Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Évaluation des risques avant mise sur le marché
Cette partie traite de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), en insistant plus particulièrement sur l’aspect de protection sanitaire des agriculteurs, pour comprendre les avantages et limites actuelles de l’évaluation des risques dans le processus d’AMM.
Pour pouvoir être commercialisé en France, un produit phytopharmaceutique doit obtenir au préalable une Autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette AMM est valable 10 ans à compter de la première autorisation délivrée et est renouvelable. La demande d’AMM se fait par dossier déposé par l’industriel auprès de l’ANSES ou de l’EFSA pour une autorisation au niveau européen. Ce dossier vise à démontrer plusieurs points :
• Innocuité pour l’homme et l’environnement
• Efficacité et sélectivité des cultures traitées
Le dossier d’AMM
La réglementation de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est encadrée par la directive européenne 91/414/CEE du 15 juillet 1991 transposée en droit français en 1993 et applicable jusqu’en juin 2011. Depuis Le règlement CE N° 1107/2009 abroge les directives 79/117/CEE 91/414/CEE et y apporte la notion de zonage des AMM. Chaque État membre peut évaluer un produit phytopharmaceutique et le principe de reconnaissance mutuelle implique qu’une autorisation délivrée par un état membre l’est aussi pour les autres. Ce principe a pour but de respecter le libre échange des marchandises dans l’UE qui est entré en vigueur avec les accords de Schengen. Néanmoins, les conditions environnementales et les cultures n’étant pas identiques dans tous les états, la communauté a été découpée en deux zones de validation des AMM : zones sud et nord. La France fait partie de la zone sud avec la Bulgarie, la Grèce, l’Espagne l’Italie, le Portugal, Malte et Chypre
Ce dossier comporte trois volets, un volet toxicologique, un volet sanitaire et un volet biologique. Le dossier scientifique doit montrer que le contrôle des produits phytopharmaceutiques et les résultats des études ont été obtenus avec des méthodes d’expérimentation et de contrôle standardisées. Le dossier toxicologique renseigne sur la toxicité du produit au plan humain et environnemental. Les toxicités aiguë, subaigüe et chronique sont développées dans ce dossier. Le devenir des substances actives (SA) dans l’environnement est aussi recherché dans cette partie. Le dossier biologique porte sur l’efficacité et l’apparition de résistances des SA ainsi que leur sélectivité vis-à-vis des plantes à traiter (Le Borgne 2010). Ce dossier comporte aussi une ou plusieurs formulations représentatives des usages demandés.
La procédure de validation du dossier d’AMM se fait en 2 temps. (1) La première phase concerne le principe actif seul et (2) la seconde phase de l’évaluation porte sur les préparations commerciales contenant la SA seule ou en associations. Le processus est le suivant :
1. Demande d’approbation par le producteur de la substance active auprès d’un État membre, demande accompagnée d’un dossier récapitulatif et d’un dossier complet
2. Dans les quarante-cinq jours à compter de la réception de la demande, l’État membre rapporteur envoie au demandeur un accusé de réception mentionnant la date de réception de la demande et vérifie si les dossiers, joints à celle-ci, contiennent tous les éléments nécessaires
3. Dans les douze mois à compter de la date de notification de la réception de la demande l’état membre rapporteur établit un rapport évaluant si la substance active est susceptible de satisfaire aux critères d’approbation.
4. Évaluation par les autres États membres
5. Avis de l’EFSA sur la SA et si elle satisfait aux critères d’approbation
6. Dans les six mois à compter de la réception des conclusions de l’autorité, la commission présente un rapport, dénommé «rapport d’examen», qui inscrit ou non la substance sur la liste positive des SA pouvant entrer dans la composition de produits.
7. Pour la France, l’ANSES évalue la préparation et transmet un avis au ministère en charge de l’agriculture
8. En France, l’ANSES remet un avis au Ministre en charge de l’Agriculture, sur la base des dossiers fournis par les industriels selon des protocoles reconnus internationalement. C’est le ministère en charge de l’Agriculture, via la direction générale de l’alimentation, qui est le décideur final de l’autorisation de mise sur le marché.
Pour qu’un produit phytopharmaceutique obtienne une AMM française, le demandeur de cette autorisation doit fournir des informations relatives à l’innocuité du produit pour l’=Homme (utilisateur et consommateur) et l’environnement ainsi que l’efficacité et la sélectivité du produit sur la ou les cultures traitées. Les dossiers toxicologique et biologique constituent la partie scientifique de l’AMM.
