critique d’art de Rodenbach est, à juste titre, considérée comme secondaire dans son oeuvre, elle prend une importance exceptionnelle dans notre étude de cas : Rodenbach découvrit un talent et le promut jusqu’à sa reconnaissance complète par les professionnels de l’art. Lévy-Dhurmer put vouloir l’en remercier par le cadeau d’un pastel, Vénus vénale, dont la dédicace à Rodenbach atteste une fois encore de leur relation étroite.

Les conséquences sur la réception de Lévy-Dhurmer

Exposition « L. Lévy-Dhurmer » en 1896

Les apparitions de Lucien Lévy-Dhurmer au Salon de la Société des Artistes Français étaient aussi ponctuelles que discrètes à partir de 1882, n’y exposant chaque fois qu’un dessin ou un pastel. Il en fut même complètement absent entre 1890 et 1894, avant de marquer son retour à Paris en 1895 par la présentation de cinq faïences à reflets métalliques réalisées dans la manufacture de Clément Massier. Cela signifie qu’il était inconnu du grand public et même de spectateurs plus initiés. Seule son entrée remarquée parmi les « Artistes de l’âme » au Théâtre de la Bodinière en 1894 put apporter à son oeuvre une première résonnance dans la presse spécialisée. Cette absence était, de la part de Lévy-Dhurmer, un choix assumé. C’est Gustave Soulier, rapportant certainement des propos recueillis à l’occasion de l’exposition des « Artistes de l’âme », qui nous renseigne.
C’est donc dans ce riche écrin des rues de Sèze et Godot-de-Mauroy que s’ouvrit, du 15 janvier au 15 février 1896, la première exposition particulière de Lévy-Dhurmer. Il se présentait pour la première fois sous ce nom, peut-être sur le conseil du marchand, afin de se distinguer des nombreux artistes contemporains nommés Lévy. Il se révéla à travers un ensemble de vingt-cinq oeuvres majoritairement sinon totalement inédites, dont seize étaient des pastels et seulement cinq des peintures à l’huile. C’est donc bien comme pastelliste que se présenta Lévy-Dhurmer, ce qui laissait mieux comprendre l’intérêt de Petit pour cet artiste débutant. En effet, Lévy-Dhurmer concordait avec les choix commerciaux de la galerie, qui accueillait depuis 1885 l’exposition annuelle de la Société de pastellistes français. Parmi les vingt-cinq oeuvres de Lévy-Dhurmer était exposé le Portrait de Georges Rodenbach. En autorisant son exposition, Rodenbach s’affichait comme le commanditaire d’une oeuvre et prenait ainsi publiquement parti pour le peintre. Le choix du Silence en frontispice du catalogue de l’exposition, rappelant Le Règne du silence de Rodenbach paru en 1891, reliait avec encore un peu plus d’insistance les deux hommes.
Rodenbach permit l’aboutissement d’un projet qui était cependant antérieur à sa rencontre avec l’artiste, comme le révèle le témoignage de Gustave Soulier. Lévy-Dhurmer travailla plusieurs années aux oeuvres qui allaient composer son exposition particulière. Ce processus de création, long et simultané à sa production de faïences auprès de Clément Massier, explique la maturité de l’ensemble finalement exposé. Celui-ci comprend les oeuvres les plus célèbres de l’artiste : en plus du Portrait de Georges Rodenbach et du Silence, Lévy-Dhurmer présenta Bourrasque, Eve ou encore Notre-Dame de Penmarc’h. Encore aujourd’hui, les publications choisissent prioritairement comme illustrations ces oeuvres précoces de Lévy-Dhurmer. L’étude particulière de la réception du Portrait de Georges Rodenbach nous en apportera la démonstration.

