Rhétorique et Sophistique : Protagoras ou la parole politique

Démocratie, rhétorique et sophistique : caractéristiques de l’Athènes de Périclès

   La naissance du mouvement de la sophistique est généralement située au Ve siècle av. JC, période à laquelle beaucoup de cités grecques épousèrent la démocratie comme régime politique, notamment Athènes. En effet, cette Athènes du Ve av. J.-C. ou l’Athènes de « Périclès » a connu une immense et très riche activité intellectuelle favorisée par la puissance éprouvée de la ville et de ses talents dans divers domaines. Cette puissance, Athènes l’acquiert à la sortie de sa participation aux deux guerres médiques entre 490 av. et 479 av. J.-C. De ce fait, bien qu’elle ait dirigé la coalition grecque avec la cité de Sparte, c’est Athènes qui sort mieux lotie de ces deux guerres. Elle devient la plus puissante et la plus prestigieuse cité grecque et attire du coup toute une élite intellectuelle parmi laquelle les sophistes. Donc après avoir émancipé les cités ioniennes du dictat perse, « Athènes attire les regards, propose un modèle politique, la démocratie, l’opposé du régime totalitaire de Sparte ». C’est l’instauration d’un tel régime, le régime démocratique, qui seyait avec leur programme éducatif dont la rhétorique est la base, qui favorisa la venue et les nombreux séjours des sophistes à Athènes, plus que dans n’importe quelle autre cité grecque. Car en démocratie, « (…) : la conquête du pouvoir exige désormais la parfaite maîtrise du langage et de l’argumentation ; il ne s’agit plus seulement d’ordonner, il faut aussi persuader et expliquer » ; or les sophistes enseignaient l’art de bien parler pour accéder aux hautes magistratures. En outre, si l’ « Athènes de Périclès » a été le théâtre des sophistes, c’est parce qu’elle a été « la ville de Grèce où la liberté de parler est la plus grande »34. Or l’on s’ait que les sophistes étaient des démocrates épris de progrès et de liberté d’expression. Autrement dit, ils ne pouvaient opérer que dans un régime qui fut favorable à leur enseignement. On comprend d’ailleurs pourquoi le désir de professer d’Hippias d’Elis, autre sophiste, a souffert de reconnaissance à Sparte. Car, dit-il, le refus échu est plus dû au conservatisme de cette cité que par un réel défaut de compétence qu’il faut lui imputer : pour les Lacédémoniens, « donner une éducation étrangère est contraire à leur usage» dit-il pour expliquer le refus échu à Sparte. Cette explication d’Hippias, bien que ne satisfaisant pas Socrate est pourtant à prendre au sérieux. Comme pour confirmer les dires du sophiste Marrou souligne : « (…) après s’être montrée en tête du progrès, Sparte par un renversement des rôles, est devenue la cité conservatrice par excellence qui maintient avec une obstination entêtée, des vieux usages abandonnés partout ailleurs ». Aussi faut-il préciser qu’à Sparte, les services d’Hippias ou de n’importe quel autre sophiste ne pouvaient être concédés. Car ce que les sophistes proposaient comme modèle éducatif, une nouvelle éducation intellectuelle, ne convenaient pas aux desseins des pouvoirs publics spartiates en matière d’éducation. En d’autres termes, « A Sparte, il ne fut jamais question d’une instruction intellectuelle d’un tel niveau [celle des sophistes], car l’éducation, entièrement organisée et dirigée par l’Etat, y était toute orientée vers la formation de futurs guerriers ». De ce fait, ce conservatisme en matière d’éducation ne manquait pas de heurter Hippias, lui le polymathe-progressiste. En effet, ce conservatisme spartiate reposait sur des préceptes fournis par des anciens ; lesquels servaient de canons à l’éducation des enfants de cette cité aristocratique et conservatrice. Or pour des sophistes comme Protagoras ou Hippias, il faut ouvrir toute éducation aux