Au cours de l’histoire, le rire n’a pas toujours eu l’image positive qu’on en a aujourd’hui. Pendant l’Antiquité particulièrement, le rire était associé à la moquerie et ne révélait rien de très réjouissant. Il faut attendre la fin du Moyen Age et le début de la Renaissance pour qu’on attribue au rire sa connotation positive actuelle. Le rire survient généralement en groupe, ou en binôme. On dit souvent que c’est un mode de communication. C. Escallier écrit : « les émotions servent à communiquer et le rire est l’expression d’une émotion » (Escallier, C. Pédagogie et humour : le rire comme moyen de construction d’un public attentif d’une salle de classe, p. 105). Pourtant, l’école qui recense de nombreux objectifs de communication n’apparaît pas comme un lieu propice à l’émergence du rire. A l’école, on ne rit pas, car ce lieu est associé à un travail rigoureux qui demande beaucoup de sérieux. Et le travail, ce n’est pas une plaisanterie.
Le rire
Qu’est-ce que le rire ?
Lorsqu’on aborde l’idée du rire, la plupart d’entre nous pensons premièrement à une expression faciale amicale ainsi qu’à un fond sonore vocal bien connu de tous. Ensuite, nous pensons à l’émotion à laquelle elle se rattache : la joie. Cette vision est la vision dite « traditionnelle » du rire.
« Le rire, c’est le propre de l’Homme. » .
Cette citation d’Aristote nous rappelle que rire est une caractéristique de l’Homme, un phénomène spécifique à l’espèce humaine, bien souvent décrit comme synonyme de bien-être et de bonne santé. Ceci est probablement dû au fait que l’être humain est un individu qui vit en société et qui communique avec ses pairs. Doté de conscience, l’Homme est capable de rire, de comprendre pourquoi il rit et de créer des situations risibles. Mais le rire peut-il simplement se résumer à cette définition ? Qu’est-ce que rire et pourquoi rit-on ?
Pour beaucoup, rire est un réflexe, un mécanisme qui s’active machinalement face à une situation comique. Dans son œuvre, Eric Smadja dit même que « le rire ne se verbalise pas ni ne se réfléchit, il se fait et il est agi » (Smadja, E. Le rire, p. 3) et rajoute plus loin que « nous pourrions aussi considérer le rire comme un usage social inconscient vécu comme une habitude » (ibid., p. 4). Les situations comiques peuvent être multiples : farces, maladresses, blagues, personnage caricatural ou encore paradoxe. Ces éléments font rire par leur drôlerie, leur étrangeté ou leur apparition à un moment inattendu. De cette idée, on peut retenir que le rire est un mécanisme incontrôlable, quelque chose qui vient de soi et de sa vision du monde, voire même de notre propre perception des mots. Il serait compris de manière unique pour chacun et ne pourrait intervenir chez tous de la même manière. Pourtant, le rire d’un seul individu semble parfois être enclin à déclencher celui de tous ceux autour de lui. En effet, il est communicatif et entraine des effets de groupe. C’est ce qu’illustre Nancy D. Bell dans sa recherche lorsqu’elle raconte qu’elle a parfois vu certains étudiants rire sans comprendre pourquoi ils riaient. Elle explique qu’ils riaient simplement de voir les autres rire, comme s’il s’agissait d’une contagion.
Par ailleurs, rire est, selon Rabelais, un « instrument thérapeutique » et caractérise une certaine « hygiène mentale visant le maintien et l’entretien de la santé individuelle et sociale par l’obtention d’un plaisir complexe, psychique, sensoriel et corporel » (Smadja, E. Le rire, p. 18). Cette définition diffuse une vision plutôt médicale du rire. Il est alors le témoin de la bonne santé de l’individu. De même, le rire qui nous est décrit ici, est un phénomène non plus seulement psychique faisant appel à des émotions, mais aussi un phénomène corporel. Il n’engage pas seulement notre santé mentale mais aussi notre santé physique. Sa complexité mêle à la fois le psychisme de l’individu et son corps, rappelant ainsi le lien étroit qu’entretiennent ces deux entités.
Pourquoi rit-on ?
Comme précédemment énoncé, selon Rabelais, le rire est un « instrument thérapeutique » qui indique une « hygiène mentale ». On peut entendre derrière ces mots que l’être humain utilise le rire pour continuer à vivre et surtout, à bien vivre. Rire peut être alors comparé à un élément indissociable de la vie humaine, un « souffle de vie ».
Un mécanisme de défense
Le rire est parfois décrit comme un « mode de communication non verbal de différents types de messages affectifs dont, en premier lieu, la joie et le plaisir » (ibid., p. 5) mais pas seulement. Il peut aussi parfois exprimer « agressivité et angoisse ». E. Smadja parle de « tendances multiples » (ibid., p. 9) du rire. Cette information, plutôt déconcertante à première vue, apparait comme un élément essentiel. On ne rirait donc pas toujours de bonheur, l’expression « avoir un rire nerveux » confirme d’ailleurs bien cette idée. Le rire serait sans doute un moyen de se défendre contre cette agressivité et cette angoisse, un moyen de dépasser ces émotions négatives en vue de les remplacer par de meilleures. C’est peut-être aussi quelque part, une manière de les fuir et de les oublier. Le rire aurait alors des vertus en termes d’autodéfense contre les émotions négatives et serait probablement utilisé inconsciemment à cet effet.