Cas de L’AOEL dans l’AMM
Cette partie vise à présenter l’AOEL (en anglais Acceptable Operator Exposure Level, soit le niveau acceptable d’exposition pour l’opérateur). L’AOEL sert de référence au niveau réglementaire pour évaluer le risque lié à l’exposition professionnelle aux produits phytopharmaceutiques. Cette notion se fonde sur sur le risque à court terme et subchronique et s’appuie sur des études experimentales.
L’AOEL est le niveau d’exposition journalier pour l’opérateur, acceptable, en dessous duquel l’utilisateur ne devrait pas encourir de risque pour sa santé. L’AOEL existe pour chaque matière active mise sur le marché, car il est obligatoire pour l’obtention de l’AMM et fait partie du dosser toxicologique. L’AOEL est une limite d’exposition basée sur les effets sanitaires, elle représente le rapport entre le NOAEL (nonobserved adverse effect level, en français le niveau d’exposition sans effet nefaste observé) et un facteur de sécurité (au moins 100). Le NOAEL est la dose (ou niveau d’exposition) sans effet nefaste observé, obtenue chez l’animal. Cette dose se base sur la recherche d’effets toxicologiques sur des organes après administration de la substance étudiée. Le AOEL représente la dose interne acceptable pour toutes les voies d’exposition (respiratoire, dermique, orale, etc.) (EU 2006).
L’AOEL se construit de la façon suivante :
AOEL systémique (mg.kg-1.j-1) = (NOAEL oral × B) /100
– Où B est la biodisponibilité du produit (ex: 60 % orale, B= 0,6)
– 100 est un facteur de sécurité
– NOAEL = Niveau d’exposition sans effet observé chez l’animal.
Les AOEL sont disponibles auprès de l’Union Européenne qui les valide. Pour chaque substance, un rapport est rédigé et le rapporteur est un état membre de l’UE. L’EFSA propose des résumés des AMM en ligne incluant l’AOEL pour chaque matière active.
Programmes de réduction de l’usage des produits phytosanitaires
Le plan Ecophyto (anciennement Ecophyto 2018) s’inscrit dans une démarche d’évaluation et de gestion des risques, en proposant différents axes de travail pour la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques. Ce plan s’inscrit dans le nouveau cadre adopté en 2009 au niveau européen, en particulier le Règlement R (CE) 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui introduit des règles d’AMM plus restrictives, et la Directive cadre 2009/128/EC sur une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Le plan Ecophyto est un programme qui vise à réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques en agriculture. Lancé en 2008, lors du Grenelle de l’Environnement, ce plan est piloté par le ministère en charge de l’agriculture. A son introduction en 2008, l’objectif de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques fixé était de -50 % en 10 ans, remplacé depuis par une réduction progressive de leur utilisation.
Pour parvenir à cette réduction, plusieurs outils ont été développés :
-la formation des agriculteurs à une utilisation responsable des produits phytopharmaceutiques avec le Certiphyto (certificat individuel produits phytopharmaceutiques) ;
-La création d’un vaste réseau de fermes pilotes pour mutualiser les bonnes pratiques ;
-La mise en ligne dans chaque région, de bulletins de santé du végétal qui alertent les producteurs sur l’arrivée des parasites ;
-Un programme de contrôle de tous les pulvérisateurs qui sont utilisés pour l’application des produits phytopharmaceutiques.
Outre la diminution de l’usage des produits phytopharmaceutiques, ce plan a aussi pour objectif d’améliorer : les connaissances toxicologiques sur les produits phytopharmaceutiques, leurs usages, les mesures de protection des utilisateurs.
Le plan Ecophyto se découpe en 9 axes :
• Axe 1 : Suivre l’usage des produits phytopharmaceutiques ;
• Axe 2 : Diffuser les systèmes agricoles économes et les bonnes pratiques ;
• Axe 3 : Coordonner pour accélérer l’innovation ;
• Axe 4 : Former et encadrer pour une utilisation moindre et sécurisée ;
• Axe 5 : Surveiller pour traiter au plus juste ;
• Axe 6 : Prendre en compte les spécificités des DOM ;
• Axe 7 : Agir en zone non agricole ;
• Axe 8 : Organiser la gouvernance du plan et communiquer ;
• Axe 9 : Renforcer la sécurité pour les utilisateurs.