progrès et toute formation nécessite une initiation à la façon de gérer le mieux possible les affaires privées et celles de l’Etat. Or le conservatisme des anciens, preuve de leur faiblesse d’esprit, fait qu’ils étaient « incapables et qu’ils ne parvenaient pas à faire porter leur réflexion dans ces deux domaines, à la fois dans les matières publiques et les matières privées ». Ce sens du progrès, surtout technique, est sans doute la raison pour laquelle Hippias se vantait devant les portes de l’Olympie de n’avoir rien sur lui qui ne fut travaillé de ses propres mains. De son manteau, en passant par sa ceinture à la mode perse jusqu’à l’anneau qu’il portait au doigt, tout fut, dit-il, de sa propre expertise technique (Hippias Min. 268b-c). D’où le progrès technique qu’il prônait sans cesse dans ses vues de professeur. On le voit donc : Sparte était tout le contraire de l’ « Athènes de Périclès » en matière de liberté, surtout de liberté de la parole. Dans ce dispositif, les sophistes, éducateurs professionnels, ne pouvaient que converger vers cette Athènes et sa nouvelle démocratie. Car nla question de l’éducation occupera une place centrale dans les préoccupations des penseurs de l’Athènes du Ve av. J-C. Cette éducation était d’autant plus nécessaire qu’avançait la démocratie et ses exigences d’une jeunesse éduquée capable de prendre part à l’action politique. L’ « Athènes de Périclès » et sa démocratie progressiste était donc le jardin « opportun » de la sophistique et ses prétentions en matière de rhétorique. Car « La démocratie est le lieu où s’exerce l’activité du sophiste, celui dont il faut penser la légitimité ; le régime qui implique une participation des citoyens, celui où il faut contribuer à permettre cette activité ». Toutefois, il convient de préciser par ailleurs qu’Athènes en tant que telle n’a pas toujours été une démocratie telle qu’elle fut favorable à la parole participative des citoyens et à l’avènement de la sophistique. En effet, jusqu’à la fin du VIIe av. J.-C., Athènes était une puissante oligarchie dans laquelle les citoyens, majoritairement des pauvres, n’avaient pas le droit de prendre part aux affaires de la cité. Leur vie était conditionnée et contrôlée au point qu’ils ne jouissaient presque pas de pouvoirs pour prétendre à des fonctions publiques. Et Aristote renseigne bien sur ce fait qui précéda les premières réformes entreprises et allant dans le sens de la démocratie : La constitution d’alors était, en effet, une oligarchie absolue, où surtout les pauvres étaient les serfs des riches, eux, leurs enfants et leurs femmes. On les appelait clients et sixeniers : ils cultivaient en effet les champs des riches, à la condition de ne garder pour eux qu’un sixième des fruits. La terre était tout entière entre les mains d’un petit nombre d’hommes, et si les cultivateurs ne payaient pas leur redevance, ils s’exposaient à être vendus, eux et leurs enfants: car les débiteurs étaient soumis à la contrainte par corps, et il en fut ainsi jusqu’à Solon, le premier chef du parti démocratique. Sous un tel régime, le peuple souffrait surtout et s’irritait de ne pas avoir sa part de la terre, mais il avait bien d’autres sujets de mécontentement; car, à vrai dire, il n’avait aucun droit. Donc, contrairement à ce qui se fera bientôt avec l’avènement de la démocratie « participative » à Athènes, cette période de souveraineté oligarchique fit fi des droits des citoyens, surtout le bas peuple. De plus, précise encore Aristote, les archontes qui étaient les magistrats de la cité étaient uniquement « pris dans les familles nobles et riches ». Aucune fonction ou charge publique ne répondait aux critères de la démocratie, car les gouvernants, aussi bien de l’appareil politique que judiciaire, se recrutaient « sans doute alors parmi les chefs