Dans le même ordre d’idées, Tayeb Bouguerra cite Freud et explique que « le rire, la plaisanterie [et] la dérision relèvent du sérieux voire du grave et permettent de conjurer les angoisses du quotidien » (Bouguerra, T. « Humour et didactique des langues : pour le développement d’une compétence esthético-ludico-référentielle», Ela. Études de linguistique appliquée, p. 369). Rire, c’est donc aussi un moyen d’échapper à nos angoisses, un intermédiaire pour faire face aux peurs quotidiennes.
La place de l’inconscient
Certaines théories, comme celles de Freud, avancent l’idée que le rire est une manifestation de notre inconscient. Il s’agirait par exemple d’un moyen de libérer certaines pulsions enfouies dans ce que le psychanalyste appelle le « Ça ». C’est une façon détournée de retrouver les plaisirs simples de l’enfance. En bref, rire permettrait d’aborder des situations graves – ou même ordinaires – avec une certaine légèreté dite enfantine. Pour se sentir bien, il faudrait perdre un peu de sérieux pour décompresser et évacuer la pression ; voilà l’objectif. Notons par ailleurs que le fait qu’on ne sache pas toujours pourquoi nous rions est probablement un facteur témoin de la part d’inconscient qui se trouve derrière l’action de rire.
Une délivrance psychique
Comme déjà dit précédemment, le rire peut être un moyen de faire face à nos peurs. Il permet d’aborder plus sereinement une situation difficile ou stressante. L’expression « rire un bon coup » traduit bien cette utilisation du rire. On peut parler d’un phénomène de « décharge » (Bellenger, L. Rire et faire rire, p. 53) d’une tension psychique qui se manifeste à travers le corps. On lâche la pression, et cette dernière se manifeste à travers le rire.
|
Table des matières
Introduction
I. Hypothèses et méthodologie
A. Premières hypothèses
B. Déroulement de l’entretien et réception des données
C. Limite de l’étude
II. Le rire
A. Qu’est-ce que le rire ?
B. Pourquoi rit-on ?
1. Un mécanisme de défense
2. La place de l’inconscient
3. Une délivrance psychique
C. Les différents types de rire
1. « La théorie du sentiment de supériorité et de dégradation de l’objet risible (appelée aussi théorie morale ou pessimiste) »
2. « Les théories intellectualistes (théories du contraste et de l’incongruité) »
3. « La théorie psychophysiologique ou théorie de la décharge » (Spencer)
4. La théorie de Bergson
5. Conclusion
D. Les larmes, le contraire du rire ?
E. Le rire : quels sont ses proches voisins ?
1. Le sourire
2. Le jeu
3. Le risible
4. L’humour
III. L’humour
A. L’humour, sa mise en scène et son contexte
B. L’humour par le jeu
1. Le jeu énonciatif
2. Le jeu sémantique
C. L’ironie
D. L’humour noir et le cynisme
E. La plaisanterie
F. Apports de la psychanalyse
G. Les catégories selon Schmitz
1. L’humour culturel et l’humour linguistique
2. L’humour universel
IV. Le rire et l’humour en classe
A. L’humour et le rire : un mode de communication
B. L’humour et le rire en classe : la cohésion d’un groupe
C. L’humour et le rire en classe : donner goût à l’école
D. L’humour et le rire en classe : éviter les situations angoissantes
E. L’humour en classe : augmenter la participation orale
F. Eveiller aux différentes cultures
G. L’humour et le rire en classe : les risques
1. Une activité ludique qui ne va pas de pair avec le travail scolaire
2. Le type d’humour
3. Le rôle du maître et le maintien du groupe classe
V. Analyse des entretiens
A. Le rire et l’humour en classe, des outils qui se maîtrisent
1. Une mise en place qui se prépare
2. Rire en classe oui, mais avec rigueur
B. Des outils qui permettent une bonne ambiance de classe
1. Rire pour se sentir bien
2. Une ambiance qui dédramatise et qui met en confiance
C. Des outils pédagogiques
1. Avoir l’attention des élèves et réduire l’échec scolaire
2. Rire pour apprendre
3. Des élèves intéressés
4. Un oral qui se développe
5. Des élèves marqués par le souvenir de leur enseignant
D. Quelques limites
1. La peur de perdre le contrôle de sa classe
2. Des élèves gênés par le rire
3. Une limite d’âge ?
4. La personnalité de l’enseignant en jeu
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1 : Interview de Magali S
Annexe 2 : Interview de Nicolas S
Annexe 3 : Interview de Catherine B
Annexe 4 : Interview de Josette S
Annexe 5 : Courriers échangés entre la classe de Josette S. et Ratus