L’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) a publié, pour le compte du ministère de l’agriculture et de la pêche, un premier bilan sur la faisabilité du plan Ecophyto (INRA 2010). Ce bilan démontre la difficulté d’estimer, en l’état actuel des connaissances, la possibilité de réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques de 50 %, comme visé par le plan Ecophyto. Cependant, le rapport estime qu’il est possible de diminuer de l’ordre de 20 % l’usage des produits phytopharmaceutiques sans conséquences financières majeures et sans bouleverser en profondeur les pratiques agricoles. Ce constat général est fortement contrastéselon le type de culture. Si l’impact de la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques est difficilement estimable pour la viticulture et pour l’arboriculture, il semble qu’une diminution de l’ordre de 40 % soit possible pour les grandes cultures. Pour les autres types de cultures, la diminution semble plus complexe, en tout cas sans d’importants changements dans les pratiques agricoles, ce qui impliquerait des investissements plus conséquents pour y parvenir.
Les derniers chiffres, communiqués par le ministre chargé de l’agriculture, le 9 décembre 2012 à l’occasion de la réunion annuelle du Comité National d’Orientation et du Comité National d’Orientation et de Suivi (CNOS) du plan Ecophyto, font état d’une diminution de 5,7 % entre 2011 et 2012, et jusqu’à 11 % pour les insecticides et herbicides à usages agricoles (hors traitements de semences et hors produits de la liste « biocontrôle vert »).
Le Certiphyto :
Le Certiphyto est un exemple concret des différents objectifs d’Ecophyto. Intégré dans l’Axe 4 du plan Ecophyto, le Certiphyto participe à la formation et à l’encadrement de l’usage des produits phytopharmaceutiques avec, comme objectif principal, une réduction de cette utilisation. Ce certificat d’aptitude à utiliser les produits phytopharmaceutiques s’adresse à toutes personnes qui manipulent, appliquent, conseillent ou mettent en vente des produits phytopharmaceutiques 4 voies d’accès existent pour valider ce certificat :
•Validation d’un diplôme agricole obtenu récemment (moins de 5 ans)
•Test sous forme de QCM (Questionnaire à choix multiples)
• Une journée de formation avec un test en fin de journée
• Deux jours de formation (pour les agriculteurs) mais sans vérification des connaissances acquises.
Le Certiphyto connaît une phase de test en 2010 avant sa mise en place définitive. Pour les agriculteurs durant cette phase de test, la seule voie d’accès disponible est la formation sur deux jours. La formation est assurée par des organismes agréés par la direction de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture (DGER). Parmi eux : le réseau des centre de formation professionnelle pour adultes, les chambres d’agriculture, des distributeurs agricoles, l’Association française de protection des plantes (voies C et D), des fédérations professionnelles, l’Association pour la formation nationale agricole et des formateurs indépendants.
Concernant le volet sanitaire, le Certiphyto insiste sur plusieurs points :
• L’usage des équipements de protections individuelles lors de la manipulation des produits phytopharmaceutiques ;
• La réduction des doses et les traitements raisonnés ;
• L’importance de la voie dermique dans la contamination ;
• L’usage et l’intérêt des Fiche de Données de Sécurité (voir annexe III), ainsi que la lecture et la compréhension de phrases de risque.
Problématique sanitaire
L’usage des produits phytopharmaceutiques est une des composantes majeures de l’agriculture moderne. Cette utilisation dont les bénéfices sur les rendements et la qualité des produits sont démontrés, s’accompagne aussi d’une exposition des agriculteurs aux produits phytopharmaceutiques. Cependant cette exposition est particulière et spécifique au monde agricole puisque les agriculteurs manipulent les produits sous formes concentrées lors de la préparation de la bouillie avant pulvérisation. Les agriculteurs sont, avec les techniciens et ouvriers des usines de préparation des produits phytopharmaceutiques, les seuls individus à utiliser et à être exposés aux produits phytopharmaceutiques sous forme concentrée. Actuellement, l’approche sanitaire du risque pesticide se focalise essentiellement sur le pesticide en lui-même : étude des effets toxicologiques des produits phytopharmaceutiques, développement des formulations pour réduire les doses et l’exposition ou encore étude des voies de contamination de l’agriculteur. Mais la perception du risque phytosanitaire par les agriculteurs et l’influence de cette perception sur leurs comportements sont peu connues. Essentiellement descriptives, les études de perception du risque en milieu agricole ne concluent pas sur le risque sanitaire associé aux différentes pratiques et méthodes de travail influencées par la perception. L’utilisation des produits phytopharmaceutiques malgré leur perception négative indique que les agriculteurs développent des mécanismes d’acceptation du risque. Ces mécanismes peuvent avoir des conséquences sur les pratiques agricoles afin de réduire le risque ou sa perception. L’étude des mécanismes de perception du risque et ses conséquences sur l’exposition des agriculteurs comparées aux études toxicologiques, d’expologie et épidémiologiques devraient permettre de caractériser le risque sanitaire lié aux comportements des agriculteurs. La mise en commun de l’approche du risque réel et du risque perçu sur les produits phytopharmaceutiques, devrait permettre de quantifier l’importance de la perception sur le risque sanitaire. Dans ce travail, les deux composantes de cette problématique seront développées.