Réception de l’exposition « L. Lévy-Dhurmer » en 1896

Avant celle du Portrait de Georges Rodenbach, c’est la réception de l’exposition « Lévy-Dhurmer » chez Georges Petit en 1896 qui doit attirer notre attention. L’objectif d’une telle étude est d’observer ses conséquences sur la diffusion et la promotion de l’oeuvre de Lévy-Dhurmer et ainsi de révéler le rôle actif de Rodenbach et de Petit, c’est-à-dire du duo marchand-critique, sur le lancement de sa carrière. Nous en rendrons compte par le recensement des articles de presse et des expositions qui suivirent immédiatement celle de janvier 1896. Le travail de Geneviève Lacambre permit de regrouper plusieurs articles publiés à l’occasion de cette première exposition. Nous avons élargi ce corpus par un dépouillement automatisé des revues numérisées par la Bibliothèque nationale de France. A ce critère d’accessibilité s’est ajouté un critère de datation : par souci de se concentrer sur les échos directs de cette manifestation dans la presse, nous n’avons pas relevé les articles postérieurs à 1896. Nous avons ainsi pu réunir quatorze comptes-rendus de l’exposition « Lévy-Dhurmer » chez Georges Petit. Cette liste n’est certainement pas exhaustive, de nombreuses autres revues n’ayant pu être dépouillées.
Si réduite soit-elle au premier abord, elle prend toute son ampleur en étant comparée à l’absence complète de Lévy-Dhurmer dans la presse avant 1896, exception faite des quelques lignes rédigées par Gustave Soulier. Son exposition individuelle à la galerie Georges Petit lui apporta une visibilité immédiate et même internationale, comme notre découverte de l’article de Henri Fierens-Gevaert publié dans L’Indépendance Belge permet aujourd’hui de l’affirmer. La nationalité de ce périodique nous fait supposer l’implication de Rodenbach dans cette publication ; cette hypothèse est d’autant plus admise que l’auteur s’était déjà servi de ses liens avec le directeur de la revue pour garantir à sa pièce Le Voile une publicité favorable128. Rodenbach ne pouvait défendre publiquement Lévy-Dhurmer sans que la présence de son portrait dans l’exposition ne le fasse accuser de partialité ; il lui fallait donc user d’un tel moyen détourné pour assurer le succès du peintre. Qu’il en usât ou non, il est significatif que l’oeuvre de Lévy-Dhurmer se diffusa d’abord en Belgique : sa proximité manifeste avec un écrivain d’origine flamande put encourager la presse belge à s’y intéresser.
Les quatorze comptes-rendus de l’exposition « L. Lévy-Dhurmer » publiés en 1896 forment un corpus homogène, où les critiques exprimées sont généralement similaires. Leur comparaison invite à dissocier leur discours en deux catégories, l’une concentrée sur la tradition, l’autre sur le symbolisme. Tous les auteurs s’attachent en effet à inscrire Lévy-Dhurmer dans la filiation des grands maîtres du passé et à déceler dans ses oeuvres l’empreinte de la Renaissance italienne. Le récent voyage du peintre en Italie, l’iconographie religieuse plusieurs fois adoptée (Les Bergers, Vierge de Venise), le soin apporté au dessin et l’usage de l’or (Eve, Mystère) justifiaient ce rapprochement avec l’art de la Renaissance, en particulier Sandro Botticelli et Léonard de Vinci129. Ce dernier nom revient systématiquement, suggéré par le titre d’un dessin exposé, Ricordo di Lionardo da Vinci, qui lui rendait explicitement hommage. L’influence de Léonard aurait été comprise sans cela, car elle imprégna les premières oeuvres de Lévy-Dhurmer jusqu’au « pastiche », selon le terme utilisé par Henri Fierens-Gevaert et François Thiébault-Sisson pour les désigner. Ses figures féminines furent perçues comme des « visages léonardesques », des « fausses Joconde », empruntant au maître la technique du sfumato. Les oeuvres soulevèrent d’autres comparaisons : Lévy-Dhurmer fut rapproché des maîtres du Nord (Hans Memling, Hans Holbein le Jeune, Lucas Cranach l’Ancien) et des peintres contemporains qui rencontrèrent comme lui dans la Renaissance italienne un idéal. Lévy-Dhurmer apparut ainsi aux yeux de plusieurs critiques comme un peintre érudit, nourrissant son art d’une parfaite connaissance des maîtres passés.

