Rhétorique et argumentation chez Bernard-Marie Koltès

Bernard-Marie Koltès explique sa démarche de l’écriture théâtrale : Mes premières pièces n’avaient aucun dialogue, exclusivement des monologues. Ensuite, j’ai écrit des monologues qui se coupaient. Un dialogue ne vient jamais naturellement. Je verrais volontiers deux personnes face à face, l’une exposer son affaire, et l’autre prendre le relais. Le texte de la seconde personne ne pourra venir que d’une impulsion première. Pour moi, un vrai dialogue est toujours une argumentation, comme en faisaient les philosophes, mais détournée. Chacun répond à côté et le texte se balade. Quand une situation exige un dialogue, il est la confrontation de deux monologues qui cherchent à cohabiter.

Ce paragraphe, une des citations fréquemment citées pour présenter les caractéristiques principales du statut de la langue théâtrale de Bernard-Marie Koltès, de son fonctionnement et de la dramaturgie koltésienne, peut définir d’une manière générale l’orientation de cette étude sur l’argumentation et la rhétorique dans les cinq œuvres de Bernard-Marie Koltès. Premièrement, nous pouvons constater sans difficulté que Koltès accorde une grande importance aux monologues dans ses premières pièces. La Nuit juste avant les forêts, pièce théâtrale composée d’un seul monologue, offre un bel exemple de cette forte prédominance du monologue dans l’écriture théâtrale de Koltès. Après La Nuit juste avant les forêts, des dialogues apparaissent sur la scène koltésienne, s’entremêlant dans d’autres variantes du monologue, c’est-à-dire le soliloque, l’adresse directe au public et l’aparté. De cette manière, le rôle et la fonction du monologue restent importants dans les pièces qui suivent, le texte étant toujours parsemé de monologues.

On peut aussi constater que Koltès manifeste une prédilection pour des situations dramatiques spécifiquement conçues où deux personnages se confrontent « face à face » comme les deux protagonistes de Dans la solitude des champs de coton et comme le duo comique, Adrien et Mathilde dans Le Retour au désert. À ce propos, Jean-Pierre Ryngaert explique :

Koltès affectionne les situations de vis-à-vis, les duels et les duos, rarement pour engager le personnage dans des conflits qui noueraient une intrigue ou feraient avancer l’action. Il utilise ces confrontations comme autant d’expériences quasi scientifiques où sont littérairement mis en présence deux corps étrangers, souvent sous le regard ou en présence d’un tiers muet, un peu comme le fait Marivaux dans La Dispute, dont le dispositif confronte les sexes.

C’est pourquoi le dialogue instauré dans une situation de vis-à-vis des corps étrangers, autrement dit les personnages opposés et en conflit, doit être à de rares exceptions près argumentatif, parce que les deux personnages confrontés sont censés se persuader l’un l’autre jusqu’à la fin de leur dispute ou de leur conflit. Si l’on comprend le procédé de l’écriture théâtrale de Koltès où la construction dramaturgique de la fable succède à la fabrication des personnages – Koltès construisant ses personnages avant l’intrigue –, le monologue, qui appartient plutôt au caractère du personnage, apparaît antérieurement au dialogue, qui, lui, en principe naît de l’interaction entre des personnages. Ainsi, la situation de vis-à-vis est naturellement encline à rendre le dialogue argumentatif, et le dialogue se définit, pour Koltès, comme « la confrontation de deux monologues qui cherchent à cohabiter ». C’est pourquoi le dialogue koltésien est souvent considéré comme une joute verbale. En somme, pour reprendre l’expression de Koltès, « un vrai dialogue est toujours une argumentation ».

Dramaturgie du face-à-face
Deux témoignages anecdotiques peuvent soutenir cette affirmation d’une dramaturgie de face-à-face. On sait que Koltès adorait les films d’arts martiaux chinois, kung-fu, et en particulier, les films de Bruce Lee où la plupart des scènes saisissantes sont celles de duel au sommet, c’est-à-dire des combats entre les deux meilleurs, ceux-ci maîtrisant les techniques à un tel niveau que l’attaque et la défense se réitèrent sans cesse, sans infliger de blessure grave, jusqu’au dernier coup fatal qui met un point final au duel. Pourtant il est à noter que la scénographie des films de kung-fu est plutôt chorégraphique, en ce que le tournoiement des corps prévaut sur la frontalité, ce qui évoque le dynamisme du face à face.

Le second témoignage concerne un autre art martial, la capoeira brésilienne. Pendant son voyage au Brésil, Koltès a vu par hasard dans la rue un spectacle de capoeira. Il est intéressant de relever que les deux joueurs de la capoeira, en principe, n’ont pas le droit de porter des armes et ne doivent pas se toucher le corps. Ils se frôlent et s’évitent comme s’ils dansaient sur une musique, de sorte que la capoeira s’apparente à une danse rituelle.

Les deux arts martiaux pour lesquels Koltès a avoué son admiration nous rappellent la joute verbale continuée de Dans la solitude des champs de coton ; la réitération de revendications et de réfutations dans Combat de nègre et de chiens et de Quai ouest ; les chamailles et les disputes entre frère et sœur dans Le Retour au désert. À propos de cette structure dramaturgique, Koltès explique : « Les matchs de boxe, c’est un résumé de tout l’art dramatique. Moi, je suis fasciné par ça, écœuré et affolé». Dans ces trois termes antagonistes est résumé tout le statut de la dramaturgie de la violence. En bref, la clé de voûte de la dramaturgie de Bernard Marie Koltès est le « vis-à-vis », plus précisément le vis-à-vis des paroles ou confrontation de deux monologues, autrement dit le dialogue argumentatif et non la confrontation corporelle.

Tout le théâtre de B.-M. Koltès se présente comme un montage de situations de langage gestualisé. D’une certaine manière, l’auteur rétablit dans la dramaturgie contemporaine cet élément essentiel du dialogue que constituaient, dans la tragédie grecque ancienne, les scènes d’agon, entendons de combat verbal, de combat des idées. Mais il le fait de manière paradoxale, à une époque, la nôtre, où le régime même du dialogue dramatique paraît singulièrement compromis.

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Table des matières

Introduction
Chapitre I. Parole solitaire mais partagée : La Nuit juste avant les forêts
1. Analyse de la forme théâtrale : qui parle à qui ?
2. Argumentativité de la parole solitaire
Chapitre II. Paroles en duel : Combat de nègre et de chiens
1. Parole argumentative : commerce de paroles
2. Analyse de figures argumentatives
Chapitre III. Deux mondes opposés : Quai ouest
1. Paroles négatives
2. Poétique de l’opposition
Chapitre IV. Parole diplomatique : Dans la solitude des champs de coton
1. Duel verbal : dramaturgie de capoeira
2. Poétique de la comparaison
Chapitre V. Fatum comique : Le Retour au désert
1. Dialogues de sourds : Mathilde et Adrien
2. Trois monologues adressés au public
3. Rire grotesque et sophisme
4. Principe du tiers exclu : les apatrides
Conclusion

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