Le premier chapitre portera sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et leur toxicologie. Le deuxième chapitre détaillera les dangers de l’utilisation des pesticides chez l’agriculteur. La troisième partie sera consacrée à l’évaluation des risques chez les utilisateurs de pesticides, et leur perception du risque. La quatrième partie développera les matériels et méthodes. Le cinquième chapitre proposera une mise en commun des deux approches et les résultats. La dernière partie de la thèse conclura ces travaux.
Objectifs
Ce travail vise à comprendre en premier lieu comment les agriculteurs perçoivent le risque sanitaire lié aux produits phytopharmaceutiques et comment cette perception influe sur les méthodes de travail. Dans un second temps l’approche quantitative doit permettre d’évaluer le rôle de cette perception sur l’exposition des agriculteurs aux produits phytopharmaceutiques et le risque sanitaire associé. C’est une démarche exploratoire et dont l’objectif est de déterminer si l’aspect perception du risque doit être pris en compte dans le processus global d’exposition des agriculteurs.
En premier lieu, un état de l’art sur le risque sanitaire lié aux produits phytopharmaceutiques doit permettre de définir le contexte dans lequel l’agriculteur et sa perception du risque s’inscrivent. Plusieurs sous-objectifs sont définis pour répondre à ces objectifs :
-Connaître l’usage des produits phytopharmaceutiques en France ;
-Effectuer un état des connaissances sur la toxicité humaine des produits phytopharmaceutiques ;
-Déterminer la population agricole qui est la plus concernée par la problématique sanitaire liée aux produits phytopharmaceutiques ;
-Définir le ou les produits phytopharmaceutiques sur lesquels travailler en priorité au regard de leur toxicité ;
-Sélectionner une population de référence pour l’étude ;
-Quantifier l’exposition des agriculteurs aux produits phytopharmaceutiques.
Sur l’aspect perception du risque, les objectifs sont les suivants :
-Décrire la perception du risque sanitaire chez les agriculteurs ;
-Identifier les facteurs et déterminants de la perception du risque et leur importance ;
-Comprendre les mécanismes de la perception sur les comportements et pratiques de sécurité.
Ce travail suit la méthodologie d’évaluation des risques, et propose d’ajouter, au processus classique d’évaluation des risques, l’aspect de la perception du risque afin de mieux évaluer l’impact sanitaire de la perception.
Risques sanitaires liés à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques
Le risque sanitaire se définit comme étant le danger rapporté à l’exposition. Le risque sanitaire se détermine par l’application de la méthode d’évaluation de risque sanitaire (Committee on the Institutional Means for Assessment of Risks to Public Health 1983 ; AFNOR 2006): Risque = Danger × Exposition
Déterminer le danger d’un produit et son exposition permet de quantifier le risque. L’utilisation d’un produit très dangereux peut être sans risque si l’exposition à celui-ci est nulle. A l’opposé un produit présentant peu de danger, peut s’avérer très risqué si l’exposition est très importante (aiguë ou chronique).
Ce chapitre porte sur le risque sanitaire lié aux produits phytopharmaceutiques chez l’homme. Il se base sur la définition du risque, en présentant l’état des connaissances sur l’exposition et le danger lié aux produits phytopharmaceutiques.
Le traitement phytosanitaire
Certains éléments de la suite de ce travail se focalisent sur une partie du traitement phytosanitaire, nécessitant le détail du déroulement classique d’un traitement phytopharmaceutique.
Le traitement phytosanitaire, avec l’utilisation du pulvérisateur, est composé de plusieurs phases de travail.