des principales familles de la plaine, qui venaient y siéger par droit de naissance : c’était la citadelle de l’oligarchie ». Dans un tel dispositif, on comprend que les sophistes, ces grands démocrates qui se donnaient pour mission de former les citoyens à la prise de parole en public pour qu’ils puissent participer à la gestion de la cité, et le mouvement qu’ils ont constitué, devaient bénéficier de circonstances nouvelles qui eussent autorisé leurs séjours à Athènes. Bientôt ces circonstances qui devaient favoriser des réformes allant dans le sens de la démocratie allaient voir le jour. C’est par Solon que les premières réformes allant dans le sens de la démocratie vont être entreprises vers 594 av. J.-C. En effet, Solon proclame inviolable et inaliénable la liberté des citoyens et étend à tous les hommes libres l’accès à l’assemblée du peuple ou « Ecclésia ». Après cette mesure, il permit aussi aux citoyens de disposer librement de leurs biens. Par exemple, avant cette mesure, aucun n’athénien n’avait le droit de léguer ses biens par testament après sa mort. Si quelqu’un mourrait sans enfants, ses biens revenaient ipso facto à l’agrégation des familles régentes. Mais Solon émancipa les citoyens de cette mesure plutôt aristocratique en leur permettant de rédiger un testament comme ils le sentaient. Même si Solon n’est pas allé plus loin dans ses touches démocratiques par prudence, car ne voulant pas heurter le conservatisme des classes supérieures, il permit des avancées notables vers un régime démocratique où la souveraineté revenait petit à petit au peuple. Certes très mesuré dans ses réformes, il a néanmoins permis à « tous les citoyens [d’avoir] le droit d’élire les magistrats et de leur faire rendre des comptes ; tous votaient dans l’assemblée du peuple et jugeaient dans les tribunaux. C’est ce dernier droit surtout, le droit de rendre la justice, qui constitue la démocratie telle que Solon l’a fondée »45. Petit à petit donc, surtout avec le droit de « juger dans les tribunaux », les athéniens épousèrent un système qui sera bientôt favorable à la démocratie directe, à la rhétorique et son enseignement, mais aussi et surtout au mouvement de la sophistique. Après Solon et ses quelques réformes, c’est autour de Clisthène (570 av.- 508/492 av. J.-C.) le « réformateur » de continuer ces réformes du système politique athénien. En effet, après avoir subi la tyrannie de Pisistrate et de ses fils entre 561 av. et 510 av. J.-C.46, Athènes connaîtra avec Clisthène de nombreuses réformes visant une démocratie directe. Au nombre de ces réformes on peut citer d’abord l’obtention par l’assemblée davantage de prérogatives politiques et le fait que chaque citoyen jouit ainsi du droit « de faire entendre sa voix et de se prononcer en faveur d’une réforme ou d’un décret ». Ensuite, toujours sous Clisthène, le Conseil (la « Boulè »), composé de 500 membres (l’ensemble de la population civile dans la mesure où chacun des dix tribus disposent de cinquante membres), voit son président choisi par tirage au sort ; ce qui laisse bien attendu l’opportunité à chaque citoyen « de se trouver un jour à la tête de l’Etat et de faire voter des décisions ». En plus, les magistrats annuels « sont désormais soumis à une reddition de comptes »49. De ce fait, les citoyens possèdent un certain pouvoir d’inspection sur leurs dirigeants. Et enfin, sous Clisthène, l’exil temporaire est introduit dans le dessein de limiter la trop grande influence que peut avoir une personnalité publique. Et Aristote de remarquer en ce qui concerne les réformes entreprises par Clisthène: « Après ces réformes la constitution fut beaucoup plus démocratique que celle de Solon » Toutes ses réformes, de Solon à Clisthène, allant dans le sens de la démocratie ne sont que le début d’une longue série.