Réception du Portrait de Georges Rodenbach de 1896 à nos jours

La réception du Portrait de Georges Rodenbach éclaire un peu plus le succès consécutif à la première exposition individuelle de Lévy-Dhurmer. Il était en effet l’une des pièces maîtresses de l’accrochage avant d’être de nouveau exposé au salon de la Société des Artistes Français. Lévy-Dhurmer fut récompensé, à cette occasion, d’une mention honorable. Son statut de commande privée aurait pu nuire à la diffusion du Portrait de Georges Rodenbach. Au contraire, Georges et Anna Rodenbach le partagèrent au public le plus large, l’un en autorisant son accrochage au salon, l’autre en le donnant au Musée du Luxembourg en 1899. Ce don est à l’origine de la présence actuelle de cette oeuvre dans les collections publiques françaises. De nombreuses expositions du Portrait de Georges Rodenbach n’aurait probablement pas eu lieu sans cela, notamment les expositions universelles de Paris en 1900 et de Gand en 1913. Cette propriété publique offrait l’opportunité de prêts intermuséaux dont le portrait fit plusieurs fois l’objet : il fut présenté à Paris à la Bibliothèque nationale de France en 1936, au Musée des Arts décoratifs en 1946 et 1952, au Musée Galliera en 1970, au Grand Palais en 1973, au Musée du Louvre en 1977, au Musée national d’art moderne en 1997 et au Musée d’Orsay en 2008. On compte aussi plusieurs prêts internationaux, qui diffusèrent l’oeuvre de Lévy-Dhurmer en Angleterre lors de l’exposition French symbolist painters en 1972, ainsi qu’en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas et en Allemagne. Si les exigences de conservation du pastel limitent les expositions du Portrait de Georges Rodenbach, celles-ci sont donc régulières et d’envergure parfois internationale. Nous en comptons vingt entre 1896 et aujourd’hui, en excluant son accrochage parmi les collections permanentes des musées propriétaires (successivement le Musée du Luxembourg, le Musée national d’art moderne, le Musée du Louvre et le Musée d’Orsay). Ces données participent à expliquer la renommée actuelle du Portrait de Georges Rodenbach et son omniprésence dans les études consacrées à Lévy-Dhurmer.

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Table of Contents
Summary
Acknowledgments
General Introduction
Part I: Rodenbach, Model and Defender of Lévy-Dhurmer 
Introduction
Chapter I: The Social Relationship between Lévy-Dhurmer and Rodenbach 
1. Meeting between Lévy-Dhurmer and Rodenbach
2. Correspondence between Lévy-Dhurmer and the Rodenbach Family
3. Rodenbach, Art Critic
Chapter II: The Consequences on the Reception of Lévy-Dhurmer 
1. Exhibition “L. Lévy-Dhurmer” in 1896
2. Reception of the Exhibition “L. Lévy-Dhurmer” in 1896
3. Reception of the Portrait of Georges Rodenbach from 1896 to the Present
Chapter III: The Portrait of Georges Rodenbach by Lévy-Dhurmer
1. Portrait of a Writer
2. Landscape
3. Portrait of an Author
Conclusion
Part II: Transposition of Rodenbach’s Work by Lévy-Dhurmer
Introduction
Chapter I: Transposition in Lévy-Dhurmer
1. The notion of transposition
2. A privileged medium, pastel
Chapter II: Allusion: Bruges 
1. Presentation of Bruges
2. The figure, allusion to the woman in a mantis
3. The landscape, allusion to “Bruges-la-Morte”
Chapter III: Interpretation: Marguerite Moreno in the role of Georges Rodenbach’s Veil 
1. The portrait of Marguerite Moreno
2. The portrait of Sister Gudule
Chapter IV: Illustration: illustrations of Bruges-la-Morte 
1. A new illustration project of Bruges-la-Morte
2. Lévy-Dhurmer’s illustrations for Bruges-la-Morte
Conclusion 
General conclusion 
Sources and bibliography 
Table of the corpus 
Table of illustrations 
Table of appendices 
Table of contents 

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