En premier, la préparation de la bouillie est composée de plusieurs étapes et, généralement, elle est réalisée sur l’exploitation, dans une zone de travail où il y a un point d’eau. L’agriculteur effectue le remplissage en eau claire de la cuve principale du pulvérisateur (photo1). L’opérateur utilise généralement un tuyau d’eau claire pour remplir la cuve. En fonction des exploitations, les tuyaux peuvent être de type jardinage ou plus évolué avec des vannes type « pompier », avec la présence de clapets anti-retours et de compteurs de débit. L’agriculteur peut aussi suivre le niveau de remplissage par la présence d’une jauge sur le pulvérisateur.
Ensuite, un dosage des produits à incorporer est réalisé. Les produits se présentent sous formes emballées telles que des bidons, des cartons, des sacs ou encore des sachets hydrosolubles. Le volume d’eau de remplissage et la quantité du produit utilisé dépendront de la surface à traiter et du débit de pulvérisation. Les produits sont stockés dans un local phytosanitaire (photo 2). Une fois dosés, les produits sont incorporés dans la cuve principale. Le mélange dans la cuve doit être agité pour assurer l’homogénéité du mélange ou éviter la sédimentation des suspensions. Ceci est assuré par l’allumage de la prise de force, située dans la cabine du tracteur. Cette prise de force transfère le couple moteur du capteur vers un agitateur incorporé dans la cuve. La pression de la bouillie dans le circuit est contrôlée par un manomètre positionné sur le pulvérisateur.
La préparation est suivie de la pulvérisation de la bouillie sur les cultures, c’est la phase de traitement. L’agriculteur se rend sur la parcelle à traiter avec son pulvérisateur et enclenche la pulvérisation depuis son tracteur (photo 3). La bouillie est pulvérisée sur la végétation par les buses, elles-mêmes situées sur les rampes qui sont reliées à la cuve principale du pulvérisateur. Pendant le traitement, l’agriculteur est en général dans la cabine du tracteur, cependant certains tracteurs n’en sont pas équipés. La surface de traitement influe sensiblement sur la durée du traitement, de quelques minutes pour une rangée de vigne à plusieurs jours pour les plus grandes parcelles céréalières (moyenne fournit par l’Agreste).
Une fois la pulvérisation terminée, l’agriculteur réalise une phase de rinçage du pulvérisateur. Cette phase consiste à rincer l’intérieur des éléments ayant été en contact avec la bouillie. Pour cela, l’agriculteur tourne une manette en position rinçage, située sur le pulvérisateur ou, dans de plus rares cas, dans la cabine. L’eau claire, contenue dans une seconde cuve, est envoyée dans la cuve principale puis dans les différents circuits de pulvérisation. L’eau souillée est expulsée sous forme de jet de pulvérisation à l’extérieur par les buses des rampes (photo 4). Cette étape peut être effectuée sur les parcelles ou sur une aire spécifique dans l’exploitation, afin de limiter la contamination environnementale. L’agriculteur utilise un tuyau d’eau pour rincer spécifiquement certains éléments comme l’intérieur de la cuve principale, les filtres et les buses. L’agriculteur peut être amené à faire la vidange de la cuve principale pour enlever la totalité de la bouillie encore présente. Il lui suffit d’ouvrir et de refermer le système de vidange situé sous la cuve principale. Ces opérations sont réalisées sur l’exploitation. Le rinçage terminé, l’agriculteur réalise une phase de lavage des éléments extérieurs du pulvérisateur. Elle est généralement effectuée sur une zone de lavage dans l’exploitation à proximité d’un point d’eau. Cette phase consiste à enlever les résidus déposés sur le pulvérisateur lors de la pulvérisation. L’agriculteur utilise un tuyau d’eau claire ou un jet d’eau haute pression pour réaliser ce nettoyage.
Les phases de rinçage et de lavage sont essentielles pour éviter que des résidus de produit ne sèchent sur le pulvérisateur ou dans le circuit. Cet entretien du pulvérisateur permet de réduire les éventuels problèmes techniques et de garder une pulvérisation de qualité.
Voies de contamination
Trois voies de pénétration naturelle des produits chimiques sont possibles dans l’organisme (Dowling et Seiber 2002) : les voies orale, respiratoire et dermique.