Protagoras d’Abdère : l’homme, la vie et l’œuvre

   Nous savons peu de choses de Protagoras. En effet, malgré sa grande renommée dans l’Antiquité, les certitudes sur la vie et l’œuvre du sophiste d’Abdère se dérobent aux sources, parfois d’ailleurs inexistantes. De ce fait, parler de lui comme de n’importe quel autre sophiste, c’est se prêter à un jeu qui repose plus sur des conjectures que sur des évidences. Parler de Protagoras ou de n’importe quel autre penseur de la Grèce antique avant Socrate, c’est aller puiser des informations sur des sources éparses, peu sûres et divergentes. Et le fait est d’autant plus remarquable quand il s’agit d’un sophiste dans la mesure où l’histoire de la philosophie, héritière de Platon et d’Aristote, a accepté le jeu de la « conspiration par le silence » en se passant des témoignages qui eussent été favorables aux sophistes. Selon Gilbert Romeyer-Dherbey qui suit la chronologie d’Apollodore, Protagoras serait né vers 492 av. J.-C. Ce qui en fait le plus âgé des sophistes et par ricochet père de ce mouvement. Dans le dialogue de Platon qui porte son nom, le sophiste affirme, non sans conviction et courage, qu’il est le premier à s’être déclaré sophiste et à exiger salaire contre son enseignement. En effet, dans ce dialogue, Protagoras retrace l’histoire de la sophistique qui, au cours de l’histoire, est apparue, selon lui, sous plusieurs traits (poésie, musique, médecine, magie etc.). Et le sophiste précise que si la sophistique n’a pas fait d’écho pendant tout ce temps, c’est que les devanciers ont fait preuve de lâcheté et se sont montrés très incapables d’affirmer leur identité ( Protagoras316d) : soit pour ne pas s’attirer la jalousie des rivaux, soit pour se soustraire à toute exposition ou reconnaissance publique qui pourrait, après, leur être préjudiciable. A la différence des autres, Protagoras soutient avoir pris la résolution de prendre une voie qui n’a rien à voir avec celle de ses devanciers : « Pour ma part, dit-il, j’ai pris une route en tout point contraire, je reconnais que je suis sophiste et que j’éduque les hommes, et j’estime que leur précaution [celle des anciens] est moins bonne que la mienne, qui consiste à reconnaître le fait plutôt que de le nier ; (…), si bien que, grâce au dieu, reconnaître que je suis sophiste ne m’a valu aucun déboire » . Par ces propos, Protagoras affirme être la première personne qui s’est déclarée sophiste et assumée le fait de l’être. En plus de ce « coming out » professionnel, le sophiste d’Abdère décline son rôle et sa profession en tant qu’éducateur des hommes. Ainsi, pour lui, assumer son rôle et son statut plutôt que de les nier, participe du courage et du respect. Car se borner à se dissimuler sous d’autres traits est de la fourberie (Protagoras317b). Il fut ainsi, comme la majeure partie des sophistes que nous connaissons, un enseignant itinérant, mais aussi orateur, grammairien qui distingua les genres des noms110 et juriste en charge, par Périclès, de la rédaction de la constitution de la colonie panhellénique de Thurium en 443. Bien que nous n’ayons aucune information sur la nature de cette constitution, l’on peut bel et bien supposer que Protagoras y établit une constitution aux fondements démocratiques dans la mesure où, Protagoras et Périclès qui le mandata, étaient des partisans de ce régime. C’est d’ailleurs à cause d’une telle sympathie pour la démocratie et le fait d’avoir été proche de Périclès qu’on lui intenta un procès à Athènes, sous prétexte d’une accusation pour impiété. Car selon Diogène Laërce111, son accusateur fut Pythodore, un des Quatre Cents et partisan de l’oligarchie. Mais un tel fait se discute, d’ailleurs comme tout sur la vie du sophiste. Sur ses origines aussi, les informations sont divergentes. Alors que Diogène Laërce lui prête des origines modestes qui lui ont fait épouser des métiers manuels112 ; Philostrate soutient quant à lui que le sophiste serait issu d’une riche et noble famille d’Abdère, et que son père Méandrios « s’étant constitué une fortune comme beaucoup n’en ont pas à Thrace, il put recevoir Xerxès113 chez lui et, en lui offrant des cadeaux, obtenir pour son fils la