La voie orale est prépondérante chez les personnes ne travaillant pas en contact direct avec des produits phytopharmaceutiques. C’est la voie d’exposition majoritaire de la population générale via l’alimentation. La voie orale n’est décrite chez les agriculteurs que pour les intoxications volontaires, telles que les tentatives de suicide (Testud 2007). Les études actuelles tendent à montrer que cette voie d’exposition est négligeable pour les agriculteurs (Durham et Wolfe 1962 ; US-EPA 1992 ; Fenske 1993 ; Colosio, Fustinoni et al. 2002 ; Dosemeci, Alavanja et al. 2002 ; Aprea, Terenzoni et al. 2004 ; Colosio, Birindelli et al. 2004 ; Berger-Preiß, Boehncke et al. 2005 ; Fenske 2005 ; Baldi, Lebailly et al. 2006 ; Angerer, Ewers et al. 2007 ; Lebailly, Bouchart et al. 2009).
La voie respiratoire est importante pour de nombreux travailleurs dans des milieux confinés (Berger-Preiß, Boehncke et al. 2005), mais, pour les agriculteurs, cette voie d’exposition est négligeable dans le cas des travaux de pulvérisation en plein champ (Dowling et Seiber 2002 ; Baldi, Lebailly et al. 2006 ; Lebailly, Bouchart et al. 2009).
Plusieurs critères sont responsables de la capacité de pénétration des produits phytopharmaceutiques par la voie respiratoire chez les agriculteurs : la pression de vapeur des produits employés et le matériel utilisé (les atomiseurs produisant de petites gouttes sont plus susceptibles de favoriser une exposition respiratoire (Dowling et Seiber 2002). Le confinement et la ventilation du lieu (lors des pulvérisations sous serres par exemple) ou encore les transformations chimiques des produits phytopharmaceutiques dans l’air (Atkinson, Guicherit et al. 1999) jouent aussi un rôle. Dans le premier cas, la contamination se fait par adsorption des produits phytopharmaceutiques sur des aérosols et, dans le second cas, les produits fortement volatils sont facilement respirés par l’utilisateur en cas de défaut de protection (Dowling et Seiber 2002). Dowling recommande ainsi d’éviter les produits phytopharmaceutiques à pression de vapeur supérieure à 10-8 atm et d’éviter les formes liquides de produits phytopharmaceutiques en milieux confinés.
Néanmoins, les études sur les paramètres physico-chimiques influençant la pénétration des produits chimiques par voie respiratoire sont nombreuses et contradictoires. L’importance de la taille des particules sur leurs capacités à pénétrer dans le système respiratoire est étudiée depuis de nombreuses années. Cette taille est considérée comme un critère essentiel : les particules les plus fines pénétrant plus profondément dans le système respiratoire (Heyder, Gebhart et al. 1986 ; Glover, Chan et al. 2008). Les connaissances en rhéologie ont aussi montré que la taille des particules n’était pas seule responsable de la capacité de pénétration dans le système respiratoire : la forme et l’état d’ionisation des particules jouant un rôle dans cette capacité, ainsi que l’âge, le sexe et les capacités respiratoires des individus (Brown, Gerrity et al. 1995).
La voie d’exposition majeure pour les agriculteurs est la voie cutanée, en particulier par les mains (Sanderson, Ringenburg et al. 1995 ; De Vreede, Brouwer et al. 1998). Le passage transdermique est évaluée et préciser dans le dossier d’AOEL. Néanmoins, cette information n’est pas toujours facilement accessible et varie selon les substances. Par défaut, la valeur de passage transdermique est de 100%. Dans certains cas, le dossier d’AMM précise la valeur de passage transdermique. Comparativement, la voie respiratoire ne serait responsable que d’environ 1 % de la contamination totale de l’opérateur (Baldi, Lebailly et al. 2006). Les études sur l’exposition par la voie dermique montrent que cette voie est responsable de 60 % de l’exposition totale de l’agriculteur aux produits phytopharmaceutiques (Fenske 1990). Les mains représentent près de la moitié de cette exposition dermique (Lebailly, Bouchart et al. 2009). Ces travaux confirment ceux de Machado-Neto de 2001 (Machado-Neto 2001) estimant que 99 % de l’exposition totale aux pesticides se fait par la peau en milieu agricole, y compris dans les milieux confinés où Aprea et al. ont démontré que la voie respiratoire ne contribuait, là aussi, qu’à un faible pourcentage de l’exposition dans des serres des plantes ornementales (Aprea, Centi et al. 2005).
Toxicologie des produits phytopharmaceutiques
La classification toxicologique des substances est séparée en 2 catégories : les effets aigus survenant immédiatement, ou quelques heures après l’exposition, et les effets chroniques ou retardés apparaissant plusieurs années après l’exposition. Les effets sur les long et court termes sont nombreux et, sur l’ensemble des produits phytopharmaceutiques commercialisés en Europe, 32 des 76 fongicides, 25 des 87 herbicides, 24 des 66 insecticides se révèlent avoir au moins un effet sanitaire chronique ou aigue chez l’Homme (carcinogène, perturbateur endocrinien, reprotoxique ou un effet aigu) (Karabelas, Plakas et al. 2009).
Cette partie vise à présenter l’état des connaissances des effets toxicologiques des produits phytopharmaceutiques pour les utilisateurs et à mieux appréhender les mécanismes d’action pour les différents effets sanitaires observés.
Effets sanitaires aigus
En 2010, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié une classification toxicologique des produits phytopharmaceutiques (WHO 2010). Cette classification repose sur les catégories de toxicité aiguë par voies orale et cutanée définies par le nouveau système d’étiquetage des produits chimiques (incluant les produits phytopharmaceutiques) : le SGH (Système Généralisé Harmonisé de classification et d’étiquetage des produits chimiques) de l’UNECE (United Nations Economic Commission for Europe), qui fait partie du nouveau système REACH (Enregistrement, Evaluation, Autorisation des substances chimiques selon le règlement Européen 1907/2006 CE).
Cas particulier des cancers
Cancers et produits phytopharmaceutiques dans la population agricole
Bien que le rôle des produits phytopharmaceutiques dans l’apparition de cancers au sein de la population agricole soit étudié depuis de nombreuses années, à ce jour les conséquences sanitaires des produits phytopharmaceutiques demeurent incertaines sur cette pathologie (INC 2009 ; Gatignol et Etienne 2010 ; INSERM 2013). Cette partie propose un bilan de l’état des connaissances sur le rôle des produits phytopharmaceutiques au sein de la population agricole, en utilisant les résultats des méta-analyses, des études épidémiologiques et des cohortes en milieu agricole.
Les méta-analyses
Les méta-analyses de Blair et d’Acquavella, respectivement en 1991 et 1998 (Blair et Zahm 1991 ; Acquavella, Olsen et al. 1998) ont proposé de déterminer le rôle des produits phytopharmaceutiques dans l’apparition de certains cancers. Ces méta-analyses sont citées en référence dans diverses études et rapports officiels (INC 2009 ; Gatignol et Etienne 2010 ; INSERM 2013) et sont fréquemment citées dans les travaux et rapports sur le lien entre produits phytopharmaceutiques et cancers.
Cancers dans la population agricole face à la population générale
Ce chapitre sur le cancer et ses causes en France au sein de la population générale a pour objectif de pouvoir mettre en perspective le rôle des produits phytopharmaceutiques dans l’apparition des cancers comparativement à d’autres facteurs de risque. Elle vise aussi à comparer le taux de cancer chez les agriculteurs comparativement à la population générale et d’observer, ou non, une corrélation avec les données concernant la population agricole. Les études de 1981 de Doll et Peto ont souvent été citées en référence pour évaluer les causes environnementales de cancers dans la population générale et les facteurs de risque soulevés dans ces études sont présentés dans le Tableau 10. Ce tableau indique le nombre de cancers et la contribution des facteurs environnementaux sur ces cancers. Le tabagisme est le facteur de risque le plus fréquemment observés dans les études comme étant le plus important. Concernant les produits phytopharmaceutiques, ceux-ci ne sont pas directement présentés dans ces études mais peuvent s’inscrire dans les facteurs « pollution » et « produits industriels ». Ces facteurs apparaissent comme faibles dans l’apparition des cancers, tout comme le rôle de la profession.