faveur de fréquenter les mages. Car les mages perses refusent leur enseignement aux non-perses, à moins d’une dérogation accordée par le Grand Roi »114. Et ce serait pour cette raison que Protagoras a épousé la doctrine de l’agnosticisme en affirmant qu’il ne savait rien de l’existence ou non des dieux. Car les mages « s’interdisent toute profession de foi en faveur d’aucun dieu »115. Toutefois, pour Gilbert Romeyer-Dherbey, les propos de Philostrate restent « un tissu d’invraisemblances ». Et cette remarque de Romeyer-Dherbey peut être tenue pour vraie dans la mesure où, comme le souligne Jean-Louis Poirier116, Laërce est beaucoup plus plausible que Philostrate, lequel manque de considérer la date de l’expédition de Xerxès qui eut lieu entre 484 et 479 av. J.-C. Or, continue Poirier, à cette date, Protagoras était relativement jeune pour que son père l’ait donné en formation aux mages perses. Pour sa formation, à part cette supposée fréquentation des mages, Protagoras aurait été, d’après beaucoup de sources, l’élève du philosophe de la nature Démocrite qui, ayant remarqué son habileté, le prit sous son aile. Version néanmoins contestée par RomeyerDherbey pour qui, si les témoignages ont voulu faire de Protagoras un disciple de Démocrite, c’est sans considération donnée à la chronologie d’Apollodore qui fait naître Démocrite en 460 av. J.-C., « si bien que l’influence serait au contraire de Protagoras sur Démocrite ». Protagoras était, comme ses pairs sophistes, un enseignant qui dispensait des cours contre rétribution. C’était un professeur itinérant qui sillonnait les villes pour se faire de l’argent grâce à ses compétences intellectuelles. Bien que le dialogue du Protagoras relate une scène qui coïncida avec la deuxième venue du sophiste à Athènes, il n’y a pas de certitudes sur le nombre de séjours que le sophiste fit à Athènes. Hormis Athènes, Platon lui attribue une visite à Sicile (Hippias Maj. 282d), peut-être pour les besoins de ses enseignements. Car, Hippias, le sophiste d’Elis, affirme lui avoir volé la vedette là-bas en amassant plus de fortune que le sophiste d’Abdère.

De l’agnosticisme a la théorie de l’homme-mesure : la rhétorique subversive de Protagoras

   Lire la théorie de l’homme-mesure de Protagoras à l’aune de sa sentence sur les dieux est une nécessité pour saisir le sens de l’épistémologie protagoréenne et de sa conception du langage. En effet, faire résider la mesure de la connaissance en l’homme impliquait de jeter les bases d’une analyse critique du domaine religieux dont le dieu ou les dieux sont l’objet. D’où le rapprochement logique entre les deux thèses. Car, d’après la tradition, la sentence de l’homme-mesure introduisait un livre de Protagoras intitulé Sur la Vérité. Or on sait avec Gavray que : « Traditionnellement, l’incipit permet à l’auteur de dévoiler le garant de sa parole et de sa vérité, un rôle souvent attribué aux Muses. Dans ce contexte, Protagoras s’arracherait de l’usage du patronage divin pour se centrer sur l’homme ». Autrement dit, la compatibilité entre les deux thèses se justifie dans la mesure où Protagoras, dès le départ, veut émanciper sa parole de la tutelle d’un principe du type transcendant qui serait le garant des choses. De plus, rapprocher les deux thèses permet de déduire logiquement la théorie de la connaissance de Protagoras de son scepticisme théologique ; et enfin de cette déduction, de tirer sa conception du langage ou sa rhétorique. Des quelques fragments qu’il nous reste de lui, nous savons avec Diogène Laërce qu’il aurait affirmé que « Touchant les dieux, je ne suis pas en mesure de savoir ni s’ils existent, ni s’ils n’existent pas, pas plus que ce qu’ils sont quant à leur aspect. Trop de choses nous empêchent de le savoir : leur invisibilité et la brièveté de la vie humaine ». Ce qu’il faut d’emblée souligner quant aux propos du sophiste, c’est le fait qu’il ne s’agit aucunement d’une pensée athée car, remarque Romilly, par l’emploi volontaire que le sophiste fait ici du verbe « savoir », il est évident qu’il « veut donc dire que l’on ne sait rien sur les dieux, et non pas qu’ils n’existent pas »136. C’est à défaut de pouvoir opérer « une phénoménologie du divin » que Protagoras, trop attaché au sens des réalités phénoménales, professa cet agnosticisme qui lui valut l’exil. Au passage, on retrouve le même scepticisme religieux chez Mélissos de Samos, (470 av. J.