|
Table des matières
Liste des figures
Première Partie : Les produits phytopharmaceutiques, utilisation et toxicité
1.1 L’agriculture en France
1.2 Utilisation des produits phytopharmaceutiques en France
1.2.1 Définition
1.2.2 Historique
1.2.3 Bénéfices
1.2.4 Marché des produits phytopharmaceutiques en France
1.2.5 Évaluation des risques avant mise sur le marché
1.2.6 Programmes de réduction de l’usage des produits phytosanitaires
1.3 Problématique sanitaire
1.4 Objectifs
Deuxième Partie : Risques sanitaires liés à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques
2.1 Le traitement phytosanitaire
2.2 Voies de contamination
2.3 Toxicologie des produits phytopharmaceutiques
2.3.1 Effets sanitaires aigus
2.3.2 Effets sanitaires chroniques
2.4 Cas particulier des cancers
2.4.1 Cancers et produits phytopharmaceutiques dans la population agricole
2.4.1.1 Les méta-analyses
2.4.1.2 Approche épidémiologique
2.4.1.3 Les cohortes agricoles
2.4.2 Cancers dans la population agricole face à la population générale
2.4.3 Conclusion
Troisième Partie : Évaluation du risque lié aux produits phytopharmaceutiques
3.1 L’évaluation quantitative des risques sanitaires des produits phytopharmaceutiques
3.1.1 Démarche générale de l’EQRS
3.1.2 Place de la démarche par rapport aux autres approches sanitaires
3.1.3 Les valeurs toxicologiques de référence (VTR)
3.1.3.1 Les bases de données (BDD)
3.1.3.2 Les bases de données spécialisées sur le cancer
3.1.3.3 Généralités sur les Valeurs Toxicologiques de Référence (VTR)
3.1.3.4 Incertitudes sur les effets des mélanges de produits phytosanitaires
3.2 Déterminants de l’exposition des agriculteurs
3.2.1 Paramètres liés aux produits phytopharmaceutiques
3.2.2 Paramètres liés à la tâche réalisée
3.2.3 Paramètres liés au matériel de pulvérisation
3.2.4 Paramètres liés aux EPI
3.2.5 Paramètres liés au type de culture
3.2.6 Paramètres liés aux conditions météorologiques
3.2.7 Paramètres liés à l’opérateur
3.2.8 Incertitudes sur les déterminants de l’exposition
3.3 Évaluation de l’exposition
3.3.1 Modélisation de l’exposition
3.3.2 Biomonitoring humain (BMH)
3.3.3 Mesures environnementales
3.3.3.1 Méthode des patchs
3.3.3.2 Autres méthodes de mesures environnementales
3.3.4 Bilan des méthodes de mesures de l’exposition
3.4 Perception du risque en agriculture
Quatrième Partie : Matériels et méthodes
4.1 Méthode d’évaluation de la perception du risque
Support à l’évaluation de la perception
4.2 Les enquêtes
Sélection de la population cible
4.3 Évaluation de l’influence de la perception sur l’exposition
4.3.1 Modélisation de l’exposition
4.3.1.1 Objectif des modélisations
4.3.1.2 Matériel et méthode des modélisations
4.3.1.3 Discussion sur les modèles et la méthode
4.3.2 Mesure de l’exposition
4.3.2.1 Objectifs
4.3.2.2 Choix de la méthode de prélèvement
4.3.2.3 Choix du solvant
4.3.2.4 Limites et incertitudes concernant les prélèvements
4.3.2.5 Méthode de prélèvement
4.3.3 Les prélèvements chez les agriculteurs
4.4 Sélection du produit phytopharmaceutique d’intérêt
4.4.1 Produit phytopharmaceutique retenu pour l’étude
4.4.2 Caractéristiques du produit phytopharmaceutique d’intérêt sanitaire
Cinquième Partie : Résultats
5.1 Entretiens sur la perception du risque
5.1.1 Données générales sur les enquêtes
5.1.2 Vérification des concepts développés
5.1.3 Déterminants de la perception du risque
5.1.4 Conséquences sanitaires redoutées
5.1.5 Conséquences sur les pratiques
5.1.6. Vérification du déclaratif
5.1.7 Bilan des entretiens, limites et perspectives
5.2 Modélisation de l’exposition
5.2.2 Programmation des modèles
5.2.3 Résultats des modélisations d’exposition
5.3 Caractérisation du risque
5.3.1 Développement du modèle d’évaluation du risque réel
5.3.2 Résultats selon les scénarios
5.3.3 Influences d’autres paramètres sur l’exposition
5.4 Observation des traitements
5.4.1 Recrutement des viticulteurs
5.4.2 Produits recherchés
5.4.3 Mesures d’exposition
5.4.3.1 Caractéristiques des échantillons
5.4.3.2 Analyse des échantillons
5.4.4 Incertitudes sur les mesures de l’exposition et caractérisation du risque
5.5 Perception et exposition
5.5.1 Dosages des échantillons
5.5.2 Comportement et exposition
5.5.3 Décalage entre le risque réel et le risque perçu
5.5.4 Les profils de risque
5.5.5 Incertitudes sur la perception
5.6 Comparaison entre doses mesurées et modélisées
5.7 Bonnes pratiques et pratiques de terrain
Conclusion et perspectives
Conclusion
Références
Télécharger le rapport complet