-C. – ??) le dernier philosophe de l’école éléatique. En effet, selon Diogène Laërce, « Il pensait encore qu’on ne doit rien affirmer des dieux, car ils échappent à la connaissance ». En cela, Mélissos est protagoréen. Dès lors, on appelle agnosticisme une attitude de pensée qui consiste à suspendre « la croyance à l’égard de toute proposition manquant d’évidence adéquate ». Autrement dit, la vérité ou la certitude sur certaines interrogations reste inaccessible à l’entendement humain. Cette attitude consiste donc à considérer comme inconnaissable tout ce qui se refuse à entrer dans le jeu de l’expérience. De ce fait, cette sentence de Protagoras sur les dieux peut bel et bien être considérée comme un agnosticisme dans lequel le sophiste se réfugie à défaut d’être sûr de l’existence d’un principe intelligible présidant l’ordre du monde en général et le statut de la connaissance en particulier. A l’absence de certitude sur l’existence d’un principe transcendant, Protagoras refuse de postuler une mesure qui excède le champ empirique. Partant de cela, il pose les bases d’une théorie de la connaissance qui s’origine sur un scepticisme religieux ou théologique. Alors, plus qu’il n’y a plus de dieux ou de principe divin, il est nécessaire de trouver un autre référent sur lequel asseoir sa parole. C’est ainsi que le livre Sur la Vérité déclare: « L’homme est la mesure de toutes choses, pour celles qui sont, de leur existence ; pour celles qui ne sont pas, de leur non-existence». Par cette affirmation, Protagoras entend signifier le fait que s’il n’y a plus de transcendance ou d’absolu auquel se référer, la vérité perd de sa consistance et de sa valeur objective ; du coup serait vaine toute rhétorique qui se donnerait pour fin la « Vérité ». Elle vit désormais sous la coupe de chaque conscience individuelle en tant qu’elle est « métron » ; et « nos appréciations sont subjectives et relatives ; elles ne valent que pour nous »140. A cet effet, si nos appréciations ne valent que pour nous, c’est parce qu’elles n’entendent pas excéder le champ empirique comme le seraient les dieux qui représentaient « une stabilité et une vérité au-delà de l’établissement humain » 141 ; stabilité et vérité à partir desquelles pourraient être mesurées toutes choses. Protagoras prônerait ainsi un phénoménalisme dans lequel la sensation serait le critère du vrai (Théétète 152c), car « La sensation est une faculté exempte de fausseté, véridique, au sens où elle dit nécessairement ce qui est : les choses sont telles qu’elles sont perçues, vu que tout sentir porte sur ce qui est »142. Dans ce dispositif, le phénoménalisme de Protagoras ne pouvait guère s’accommoder avec l’idée d’un dieu-référent dans la mesure où un tel référent excède le champ de la sensation.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIER CHAPITRE : LES SOPHISTES : « DES ENFANTS DE LEUR ÂGE »
1-Démocratie, rhétorique et sophistique : caractéristiques de l’Athènes de Périclès
2-L’avènement de la sophistique : rôles et statuts des sophistes
3-Protagoras d’Abdère : l’homme, la vie et l’œuvre
DEUXIEME CHAPITRE : DU RELATIVISME EPISTEMOLOGIQUE AU DISCOURS POLITIQUE
1-De l’agnosticisme a la théorie de l’homme-mesure : la rhétorique subversive de Protagoras
2-Les « antilogies » ou la démocratisation du Logos
3-La théorie du discours fort et du discours faible : entre sophistique et pratique démocratique
CHAPITRE III : RHETORIQUE ET POLITIQUE
1-L’art politique : le mythe du Protagoras
2-Le meilleur ou l’utile comme fondement du politique
3-L’expert-sophiste comme « mesure » du meilleur
QUATRIEME CHAPITRE : SOPHISTIQUE ET PHILOSOPHIE : UN DIALOGUE DE SOURDS ?
1-Platon et la critique du modelé éducatif sophistique
2-Aristote et la disqualification du logos sophistique
3-Pour une « tentative de réhabilitation » des sophistes
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE GENERALE

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